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Origine : http://paxhumana.info/article.php3?id_article=256
Jessica Lynch et Rachel Corrie auraient pu passer pour des sœurs.
Deux jeunes blondes américaines, deux destins changés
à tout jamais dans la zone de conflit du Moyen-Orient. La
soldate Jessica Lynch est née à Palestine, en Virginie
de l’Ouest (USA). Rachel Corrie, l’activiste, est morte
dans la Palestine occupée par Israël.
Corrie avait quatre ans de plus que Lynch qui en avait dix-neuf.
Son corps a été écrasé par un bulldozer
israëlien à Gaza, sept jours avant que Lynch ait été
faite prisonnière par les Irakiens, le 23 mars. Avant qu’elle
ne parte pour l’Irak, Lynch a organisé un programme
d’échange épistolaire avec une maternelle locale.
Avant que Corrie ne parte pour Gaza, elle organisa un programme
d’échange épistolaire entre les enfants de sa
ville natale d’Olympia, Washington, et des enfants à
Rafah.
Lynch est partie en Irak comme soldate loyale envers son gouvernement.
Selon les mots du sénateur de la Virginie de l’Ouest,
Jay Rockefeller, " elle envisagea les éventuels combats
avec détermination plutôt qu’avec peur ".
Corrie est partie à Gaza pour s’opposer aux actions
de son gouvernement. Comme citoyenne des Etats-Unis, elle pensait
qu’elle avait une responsabilité particulière
à défendre les Palestiniens contre les armes, fabriquées
aux Etats-Unis, achetées avec l’aide américaine
à Israël. Dans ses lettres, elle décrivait d’une
façon vivante comment l’eau douce (ou eau courante)
était détournée de Gaza vers les colonnies
israëliennes, comment la mort était plus habituelle
que la vie. " Voilà ce que devient notre argent ici
", écrivait-elle.
A la différence de Lynch, Corrie n’est pas allée
à Gaza pour s’engager dans les combats, elle y est
allée pour essayer de les empêcher. Avec ses compagnons,
membres du Mouvement de Solidarité Internationale (ISM),
elle croyait que les incursions militaires israëliennes pouvaient
être ralenties par la présence de " militants
Internationaux " très voyants. Si le meurtre de civils
palestiniens a pu devenir courant, on s’est dit qu’Israël
ne voudrait pas du scandale diplomatique ou médiatique qui
éclaterait si elle tuait un étudiant américain.
D’une certaine manière, Corrie utilisait précisément
ce qu’ellle détestait le plus dans son pays - la croyance
que les vies américaines en valaient plus que toutes les
autres - et essayait de l’utiliser pour sauver quelques maisons
palestiniennes de la démolition.
Croyant que sa veste orange fluo pourrait servir de bouclier, que
son mégaphone pourrait repousser les balles, Corrie se tenait
en face des bulldozers, dormait à côté des puits
et escortait des enfants à l’école. Si les kamikazes
transformaient leur corps en arme de mort, Corrie transformait le
sien en son contraire : en une arme de vie, un " bouclier humain
".
Quand le conducteur de bulldozer israëlien regarda la veste
orange de Corrie et appuya sur l’accélérateur,
sa stratégie échoua. Il arrive que la vie de quelques
citoyens américains - même de belles jeunes femmes
blanches - vaut plus que certaines autres. Et rien ne le démontre
plus clairement que les réactions opposées vis-à-vis
de Rachel Corrie et de la soldate Jessica Lynch.
Quand le Pentagone annonça le sauvetage réussi de
Lynch, elle devint du jour au lendemain une héroïne,
avec tout l’attirail nécessaire, les aimants pour le
frigo portant l’inscription " L’Amérique
aime Jessica ", les autocollants, les T-Shirts, les gobelets,
des chansons et un téléfilm fait pour NBC. Selon le
porte-parole de la Maison Blanche, Ari Fleischer, le président
Bush était " plein de joie pour Jessica Lynch. "
Le sauvetage du soldat Lynch, nous a-t-on dit, témoignait
d’une des valeurs clés États-Unienne : comme
l’a dit le sénateur dans son discours au Sénat,
" Nous prenons soin de nos gens. "
Vraiment ? La mort de Corrie, qui a fait la Une pendant deux jours
et puis a virtuellement disparu, a rencontré un silence officiel
quasi-total, malgré le fait que les témoins occulaires
ont dit qu’il s’agissait d’un acte délibéré.
Le président Bush n’a rien dit sur une citoyenne États-Unienne,
tuée par un bulldozer américain, acheté avec
des dollars États-Uniens. Une résolution du congrès
États-Unien demandant une enquête indépendante
a été enterrée dans un comité, laissant
pour seule investigation officielle celle d’Israël, qui
opportunément se lava de tout soupçon.
ISM dit que cette non-réaction a envoyé un signal
clair et dangereux. Selon Olivia Jackson, une Anglaise âgée
de 25 ans qui est toujours à Rafah, " après que
Rachel a été tuée, [l’armée israëlienne]
attendait la réaction du gouvernement américain et
la réponse a été pitoyable. Ils ont réalisé
qu’ils pouvaient s’en tirer à bon compte et cela
les a encouragés à continuer. "
Il y a d’abord eu Brian Avery, un jeune homme de 24 ans,
touché par balles au visage le 5 avril. Puis Tom Hurndall,
un militant britannique d’ISM touché à la tête
et dans le coma depuis le 11 avril. Le suivant était James
Miller, le caméraman britannique tué alors qu’il
portait une veste avec l’inscription " TV ". Dans
tous les cas, les témoins affirment que les tireurs étaient
des soldats israéliens.
Il y a autre chose que Jessica Lynch et Rachel Corrie ont en commun
: leurs deux histoires ont été déformées
par l’armée dans son propre intérêt. Selon
l’histoire officielle, Lynch a été capturée
dans une bataille sanglante à l’arme à feu,
maltraitée par des médecins irakiens sadiques, puis
sauvée dans une autre tempête de balles par d’héroïques
Navy SEALs (unité spéciale de la marine américaine,
Ndt). Dans les dernières semaines, une autre version a fait
son apparition. Les médecins qui soignaient Lynch n’ont
trouvé aucune trace de blessure due à des combats
et ont donné leur propre sang pour sauver sa vie. Le plus
embarassant dans tout ceci, c’est que des témoins ont
dit à la BBC que ces courageux Navy SEALs savaient déjà
qu’il n’y avait plus de combattants irakiens dans la
zone quand ils ont pris d’assaut l’hôpital.
Mais tandis que l’histoire de Lynch a été déformée
pour rendre ses protagonistes plus héroïques, celle
de Corrie a été faussée pour la faire apparaître,
elle et ses compagnons militants d’ISM, comme menaçants.
Depuis des mois, l’armée israëlienne a cherché
un prétexte pour se débarasser des " fauteurs
de trouble " d’ISM. Elle l’a trouvé en la
personne d’Asif Mohammed Hanif et d’Omar Khan Sharif,
les deux kamikazes anglais. Il s’est trouvé qu’ils
ont participé à une commémoration pour Rachel
Corrie à Rafah, un fait que l’armée israélienne
a saisi pour lier l’ISM au terrorisme. Les membres d’ISM
ont souligné que la commémoration était ouverte
au public, et qu’ils ignoraient tout des intentions des deux
visiteurs britanniques. En tant qu’organisation, ISM est explicitement
opposée à l’attaque de civils, que ce soit par
des bulldozers israéliens ou par des kamikazes palestiniens.
De plus, beaucoup de membres d’ISM croient que leur travail
peut réduire les actes terroristes en montrant qu’il
y a d’autres façons de résister à l’occupation
que la vengeance nihiliste offerte par les attentats suicide.
Peu importe. Au cours des deux dernières semaines, une demi-douzaine
d’activistes d’ISM ont été arrêtés,
plusieurs ont été expulsés et les bureaux de
l’organisation ont été saccagés. Ces
mesures draconiennes touchent tous les "militants internationaux",
ce qui signifie que de moins en moins de personnes sont sur les
territoires occupés pour témoigner des abus ou assister
les victimes. Lundi (19 mai), le coordinateur spécial pour
le processus de paix au Moyen-Orient a dit au Conseil de sécurité
qu’une douzaine de personnes travaillant pour l’ONU
ont été empêchés d’entrer et de
sortir de Gaza, appelant cela une violation " des devoirs internationaux
de droit humanitaire d’Israël ".
Le 5 juin aura lieu une journée internationale d’action
pour les droits palestiniens. Une des demandes clés est que
l’ONU envoie une force internationale de contrôle dans
les territoires occupés. Jusque là, nombreux sont
ceux qui sont déterminés à poursuivre la tâche
de Corrie, malgré les risques encourus. Plus de 40 étudiants
de son ancienne université, Evergreen State à Olympia,
ont déjà signé pour partir à Gaza avec
ISM cet été.
Alors, qui est le héros ? Pendant l’attaque sur l’Irak,
quelques-uns des amis de Corrie ont envoyé son image à
MSNBC, demandant qu’elle soit incluse dans le mur des héros
de la station, ensemble avec Jessica Lynch. La chaîne n’a
pas donné suite, mais Corrie est honorée par d’autres
moyens. Sa famille a reçu plus de 10 000 lettres de soutien,
des communautés dans tout le pays ont organisé d’importantes
commémorations et dans tous les territoires occupés
des enfants sont prénommés Rachel.
Ce n’est pas le genre d’hommage fabriqué pour
la télé, mais peut-être il en est mieux ainsi.
Naomi Klein
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