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Origine : http://risal.collectifs.net/spip.php?article2375
San Cristóbal de las Casas. Les crèches de Noël
abondent dans cette ville coloniale des hautes terres de l’état
du Chiapas. Mais celle qui accueille les visiteurs à l’entrée
du centre culturel TierrAdentro [1] a sa propre touche locale :
les figurines à dos d’âne portent des passe-montagnes
et des armes en bois.
C’est la haute saison du « zapatourisme », l’industrie
des voyageurs internationaux qui s’est développée
autour du soulèvement zapatiste [depuis 1994, ndlr] et TierrAdentro
est le point de rencontre. Les affiches, la bijouterie et les textiles
réalisés par les zapatistes se vendent rapidement.
Dans le restaurant, dans la cour, où à dix heures
du soir, l’atmosphère est à la fête, les
étudiants universitaires boivent de la bière Sol.
Un jeune montre une photographie du Sous-commandant Marcos, avec
un passe-montagne et une pipe comme toujours, et lui donne un baiser.
Ses amis prennent une photo de plus de ce mouvement sur lequel fourmillent
les documents.
On m’emmène au milieu de ceux qui font la fête,
vers une pièce fermée au public, à l’arrière
du centre. Ici, la sombre atmosphère semble nous faire plonger
dans un monde à part. Ernesto Ledesma Arronte, un chercheur
de 40 ans, avec une queue de cheval, est penché sur des cartes
militaires et des rapports de droits humains. « Tu as compris
ce qu’a dit Marcos ? », me demande-t-il. « C’était
très fort. Il n’a rien dit de semblable depuis de nombreuses
années ».
Arronte fait référence à un discours qu’a
prononcé Marcos la nuit passée (le 16 décembre)
au cours du « Premier colloque international Planète
Terre : Mouvement anti-systémiques ». Le discours s’intitulait
: « Sentir le rouge. Le calendrier et la géographie
de la guerre » (« Sentir el rojo. El calendario y la
geografía de la guerra »). Comme il s’agit de
Marcos, c’était poétique et légèrement
elliptique. Mais pour les oreilles d’Arronte, c’était
une alerte rouge. « Ceux qui ont fait la guerre savent reconnaître
les chemins par lesquels elle se prépare et se rapproche
», a dit Marcos. « Les signaux de guerre à l’horizon
sont clairs. La guerre, comme la peur, a aussi une odeur. Et maintenant
on commence déjà à respirer son odeur fétide
sur nos terres ».
L’évaluation de Marcos appuie ce que Arronte et ses
collègues du Centre d’analyse politique et de recherches
sociales et économiques (Centro de Análisis Político
e Investigaciones Sociales y Económicas, CAPISE) ont suivi
à la trace avec leurs cartes et leurs graphiques. Il y a
eu une augmentation significative de l’activité dans
les 56 bases militaires permanentes que l’État mexicain
a en territoire indigène au Chiapas. Ils sont en train de
moderniser les armes et l’équipement, de nouveaux bataillons
entrent, dont des forces spéciales. Tous ces éléments
sont des signes de l’escalade militaire.
Les zapatistes étant devenus un symbole mondial pour un
nouveau modèle de résistance, il était possible
d’oublier que la guerre au Chiapas n’a jamais pris fin.
Marcos, malgré son identité clandestine, provocante,
a joué ouvertement un rôle dans la politique mexicaine,
surtout aux cours des élections présidentielles très
serrées de 2006. Plutôt que de soutenir le candidat
de centre gauche, Andrés Manuel Lopez Obrador, il a été
le fer de lance d’une campagne parallèle, l’«
Autre campagne ». Il a organisé des concentrations
où l’attention s’est portée sur des affaires
ignorées par les candidats principaux.
Au cours de cette période, le rôle de Marcos comme
dirigeant militaire de l’Armée zapatiste de libération
nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional,
EZLN) a semblé se dissiper. Il était le « Délégué
Zéro », l’anti-candidat. La nuit passée,
il a annoncé lors d’une conférence que ce serait
sa dernière apparition dans des activités de ce type
(rencontres, tables rondes, interviews). L’EZLN « est
une armée, bien autre chose aussi bien sûr, mais c’est
une armée », a-t-il rappelé au public, et lui,
c’est le « chef militaire ».
Cette armée affronte une nouvelle et grave menace, qui atteint
le cœur de la lutte zapatiste. Durant le soulèvement
de 1994, l’EZLN a pris de grandes extensions de terre et les
a collectivisées, sa victoire la plus tangible. Dans les
accords de San Andrès, le droit des peuples indigènes
au territoire a été reconnu mais le gouvernement mexicain
a refusé de respecter ces accords. Après l’échec
à consacrer ces droits, les zapatistes ont décidé
de les appliquer de fait. Ils ont formé leurs propres structures
gouvernementales, connues sous le nom de « conseils de bons
gouvernements » (« juntas de buen gobierno »)
et de redoubler d’efforts pour construire des écoles
et des cliniques autonomes. Avec les zapatistes étendant
leur rôle de gouvernement de facto sur de grandes extensions
du Chiapas, la détermination des gouvernements des États
fédéral et fédéré pour les saper
s’est intensifiée.
« Maintenant », « dit Arronte, « ils ont
leur méthode ». Celle qui consiste à utiliser
le profond désir des paysans du Chiapas à avoir des
terres contre celui des zapatistes. L’organisation d’Arronte
a informé que dans une seule région, le gouvernement
a dépensé près de 16 millions de dollars pour
exproprier des terres et les donner aux nombreuses familles liées
au notoirement corrompu Parti Révolutionnaire Institutionnel
(PRI). Souvent, la terre était déjà occupée
par des familles zapatistes. Plus grave encore, nombreux sont les
nouveaux « propriétaires » qui sont liés
aux groupes paramilitaires qui essaient d’expulser les zapatistes
des terres sur lesquelles ils ont de nouveaux titres de propriété.
On assiste depuis septembre à une escalade significative
de la violence : tirs en l’air, coups, familles zapatistes
faisant état de menaces de mort, viols et dépeçages.
Les soldats, dans leurs casernes, auront bientôt l’excuse
dont ils ont besoin pour sortir : restaurer la « paix »
entre les groupes indigènes qui se disputent entre eux. Durant
des mois, les zapatistes ont résisté à cette
violence et ont essayé de faire connaître ces provocations.
Mais parce qu’ils n’ont pas choisi de soutenir Lopez
Obrador lors des élections de 2006, le mouvement s’est
fait de puissants ennemis. Et maintenant, dit Marcos, leurs appels
à l’aide se heurtent à un silence assourdissant.
Il y une décennie, le 22 décembre de 1997, eut lieu
le massacre d’Acteal. Dans le cadre de la campagne anti-zapatiste,
un groupe de paramilitaires ouvrait le feu à l’intérieur
d’une petite église du hameau d’Acteal, tuant
45 indigènes, dont 16 enfants et adolescents. Certains furent
tués à la machette. La police de l’État
entendit les tirs mais ne fit rien. Durant les presque trois derniers
mois, le quotidien La Jornada a mis en relief, par une large couverture,
le dixième anniversaire tragique du massacre.
Au Chiapas, toutefois, beaucoup de gens signalent que les conditions
actuelles sont terriblement familières : les paramilitaires,
les tensions croissantes, les activités mystérieuses
des soldats, le nouvel isolement du reste du pays. Ils ont déjà
une requête pour ceux qui les ont appuyés dans le passé
: ne regardez pas seulement en arrière, regardez vers l’avant
et évitez un autre massacre d’Acteal.
Notes :
[1] http://www.tierradentro.org.mx/.
Source : The Nation (http://www.thenation.com), 20 décembre
2007 ; La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), 24 décembre
2007.
Traduction : Frédéric Lévêque, pour
le RISAL (http://risal.collectifs.net).
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