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Origine : http://questionscritiques.free.fr/edito/Naomi_Klein/emeutes_capitalisme_crise_070209.htm
En regardant les Islandais taper sur des pots et des casseroles
jusqu’à ce que leur gouvernement tombe, je me suis
souvenue d’un slogan populaire des cercles anticapitalistes
de 2002 : « Vous êtes Enron. Nous sommes l’Argentine.
»
Son message était assez simple. Vous – les politiques
et les PDG qui vous pressez aux forums économiques –
êtes les cadres impitoyables et les escrocs d’Enron
(bien sûr, nous n’en connaissions pas la moitié).
Nous – la populace – sommes comme le peuple argentin,
lequel, au milieu d’une crise économique effroyablement
comparable à la nôtre, est descendu dans la rue en
frappant sur des pots et des casseroles. Ils scandaient : «
¡Que se vayan todos! » [Qu’ils s’en aillent
tous] – et ils ont forcé quatre présidents successifs
à partir en moins de trois semaines. Ce qui rend unique le
soulèvement argentin de 2001-2002 est qu’il n’était
pas dirigé contre un parti politique en particulier ou même
contre la corruption en général. Sa cible était
le modèle économique dominant : ce fut la première
révolte nationale contre le capitalisme contemporain dérégulé.
Cela a pris du temps, mais de l’Islande à la Lettonie
et de la Corée du Sud à la Grèce, le reste
du monde a finalement son moment ¡Que se vayan todos! Les
matrones islandaises stoïques frappant sur leurs pots alors
même que leurs gosses mettent le frigo à sac pour trouver
des projectiles (des œufs, c’est sûr, mais des
yaourts ?) font écho aux tactiques devenues célèbres
à Buenos Aires. Tout comme la colère collective envers
les élites qui ont saccagé un pays autrefois florissant
et qui pensaient pouvoir s’en tirer à bon compte. Ainsi
que Gudrun Jonsdottir, une employée de bureau islandaise
de 36 ans, le dit : « J’en ai assez ! Je ne fais pas
confiance au gouvernement, je ne fais pas confiance aux banques,
je ne fais pas confiance aux partis politiques et je ne fais pas
confiance au FMI. Nous avions un bon pays et ils l’ont ruiné.
»
Un autre écho : à Reykjavik, les manifestants ne
se laisseront pas achetés par un simple changement de visage
au sommet de l’Etat (même si le nouveau Premier ministre
est une lesbienne). Ils veulent des aides pour les personnes, pas
seulement pour les banques ; ils veulent des enquêtes judiciaires
sur la débâcle et une réforme électorale
profonde.
On peut entendre des exigences similaires en Lettonie, dont l’économie
s’est contractée plus brutalement que n’importe
quel autre pays de l’UE et où le gouvernement vacille.
Pendant des semaines, la capitale a été secouée
par les manifestations, dont une émeute à grande échelle,
le 13 janvier, avec lancé de pavés. Comme en Islande,
les Lettons sont scandalisés par le refus de leurs dirigeants
de reconnaître la moindre responsabilité dans ce désastre.
Interrogé par Bloomberg TV sur ce qui a déclenché
la crise, le ministre de finances letton a haussé les épaules
en disant : « Rien de particulier ».
Mais les problèmes de la Lettonie sont vraiment particuliers
: la politique qui a permis au « tigre de la Baltique »
de croître à un rythme de 12% en 2006 l’amène
aussi à se contracter violemment, selon les prévisions,
de 10% cette année : l’argent, libéré
de toute entrave, sort aussi vite qu’il rentre, avec une grande
part qui est détournée vers les poches des politiciens.
(Ce n’est pas une coïncidence si beaucoup des grands
invalides d’aujourd’hui sont les « miracles »
d’hier : l’Irlande, l’Estonie, l’Islande,
la Lettonie).
En Lettonie, une grande partie de la colère populaire s’est
concentrée contre les mesures d’austérité
du gouvernement – licenciements massifs, services sociaux
réduits et salaires du secteur public considérablement
réduits – toutes qualifiant la Lettonie pour un prêt
d’urgence du FMI (non, rien n’a changé). En Grèce,
les émeutes de décembre ont fait suite à la
mort d’un jeune de 15 ans, abattu par la police. Mais ce qui
a conduit ce mouvement à se poursuivre, avec les agriculteurs
prenant la tête des étudiants, est une colère
généralisée contre la réponse donnée
par le gouvernement à la crise : les banques ont obtenu 36
milliards d’euros de subventions tandis que les travailleurs
ont vu leurs pensions réduites et les agriculteurs n’ont
quasiment rien reçu.
Malgré le désagrément causé par les
tracteurs qui bloquent les routes, 78% des Grecs disent que les
exigences des agriculteurs sont raisonnables. De façon similaire,
la récente grève générale en France
– déclenchée en partie par les plans du Président
Sarkozy de réduire de façon spectaculaire le nombre
d’enseignants – a inspiré le soutien de 70% de
la population.
Peut-être que le fil conducteur le plus solide de cette
réaction violente mondiale est le rejet de la logique de
« la politique extraordinaire » - une expression créée
par le politicien polonais Leszek Balcerowicz pour décrire
comment, dans une crise, les politiciens peuvent ignorer les règles
législatives et se ruer vers des « réformes
» impopulaires. Le truc commence à être usé,
ainsi que le gouvernement sud-coréen l’a découvert
récemment. En décembre, le parti au pouvoir a essayé
d’utiliser la crise pour foncer tête baissée
dans un accord de libre-échange hautement controversé
avec les Etats-Unis. Emmenant la politique des coulisses vers de
nouveaux extrêmes, les législateurs se sont enfermés
dans la chambre afin de pouvoir voter à huis clos, barricadant
la porte avec des bureaux, des chaises et des canapés.
L’opposition en a eu assez : avec des marteaux-piqueurs et
une scie électrique, ils sont entrés de force et ont
organisé un sit-in de 12 jours dans le parlement. Le vote
a été retardé, accordant plus de temps pour
le débat – une victoire pour une nouvelle sorte de
« politique extraordinaire ». Le modèle est clair
: les gouvernements qui répondent à une crise créée
par l’idéologie du libre-échange par une accélération
de ce même programme discrédité ne survivront
pas pour raconter l’histoire. Comme les étudiants italiens
sont descendus dans la rue en criant : « Nous ne paierons
pas pour votre crise ! »
Traduit de l'anglais par [JFG/QuestionsCritiques]
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