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Origine : http://www.humanite.fr/2008-05-09_Politique_-L-histoire-de-l-esclavage-fait-partie-de-l-histoire-nationale
La journée de commémoration approche. Aimé
Césaire vient de décéder. Cette journée
lui est dédiée. Selon vous, quelle portée aura
ce 10 mai ?
Françoise Vergès. Dédier à Aimé
Césaire ce 10 mai est un geste fortement symbolique, mais
c’est aussi signaler l’actualité de Césaire.
Ses réflexions sur une civilisation qui ne questionne pas
son coeur sombre sont toujours d’actualité, comme ses
réflexions sur la différence et la démocratie.
C’est cette dimension qu’il faut aussi valoriser à
travers le 10 mai.
Certains craignent une institutionnalisation de cette journée
de commémoration. Qu’en pensez-vous ?
Françoise Vergès. Cette opinion s’appuie sans
doute sur une méconnaissance de la diversité des manifestations
organisées en France métropolitaine et dans l’outre-mer.
C’est la troisième édition du 10 mai, et chaque
année, on assiste à une véritable appropriation
de cette date par des associations, des écoles, des collectivités,
des institutions. C’est le signe d’un besoin, d’une
attente de la société qui veut comprendre pourquoi
on parle tant de la traite et de l’esclavage, qui veut mieux
comprendre l’actualité des questions qui lui sont associées
: racisme, héritages d’inégalité. Il
y a un vrai désir d’apprendre.
Plus particulièrement, on ne peut à la fois vouloir
qu’une date soit décrétée et regretter
qu’elle le soit. Un des objectifs du 10 mai, et ceci dans
l’esprit de la loi dite loi Taubira, est d’encourager
la diffusion par tous les moyens de l’histoire de la traite,
de l’esclavage et de leurs abolitions. Cela passe en partie
par des institutions, dont l’école, l’université,
les médias. Pour ce qui est des cérémonies
officielles, le mouvement culturel et social qui a lutté
pour qu’une loi soit adoptée souhaitait la reconnaissance
par les plus hautes instances de l’État du crime, de
ses conséquences et de ses héritages. C’est
une dimension politique et symbolique qui a sa fonction. Finalement,
la résistance à l’hégémonie de
l’institutionnalisation passe par la mobilisation des associations,
chercheurs, enseignants, groupes, individus, qui développent
des initiatives.
Comment analysez-vous l’évolution de la prise
de conscience collective sur ce sujet ?
Françoise Vergès. C’est une longue prise de
conscience. Dans les années 1990, le silence commence à
être levé ! Cette prise de conscience participe du
questionnement sur le « mythe national », sur le récit
national, qui fait partie du mythe ? Sur la fameuse « identité
nationale », comment se construit-elle ? Qu’est-ce qu’être
« français ».
Le mouvement est parti des quatre DOM. Dans les colonies post-esclavagistes,
les mémoires et cultures populaires avaient maintenu et transmis
les mémoires de souffrances et de résistances quotidiennes.
Les mémoires ont constitué un espace de résistance
contre un récit historique qui s’écrivait en
niant l’existence de cet événement. Dans les
années 1960, à la suite des mouvements anticolonialistes,
un mouvement culturel a émergé qui milite pour une
réappropriation de cette histoire. L’esclave et le
marron deviennent les caractères principaux de romans, pièces
de théâtre, poèmes, chants. Les lieux de mémoire
sont répertoriés, des figures héroïques
sont redécouvertes : Delgrès, la mulâtresse
Solitude, Dimitile, Cimendef…
En France hexagonale, il faut attendre 1989 (colloques lors du
bicentenaire de la Révolution française), puis les
années 1990 (exposition « Anneaux de la mémoire
» à Nantes ; programme UNESCO, « Route de l’esclave
») et surtout les manifestations de 1998 pour que la chape
du silence - commence à se fissurer.
La loi de 2001 a agi comme un déclencheur : depuis, les
programmes et les manuels scolaires ont intégré cette
histoire, il y a un laboratoire de recherche au CNRS, des expositions,
des conférences… Il y a encore à faire mais
le mouvement est engagé. Ainsi, il faut un centre de ressources
et de documentation pour le grand public.
Quel rôle entend jouer le comité dans la mise
en valeur de cette mémoire ?
Françoise Vergès. Le Comité pour la mémoire
de l’esclavage estime que les propositions de son rapport
2005 (publié à La Découverte) constituent encore
un document de référence en la matière. Il
faut faire comprendre que cette histoire est nationale (quatre siècles
de traite et d’esclavage organisés par la France),
encourager la recherche et sa diffusion la plus large, construire
un centre de documentation ouvert au grand public, valoriser les
contributions de sociétés créoles à
la culture, l’art et la pensée, rétablir la
figure de l’esclave comme acteur de la modernité.
Entretien réalisé par Ixchel Delaporte
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