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Origine : LE MONDE DIPLOMATIQUE mars 2006
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/03/BENOIT_BROWÆYS/13299
Sans fanfare, les nanotechnologies – un ensemble de techniques
qui travaillent la matière atome par atome – sont entrées
dans notre quotidien. Elles équipent déjà lecteurs
de DVD, automobiles, etc. Nouvelle bulle technologique ? Si des
milliards de dollars y ont été investis, on ne sait
pas encore grand-chose de leur éventuel impact sanitaire
ni, plus généralement, des enjeux éthiques
qui entourent ces recherches.
forme de nanotubes de carbone, de nanolasers dans les lecteurs
de DVD, de nanopuces pour le diagnostic biologique... On envisage
des « usines moléculaires » avec convoyeurs,
bras articulés, tapis roulants d’une taille cent mille
fois plus petite que le diamètre d’un cheveu. Observer
la matière et la travailler à l’échelle
atomique constitue un horizon fascinant d’innovations prometteuses.
Le rêve est bien de « refaire ce que la vie a fait,
mais à notre façon », selon les termes du Prix
Nobel de chimie 1987 Jean-Marie Lehn. Certains affirment même
que la technique doit relayer l’évolution darwinienne
pour prendre en main le destin de l’humanité... Mais
l’enthousiasme se teinte d’angoisse quand certains visionnaires
scientifiques, tel Eric Drexler, en viennent à craindre le
pire : la perte de maîtrise des humains sur des nanorobots
capables de se reproduire et de dévorer l’espace.
En fait, l’idée de manipuler les atomes, éléments
constitutifs de la matière, est devenue réalité.
Le microscope à effet tunnel (1), mis au point en 1982, a
permis à la fois ce « zoom dans l’univers de
l’atome » et l’« ingénierie lilliputienne
», qui déplace les atomes à volonté.
Les perspectives de « manufacture moléculaire »
brossées par Eric Drexler dans Engines of creation (2) se
sont ouvertes. On commence à fabriquer brouettes, aspirateurs,
voitures moléculaires, transistors à un seul atome,
ordinateurs quantiques (3), etc.
Autour de ce « cœur de métier » gravitent
toutes sortes d’autres technologies, qui procèdent
soit de la miniaturisation, soit, en partant cette fois «
d’en bas », d’une réorganisation moléculaire
à l’origine de propriétés physico-chimiques
inédites. Alors qu’à l’échelle
macroscopique l’effet collectif de millions d’atomes
prédomine, en isolant des nano-objets, faits de seulement
quelques atomes, des comportements particuliers peuvent se manifester
: augmentation des surfaces d’échange (réactivité
accrue), résistance mécanique, fonctions optiques,
électromagnétiques ou thermiques... Plus que la nature
chimique du matériau, c’est l’organisation spatiale
des atomes qui devient déterminante.
Face à l’inconnu des propriétés émergentes
possibles, certains prédisent la révolution, d’autres
la continuité. D’ores et déjà, tous les
grands secteurs de production – électronique, textile,
médical, agroalimentaire ou énergétique –
sont touchés par cette tempête technologique. Le groupe
automobile Daimler-Benz vend des véhicules dotés de
renforts de freins ou de pièces de moteur en nanotubes de
carbone, cent fois plus résistants que l’acier et six
fois plus légers ; IBM produit des transistors cent mille
fois plus fins qu’un cheveu ; les chercheurs de l’université
de Cornell, au Etats-Unis, ou de l’Institut Curie, en France,
réalisent des moteurs moléculaires. L’industrie
cosmétique fabrique aussi depuis quelques années des
nanoparticules en oxyde de zinc pour améliorer la tenue des
rouges à lèvres, en oxyde de titane pour filtrer les
rayons ultraviolets, ou en poudre de zircone (oxyde de zirconium)
pour les vernis à ongles.
Pour plusieurs géants industriels, la production à
l’échelle submicronique (sous le millionième
de mètre) est la condition de leur survie. Sony comme STMicroelectronics
(associé à Motorola et à Philips semiconductors
international BV) viennent d’investir 1,5milliard d’euros
pour la fabrication de semi-conducteurs usinés à moins
de 90 nanomètres. Dans le secteur textile, les projets concernent
des fibres métallisées capables de contenir de l’énergie
ou d’intégrer des capteurs. Les nanomatériaux
peuvent aussi améliorer les rendements des systèmes
énergétiques, permettre de stocker l’hydrogène,
ou fournir des barrières thermiques efficaces. Côté
santé, les nanobilles peuvent constituer de nouveaux «
transporteurs » de matière active, libérable
in situ par chauffage infrarouge ou champ magnétique. Les
applications dans le domaine de la biométrie ou des systèmes
nomades miniaturisés d’information se multiplient,
même s’ils sont encore à une échelle micrométrique.
La firme Applied Digital a reçu l’an dernier l’approbation
de la Food and Drug Administration (l’autorité américaine
en matière de médicaments) pour sa « puce médicale
incorporée », qui s’implante sous la peau et
émet, par la technologie RFID (Radio Frequency Identification,
identification par radiofréquence), l’histoire médicale
complète du patient.
« La nano-industrie n’est pas une industrie émergente
mais un éventail de moyens pour manipuler la matière
et rendre des matériaux existants adaptatifs (“intelligents”)
et hybrides (électronique mi-silice, mi-organique) »,
soulignent les économistes Stephen Baker et Adam Aston (4).
Cela devrait induire des changements dans les modes d’innovation,
une restructuration de nombreux secteurs industriels, comme ce fut
le cas avec l’informatique, l’électronique et
les biotechnologies. Les premières percées concerneront
les biomatériaux, les catalyseurs, les diagnostics et l’électronique.
Diverses disciplines devraient fusionner, pour mieux agir à
l’interface entre vivant et matière inanimée,
au croisement de la chimie, de l’électronique, de la
génétique et même des sciences du cerveau.
Les investissements ne se font pas attendre. En 2005, l’effort
mondial (académique et industriel) pour les nanotechnologies
a été estimé à 9milliards de dollars
par la National Nanotechnology Initiative(NNI) américaine,
selon une répartition à peu près uniforme entre
les pays d’Asie, d’Europe et d’Amérique
du Nord. Entre1998 et 2003, les investissements publics ont été
multipliés par six en Europe, par huit aux Etats-Unis et
au Japon. Le marché mondial de ces technologies, qui représentait
déjà 40 milliards de dollars en 2001, devrait atteindre
1000 milliards de dollars par an en 2010 selon la National Science
Foundation (NSF) américaine (5).
Le train des nanos est donc lancé. Cependant, on ignore
encore tout de l’impact de ces technologies sur la santé
(6). Que se passe-t-il quand des nanotubes de carbone dispersés
dans l’air sont inhalés, ou quand des particules d’oxyde
de titane sont appliquées sur la peau comme écran
solaire ? Les nanomatériaux ne constituent pas un groupe
homogène de substances. Leurs particules peuvent varier en
taille, forme, surface, composition chimique, persistance biologique.
Toutefois, elles sont toujours très réactives. Dans
un article intitulé « Nanotechnologie : regarder où
nous plongeons ? », qui recense les travaux toxicologiques
réalisés sur les nano-objets, le toxicologue américain
Ernie Hood révèle des résultats préoccupants
(7), notamment des réactions inflammatoires dans les tissus
pulmonaires exposés à des nanoparticules de carbone
mises en évidence par le chercheur Günter Oberdörster
à l’université de Rochester(New York).
Améliorer les performances humaines
D’ores et déjà, deux craintes font surface
: premièrement, les nanopoudres – du fait de leur finesse
– peuvent se diffuser dans tous les espaces corporels, alvéoles
pulmonaires, sang et même à travers la barrière
hémato-encéphalique qui protège le cerveau.
Le toxicologue britannique Vyvyan Howard a mis en évidence
le problème, en démontrant que des nanoparticules
d’or peuvent franchir la barrière placentaire et donc
transporter des composés de la mère au fœtus.
Deuxièmement, la forme des nanoproduits peut être à
l’origine d’effets toxiques. Ainsi, à l’instar
des fibres d’amiante, les nanotubes de carbone pourraient
se ficher dans les alvéoles pulmonaires et provoquer des
cancers. Ce qui complique la caractérisation des éventuels
impacts sanitaires, c’est qu’on ne connaît pas
bien les nanoproduits que l’on fabrique. Constitués
souvent d’un mélange de nanofibres, nanoparticules
et de divers catalyseurs (aluminium ou fer), les nanotubes déjà
commercialisés semblent avoir des effets d’autant plus
inflammatoires qu’ils sont peu purifiés.
La physicienne anglaise Ann Dowling, qui a présidé
le rapport consacré aux nanotechnologies de la Royal Society
et de la Royal Academy of Engineering, publié en juillet2004,
demande aux industriels de « restreindre les expositions aux
nanotubes, de divulguer leurs tests toxicologiques, et que des recherches
approfondies soient menées pour cerner les impacts biologiques
(8) ». Pour l’heure, une vingtaine de sociétés
dans le monde développent déjà des pilotes
de production de nanotubes de carbone, en prenant des précautions
diverses... « Nous travaillons en combinaison ou cagoule,
sous atmosphère dépressurisée et sous hotte
», précise M.Pascal Pierron, dirigeant de la société
Nanoledge, basée à Montpellier. A la direction de
la recherche de Saint-Gobain, on envisage de stopper des travaux
jugés trop risqués. De son côté, M.Patrice
Gaillard, responsable chez Arkema du projet nanotubes et qui développe
un projet-pilote à Pau, annonçait en janvier2005 «
le démarrage en 2007 d’une production de plusieurs
centaines de tonnes par an (9) ».
Les Académies britanniques ont pris le problème à
bras-le-corps, en émettant vingt et une recommandations.
Les auteurs du rapport demandent d’éviter la dissémination
des nanoparticules et nanotubes, mais se prononcent aussi pour la
mise en place d’une base de données des effets toxiques,
des bioaccumulations et de l’exposition spécifique
des populations à divers environnements. Ils préconisent
de sensibiliser les chercheurs et le personnel de laboratoire aux
enjeux éthiques et sociaux, et d’impliquer les citoyens.
Sur le plan de la législation, ils estiment qu’il faut
s’assurer que la maîtrise de ces nanotechnologies soit
complètement encadrée par les textes de loi existants
ou à venir. Cela s’annonce délicat, tant il
est difficile déjà, dans le secteur de la chimie,
de faire répertorier les effets toxiques. On constate en
effet combien les ambitions du règlement européen
Reach (Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals),
qui prévoyait d’évaluer l’incidence sur
la santé ou l’environnement de trente mille substances
chimiques (soit 30% de l’ensemble des produits industriels),
sont revues à la baisse sous l’influence des lobbies.
Les systèmes d’autorisation des substances devront
être profondément revus : en effet, ils reposent uniquement
sur la description de la composition chimique des produits (inventaire
européen Einecs ou inventaire mondial CAS). Or, avec les
nanomatériaux cela ne suffit plus, puisque c’est l’organisation
spatiale de leurs éléments atomiques qui peut déclencher
des effets biologiques (notamment cancérigènes).
La position des assureurs révèle d’ailleurs
crûment l’étendue des incertitudes. En 2004,
la firme Swiss Re a mis en garde contre la ruée vers les
nanotechnologies, rappelant la « nature imprévisible
des risques qu’elles peuvent occasionner et les pertes récurrentes
et cumulatives qu’elle peuvent engendrer (10) ». Même
les lobbyistes pointent le risque qu’un « accident impliquant
des nanoparticules déclenche un réflexe défensif
non seulement à l’égard du matériau en
question mais aussi peut-être vis-à-vis des nanotechnologies
dans leur ensemble (11) ».
Comme des investissements colossaux sont déjà engagés,
tout le monde veut croire à des risques mineurs et surtout
maîtrisables. A l’université Rice (Houston, Etats-Unis),
haut lieu de la réflexion sur l’impact des nanotechnologies,
la chercheuse Kristen Kulinowski est optimiste : « Si nous
pouvons contrôler les propriétés de surface,
nous pourrons éviter les effets toxiques », espère-t-elle.
Tout comme M. Sean Murdock, directeur de l’organisation industrielle
américaine NanoBusiness Alliance, qui convient que «
les risques sont là, ils sont réels mais ils sont
gérables ». Aux plans européen et américain,
même si de très nombreux programmes sur les enjeux
sanitaires sont lancés, ils ne dépasseront guère
3% à 6% des budgets « nano ».
Certains, comme le sociologue Francis Chateauraynaud (EHESS), s’interrogent
sur les convergences possibles entre les biotechnologies, la physico-chimie,
l’informatique et les sciences cognitives. « Il reste
à savoir si toutes ces opérations ne cohabitent pas
essentiellement par la seule magie du verbe et par la caution que
leur confèrent les discours officiels », indique-t-il
dans son rapport « Nanosciences et technoprophéties
» (12). D’autres, au contraire, parlent de BANG (acronyme
de « bits, atomes, neurones et gènes ») pour
désigner ce rapprochement interdisciplinaire susceptible
de permettre des phénomènes d’auto-organisation
ou de réplication. Pour eux, on ouvre grand la porte à
l’inconnu, à l’imprévisible... C’est
la terra incognita.
A cette perspective fascinante, les Américains assignent
un horizon : « améliorer les performances humaines
». Dans son rapport sur les nano-bio-info-cognosciences (NBIC)
paru en juin2002, la NSF décrit les technologies convergentes
comme un moyen de « permettre le bien-être matériel
et spirituel universel, l’interaction pacifique et mutuellement
avantageuse entre les humains et les machines intelligentes, la
disparition complète des obstacles à la communication
généralisée, en particulier ceux qui résultent
de la diversité des langues, l’accès à
des sources d’énergie inépuisables, la fin des
soucis liés à la dégradation de l’environnement
(13) ». Ce cap nourrit une puissante « économie
de la promesse » et s’inscrit idéologiquement
dans le courant transhumaniste que soutient l’un des auteurs,
William Sims Bainbridge, sociologue des religions et directeur de
l’information et des systèmes intelligents de la NSF.
Cette mouvance défend la liberté d’usage des
drogues et médicaments, la cryoconservation des corps et
le dopage génétique ou cérébral. Elle
brandit la technique comme panacée pour résoudre les
problèmes sociaux et humains, de plus en plus insidieusement
médicalisés.
Face à ce problématique positionnement officiel américain,
la Communauté européenne a publié une «
réponse » en septembre 2004, dans le rapport intitulé
« Technologies convergentes pour une société
européenne de la connaissance » (14). Les auteurs considèrent
que les nanotechnologies doivent être tournées vers
des finalités humaines, et non économiques, contribuer
à bâtir la « société de la connaissance,
faciliter les transports et créer des “assistants”
pour servir l’intérêt général ».
« Cette divergence est apparue très clairement lors
de la conférence NanoEthics, qui s’est déroulée
en mars 2005 à l’université de Caroline du Sud
», observe Bernadette Bensaude-Vincent, professeure de philosophie
des sciences à Paris-X et auteure d’une réflexion
sur les fantasmes autour des nouvelles technologies (15). «
C’est vrai qu’il y a d’un côté l’euphorie
de Drexler et les apôtres comme Ray Kurzweil, avec leur comportement
extrêmement messianique qui reprend toute une rhétorique
un peu religieuse ; et de l’autre côté un catastrophisme
apocalyptique. Je dirais qu’à la limite ces attitudes
antagonistes se renforcent l’une l’autre et se rejoignent
(...). Au-delà, les nanotechnologies sont une opportunité,
une formidable occasion de s’interroger enfin sur les techniques,
sur leur sens, leur évolution, leurs implications, et si
possible de les remettre en débat public. » L’auteure
insiste sur l’ambivalence des scientifiques, qui estiment
contrôler leurs produits alors même qu’ils cherchent
à faire émerger des propriétés inédites,
non maîtrisées.
Il est urgent de raisonner sur des possibles, d’évaluer
les effets de nanoproduits qui sont encore virtuels. De ce point
de vue, la fiction qui crée des scénarios en perfusion
directe avec les discours de scientifiques visionnaires est une
clé du débat. Elle a anticipé depuis longtemps
la menace de nanorobots, implants ou machines auto-organisées
et autoréplicantes que l’on voit jouer les assembleurs
et se reproduire dans Engines of Creation, d’Eric Drexler,
prendre la maîtrise du cerveau de l’ennemi pour une
destruction télécommandée dans le roman de
Neal Stephenson, L’Age de diamant, ou se transformer en «
gelée grise » qui dévore tout, avec La Proie,
de Michael Crichton (16).
Face aux risques éthiques et sanitaires, l’association
canadienne Erosion, technologie et concentration (ETC Group), dont
la vigilance en matière de biotechnologies et d’équilibre
nord-sud s’étend désormais aux nanotechnologies,
demande la mise en place d’une Convention internationale pour
l’évaluation des nouvelles technologies (Icent), sous
l’égide des Nations unies. Dans un rapport sur la «
Nanogéopolitique », paru le 28juillet 2005, M.Pat Mooney,
directeur du groupe, considère qu’il faut mettre fin
au « cycle de crises » et concevoir avec le traité
Icent « un système d’alerte ou d’écoute
précoce capable de contrôler n’importe quelle
nouvelle technologie d’importance ». Il avait déjà
donné l’alerte sur les brevets qui, dans le champ des
nanotechnologies, peuvent inéluctablement glisser vers «
l’accaparement par quelques firmes privées des éléments
constitutifs de la matière ».
Se développant sans débat (à part quelques
interactions avec la société civile, en Grande-Bretagne,
aux Pays-Bas et aux Etats-Unis, à Madison), les nanotechnologies
risquent fort d’être contrées par des mouvements
de contestation, comme à Grenoble où l’ancien
journaliste d’Actuel Yannick Blanc, instigateur du groupe
Pièces et main-d’œuvre (PMO) fait feu de tout
bois pour dénoncer l’« emprise technicienne »
(17). A l’instar de la stratégie de séduction
du public que l’on a connue avec les organismes génétiquement
modifiés (OGM), on observe d’ailleurs le développement
d’une « sérénade » louant les nanosolutions
au service des pays pauvres (18).
Ces points critiques sont pris au sérieux au sein de la
plate-forme intergouvernementale qui s’est constituée,
en juin2004, à Alexandria (Virginie) à l’initiative
de la NSF et du Meridian Institute. Une soixantaine de représentants
de vingt-cinq pays – dont la Chine, le Japon, la Russie, l’Australie,
Israël, l’Inde et l’Afrique du Sud – se sont
réunis pour instaurer un « Bureau consultatif international
pour une nanoscience responsable ». Représentante de
la France, Mme Françoise Roure a remis en février
2005 aux ministres de l’industrie et de la recherche un rapport
rédigé avec le philosophe Jean-Pierre Dupuy, intitulé
« Ethique et prospective industrielle », qui pointe
treize recommandations, dont la nécessité d’un
Observatoire sociétal européen des nanotechnologies.
« Les modèles de société, avec leurs
valeurs, le sens des objectifs qu’elles se donnent et les
priorités et limites qu’elles se fixent, sont vulnérables
à la méta-convergence industrielle, considèrent
les auteurs. L’artificialisation de la nature a montré
les limites de son acceptabilité avec les réactions
parfois violentes contre les OGM (...). Que dire du processus de
la naturalisation de l’homme (...) si nous pouvons devenir
des artifices, des produits scientifiques, que nous pouvons être
transformés, améliorés, économisés,
exploités en utilisant les lois de la nature ? »
Le plus préoccupant demeure les infiltrations des «
fascinés par la technique » – comme le physicien
Ray Kurtzweil ou le philosophe transhumaniste Nick Bostrom –
dans les think tanks censés piloter l’avenir, comme
le Centre pour une nanotechnologie responsable (19).
Sur le plan militaire, la puissance des nano-outils ou des systèmes
autonomes tueurs constitue un enjeu réel de domination :
près de la moitié des investissements publics américains
(soit 445millions de dollars en 2004) ont été dédiés
aux usages militaires. Revêtements protecteurs ou allégeants,
nano-armes, intelligence embarquée mobilisent aussi la Chine,
qui dispose d’un Centre de nanorecherches réunissant
deux mille scientifiques à Shanghaï. Selon le physicien
allemand Jürgen Altmann (20), les risques majeurs viennent
de la rupture dans les procédures de dissuasion mutuelle
(impossibilité de contrôler des armes indétectables)
et des capacités autoréplicantes des nanodispositifs.
Dorothée Benoit-Browaeys
Journaliste et présidente de VivAgora.
(1) Qui valut le prix Nobel 1986 à ses inventeurs Gerd Binnig
et Heinrich Rohrer.
(2) Publié en anglais en 1986, et traduit récemment
en français : Engins de création. L’avènement
des nanotechnologies, Vuibert, Paris, 2005.
(3) Ordinateur capable d’effectuer un milliard de calculs
en parallèle ; ce qui peut lui permettre de casser n’importe
quel code secret, par exemple.
(4) « The business of nanotech », Business Week online,
14 février 2005.
(5) Gilles Le Marois et Dominique Carlac’h, « Les nanomatériaux
au cœur de la galaxie nano », dans Les Nanotechnologies,
Les Annales des Mines, « Réalités industrielles
», février 2004.
(6) « Nanomonde : et si l’on parlait de sécurité
sanitaire », dans André Cicolella et Dorothée
Benoit-Browaeys, Alertes santé. Experts et citoyens face
aux intérêts privés, Fayard, Paris, mai2005.
Lire aussi « Nanotechnologies : une analyse préliminaire
des risques » (en anglais).
(7) Environmental Health Perspectives, vol. 112, no13, National
Institute of Environmental Health Sciences, Arley (Caroline du Sud),
septembre 2004.
(8) Conférence du 26 mai 2005 sur « Le développement
responsable des nanotechnologies » à l’ambassade
de Grande-Bretagne, à Paris.
(9) Lors du séminaire de l’Observatoire des micro
et nanotechnologies, le 27 janvier 2005, à Paris.
(10) « Nanotechnology : Small matter, many unknowns »,
Swiss Reinsurance Company, Zurich, 2004.
(11) Nouvelle Cordis, 8 juillet 2005.
(12) Francis Chateauraynaud, « Nanosciences et technoprophéties.
Le nanomonde dans la matrice des futurs », GSPR-EHESS, Paris,
avril 2005.
(13) Mihail C. Roco et William Sims Bainbridge (sous la dir. de),
Converging Technologies for Improving Human Performance : Nanotechnology,
Biotechnology, Information technology and cognitive science, juin2002,
National Science Foundation, Arlington (Virginie).
(14) Alfred Nordmann, « Converging technologies : Shaping
the future of european societies », Commission européenne,
26juillet 2004. Voir aussi Wolfgang Bibel, Daniel Andler, Olivier
da Costa, Günter Küppers, Ian Pearson, « Converging
technologies and the natural, social and cultural world »,
Commission européenne, 26 juillet 2004.
(15) Bernadette Bensaude-Vincent, Se libérer de la matière
? Fantasmes autour des nouvelles technologies, INRA, coll. «
Sciences en questions », Paris, 2004.
(16) Neal Stephenson, L’âge de diamant, Rivages-Futur,
Paris, 1996 ; Michael Crichton, La proie, Robert Laffont, Paris,
2003.
(17) http://pmo.erreur404.org
(18) Peter A. Singer, « Nanotechnology and the developing
world », Public Library of Science, vol.2, no5, San Francisco,
2005.
(19) Ce centre, créé en décembre 2002, se
situe à New York. Il est piloté par MM. Mike Treder
et Chris Phoenix, ingénieurs et hommes d’affaires.
Cf. www.crnano.org.
(20) Jürgen Altman et Mark Gubrud, « Risks from military
uses of nanotechnologies », 2002.
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