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Origine site des Chiennes de garde
http://www.chiennesdegarde.org/imprimersans.php3?id_article=379
Voici les résumés de quelques unes des conférences,
toutes très intéressantes de ce colloque. D’autres
intervenantes ont également fait des interventions très
réussies, telles que Catherine Marry, Gaïd Le Maner-Idrissi
ou Catherine Vidal. Si je ne les ai pas résumées,
c’est simplement parce que je connaissais mieux leur travail
et j’avais moins besoin de notes personnelles.
Geneviève Fraisse
En finir avec la condition féminine...
L’expression : « condition féminine »
continue à surgir dans la conversation. G. Fraisse raconte
qu’une fois, suite à une conférence, une femme
lui a dit : « c’était drôlement intéressant
ce que tu as dit, mais je croyais que tu travaillais sur la condition
féminine... »
Le terme de condition féminine a été utilisé
pour en finir avec l’éternel féminin. L’éternel
féminin s’ancrait dans la nature soi-disant spécifique
des femmes, le concept de « condition féminine »
s’est construit sur le même modèle que celui
de « condition ouvrière », « condition
humaine ». Ils sont apparus au milieu du XXe siècle.
Les 2 autres termes n’ont pas duré, ils sont maintenant
historiquement datés, alors qu’on parle encore de condition
féminine. Condition féminine s’oppose à
nature féminine, désigne une catégorie, à
la fois temporelle et atemporelle. C’est à la fois
l’histoire et la situation des femmes, à un instant
donné, mais aussi la situation éternelle des femmes.
Vu comment le terme a été construit, on devrait en
être satisfait. Mais en fait, ce terme implique une certaine
condescendance. Condition signifie aussi une place dans la hiérarchie
: la condition ouvrière, la condition domestique... une personne
de condition signifiait une personne de condition inférieure.
Si la condition est la même tout au long de l’histoire,
c’est qu’elle indique bien une place dans la hiérarchie,
une position de soumission. On ne peut pas s’échapper
de la condition féminine : si on est une femme (ça,
c’est pour toujours !), on est alors piégée
dans la place que délimite la condition féminine.
Il faut bannir ce terme à la fois au bistrot mais aussi
dans les discours scientifiques, qui, dans le domaine de la différence
des sexes, sont souvent les mêmes. Si on peut faire ce projet,
c’est parce que la modernité a dit que l’égalité
des sexes était pensable. C’est là le fondement
de notre épistémologie. Il faut refuser la condescendance
et la surdité face aux nouveaux concepts (le genre, la différence
des sexes, les rapports sociaux de sexes...). Si on reste dans la
répétition de ce vieux concept, on ne sortira pas
de notre condition.
Maurice Godelier
Mythe fondateur de la domination masculine dans la vie
et les sciences : une perspective anthropologique.
Certaines sociétés n’utilisent pas l’opposition
nature / culture, elle n’est pas opératoire, par exemple
chez les Baruyas de Nouvelle Guinée : une société
sans classe, sans état, patrilinéaire où la
domination masculine est très forte.
Les femmes sont exclues du maniement des armes, de la propriété
et de la transmission de la terre (mais elles peuvent la cultiver
!), de la fabrication de la monnaie, même si là aussi,
elles peuvent en user. Pour la monnaie, on a une explication symbolique
: la monnaie est constituée de cristaux de sel. Les femmes
ayant des règles, elles sont suspectées de diluer
le sel avec leur sang. Les femmes ne peuvent pas tenir le premier
rang dans les cérémonies où on intercède
avec les Dieux (finalement, signale M. Godelier, tenues à
l’écart des armes, de l’argent et du pouvoir
religieux... tout cela n’est pas très différent
de notre société).
Au moment où Godelier les a rencontrées, peut-être
après le premier contact avec les blancs, les femmes devaient
cacher leur visage quand elles croisaient un homme. Dans la jungle,
il y a toujours deux chemins : celui des femmes est en contrebas.
Au niveau de l’enfantement, les femmes sont considérées
comme des sacs. C’est le sperme qui fait l’enfant et
c’est le soleil (appelé Père) qui le termine
dans le ventre de la femme. Quant au lait maternel, c’est
en fait du sperme transformé.
Les jeunes gens ne se choisissent pas. Dans les premières
semaines, le couple ne baise pas (je cite Godelier), la femme boit
le sperme de l’homme pour préparer le lait. Ce n’est
plus une substance féminine qui leur appartient puisqu’il
est perçu comme la transformation d’une substance masculine.
A 9 ans, les petits garçons sont coupés de leur mère
et emmenés pendant 10 ans dans la maison des hommes où
ils vivent une homosexualité passive imposée : ils
reçoivent le sperme de jeunes hommes de 20 ans qui sont purs
car ils n’ont encore jamais touché une femme.
Puis ils reçoivent une initiation où on leur raconte
leur mythe (qui est fondateur du réel pour eux). Pour les
Baruyas, ce sont les femmes qui ont tout inventé, elles sont
les seules à posséder la créativité,
mais elles en faisaient n’importe quoi, elles tuaient trop
d’animaux par exemple, et provoquaient des désordres
cosmiques. Les femmes possédaient également les flûtes
sacrées qui permettaient de parler aux Dieux. Le nom secret
de ces flûtes, c’est « vagin ». Un homme
est entré dans la hutte menstruelle et a volé les
flûtes. Les hommes ont exproprié les femmes de leur
pouvoir et se sont emparés en particulier du pouvoir de vie.
Mais les femmes en sont toujours propriétaires. Si jamais
les hommes relâchent leur domination, si on arrête d’initier
les jeunes hommes, le pouvoir retournera aussitôt aux femmes.
En fait, il y a une peur immense de ces femmes qu’on méprise
et qu’on domine.
Les femmes avaient tout inventé, sauf une chose : les esprits
ont donné aux hommes le pouvoir de tuer. C’est grâce
à cela que les hommes ont dominé les femmes. Dominer,
c’est voler la force des autres pour l’ajouter à
la sienne.
Quant aux femmes, elles ne peuvent pas non plus se déprendre
de cette boucle. Pendant l’initiation des enfants, on les
bat et ils pleurent. M. Godelier a demandé à une femme
qui avait entendu son enfant pleurer si elle ne trouvait pas cela
dur, s’il ne valait pas mieux arrêter les initiations.
Non, a-t-elle répondu. Si le garçon n’est pas
initié, il ne pourra jamais prendre femme.
Par la suite, avec l’arrivée des occidentaux, les
femmes ont été les premières à se convertir
au christianisme, parce que le message de base (diffusé par
des hommes) disait : devant Dieu, les hommes et les femmes sont
égaux.
Pascal Picq
L’éternel féminin en paléoanthropologie
et en éthologie
On convoque souvent la paléoanthropologie et la préhistoire
pour justifier de la domination masculine : « il en a été
ainsi depuis l’origine de l’homme... le statut inférieur
de la femme est bien un fait de nature ou pour le moins, une situation
éternelle, ancrée dans l’aube de l’humanité.
»
En 1981, sort un livre intitulé : « La femme qui n’a
jamais évolué » (je n’ai pas retrouvé
l’auteure NDLR) qui s’élève contre les
conceptions machistes de l’évolution. Récemment,
le reportage : « l’odyssée de l’espèce
», et la suite : « homo sapiens » est une des
reconstitutions les plus machistes qu’on ait fait de la préhistoire.
8 millions de téléspectateurs.
Dans ces reportages, c’est l’homme qui fait tout, qui
invente tout : il invente la chasse, bien sûr, mais aussi
l’agriculture, alors qu’actuellement, les paléoanthropologues
sont à peu près d’accord pour dire que c’est
une invention féminine. C’est même les hommes
qui font les innovations sur les vêtements et les chaussures.
La dernière image du reportage : on entend une voix off qui
dit : grâce à l’agriculture, l’homme va
pouvoir enfin prendre le temps de se reposer, de réfléchir,
d’inventer, d’innover... et on voit une femme en train
de moudre du grain !
Dans « Les origines de la bipédie » de Jean
Chaline, les choses sont présentées ainsi : la mutation
de la bipédie arrive soudain sur le mâle dominant (ce
n’est jamais une femme qui bénéficie des avancées
de l’espèce). Comme c’est le mâle dominant,
il s’accouple à toutes les femelles et ainsi, il transmet
le gène : c’est ainsi que ce sont les mâles qui
ont toujours la responsabilité de la forme de l’évolution
de l’espèce.
Que disent les illustrations de la préhistoire ? Les femmes
sont assises devant les grottes. Elles sont grosses (leur représentation
est probablement inspirée par les sculptures des Vénus),
trop grosses pour se défendre ou chasser en tout cas. Elles
sont encombrées par toute une marmaille, pendant que M. Cro-Magnon,
athlétique, va chercher de la viande. Il est curieux de voir
comment la viande devient synonyme de progrès, alors qu’on
sait par exemple que dans les tribus de chasseurs cueilleurs, ce
sont les femmes qui assurent 50 à 70% de la nourriture de
la tribu par la cueillette. On suppose souvent que ce qu’on
observe chez les chasseurs - cueilleurs est une approximation correcte
du néolithique. Admettons. Mais il faut alors aussi admettre
qu’il est faux de dire que les femmes ne chassent pas. Elles
chassent moins que les hommes, mais elles chassent, elles portent
aussi éventuellement des armes.
Qui a peint les grottes de Lascaux ? Nous n’avons aucun moyen
de le savoir. Il est impossible de faire représenter par
des illustrateurs des femmes en train de peindre. Au mieux, on arrive
à les convaincre de les montrer en train de préparer
des pigments, mais dans les faits, on n’en a absolument aucune
idée : les peintures pourraient être exclusivement
de la responsabilité des femmes. La division des tâches,
c’est la grosse invention de notre représentation de
l’évolution. C’est une erreur qui nous a permis
de naturaliser l’infériorité des femmes. Passons
à l’éthologie.
On a comparé la représentation des éthologues
hommes et femmes sur 20 ans de National Geographics. Les femmes
sont toujours représentées proches des animaux. Les
femmes sont supposées avoir une empathie qui leur permet
d’être plus proches des animaux, qui fait qu’elles
peuvent mieux approcher les grands singes (même Cyrulnik l’a
dit). Les hommes sont présentés en dehors, loin de
leurs sujets, comme plus objectifs par rapport au terrain. Si les
femmes ont pu briller en éthologie, c’est d’abord
parce que l’étude des animaux n’intéressait
personne et qu’on les a laissé faire.
La première société de singes qui a été
étudiée fonctionnait plutôt autour d’une
hiérarchie masculine, avec des comportements qu’on
pourrait qualifier de machistes. On en a déduit que c’était
le mode de base des sociétés de singes. Et que le
singe étant l’animal le plus proche de l’homme,
la domination masculine avait un fondement naturel. Or, on a découvert
ensuite qu’il en existe également de nombreuses sociétés
structurées avec, voire autour d’une hiérarchie
féminine. Qui des chimpanzés machos ou des Bonobos
sont les plus proches de nous ? Dans le règne animal, celui
qui chasse n’est pas toujours le mâle. Par la suite,
on a en plus institué des jugements de valeurs sur les activités.
Le lion reste le roi des animaux. Or, il ne fait rien, c’est
la lionne, perçue comme dévouée, qui chasse
pour lui. La tigresse a eu mauvaise presse, parce que, si elle chasse,
elle garde pour elle les produits de sa chasse.
Dans la nature, avoir des petits n’a jamais empêché
de chasser : chez les lycaons, on met les petits en garde avec d’autres
femelles quand on va chasser. Mais le lion est plus emblématique
que la tigresse, l’exemple du mâle qui chasse et ramène
la nourriture à la femelle qui reste s’occuper des
petits est davantage cité que l’exemple de la femelle
qui chasse et met ses petits en garde. Comme dans le cas de la préhistoire,
on invente une vision supposée naturelle des relations entre
les sexes et de la domination masculine chez les animaux qu’on
utilise ensuite pour expliquer voire justifier la situation d’oppression
actuelle.
Joëlle Wiels et Evelyne Peyre
Le sexe : un continuum ?
L’obsession de la recherche en biologie autour de la différence
des sexes a été : comment faire des mâles ?
Il était considéré que le sexe féminin
était le sexe par défaut et que pour faire du mâle,
il fallait un truc en plus. Inutile de chercher comment se développait
l’ovaire, puisque c’était le mode de base, ce
qui importait, c’était comment se formaient les testicules.
Une littérature abondante parle du rôle fondamental
du mâle, du chromosome Y qui est petit, simple mais a un rôle
capital : c’est lui qui décide de la différenciation
sexuelle. On trouve texto : la détermination du sexe, c’est
la détermination du testicule, on ne cherche pas du côté
du féminin, puisqu’il n’y a rien à chercher.
En 1994, une italienne qui s’intéresse à une
certaine sorte de malformation fœtale découvre qu’il
existe un gène sur le chromosome X qui lui aussi détermine
le sexe.
On considère souvent qu’on peut déterminer
le sexe d’une personne à partir du crâne, de
la mâchoire ou du bassin. L’étude a été
faite à partir des squelettes d’un village remontant
à 1500 ans. On s’aperçoit qu’il y a des
variations de plus de 50% d’une personne à l’autre
à l’intérieur d’un même village.
Si on trace la courbe des différentes mesures, on obtient
une gaussienne. Sur les queues de la gaussienne, on trouve effectivement
des personnes de sexes différents (d’un côté
de la gaussienne, les hommes, de l’autre, les femmes). Mais
dans les 60% du milieu de la gaussienne, on ne peut rien dire sur
le sexe de la personne. Ce sont des individus moyens, dont on ne
peut déterminer le sexe. Par ailleurs, selon la géographie,
on trouve des statures très différentes. A l’intérieur
d’une fratrie, on a un dimorphisme au niveau de la taille.
Plus on élargit, plus c’est le bazar. Au niveau d’un
village, relativement consanguin, on ne trouve plus rien. Et en
particulier, il est faux de dire que le bassin des femmes est radicalement
différent de celui des hommes. L’évolution des
squelettes s’oriente d’ailleurs de plus en plus vers
une indifférenciation.
Leirn
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