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Masculin / Féminin : Mythes scientifiques et idéologies
COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE DE L’AFFDU - PARIS, 5 FÉVRIER 2005
13 février 2005 par Leirn

Origine site des Chiennes de garde
http://www.chiennesdegarde.org/imprimersans.php3?id_article=379

Voici les résumés de quelques unes des conférences, toutes très intéressantes de ce colloque. D’autres intervenantes ont également fait des interventions très réussies, telles que Catherine Marry, Gaïd Le Maner-Idrissi ou Catherine Vidal. Si je ne les ai pas résumées, c’est simplement parce que je connaissais mieux leur travail et j’avais moins besoin de notes personnelles.

Geneviève Fraisse
En finir avec la condition féminine...

L’expression : « condition féminine » continue à surgir dans la conversation. G. Fraisse raconte qu’une fois, suite à une conférence, une femme lui a dit : « c’était drôlement intéressant ce que tu as dit, mais je croyais que tu travaillais sur la condition féminine... »

Le terme de condition féminine a été utilisé pour en finir avec l’éternel féminin. L’éternel féminin s’ancrait dans la nature soi-disant spécifique des femmes, le concept de « condition féminine » s’est construit sur le même modèle que celui de « condition ouvrière », « condition humaine ». Ils sont apparus au milieu du XXe siècle. Les 2 autres termes n’ont pas duré, ils sont maintenant historiquement datés, alors qu’on parle encore de condition féminine. Condition féminine s’oppose à nature féminine, désigne une catégorie, à la fois temporelle et atemporelle. C’est à la fois l’histoire et la situation des femmes, à un instant donné, mais aussi la situation éternelle des femmes.

Vu comment le terme a été construit, on devrait en être satisfait. Mais en fait, ce terme implique une certaine condescendance. Condition signifie aussi une place dans la hiérarchie : la condition ouvrière, la condition domestique... une personne de condition signifiait une personne de condition inférieure. Si la condition est la même tout au long de l’histoire, c’est qu’elle indique bien une place dans la hiérarchie, une position de soumission. On ne peut pas s’échapper de la condition féminine : si on est une femme (ça, c’est pour toujours !), on est alors piégée dans la place que délimite la condition féminine.

Il faut bannir ce terme à la fois au bistrot mais aussi dans les discours scientifiques, qui, dans le domaine de la différence des sexes, sont souvent les mêmes. Si on peut faire ce projet, c’est parce que la modernité a dit que l’égalité des sexes était pensable. C’est là le fondement de notre épistémologie. Il faut refuser la condescendance et la surdité face aux nouveaux concepts (le genre, la différence des sexes, les rapports sociaux de sexes...). Si on reste dans la répétition de ce vieux concept, on ne sortira pas de notre condition.


Maurice Godelier
Mythe fondateur de la domination masculine dans la vie et les sciences : une perspective anthropologique.

Certaines sociétés n’utilisent pas l’opposition nature / culture, elle n’est pas opératoire, par exemple chez les Baruyas de Nouvelle Guinée : une société sans classe, sans état, patrilinéaire où la domination masculine est très forte.

Les femmes sont exclues du maniement des armes, de la propriété et de la transmission de la terre (mais elles peuvent la cultiver !), de la fabrication de la monnaie, même si là aussi, elles peuvent en user. Pour la monnaie, on a une explication symbolique : la monnaie est constituée de cristaux de sel. Les femmes ayant des règles, elles sont suspectées de diluer le sel avec leur sang. Les femmes ne peuvent pas tenir le premier rang dans les cérémonies où on intercède avec les Dieux (finalement, signale M. Godelier, tenues à l’écart des armes, de l’argent et du pouvoir religieux... tout cela n’est pas très différent de notre société).

Au moment où Godelier les a rencontrées, peut-être après le premier contact avec les blancs, les femmes devaient cacher leur visage quand elles croisaient un homme. Dans la jungle, il y a toujours deux chemins : celui des femmes est en contrebas.

Au niveau de l’enfantement, les femmes sont considérées comme des sacs. C’est le sperme qui fait l’enfant et c’est le soleil (appelé Père) qui le termine dans le ventre de la femme. Quant au lait maternel, c’est en fait du sperme transformé.

Les jeunes gens ne se choisissent pas. Dans les premières semaines, le couple ne baise pas (je cite Godelier), la femme boit le sperme de l’homme pour préparer le lait. Ce n’est plus une substance féminine qui leur appartient puisqu’il est perçu comme la transformation d’une substance masculine.

A 9 ans, les petits garçons sont coupés de leur mère et emmenés pendant 10 ans dans la maison des hommes où ils vivent une homosexualité passive imposée : ils reçoivent le sperme de jeunes hommes de 20 ans qui sont purs car ils n’ont encore jamais touché une femme.

Puis ils reçoivent une initiation où on leur raconte leur mythe (qui est fondateur du réel pour eux). Pour les Baruyas, ce sont les femmes qui ont tout inventé, elles sont les seules à posséder la créativité, mais elles en faisaient n’importe quoi, elles tuaient trop d’animaux par exemple, et provoquaient des désordres cosmiques. Les femmes possédaient également les flûtes sacrées qui permettaient de parler aux Dieux. Le nom secret de ces flûtes, c’est « vagin ». Un homme est entré dans la hutte menstruelle et a volé les flûtes. Les hommes ont exproprié les femmes de leur pouvoir et se sont emparés en particulier du pouvoir de vie. Mais les femmes en sont toujours propriétaires. Si jamais les hommes relâchent leur domination, si on arrête d’initier les jeunes hommes, le pouvoir retournera aussitôt aux femmes. En fait, il y a une peur immense de ces femmes qu’on méprise et qu’on domine.

Les femmes avaient tout inventé, sauf une chose : les esprits ont donné aux hommes le pouvoir de tuer. C’est grâce à cela que les hommes ont dominé les femmes. Dominer, c’est voler la force des autres pour l’ajouter à la sienne.

Quant aux femmes, elles ne peuvent pas non plus se déprendre de cette boucle. Pendant l’initiation des enfants, on les bat et ils pleurent. M. Godelier a demandé à une femme qui avait entendu son enfant pleurer si elle ne trouvait pas cela dur, s’il ne valait pas mieux arrêter les initiations. Non, a-t-elle répondu. Si le garçon n’est pas initié, il ne pourra jamais prendre femme.

Par la suite, avec l’arrivée des occidentaux, les femmes ont été les premières à se convertir au christianisme, parce que le message de base (diffusé par des hommes) disait : devant Dieu, les hommes et les femmes sont égaux.


Pascal Picq
L’éternel féminin en paléoanthropologie et en éthologie

On convoque souvent la paléoanthropologie et la préhistoire pour justifier de la domination masculine : « il en a été ainsi depuis l’origine de l’homme... le statut inférieur de la femme est bien un fait de nature ou pour le moins, une situation éternelle, ancrée dans l’aube de l’humanité. »

En 1981, sort un livre intitulé : « La femme qui n’a jamais évolué » (je n’ai pas retrouvé l’auteure NDLR) qui s’élève contre les conceptions machistes de l’évolution. Récemment, le reportage : « l’odyssée de l’espèce », et la suite : « homo sapiens » est une des reconstitutions les plus machistes qu’on ait fait de la préhistoire. 8 millions de téléspectateurs.

Dans ces reportages, c’est l’homme qui fait tout, qui invente tout : il invente la chasse, bien sûr, mais aussi l’agriculture, alors qu’actuellement, les paléoanthropologues sont à peu près d’accord pour dire que c’est une invention féminine. C’est même les hommes qui font les innovations sur les vêtements et les chaussures. La dernière image du reportage : on entend une voix off qui dit : grâce à l’agriculture, l’homme va pouvoir enfin prendre le temps de se reposer, de réfléchir, d’inventer, d’innover... et on voit une femme en train de moudre du grain !

Dans « Les origines de la bipédie » de Jean Chaline, les choses sont présentées ainsi : la mutation de la bipédie arrive soudain sur le mâle dominant (ce n’est jamais une femme qui bénéficie des avancées de l’espèce). Comme c’est le mâle dominant, il s’accouple à toutes les femelles et ainsi, il transmet le gène : c’est ainsi que ce sont les mâles qui ont toujours la responsabilité de la forme de l’évolution de l’espèce.

Que disent les illustrations de la préhistoire ? Les femmes sont assises devant les grottes. Elles sont grosses (leur représentation est probablement inspirée par les sculptures des Vénus), trop grosses pour se défendre ou chasser en tout cas. Elles sont encombrées par toute une marmaille, pendant que M. Cro-Magnon, athlétique, va chercher de la viande. Il est curieux de voir comment la viande devient synonyme de progrès, alors qu’on sait par exemple que dans les tribus de chasseurs cueilleurs, ce sont les femmes qui assurent 50 à 70% de la nourriture de la tribu par la cueillette. On suppose souvent que ce qu’on observe chez les chasseurs - cueilleurs est une approximation correcte du néolithique. Admettons. Mais il faut alors aussi admettre qu’il est faux de dire que les femmes ne chassent pas. Elles chassent moins que les hommes, mais elles chassent, elles portent aussi éventuellement des armes.

Qui a peint les grottes de Lascaux ? Nous n’avons aucun moyen de le savoir. Il est impossible de faire représenter par des illustrateurs des femmes en train de peindre. Au mieux, on arrive à les convaincre de les montrer en train de préparer des pigments, mais dans les faits, on n’en a absolument aucune idée : les peintures pourraient être exclusivement de la responsabilité des femmes. La division des tâches, c’est la grosse invention de notre représentation de l’évolution. C’est une erreur qui nous a permis de naturaliser l’infériorité des femmes. Passons à l’éthologie.

On a comparé la représentation des éthologues hommes et femmes sur 20 ans de National Geographics. Les femmes sont toujours représentées proches des animaux. Les femmes sont supposées avoir une empathie qui leur permet d’être plus proches des animaux, qui fait qu’elles peuvent mieux approcher les grands singes (même Cyrulnik l’a dit). Les hommes sont présentés en dehors, loin de leurs sujets, comme plus objectifs par rapport au terrain. Si les femmes ont pu briller en éthologie, c’est d’abord parce que l’étude des animaux n’intéressait personne et qu’on les a laissé faire.

La première société de singes qui a été étudiée fonctionnait plutôt autour d’une hiérarchie masculine, avec des comportements qu’on pourrait qualifier de machistes. On en a déduit que c’était le mode de base des sociétés de singes. Et que le singe étant l’animal le plus proche de l’homme, la domination masculine avait un fondement naturel. Or, on a découvert ensuite qu’il en existe également de nombreuses sociétés structurées avec, voire autour d’une hiérarchie féminine. Qui des chimpanzés machos ou des Bonobos sont les plus proches de nous ? Dans le règne animal, celui qui chasse n’est pas toujours le mâle. Par la suite, on a en plus institué des jugements de valeurs sur les activités. Le lion reste le roi des animaux. Or, il ne fait rien, c’est la lionne, perçue comme dévouée, qui chasse pour lui. La tigresse a eu mauvaise presse, parce que, si elle chasse, elle garde pour elle les produits de sa chasse.

Dans la nature, avoir des petits n’a jamais empêché de chasser : chez les lycaons, on met les petits en garde avec d’autres femelles quand on va chasser. Mais le lion est plus emblématique que la tigresse, l’exemple du mâle qui chasse et ramène la nourriture à la femelle qui reste s’occuper des petits est davantage cité que l’exemple de la femelle qui chasse et met ses petits en garde. Comme dans le cas de la préhistoire, on invente une vision supposée naturelle des relations entre les sexes et de la domination masculine chez les animaux qu’on utilise ensuite pour expliquer voire justifier la situation d’oppression actuelle.


Joëlle Wiels et Evelyne Peyre
Le sexe : un continuum ?

L’obsession de la recherche en biologie autour de la différence des sexes a été : comment faire des mâles ? Il était considéré que le sexe féminin était le sexe par défaut et que pour faire du mâle, il fallait un truc en plus. Inutile de chercher comment se développait l’ovaire, puisque c’était le mode de base, ce qui importait, c’était comment se formaient les testicules.

Une littérature abondante parle du rôle fondamental du mâle, du chromosome Y qui est petit, simple mais a un rôle capital : c’est lui qui décide de la différenciation sexuelle. On trouve texto : la détermination du sexe, c’est la détermination du testicule, on ne cherche pas du côté du féminin, puisqu’il n’y a rien à chercher. En 1994, une italienne qui s’intéresse à une certaine sorte de malformation fœtale découvre qu’il existe un gène sur le chromosome X qui lui aussi détermine le sexe.

On considère souvent qu’on peut déterminer le sexe d’une personne à partir du crâne, de la mâchoire ou du bassin. L’étude a été faite à partir des squelettes d’un village remontant à 1500 ans. On s’aperçoit qu’il y a des variations de plus de 50% d’une personne à l’autre à l’intérieur d’un même village. Si on trace la courbe des différentes mesures, on obtient une gaussienne. Sur les queues de la gaussienne, on trouve effectivement des personnes de sexes différents (d’un côté de la gaussienne, les hommes, de l’autre, les femmes). Mais dans les 60% du milieu de la gaussienne, on ne peut rien dire sur le sexe de la personne. Ce sont des individus moyens, dont on ne peut déterminer le sexe. Par ailleurs, selon la géographie, on trouve des statures très différentes. A l’intérieur d’une fratrie, on a un dimorphisme au niveau de la taille. Plus on élargit, plus c’est le bazar. Au niveau d’un village, relativement consanguin, on ne trouve plus rien. Et en particulier, il est faux de dire que le bassin des femmes est radicalement différent de celui des hommes. L’évolution des squelettes s’oriente d’ailleurs de plus en plus vers une indifférenciation.

Leirn

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