origine http://www.edupsi.com/timone/MPGirardMythe.shtml.htm
LACAN REPREND LA MÉTHODE DE LEVI-STRAUSS
Plus de la moitié du Séminaire IV " La relation
d'objet " est consacrée à la reprise par LACAN
de l'étude freudienne du cas du petit HANS; son outil de
travail pour la lecture de ce cas est le mythe.
Le mythe, Claude LEVI-STRAUSS vient alors de le définir
dans une conférence de 1956 à laquelle LACAN assiste,
conférence qui annonce : " L `anthropologie structurale
" qui paraîtra en 1958.
C'est donc pour LACAN dans ce Séminaire IV la reprise de
son travail amorcé dans " Le mythe individuel du névrosé
". Il y met à l'épreuve de façon systématique
l'analyse du mythe telle que la promeut Claude LEVI-STRAUSS.La méthode
est une combinatoire et non plus une recherche des origines ou d'une
signification comme elle l'avait été jusque là
pour les ethnologues ou les historiens .
L'INDICIBLE DU RÉEL EST TRAITÉ PAR LE MYTHE
La vie de l'être parlant se déploie à l'intérieur
d'une structure qui est celle que le langage lui assigne. Cette
structure a des limites, tout ne peut pas être dit, la part
d'indicible dans ce que le langage permet à l'être
humain d'appréhender de son monde, LACAN l'appelle le réel.
Cet indicible, ce réel, de tout temps l'homme a tenté
de lui donner consistance à travers des réalisations
poétiques, picturales, sculpturales, musicales ou littéraires
; le mythe est la forme littéraire de cette tentative .
Les mythes ont de tout temps été un moyen pour l'homme
de tenter de s'expliquer la terre, la mer, le vent, la pluie, c'était
la science des anciens, une activité de recherche et d'explication
.
De nombreux mythes parmi les plus courants et qui se retrouvent
dans toutes les parties du monde sont des mythes sur les origines
qui racontent la création du monde et l'apparition des humains,
l'origine de leurs liens spéciaux avec certaines espèces
animales et la nature en générale; la plupart des
mythes renvoient à un temps primordial auquel on se réfère
comme à la matrice des temps présents.
Avant d'analyser la structure du mythe et d'en dégager sa
fonction, il faut en donner une définition et notamment le
différencier des cycles héroiques et des histoires
des religions, comme nous aurons à le différencier
du fantasme lorsque nous l'aborderons sous l'angle psychanalytique
.
CE QUI EST DU MYTHE ET CE QUI N'EN EST PAS
Ethnologues, historiens, théologiens, archéologues,
philosophes et enfin anthropologues, linguistes et psychanalystes
s'interressent au mythe. Chacun l'aborde du point de vue de sa discipline
et de ce fait il y a autant de définitions du mythe que de
disciplines intéressées par la question, chacune insistant
soit sur le versant anecdotique soit sur le versant religieux, historique
ou philosophique, mais toujours à partir de la signification
du récit.
Le mythe est un conte, une légende, qui a une place et un
rôle particulier dans une société donnée,
chacun s'accorde à le reconnaitre et chacun l'analyse avec
les concepts propres à sa discipline .
Le mythe selon Mircea ELIADE
Mircea ELIADE, philosophe titulaire d'une chaire d'Histoire des
Religions à Chicago pendant trente ans, a beaucoup écrit
sur les mythes . Il a étudié le mythe vivant encore
actif dans certaines sociétés. Le mythe l'intéresse
en ce qu'il fournit des modèles pour la conduite humaine
dans un groupe donné et " confère par là
même signification et valeur à l'existence . "
(in. " Aspects du mythe ")
Nous verrons que ce début de définition peut déjà
s'appliquer aux constructions mythiques auxquelles le petit HANS
a recours lorsque les croyances sur lesquelles il fondait son existence
s'effondrent. Dans ce même texte Mircea ELIADE écrit
encore :
" Comprendre la structure et la fonction des mythes dans les
sociétés traditionnelles en cause, ce n'est pas seulement
élucider une étape dans l'histoire de la pensée
humaine, c'est aussi mieux comprendre une catégorie de nos
contemporains . "
Elucider une étape dans l'histoire de la pensée du
petit HANS, c'est le projet de LACAN lorsqu'il étudie ses
productions imaginaires .
Quand à Mircea ELIADE, on voit que sa position est une position
d'historien; ce qui l'intéresse, c'est retrouver les origines
:
" L'homme tel qu'il est aujourd'hui est le résultat
des événements mythiques , il est constitué
par ces événements."
Le mythe codifie les échanges sociaux et renforce les croyances
religeuses, telles sont les théories de l'anthropologie et
de l'ethnologie du début du siècle.
Mythes grecs et romains
Sur les mythes grecs et romains, la littérature est importante.
Les textes les plus anciens sont ceux d'HOMERE qui datent de mille
ans avant Jésus Christ. HESIODE vient ensuite avec sa "
Théogonie " qui date du VIII° siécle avant
Jésus Christ, puis ESCHYLE, SOPHOCLE, PLATON, OVIDE décédé
au début de notre ère, pour n'en citer que quelques
uns qui ont écrit abondamment et presque uniquement sur les
mythes. Dans tous leurs récits, des légendes se forment,
évoluent, deviennent matière littéraire, religieuse
ou historique . Il convient de distinguer le mythe proprement dit
des cycles héroïques, des légendes étiologiques,
des nouvelles ou des contes populaires qui sont de simples anecdotes
sans autre portée qu'elles mêmes .
Le mythe se distingue des simples récits en ce qu'il doit
avoir une portée universelle pour mériter cette appellation.
Ce qu'il est convenu d'appeler mythe est un récit se référant
à l'ordre du monde et destiné à en expliquer
à la fois l'origine et le fonctionnement. De plus, il doit
jouer un rôle important dans l'organisation d'une société
donnée :
- Tout le cycle de DEMETER qui rend compte de la germination, de
la croissance et de la maturation du blé est l'un des grands
mythes grecs.
- L `histoire d' HERACLES donnant un nom à un site, celui
des " Colonnes d'Hercule " à notre détroit
de Gibraltar par exemple n'est pas un mythe car l'ordre du monde
n'est pas mis en question.
Le mythe fait souvent référence aux aventures des
Dieux mais pour qu'un récit soit reconnu comme mythe il n'est
pas nécessaire qu'il soit religieux: les naissances et les
enfances de ZEUS, ses noces sacrées avec HERA ne sont des
mythes que par leur symbolisme qui est de l'ordre de l'indicible,
repérable dans un aprés-coup; le mythe est une tentative
de dégager des lois éternelles sans cependant parvenir
à les formuler; c'est une évocation de l'indicible
qui dépasse la simple valeur anecdotique du cycle héroique
.
LE MYTHE SELON LEVI-STRAUSS : ANALYSE STRUCTURALE
Le véritable changement dans l'abord et l'analyse du mythe
vient avec l'analyse structurale dont Claude LEVI-STRAUSS sera l'initiateur
en France.
Pour Claude LEVI-STRAUSS il s'agit de savoir ce qu'il faut chercher
derrière le sens manifeste de ces histoires qui semblent
gratuites et que l'on retrouve cependant d'un bout à l'autre
de la planète et qui sont tellement prises au sérieux
par les sociétés les plus diverses indépendament
de leur niveau culturel . Il n'analyse pas le mythe dans son contexte
culturel mais analyse le texte du mythe sur le modèle linguistique,
dans sa structure .
Le modèle linguistique saussurien
A partir de cette constatation que le mythe est partie intégrante
du langage - il relève du discours et on y a accès
par la parole - Claude LEVI-STRAUSS reprend la distinction saussurienne
entre langage et parole dans leur rapport au temps : la langue appartient
au domaine d'un temps réversible, la parole à celui
d'un temps irréversible.
Il repère dans le mythe ce même rapport au temps :
le mythe se réfère toujours aux origines, à
un temps premier, la valeur du mythe est précisement dans
le fait que ces évènements qui se réfèrent
au passé forment aussi une structure permanente et c'est
cette structure qu'il va tenter de repérer.
Mythèmes, morphèmes, sémanthèmes
Pour isoler les unités constitutives du mythe qu'il appelle
MYTHÈMES, il calque son analyse sur l'analyse linguistique
:
1- comme tout être linguistique le mythe est formé
d'unités constitutives.
2- ces unités impliquent la présence de celles qui
interviennent normalement dans la structure de la langue : phonèmes,
morphèmes, sèmantèmes, dans l'ordre croissant
de complexité .
Le langage tel qu'il est utilisé dans le mythe présente
un haut degré de complexité, aussi ses unités
sont-elles plus complexes, ce sont de grosses unités qui
additionnent la complexité de chacune des unités citées,
ce sont les MYTHÈMES, qui regroupent des " paquets de
relations " .
Avec cet instrument Claude LEVI-STRAUSS va faire une analyse à
la fois horizontale et verticale du mythe .
Le mythe d'Oedipe dans "anthropologie strucuturale"
A la page 244 de " l'Anthropologie structurale " il donne
une idée de sa méthode : à partir d'une série
de nombres entiers allant de 1 à 8 dans le désordre
il fait des colonnes de 1, des colonnes de 2, des colonnes de 3,
etc, et propose d'utiliser la même méthode avec la
mythe d'Oedipe qui , sur un tableau de ce type pourrait se lire
horizontalement dans sa chronologie tandis qu'une lecture verticale
regrouperait dans chaque colonne des éléments ayant
entre eux des " paquets de relations"; il constitue ainsi
quatre colonnes :
- dans la première, le trait commun serait des rapports
de parenté surestimés, c'est à dire trop proches
.
- dans la deuxième colonne s'inscrivent les rapports de
parenté sous-estimés .
- la troisième colonne concerne les monstres et leur destruction
.
- dans la colonne quatre vient s'inscrire le sens hypothétique
des noms propres de la lignée paternelle d'Oedipe, ce n'est
pas alors le sens du nom qui prend une valeur mais le fait que les
trois noms ont un caractère commun, ils évoquent une
difficulté à marcher droit ; en mythologie il est
fréquent que les hommes nés de la terre soient représentés
au moment de leur émergence comme incapables de marcher ou
marchant avec gaucherie .
Voici le tableau que Claude LEVI-STRAUSS propose à la page
245 de " L'anthropologie structurale " ( ed. Presses Pocket)
Rapports de parenté surestimés Rapports de parenté
dévalués Monstres et leur destruction Difficultés
à marcher droit
1-CADMOS cherche sa soeur EUROPE ravie par ZEUS
2-CADMOS tue le dragon
3-les Spartoï s'exterminent mutuellement
4-LABDACOS père de LAIOS =" boiteux "
5-OEDIPE tue son père
6-OEDIPE immole le Sphinx
7-OEDIPE" pied enflé "
8-OEDIPE épouse sa mère: JOCASTE
9-ETEOCLE tue son frère POLYNICE
10-ANTIGONE enterre son frère POLYNICE violant l'interdit
Les colonnes 1 et 2 évoquent la même relation et son
contraire : l'une affectée du signe plus l'autre affectée
du signe moins; les contradictions sont juxtaposées .
Dans la colonne 3 il s'agit de monstres chtoniens, c'est à
dire issus de la terre et non pas nés d'un homme et d'une
femme . ils sont tous deux détruits par l'homme .Cette colonne
évoque donc la négation de l'autochtonie de l'homme
.
La colonne 4 évoque la persistance de l'autochtonie de l'homme
.Les colonnes 3 et 4 s'annulent donc l'une l'autre comme la 1 et
la 2, l'idée de Claude LEVI-STRAUSS étant que le mythe
est destiné à résoudre une contradiction et
donc met en scène cette contradiction, les termes de la contradiction
sont juxtaposés dans le récit du mythe .
Pour Claude LEVI-STRAUSS le mythe d'Oedipe analysé avec
cette méthode fait apparaitre la difficulté dans laquelle
se trouve une société qui croit à l'autochtonie
de l'homme à passer à la reconnaissance du fait que
tout homme est né de l'union d"un homme et d'une femme.
LES FOMENTATIONS MYTHIQUES DU PETIT HANS
C'est exactement cette question que le petit Hans soulève
le 22 Avril dans sa production imaginaire (p. 153 - 160 de l'observation)
- le père : De qui as-tu pensé que tu avais eu des
enfants ?
- Hans : De moi ! ( autoérotisme )
- le père : Tu sais trés bien qu'un garçon
ne peut avoir des enfants
- Hans : oui , oui , mais je le crois tout de même ! ( juxtaposition
de deux contradictions)
En résumé le mythe est un récit inventé
tout comme le fantasme. Pour qu'un fantasme ait valeur et fonction
de mythe il faut plusieurs conditions :
1 - Il faut qu'il porte une question sur l'origine de l'homme et
sur l'ordre du monde .
2 - Il faut qu'il ait une fonction qui est de symbolisation ; le
mythe individuel que LACAN appelle le mythe individuel du névrosé
et FREUD les théories sexuelles infantiles, est un passage
obligé vers la symbolisation et s'inscrit dans une dynamique
.
3 - La 3ème condition découle de la précédente
: un mythe est un fantasme articulé au symptôme. Les
proliférations mythiques de HANS sont totalement intriquées
à son symptôme phobique comme nous allons le voir :
La fonction de symbolisation des "petits mythes" de Hans
: nécessité structurale de répondre à
l'indicible du pénis
L'observation du petit HANS, grâce aux commentaires écrits,
quotidiens que le père a fait de l'épisode phobique
de son fils permet de repérer comment les constructions mythiques
de HANS vont lui permettre à la fois de poser ses questions
et de chercher les réponses.
Trois éléments de réalité font irruption
dans le monde de HANS et désorganisent ses rapports imaginaires
avec sa mère :
1 - Des érections qui révèlent un pénis
rétif, venant perturber ses jeux imaginaires avec la mère
autour de la possession du phallus.
2 - L'arrivée de sa petite soeur qui rassemble et rend brûlantes
les questions : d'où viennent les enfants ? quel est le rôle
du père ?
3 - L'information sur l'absence de pénis chez la mère
apportée par le père, qui rend caduques ses éspérances
de puissance maternelle : sa mère n'a pas de fait-pipi et
celui d'Anna ne poussera pas .
A partir de l'irruption dans la réalité de HANS de
ces trois élements nouveaux qui désorganisent son
monde, on va assister à un emballement de l'imaginaire et
à un étalement du symptôme phobique s'articulant
dans un foisonement de créations mythiques : " une avenue
pour la parole " dit LACAN .
Deux interventions du père de HANS vont être à
l'origine du déclenchement :
1° Avec l'idée d'apaiser l'angoisse de culpabilité
de la masturbation, le père pointe un lien possible entre
la peur des chevaux et quelque chose d'interdit. C'est alors que,
selon l'expression de LACAN," ce qui est permis devient obligatoire
" : HANS se sent obligé de regarder les chevaux.
2° Sur le conseil de FREUD le père explique à
HANS que le phallus souhaité n'existe pas chez la mère
et HANS répond du tac au tac par un fantasme dont il informe
son père.
" j'ai vu maman toute nue et en chemise et elle m'a montré
son fait pipi " et il précise deux jours plus tard que
quant à lui son fait-pipi est enraciné .
Tout se passe alors comme si pour HANS le problème était
cadré. Il commence alors à élaborer des solutions,
qui sont chaque fois autant de tentatives échouées
de dégager des lois éternelles.
Dans la fantasmagorie de HANS, LACAN repère des termes constants,
une certaine configuration constante, une " nécessité
structurale " qui gère ses constructions mythiques,
cette nécessité structurale est celle du signifiant.
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