Origine : http://www.la-presse-anarchiste.net/spip/spip.php?article1475
Pour la première fois depuis le n° 8, nous réentamons
ce que nous voulons être un dialogue avec les camarades des
autres groupes anarchistes. Auparavant, nous avons accordé
beaucoup plus d’importance à la deuxième partie
de notre étiquette et à notre solidarité active
avec les objecteurs. Deux sortes d’événements
nous poussent à cela ; les attentats d’Italie, et la
recrudescence de la répression, ainsi que les tentatives
de regroupements.
Il est quand même évident que nous ne voulons pas
concurrencer « Recherches libertaires » qui nous semble
remplir cette tâche unique et importante qui est la renaissance
d’une réflexion anarchiste adaptée aux temps
que nous vivons.
Aujourd’hui le mouvement anarchiste est composé essentiellement
de petits groupes locaux actifs et parfois activistes sans beaucoup
de liens entre eux. Une de leurs particularités est la fragilité
extrême de leur existence. Il suffit d’un départ
de leaders, étudiants ou pas, d’un coup de vent ou
même de la répression policière pour qu’un
ou deux ans après leur naissance ils sombrent dans l’inconnu.
Souvent, alors, certains de leurs participants resurgissent çà
et là, silencieusement, ou en proclamant qu’ils y étaient
et qu’on verra ce qu’on verra. Cela a pour conséquence
qu’il est pratiquement impossible de savoir s’il ne
s’est pas glissé parmi ces revenants un provocateur.
Il serait ridicule de proposer la création d’un fichier
national. Cela a déjà été fait par quelques
groupes autoritaires. Ce serait faciliter à l’excès
le travail de la police mais, plus grave, ce serait contraire à
l’idéal anarchiste. Il serait tout aussi ridicule de
refuser de se poser le problème. Pour ne pas sombrer dans
la flicomanie et la délation interne, il faut lier ce problème
à celui de la répression et à celui de la réflexion.
Il est ambitieux de tout aborder de front. Pourtant, si on regarde
la situation du mouvement anar actuellement, on discerne un certain
nombre de choses. D’abord et avant tout la pauvreté
incroyable des groupes puis (ceci en est une conséquence
positive) un effort de regroupement dans deux sens bien distincts.
Commençons par ce qu’il est convenu d’appeler
la pauvreté de l’« après-Mai ».
Les retombées de ce mois se sont fait durement sentir dans
les différents groupes. La sensation profonde qu’il
y avait quelque chose de changé et l’impossibilité
de déterminer exactement quoi amenèrent beaucoup de
groupes soit à se torpiller par purisme (même si c’est
deux ans après) soit à plonger dans un activisme débordant
où chaque petite action prit une dimension triomphaliste.
Les groupes n’eurent pas la possibilité de prendre
du recul et d’ailleurs ne l’ont toujours pas. C’est
alors que prit une grande importance (du fait de l’absence
d’autre chose) le courant « pseudo-situ ». Il
se caractérise par sa critique destructive tous azimuts et
par son langage incompréhensible au militant moyen (je ne
parle pas des ouvriers). Les thèmes utilisés, empruntés
pour la plupart aux thèses de l’Internationale situationniste
jouent sur la mauvaise conscience inhérente aux anars. En
effet, qui parmi nous ne se sait pas aliéné ? Le nier
serait refuser la réalité. Il ne suffit pourtant pas
de convaincre les autres de leur impuissance sexuelle et politique
pour les libérer. Il est remarquable que les critiques les
plus violentes s’adressent presque toutes aux camarades les
plus proches politiquement. En parodiant honteusement, leur devise
semble être : « Tuez-les tous, l’IS retrouvera
les siens ! » Il faut tenter de mettre fin à ce néo-nihilisme
sans toutefois jeter le bébé avec le bain. La plupart
des critiques de l’IS sont fondées, il faudrait pourtant
les aborder avec moins d’agressivité gratuite.
Il existe aussi parmi presque tous les groupes une impossibilité
d’analyse permanente de l’action en cours, de la situation
politique et des motivations des militants, et cela dans un langage
normal épuré du vocabulaire révolutionnaire.
Quand il y a analyse, elle est faite en cercle fermé, avec
les mêmes éléments subjectifs, dans une ambiance
révolutionnariste. Après ladite pauvreté, examinons
le problème des regroupements. Il y en a de deux sortes :
le régional et le politique. Sur le plan régional,
on assiste dans l’Est et le Midi à des tentatives de
création d’union de groupes sans distinction de tendance
politique, le fait de se réclamer de l’anarchisme étant
suffisant en soi. Les choses sont déjà assez avancées
dans l’Est où les réunions se succèdent
et où le BI en est déjà à son numéro
4. Il est intéressant de noter à ce propos que cette
union est née de l’initiative de camarades de la FA
alors que la majorité de ses membres en sont en dehors et
entendent y rester. Dans cette union il y a beaucoup de difficultés
causées par des différences de langage (présence
d’Italiens, d’Espagnols et de Français), des
différences de situation (minorité de travailleurs)
et des différences d’âge assez prononcées.
Tout cela fait qu’après plusieurs réunions
on ne se connaît que fort peu.
Je ne sais quelle est la situation dans le Midi mais, d’après
les informations recueillies, elle semble être en plein mouvement.
Les regroupements politiques sont d’une teinte très
différente. J’en citerai deux (je n’en connais
pas d’autres actuellement) : le MCL (Mouvement communiste
libertaire) et UGAL (Union des groupes autonomes libertaires). Chacun
semble affirmer être le seul vrai et voit les autres de haut.
Visant à être des avant-gardes ou de grandes organisations,
ils vont avoir tendance à adopter des positions autoritaires
(cela se sent déjà dans leurs textes) d’abord
à l’égard des autres groupes puis en leur sein.
Pourtant ces unions politiques sont la conséquence de la
prise de conscience de l’après-Mai et de sa pauvreté.
Quelque nécessaires que soient ces unions, ni les unions
régionales ni encore moins les unions politiques ne pourront
résoudre le problème actuel du mouvement anarchiste
en France (dans les autres pays ce n’est pas mes oignons).
Il y a deux besoins : stabilité dans le temps (base d’appui)
et possibilité de réflexion vraie correspondant à
la réalité globale et locale. Je prétends donc
qu’on ne peut les résoudre ni dans de petits groupes
ni dans des unions régionales ou politiques. Il est nécessaire,
pour que nous autres anarchistes puissions ensemble être et
réfléchir calmement, que des liens affectifs profonds
existent entre nous. Ces liens ne peuvent exister vraiment dans
des unions régionales ou politiques. Que proposer alors ?
Il faudrait qu’à partir des unions régionales
(et pourquoi pas politiques ?) des regroupements s’opèrent,
non plus sur des bases géographiques locales, mais nationales,
sur un accord politique (autant théorique que pratique) et
sur des liens affectifs. Ces trois bases, nationalité, politisation
et affectivité, me semblent être essentielles si l’on
veut créer quelque chose de durable.
Nationalité
Nationalité prend ici une dimension géographique,
évidemment. Si un groupe est international, ce n’en
est que meilleur. Il est nécessaire que les membres de ces
groupes soient de partout afin de saisir les différentes
facettes de la même réalité, chacun dans sa
pratique différente. Il est certain qu’une telle dispersion
entraîne des problèmes de relations (écrits
et voyages) ainsi que financiers.
Politisation
Politisation : L’accord politique ne peut être total
(ou alors plus de discussions ni de recherches), pourtant il doit
y tendre. Il doit être autant au niveau de la théorie
et de la recherche qu’au niveau de la pratique de chacun.
Surtout il faut de prime abord ne vouloir à aucun prix
être une avant-garde de quelque sorte que ce soit. Autant
parce qu’un peu de modestie ne fait de mal à personne
que parce qu’une telle position compromet gravement les relations
avec les autres groupes et camarades.
Affectivité
Il faut se garder comme de la peste de n’avoir que des relations
affectives ou de les privilégier. Il n’y a rien de
pire qu’un groupe politique de copains. En dehors du fait
que cela crée des relations curieuses, cela empêche
toute entrée régulière de nouveaux, et cela
amène à l’échec final amèrement
regretté, une blessure profonde ne créant que des
aigris. Pourtant les relations affectives sont nécessaires
car elles sont un facteur important dans la confrontation des idées.
Dans la société quotidienne confrontée à
nos problèmes, nous sommes obligés de nous cuirasser
pour à la fois ne pas reculer devant les attaques et céder
devant le doute. Cette mise en état de défense permanente,
entraîne à la longue une impossibilité d’autoanalyse
ainsi que des relations fausses avec les gens que nous fréquentons.
Se sentant bien avec des camarades dans le groupe, se sachant en
sécurité, ne craignant plus d’être détruit,
chacun pourra essayer de se rouvrir complètement, se sachant
compris. C’est alors que se sentant bien, en accord politique
avec des camarades venus de partout, il sera possible de mener année
après année, un travail commun qui fera avancer et
les individus et le mouvement.
Il serait ridicule de penser que je propose une recette efficace
à cent pour cent. Ma proposition ne permet, à mon
sens, que d’aborder plus sérieusement les difficultés
et les tensions qui surgiront inévitablement dans ces groupes.
Elle permet aussi de créer une ossature stable, des points
de repères, et un réseau de relations permanentes
dans le mouvement anarchiste français.
Pierre Sommermeyer
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