Origine :
http://assoc.orange.fr/continuer.la.cgt/jeanlucs.htm
Conférence Internationale Syndicale - Annecy -
29 – 30 sept. – 1er oct. 2000
Sommaire
I/ - Le néo-libéralisme : stratégie globale
du capitalisme
I/1 – Approche théorique du néo-libéralisme
I/2 – Les grandes lignes du néo-libéralisme
II/ - Globalisation et mondialisation capitaliste
II/1 – Mondialisation et limites de la mondialisation
II/2 – Contribution à l’analyse de l’impérialisme
aujourd’hui
II/3 – Les multinationales et les Etats nationaux
II/4 – Physionomie des Etats impérialistes : rivalités
et danger de guerre
CONCLUSION
I/ - Le néo-libéralisme : stratégie
globale du capitalisme
La conférence d’Oren (mai 1999) faisait le constat
d’une « offensive sans précédent »
contre les travailleurs et les peuples. Le néo-libéralisme
symbolisé par les Reagan, Thatcher règne dans la pensée
économique bourgeoise et broie tous les acquis sociaux sur
son passage.
Le credo politique néo-libéral est connu : dénonciation
du « pouvoir excessif des syndicaux » pour repousser
loin en arrière les formes de domination de la classe capitaliste
; charges contre les fonctions publiques « dévoreuses
d’emplois » pour mieux remettre en cause les nationalisations
opérées après la seconde guerre mondiale, par
des privatisations (qui constituent un accaparement de biens nationaux
au profit des monopoles) ; nécessité d’adapter
le procès de travail à la « compétition
mondiale » pour mieux précariser les emplois et flexibiliser
les horaires. Les conséquences sociales de cette politique
sont dramatiques :
baisse drastique du pouvoir d’achat des salariés
et pensionnés,
dépendance accentuée des pays semi-coloniaux, néo-coloniaux,
accroissement de la misère et du chômage à
l’échelle mondiale,
répression contre les forces du travail et les syndicats,
guerres conçues par les grandes puissances impérialistes
pour repartager le monde à leur profit.
Dans cette jungle capitaliste, les syndicalistes de la résignation
poussent à faire croire « qu’il n’y a plus
de grain à moudre » pour les travailleurs et qu’il
faut donc plier l’échine en attendant des jours meilleurs.
Pourtant, toutes les contradictions du système monopoliste
s’aiguisent, la colère et les luttes grandissent, tant
et si bien que certains hauts-commis du grand capital comme Ricardo
Petrella (1) appelle face aux menaces et blocages à créer
« une structure de correction des excès » seul
moyen pour eux de pérenniser à long terme le système
d’exploitation.
I/ 1 - Approche théorique du néo-libéralisme
Des questions traversent le mouvement ouvrier, le néo-libéralisme
est-il une étape du capitalisme préparant le passage
à une économie en voie de mondialisation où
même déjà mondialisée ? Le capitalisme
« triomphant » de la fin du XXème siècle
ne rend-il pas caduc tout espoir de transformation sociale révolutionnaire
? Dès lors ne faut-il pas mener la lutte exclusivement contre
les « excès » du néo ou ultra-libéralisme,
accepter les lois du marché sans les dérives du «
tout financier » en « orientant les capitaux vers les
investissements productifs » ?
Des réponses à ces questions découlent des
pratiques différentes, voire antagoniques, ou engagement
dans le syndicalisme de lutte de classe contre un patronat à
l’offensive ou syndicalisme d’adaptation pour gérer
socialement, « le mieux possible » le système
capitaliste ?
Pour comprendre le capitalisme contemporain, il faut remonter à
sa crise structurelle initiée à la fin des années
60 et qui au-delà des « embellies » provisoires
continue de sévir. Son origine se situe dans le fait que
le niveau de la demande ne suit pas la production, c’est la
surproduction qui crée des difficultés accrues pour
le capital monopoliste à s’approprier le profit maximum.
Un certain économisme est enclin à penser que les
profits augmentent quasi-spontanément, c’est oublier
le rôle de la politique des Etats capitalistes qui visent
à créer les conditions de l’obtention du profit
maximum des grands monopoles. La tendance continuelle à la
baisse de la rentabilité qui est une loi incontournable du
capitalisme, oblige dans certaines périodes à un remodelage
général des sociétés.
Dans ce siècle, nous avons connu deux grandes stratégies
économiques : le Keynésianisme (2) ou régulation
monopoliste d’Etat et le néo-libéralisme. Ni
l’une ni l’autre ne sont des « étapes »
du système capitaliste mais des réponses conjoncturelles
pour contrecarrer la crise capitaliste.
Ce sont là deux politiques économiques de l’impérialisme
qui ne constituent pas un « choix ». Contrairement à
ce que certains théoriciens du mouvement ouvrier pensent,
le néo-libéralisme n’est pas « l’idéologie
» propre à la classe bourgeoise monopoliste pas plus
que le Keynésianisme n’est la particularité
d’autres secteurs moins réactionnaires.
La preuve est que les grandes multinationales : General Motors,
Ford, Toyota, Renault etc. ont conduit ces deux politiques économiques
et ont simplement changé la donne avec une conjoncture modifiée
quand les recettes de Keynes n’étaient plus opérantes.
Les idéologues qui vantaient l’efficacité d’EDF
(France) sont prêts à entonner le bris de son monopole
d’Etat parce que la crise structurelle actuelle par son ampleur
et sa durée menace le fonctionnement général
des sociétés capitalistes.
Le néo-libéralisme est donc selon nous, la réponse
du capital financier aux développements structurels et conjoncturaux
du capitalisme.
Le grand capital n’a qu’une « idéologie
» : celle qui lui assure profit maximum et pérennisation
du système. La crise de 1929, très brutale et rapide,
aux conséquences sociales très lourdes : millions
de chômeurs, paupérisation absolue des travailleurs
dans maints pays, ruine des petits épargnants, fermetures
d’entreprise, a conduit le capital monopoliste et les gouvernements
à son service à remodeler déjà les sociétés.
Les théories de Keynes ont alors été appliquées
dans beaucoup de pays, notamment celles sur la nécessité
d’une intervention économique de l’Etat bourgeois.
Rappelons que pour Keynes, l’Etat doit se charger des dépenses
sociales (à partir des impôts sur les revenus directs
et indirects dont les travailleurs assurent la charge principale,
ce qui implique aussi un fort secteur public d’économie
(avec tarifs privilégiés pour les monopoles privés).
Ces mesures constituaient une « rupture » avec les
méthodes précédentes de « régulation
» économique fondées sur le « laisser-faire
» tempéré, il est vrai par le développement
du capitalisme d’Etat durant la 1ère guerre mondiale,
notamment dans le complexe militaro-industriel.
En quelques années, le Keynésianisme permit au capitalisme
de surmonter le gros de sa crise, au prix fort pour l’humanité
car le déclenchement de la seconde guerre mondiale est lié
étroitement aux mesures capitalistes pour relancer l’économie.
Après 1945, face à un monde dévasté,
le coût des investissements pour la reconstruction était
tel que la bourgeoisie eut recours plus que jamais à l’intervention
et à la régulation monopoliste de l’Etat, visant
à faire endosser ces frais par l’ensemble des travailleurs
par l’exploitation et le biais des impôts (directs et
indirects).
De plus alors, les conditions objectives étaient défavorables
au capital. La victoire sur le fascisme hitlérien et japonais
allait conduire à renforcer les aspirations démocratiques
et sociales, nationales-libératrices pour les peuples coloniaux,
les luttes de classe dans tous les pays allant jusqu’à
la rupture avec le capitalisme dans toute une série d’Etats
formant un vaste camp socialiste regroupant 1/3 de l’humanité.
Tous ces facteurs pris ensemble obligèrent le capital à
manœuvrer en recul. Des concessions : nationalisations, sécurité
sociale, prévoyance, droits syndicaux élargis, conquêtes
démocratiques furent arrachées par les peuples. Le
capital n’avait guère le choix pour sauver son système
de la contagion révolutionnaire : faire des « concessions
» coexistant avec la restauration de la réaction sur
toute la ligne dès que les circonstances permettaient la
contre-offensive des monopoles et de leurs Etats : guerre de Corée,
guerres coloniales conduites par la France, coups d’Etats
multiples dans le monde contre les forces de progrès, expédition
coloniale de Suez etc.
Ce « compromis » Keynésien allait durant plusieurs
décennies (les « trente glorieuses ») limiter
relativement les effets de la surproduction par l’amélioration
relative du niveau de vie dans les Etats de capitalisme développé.
Ce « compromis » était fondé sur le «
socialpartnership », c’est-à-dire, sur les accords
entre patronat et syndicats réformistes (3) basés
sur l’élévation de la productivité du
travail contre une hausse modérée des salaires, et
quelques avantages sociaux accordés pour limiter les exigences
du mouvement gréviste. Les partisans du capitalisme pensaient
alors avoir trouvé les méthodes pour résoudre
les contradictions internes du système.
La crise des années 70 continuée encore, allait montrer
le caractère peu scientifique et rationnel de ces espoirs.
« L’Etat-providence » allait voler en éclat
car la nouvelle crise de surproduction allait révéler
l’impuissance de la régulation monopoliste d’Etat,
des théories keynésiennes, à limiter puis à
stopper la crise et surtout à assurer le profit maximum en
ces temps de récession économique.
L’époque des « concessions » était
révolue, d’autant que les contre-révolutions
allaient briser l’URSS et ses alliés. Le capital se
fixait l’objectif alors de reprendre ce qui avait dû
être cédé dans un autre rapport de forces mondial.
Le néo-libéralisme allait s’imposer comme la
nouvelle politique économique des classes dominantes.
La particularité de la situation actuelle, liée à
l’ampleur planétaire de la crise est que le néo-libéralisme
est devenu le programme mondial de l’impérialisme,
tant et si bien qu’on peut parler de globalisation. En effet,
pressé par le besoin impératif de débouchés
nouveaux par la conquête de marchés, le capitalisme
étend sa sphère d’influence sur tout le globe,
toutes les activités humaines sont soumises aux lois du marché.
Les richesses produites sont accaparées par l’oligarchie
financière d’où polarisation renforcée
et inégalités croissantes : trois multimilliardaires
possèdent plus que le PIB des 48 pays les plus pauvres !
80 pays ont vu leur niveau de vie régresser à ce qu’il
était en 1980. En Afrique, la consommation a reculé
de 20 % en 20 ans ! Ce sont là parmi bien d’autres
chiffres tout aussi accablants, les résultats de la politique
néo-libérale.
I/ 2 - Les grandes lignes du néo-libéralisme
Nous avons vu que confronté à des crises structurelles
graves, le capital a toujours cherché son issue dans la restructuration
du système, dans le remodelage des sociétés
pour assurer profit maximum et sauvegarde du capitalisme.
Le néo-libéralisme indique un tournant économique
réactionnaire sur toute la ligne ; comme le Keynésianisme
cette « nouvelle » donne vise à faire payer la
crise aux travailleurs mais à un degré de surexploitation
jamais atteint.
A cette fin, il s’agit pour les monopoles, de reprendre tous
les acquis cédés dans une période d’offensive
de la classe ouvrière, de durcir les formes de domination
de classe. Ainsi, est conduite une politique de déréglementation
généralisée qui vise à modifier le contenu
de la régulation monopoliste d’Etat (cette «
déréglementation » accordant toutes les libertés
aux monopoles plus antisociale, antipopulaire, antinationale).
Pour le capital financier, l’Etat doit être entièrement
orienté vers l’application du néo-libéralisme.
Ainsi, « l’Etat-Providence » est vidé de
tout contenu, partout les dépenses sociales de l’Etat
sont limitées.
Si nous prenons le processus de privatisation des services publics,
nous pouvons mesurer ce qu’est cette « dérégulation
monopoliste d’Etat ». En France après la seconde
guerre mondiale, le capitalisme monopoliste d’Etat (CME) contrôlait
de nombreux secteurs d’activités productives, secteur
financier (banques et assurances), aluminium, chimie légère,
électronique, pétrole, gaz, électricité,
chemins de fer, transports aériens.
L’Etat était fortement implanté dans les secteurs
du verre, de l’automobile, de l’informatique où
il assurait la moitié de la production, ainsi que dans le
bâtiment, les travaux publics, la pharmacie.
Le secteur d’entreprises publiques à son apogée
représentait 18 % des salariés, chiffre descendu à
10 % (1985), actuellement avec la marche forcée aux privatisations,
conduites par tous les gouvernements successifs au-delà des
étiquettes politiques, c’est moins de 5 % des salariés
qui travaillent dans le secteur public !
Ce désengagement de l’Etat a été (et
est) spectaculaire : secteur financier, informatique, sidérurgie,
défense nationale, automobiles, téléphonie
etc. Des privatisations « rampantes » sont lancées
avec l’ouverture au capital privé, d’entreprises
nationales comme Air-France, France-Télécom ou avec
la suppression du monopole public : Electricité de France,
Gaz de France soit 550 milliards de francs de biens publics acquis
par le capital privé (en 10 ans !).
Cette politique, en pillant la propriété publique,
vise à assurer le profit maximum à des intérêts
particuliers dans des secteurs devenus juteux maintenant que la
recherche a été assurée par le financement
public : (informatique, téléphonie). De plus, les
critères de rentabilité financière sont introduits
dans les entreprises restées publiques.
Ainsi, la SNCF ne gère plus les voies ... s’occupe
uniquement des voyages ainsi la recherche exclusive de bénéfices
conduit à la fermeture de lignes peu fréquentées,
jugées « non-rentables » pourtant d’utilité
publique !
Dans le domaine de la santé, la recherche du profit conduit
à une situation sanitaire dramatique : M. Aubry annonce la
fermeture de 120 000 lits d’hôpitaux en France dans
les années à venir !
Cette déréglementation conduit aussi à la
fermeture d’entreprises en difficultés provisoires
ou de rentabilité sur moyen ou long terme. Ainsi les chantiers
navals du Havre (ACH) subventionnés par l’Etat depuis
des années sont brutalement fermés sur injonction
de Bruxelles (avec le consentement du gouvernement Jospin). C’est
toute une activité importante (la construction navale) qui
est liquidée, une nouvelle preuve de la désertification
croissante de régions entières, du point de vue économique.
Ces privatisations - au-delà de la France - concernent l’ensemble
des pays qui s’étaient dotés d’un fort
secteur public.
La déréglementation concerne aussi le droit à
l’emploi. On sait que grâce aux luttes, plusieurs constitutions
bourgeoises reconnaissent ce droit, du moins formellement. Certains
économistes baptisent la période keynésienne
: « celle du plein-emploi ». Cette appellation est pour
le moins excessive car le chômage est organique au capitalisme,
toutefois, la crise actuelle s’est traduite par un chômage
de masse. Les 500 plus grandes firmes mondiales licencient 550 000
travailleurs par an ! Les statistiques officielles dénombrent
800 millions de privés d’emploi dans le monde, partout
une partie des salariés est exclue de la production parfois
pour une longue durée voire la vie.
Les « mesures d’accompagnement » du chômage
ne sont qu’une tentative certes d’assurer un minimum
vital très bas pour ces personnes mais aussi de généraliser
et systématiser les conditions d’appartenance à
« l’armée industrielle de réserve ».
La paupérisation absolue, la marginalisation de certaines
catégories du prolétariat exclues de la production,
devient la règle y compris dans les pays de capitalisme développé.
En France, il y a environ 700 000 chômeurs de longue durée
recensés (la réalité est sûrement pire
!), 8 millions de pauvres selon les catégories du BIT. On
appelle les « SANS » tous les êtres marginalisés
par le système (sans papiers, sans logement, sans emploi,
sans aucun droit).
La mise en concurrence des salariés portée au pinacle
par les néo-libéraux induit plusieurs effets. Dans
les Etats impérialistes, pour faire baisser le « coût
du travail » les monopoles écartent tendanciellement
du travail simple, les travailleurs autochtones, recourent aux immigrés,
chassés de leur pays par la misère, les dictatures,
guerres et les menaces de famine ; ces derniers sont payés
en moyenne 30 % de moins qu’un autochtone.
Ce recours à l’immigration est une des raisons pour
lesquelles le capital diffuse racisme et discriminations par l’intermédiaire
des partis fascistes, afin de semer la graine de la discorde et
de la désunion entre prolétaires. L’autre méthode
consiste à délocaliser les entreprises vers des pays
où les salaires sont notoirement bas : Asie du Sud-Est, Europe
de l’Est, ex-Républiques soviétiques.
Toutes ces mesures visent à baisser directement ou indirectement
les salaires, d’où le phénomène de paupérisation
absolue et relative. Les capitalistes cyniquement précisent
leur objectif « la France vit un scandale économique,
social et moral en payant 20 % de la population active à
ne rien faire » (J. Gandois CNPF Le Monde 27.2.95). D’où
les attaques contre les statuts et protections en mettant en concurrence
« travailleurs statutaires » et « privés
d’emploi ».
Le but est simple : faire payer toujours plus le chômage
et l’exclusion, non par ses fauteurs capitalistes mais par
ceux qui ont un emploi ! C’est le recours à la précarité
: petits boulots, contrats à durée déterminée
(CDD), emplois-jeunes, intérims, autant de dénominations
qui camouflent une sinistre réalité : emplois sans
garantie, absence de droits syndicaux, très bas salaires
puisqu’on ne travaille pas à temps complet et non prise
en compte de l’ancienneté.
Les « emplois-jeunes » assurent parfois des tâches
incombant à des fonctionnaires mais n’en ont ni la
garantie de l’emploi, ni la grille de salaire, ni le statut
! Outre une manière de « camoufler » le chômage
et de surexploiter la jeunesse, c’est aussi une offensive
contre les statutaires que la presse, aux ordres du patronat, présente
comme « privilégiés ».
L’objectif est de niveler par le bas, non en assurant un
emploi stable et qualifié à tous les jeunes mais en
généralisant la précarité. D’ores
et déjà en France, des entreprises publiques comme
la Poste ont recours à l’intérim (30 % des emplois).
Le néo-libéralisme veut partout casser les acquis
et statuts, casser le droit syndical.
A cet égard, dans les Etats impérialistes, on observe
un développement de l’économie parallèle,
du « marché et du travail au noir » par le recours,
entre autre, aux travailleurs immigrés clandestins, véritables
esclaves modernes.
Dans un pays comme le nôtre avec les difficultés évidentes
à avoir des statistiques fiables, on évalue entre
13 à 20 % du PNB, la part des richesses produites par les
travailleurs « clandestins ». La jeunesse, les femmes,
l’immigration sont les catégories qui sont utilisées
comme cobayes par le capital pour expérimenter ce que doit
être la société dérégulée.
En France 40 % des salariés de moins de 25 ans connaissent
en emploi précaire, alors qu’un emploi sur 3 créé
est lui-même précaire !
A travers les jeunes, le capital met en place la société
capitaliste sans entraves juridiques, ni limite dans l’exploitation
qu’il construit pas à pas. Pour cela, le remodelage
des sociétés passe évidemment par un bouleversement
des conditions et formes de travail.
L’objectif affiché par les monopoles est clair : produire
plus avec moins de travailleurs ; le néo-libéralisme
va multiplier la flexibilité des horaires de travail, inspirée
des méthodes de Toyota, il s’agit d’adapter la
production et la vente de la force de travail aux besoins du marché
par l’annualisation du temps de travail.
En France, la loi Aubry communément appelée «
Loi des 35 heures », loin d’être une avancée
sociale, est en réalité une contre-réforme
qui vise à la casse des acquis sociaux, à l’instauration
d’une déréglementation générale
des conditions de travail. Le pire est qu’ainsi est détournée
l’aspiration légitime des salariés à
la réduction réelle du temps de travail, sans baisse
du salaire.
Examinons brièvement quelles sont les conséquences
d’une telle loi : avec les « 35 h » en moyenne
annuelle, toutes les conventions collectives ont été
rendues caduques et les dispositions substituantes sont loin d’offrir
les mêmes garanties, les horaires hebdomadaires journaliers
sont variables, certains jours de congé sont pris en compte
dans la moyenne annuelle (« jour à zéro heure
»), les heures supplémentaires dans la plupart des
cas n’en sont plus et entrent en compte dans le calcul annuel.
Le maintien des salaires est garanti dans certains accords mais
sans préciser sur la base des 39 heures précédentes
... ce qui ouvre la voie à des interprétations restrictives,
d’autant que certains accords de branche stipulent des «
baisses acceptées de salaire ... contre la création
d’emplois ».
En fait, cette loi, comme le préconise le néo-libéralisme,
permet au patronat de baisser les salaires réels, «
de lutter » contre le chômage par un partage du travail
existant, de lever les contraintes (pour le capital) journalières
et hebdomadaires. Déjà chez Simca, on a expérimenté
la journée de 10 h de travail, liquidant au passage un des
plus anciens acquis sociaux : la journée de 8 h !
Grâce à cette « loi Aubry » un lien décisif
pour la bourgeoisie monopoliste s’opère entre l’accroissement
du taux de profit par l’utilisation plus intensive et extensive
des équipements et la pression vers le bas des salaires et
pensions (c’est-à-dire du taux auquel est rémunérée
la force de travail).
Dernier volet, on le voit accompagnant la flexibilité, c’est
l’austérité, politique mise en œuvre depuis
au moins deux décennies mais qui va en s’aggravant
au fur et à mesure de l’offensive néo-libérale.
Pour réaliser de tels objectifs qui constituent un véritable
recul de civilisation, l’Etat bourgeois voit son rôle
économique non pas diminué mais modifié. La
période keynésienne, les théories sur «
l’Etat-providence » ont fait naître des illusions
à caractère réformiste sur la nature de classe
de l’Etat.
Dans les années 60, des théoriciens du mouvement
ouvrier avançaient la thèse que « l’Etat
sous le CME n’est pas seulement la propriété
du capital mais aussi l’expression du rapport de forces entre
les classes antagoniques ». En somme, les luttes pouvaient
aboutir (sans transformations sociales et révolutionnaires)
à modifier, infléchir le pouvoir de classe du capital.
« L’Etat-providence » était conçu
dans cet ordre d’idées comme un stade irréversible
atteint par le capitalisme, garantissant un certain niveau de vie
même si les injustices et les inégalités persistaient,
justifiant ainsi les options du réformisme syndical, politique.
La crise de surproduction et la politique néo-libérale
ont montré le peu de consistance scientifique de ces «
théories » même si des illusions sur le Keynésianisme
persistent encore.
Il est bon de rappeler que les enseignements de Keynes ont permis
la mise en place par l’oligarchie financière d’une
politique assurant par l’exploitation salariale, le pillage
(néo) colonial des Etats dépendants, le profit maximum
des monopoles, politique certes moins brutale que l’actuelle
option néo-libérale mais qui concourait aux mêmes
objectifs de classe.
Les Entreprises d’Etat nationalisées n’étaient
nullement des « ilôts de socialisme » mais du
capitalisme d’Etat, même si toutefois - période
de concession oblige - les garanties, droits, acquis des personnels
étaient souvent plus élevés que dans les monopoles
privés. Rappelons que les acquis, salaires étaient
d’ailleurs financés à la fois par le pillage
et la domination impérialiste et par le budget d’Etat
et les ponctions sur les revenus des travailleurs par l’imposition.
Si les traits permanents du capitalisme se retrouvent tant dans
le Keynésianisme que le néo-libéralisme (plus-value
accaparée par le capital, propriété privée
des moyens de production et d’échange, exploitation
de l’homme par l’homme, contradiction entre le caractère
social de la production et la propriété monopoliste
etc.) leurs différences, non dans l’objectif stratégique
mais dans les méthodes, les formes, les rythmes naissent
dans la modification du rapport de force mondial : offensive ouvrière
et populaire d’où réforme keynésienne,
offensive du capital d’où néo-libéralisme.
Ce terme d’offensive ne signifiant pas que le capital ne
rencontre plus d’obstacles, au contraire, la crise le pousse
à des options antipopulaires qui peuvent mettre en péril,
à terme, son édifice politique de domination. Le passage
d’une politique à l’autre a été
rendu nécessaire par la crise de la régulation monopoliste
d’Etat (CME) impuissante à empêcher ou enrayer
la crise de surproduction. Dès lors, le néo-libéralisme
s’il modifie certaines fonctions de l’Etat bourgeois,
ne les supprime pas.
Le CME (capitalisme monopoliste d’Etat) d’ailleurs
n’est pas un « stade suprême du stade suprême
impérialiste » comme certains le pensaient mais une
politique conjoncturelle découlant du rapport de forces.
Nous laissons aux spécialistes le soin de déterminer
si le CME persiste ou non, en tous les cas avec le néo-libéralisme
nous avons évoqué précédemment une «
dérégulation monopoliste d’Etat » car
la politique réactionnaire du capital est conduite avec toute
l’autorité et la puissance de l’Etat des monopoles.
L’Etat, par l’intermédiaire des gouvernements
à son service, fait appliquer et systématiser les
mesures monétaristes et néo-libérales, dans
chaque pays : déréglementations, austérité,
flexibilité, précarité, chômage massif.
En France, par exemple, l’Etat est aujourd’hui le premier
utilisateur de travail précaire : 1/3 des emplois à
la Poste, 1/6 à l’Education Nationale …
L’Etat est pionnier dans la réduction des dépenses
sociales (Sécurité Sociale), à « laisser-faire
» les fermetures d’entreprises, à préparer
les projets de retraite par capitalisation, à privatiser
progressivement la Sécurité Sociale, à préparer
un projet de loi sur l’épargne obligatoire pour détourner
une partie des salaires vers la spéculation boursière
et les fonds de pension américains ou autres.
Les aides publiques de l’Etat au capital privé deviennent
la règle budgétaire :
+ 300 milliards de francs en 5 ans. L’Etat français
s’inscrit dans la politique de partage du monde entre grandes
puissances impérialistes (ce qui ne supprime pas luttes féroces
et concurrences entre eux) et permet la casse des secteurs jugés
« non rentables » afin de promouvoir une politique des
« créneaux » avec ses rivaux : c’est par
exemple la liquidation de la sidérurgie et du textile en
France.
L’Etat propose les « plans sociaux » divers pour
les personnels licenciés et prend les « aides »
sur le budget public. On voit donc que l’intervention économique
de l’Etat demeure sous le néo-libéralisme et
que les phrases des idéologues sur le « moins d’Etat
» ne sont que billevesées.
Cette politique néo-libérale constitue nous l’avons
vu une réponse conjoncturelle à la crise économique
actuelle pour conjurer son explosion par des krachs ou toute autre
manifestation aiguë de ce mal organique, les contradictions
ne sont en rien atténuées et sont même aggravées
tant le caractère inhumain et les limites historiques du
capitalisme apparaissent avec clarté (pour qui veut bien
le voir).
Pour encadrer et réprimer les travailleurs, les Etats bourgeois
développent les appareils coercitifs : armée, police,
gendarmerie, justice, à un degré jamais atteint. De
l’héroïque grève des mineurs britanniques
aux syndicalistes des forges de Clabecq, toute la puissance répressive
de l’Etat est mise en branle pour écraser les luttes
ouvrières.
En Turquie, la bourgeoisie pratique une politique de terreur ouverte
contre le mouvement syndical, en France sous la présidence
du socialiste Mitterrand, ce sont plus de 100 000 délégués
syndicaux qui ont perdu leur emploi dans les années 80, 70
000 ces cinq dernières années.
La politique de globalisation capitaliste conduit l’armée
des grandes puissances impérialistes, Etats-Unis en tête,
à endosser plus que jamais le rôle de gendarme du capitalisme
contre les pays récalcitrants à des degrés
divers au « nouvel ordre mondial » : Irak, Yougoslavie.
Les Etats impérialistes veillent aussi à l’application
des sanctions économiques : embargo, blocus contre les Etats
qui refusent la globalisation capitaliste comme Cuba. Si la globalisation
(nous le verrons dans la seconde partie) conduit au nom de la toute
puissance des sociétés multinationales à s’attaquer
aux souverainetés nationales y compris des Etats développés,
à recoloniser le « Tiers-Monde », ce n’est
d’ailleurs pas contre les bourgeoisies « nationales
» mais avec leur assentiment, et cela ne supprime pas les
fonctions politiques et économiques des Etats nationaux (au
moins pour la forme sinon par le contenu).
Le néo-libéralisme ne signifie pas non plus, l’emploi
unique des méthodes de coercition. Des « concessions
» sont encore opérées, il est vrai moins adressées
aux classes et couches sociales, en tant que telles qu’aux
individus », d’où le syndicalisme « rapproché
», de « l’individu » vanté par les
bureaucraties réformistes.
Quelles sont les formes prises par ces « concessions »
? Tout d’abord la recolonisation en marche du « Tiers
Monde » par la surexploitation des peuples permet de maintenir
un certain standing de vie à certaines catégories
de salariés. C’est flagrant aux Etats-Unis où
la dette des ménages dépasse la dette publique mais
aussi dans les autres pays par l’octroi de « sinécures
» de fonctions d’encadrement de toutes sortes pour certains
syndicalistes ou élus qui forment une bureaucratie ouvrière
« au-dessus » de la classe prolétarienne et qui
par ses aspirations s’apparente à la petite-bourgeoisie.
C’est ensuite le recours massif à l’actionnariat
des salariés dans les pays impérialistes qui touche
notamment les travailleurs des entreprises anciennement nationalisées
pour lier les personnels actionnaires aux résultats de «
leur » entreprise.
Si cela ne constitue pas des gains très substantiels, se
diffuse cependant une mentalité là aussi petite-bourgeoise
dans la classe ouvrière ; cf. aussi les fonds de pension
qui pillent une partie du salaire en actions-partie du capital des
sociétés, ce qui accroît la dépendance
des travailleurs vis à vis de ce même capital : une
grève peut alors entraîner une chute de la valeur boursière
des actions !
L’objectif pour les multinationales est stratégique
: intégrer la classe ouvrière par « l’empetit-bourgeoisement
» de ces couches supérieures aux vues et objectifs
du capital. C’est-à-dire, généraliser
et globaliser la politique conduite aux Etats-Unis envers les ouvriers
blancs.
Même dans un pays comme la France avec ses traditions de
lutte de classes, ces mesures ne sont pas sans effet : 80 % des
salariés de France Télécom ont des actions,
il y a au total 6 millions d’actionnaires (même chiffre
qu’en 1985) mais plus « populaires » qu’auparavant.
Bien sûr, cela ne change rien quant au fond à la propriété
des monopoles mais retarde la prise de conscience et peut créer
des illusions sur le système capitaliste, c’est là
un chantier important du syndicalisme révolutionnaire.
De plus, la montée des services, la désectorisation
de certains monopoles et la création ainsi de PME (petites
et moyennes entreprises : 5 millions en France), filiales ou sous-traitants
de ces monopoles, favorise le développement de nouvelles
couches moyennes qui constituent une base sociale pour le réformisme
et l’allégeance au capital.
Dans les pays en voie de recolonisation, la domination impérialiste
cherche un soutien dans la bourgeoisie grande et moyenne devenue
compradore et s’enrichissant comme « intermédiaire
» dans l’échange inégal.
Enfin, dans le monde entier, le parasitisme croissant du capitalisme
se reflète dans le laxisme des Etats vis à vis de
« l’argent facile » des trafics divers : drogues,
armes, prostitution. On assiste à l’élargissement
du Lumpen-Prolétariat composé d’éléments
voués à une misère extrême et qui pour
survivre, croient trouver leur planche de salut dans des activités
illicites gagnant en quelques heures le salaire mensuel d’un
ouvrier ; c’est là aussi une forme non négligeable
de corruption des travailleurs, d’autant que prospérant
dans l’économie parallèle, le Lumpen-Prolétariat
est prêt à servir les basses besognes du régime
capitaliste.
Parallèlement, le capital a besoin de soutien social et
politique au sein du mouvement ouvrier. Le néo-libéralisme
cherche aussi l’appui du réformisme syndical et politique.
La crise économique a provoqué une crise du réformisme
qui avait particulièrement vu grandir son influence sous
la politique de régulation monopoliste d’Etat dite
« Etat Providence ». La politique de compromis mettait
en avant les organisations syndicales signatrices d’accords
dont le contenu au-delà de quelques miettes accordées,
allait dans le sens du renforcement des cadences productives dans
les usines !
La ligne du refus des concessions financières limite l’espace
traditionnel accordé au réformisme, ce dernier a donc
dû s’adapter, suivre le tournant réactionnaire
et se transformer en syndicalisme d’accompagnement, ouvertement
pro-patronal.
Dans ces conditions, en effet, les organisations réformistes
deviennent purement et simplement des chambres d’enregistrement
et des caisses de résonance de la politique des monopoles.
La collaboration de classe est prônée et présentée
comme le dernier cri de la « modernité ».
Les conditions objectives aggravées pour la classe ouvrière
et les salariés mettent en péril à terme, l’influence
de masse d’un réformisme voué à signer
des accords entérinant la régression sociale et montrant
ainsi l’inefficacité de la collaboration de classe.
C’est la raison pour laquelle le patronat cherche avant tout
à faire pénétrer par ses agents, les organisations
syndicales révolutionnaires, de façon à infléchir
leur cours dans le sens réformiste, en s’appuyant principalement
sur les éléments bureaucratisés et en créant
des structures communes de « dialogue Employeurs-Employés
» à l’instar de « Confrontations »
(4) en France. Une fois le syndicalisme, à l’origine
de lutte et de masse, intégré au capital, il y aurait
pour le capital, réussite dans l’objectif de recomposition
syndicale générale réformiste, assurant ainsi
tranquillité et pérennité au système
d’exploitation.
Le syndicalisme révolutionnaire est donc à la croisée
des chemins. Les restructurations industrielles, la pression du
chômage ont créé aux travailleurs et aux syndicalistes
des difficultés nouvelles avec un rapport de forces international
plus défavorable. Partout cependant existent des forces de
résistance, conduisant même une véritable contre-offensive
prolétarienne comme en Corée du Sud, Indonésie,
Turquie. Là est l’avenir, non dans la résignation
mais dans le déploiement des luttes. Il faut dépasser
et vaincre nos insuffisances (provisoires) :
1°/ - à co-organiser les luttes au plan international,
à faire vivre en pratique la solidarité de classe
dans les maisons-mères des métropoles et dans les
filiales des pays dominés,
2°/ - sur le plan national, à fédérer
les luttes encore dispersées, à vaincre le corporatisme
pouvant encore subsister,
3°/ - à conduire un combat théorique et pratique
incessant contre le réformisme tout en visant à arracher
les masses à des chefs intégrés au système
par l’unité d’action sur des bases de classe
et une plate-forme clairement revendicative.
Pour cela, il faut ne pas se tromper de cible. Le néo-libéralisme
n’est pas un stade du capitalisme « indépassable
», il n’est pas non plus une dérive financière
par rapport au « bon vieux temps » du capitalisme industriel
: mais l’adaptation des lois permanentes du capitalisme à
la conjoncture actuelle.
Déjà, certains idéologues néo-libéraux
comme Jeffrey Sachs préconise face aux conséquences
du krach financier en Asie de « nationaliser les banques y
compris au Japon ».
La pause relative dans la crise largement fondée sur une
reprise économique artificielle et fragile pousse certains
économistes à renouer avec Keynes, ce n’est
pas encore le courant dominant certes mais il faut être attentifs
d’autant que certains progressistes prônent une «
économie régulée », une « spéculation
contrôlée », la « démocratisation
des organismes financiers supranationaux » et ouvrent ainsi
sur fond d’échec du néo-libéralisme,
la voie du retour à la politique économique précédente
pour mieux assurer le profit maximum et sauver l’impérialisme.
Nous ne devons pas viser à aménager « socialement
» un système dans l’incapacité de satisfaire
les besoins sociaux, matériels, culturels, d’assurer
le minimum vital à la majorité des habitants du globe,
un système où une oligarchie s’enrichit de plus
en plus et où les travailleurs se paupérisent.
Notre cible bien comprise, ce n’est pas telle ou telle politique
du capital mais bien le capitalisme dans son ensemble, puisque nous
vivons la contradiction fondamentale entre les possibilités
objectives de satisfaire tous les besoins (grain à moudre
pour le syndicalisme révolutionnaire) et l’incapacité
historique du capitalisme à satisfaire ces besoins :
2 milliards d’individus sont privés d’eau potable
1 milliard de personnes sont menacées par la famine et
la malnutrition
développement foudroyant du sida en Afrique qui crée
une pandémie de masse, menace pour l’existence humaine
II/ - Globalisation et mondialisation capitaliste
« Le processus de mondialisation marque le début de
la fin du système national en tant qu’alpha et oméga
des activités et des stratégies planifiées
par l’homme »
- Ricardo Petrella -
« Les capitalismes nationaux sont caducs, on constate l’inanition
des pouvoirs publics, les Etats ne défendent plus les intérêts
des citoyens » - Sous-Commandant Marcos -
Il est frappant (et curieux) de constater que deux personnalités
aussi différentes et contrastées aboutissent au même
constat : fin des Etats-nations et des économies nationales
avec toutefois davantage de prudence pour le thuriféraire
du système qui parle seulement de « début de
la fin ».
La mondialisation fait couler beaucoup d’encre, ce n’est
en effet pas une question secondaire puisque de son analyse découle
l’appréhension du monde contemporain et la stratégie
pour le transformer.
II/ 1 - Mondialisation et limites de la mondialisation
Les thèses avancées dans le mouvement ouvrier peuvent
être synthétisées ainsi (provenant de divers
courants politiques et syndicaux). « Le nouvel ordre, c’est
l’unification du monde en un unique marché »
; « on assiste à un procès d’autonomisation
des multinationales par rapport à leurs Etats nationaux ».
Rappelons que toute conclusion hâtive dans l’étude
d’un phénomène outre les conséquences
négatives dans la pratique, peut involontairement servir
les objectifs du capital, qui en diffusant la vision d’un
monde déjà mondialisé vise à semer résignation
et à justifier le néo-libéralisme prétendu
conséquence de la mondialisation.
Ce qui est sûr, c’est que nous vivons un phénomène
de globalisation capitaliste, c’est-à-dire une politique
définie par les plus puissants Etats impérialistes
avec leurs multinationales, pour être appliquée partout
dans chaque pays, les Etats-Unis jouant le premier rôle.
Cette globalisation est la voie capitaliste pour malgré
la crise, assurer le profit maximum. Ces multinationales sont aux
avant-postes pour conduire la surexploitation : licenciements massifs,
intensification du travail, « toyotisme », flexibilité,
précarité et éclatement des conventions collectives
ou statuts, achats d’entreprises anciennement nationalisées.
Le néo-libéralisme pas plus que la politique keynésienne
n’atténue les contradictions internes et externes du
capitalisme, comme nous l’avons vu. La crise financière
en Asie montre les limites du néo-libéralisme. La
suraccumulation de capitaux a provoqué - notamment chez les
« Dragons », ces Etats d’Asie dont le système
vantait la « réussite économique » pour
justifier le capitalisme : krach et ruine de millions d’épargnants.
Nous avons là une contre-publicité vivante pour les
défenseurs des fonds de pension.
Des résistances populaires ont surgi, parfois spontanément,
et ont adopté des formes de lutte violentes quasi insurrectionnelles
: Thaïlande, Indonésie, Corée du Sud, Philippines
... Nous avons là plusieurs objections aux tenants d’une
économie mondialisée achevée, sans rôle
significatif des Etats-Nations : quand le capitalisme est malade,
des maillons faibles apparaissent correspondant à des économies
et à des Etats nationaux, la colère, les grèves,
l’opposition à la crise capitaliste surgissent avant
tout aussi nationalement.
Autre preuve que le monde n’a pas épuisé le
rôle des nations, ce sont les contradictions aiguës qui
surgissent entre Etats nationaux surtout impérialistes, exprimées
parfois par des accents guerriers.
« Nous devons maintenir en place les mécanismes destinés
à dissuader nos rivaux potentiels ne serait-ce que d’aspirer
à un rôle régional ou mondial plus important
». (Directives du Pentagone 1994/99). Ou ces déclarations
du Président Bush, survenues juste après la disparition
de l’URSS, « maintenant, l’ennemi public n°
1 est le Japon » ; les déclarations contre l’Union
Européenne ne manquent pas non plus « Nous devons empêcher
l’Union Européenne de contester notre suprématie
mondiale » (Déclaration du Pentagone).
Ces contradictions interimpérialistes pour la conquête
de l’hégémonie portent à un degré
supérieur le danger de guerre directement entre grandes puissances,
ou par pays interposés. Le capitalisme reste bien la source
matérielle, objective des guerres. Dans les tentatives actuelles
de repartager le monde à leur profit, les impérialismes
coalisés et concurrents ont jusqu’ici déchaîné
la violence contre les « Etats-voyous », curieux et
inadmissible concept qui désigne les Nations-Etats récalcitrants
à des degrés divers à la mise en place du nouvel
ordre mondial impérialiste.
Nous avons là, la justification des agressions criminelles
contre l’Irak et la Yougoslavie qui sont aussi des «
guerres » de rivalité entre grandes puissances où
chacun essaye de placer des pions, de conquérir des marchés,
au détriment des autres.
La globalisation ne peut donc être comprise comme l’extinction
des Etats et Economies nationaux, là aussi, nous sommes confrontés
à une politique du capital qui peut être mise en échec
nationalement, ce n’est donc pas un processus inéluctable
puisque plus que jamais l’inégalité de développement
économique entre pays persiste, occasionnant l’apparition
de maillons porteurs de contradictions explosives. Plusieurs mythes
entretenus par les idéologues du capital et le réformisme
tombent :
celui d’un « co-développement » grâce
aux « pays riches » et « profitables aux deux
parties ».
L’impérialisme, au-delà des déclarations
démagogiques, ne favorise pas le développement industriel
du Tiers-Monde. Les fermetures d’entreprises, les délocalisations
touchent aussi ces pays dès lors qu’ils deviennent
de potentiels concurrents (Corée du Sud : secteur électro-ménager,
automobile) où que la classe ouvrière y lutte pour
l’amélioration de ses conditions de travail et salaires.
En fait, l’impérialisme ne « développe
» l’industrie dans les pays du Tiers-monde » qu’à
deux conditions :
- que cela lui assure des surprofits
- que le développement du pays soit relatif et limité
(et fixé par la puissance oppressive).
Comment, alors que l’impérialisme recolonise certains
Etats, en domine d’autres, que ces mêmes pays impérialistes
se livrent une guerre commerciale impitoyable pour le seul bénéfice
de « leur pays », parler d’une économie
« mondialisée », il faut plutôt parler
d’extension des économies impérialistes «
nationales » et des rapports de production capitaliste à
tous les continents, à tous les pays.
Face à toutes les campagnes annonçant l’avènement
du « village-monde », les courants réformistes
de gauche diffusent l’idée, parfois avec succès
(« Monde Diplomatique », organisation ATTAC, projet
de Taxe Tobin) de corriger les excès du mondialisme, du néo-libéralisme,
ou de « l’ultra-libéralisme » en prônant
:
a/ la « formation de grands blocs économiques politiques
face aux Etats-Unis
(cf. théorie du philosophe français Pierre Bourdieu),
b/ en « démocratisant » les organisations internationales
de l’impérialisme.
Nous allons tenter de démontrer que c’est une méconnaissance
totale de l’impérialisme contemporain dominé
par une poignée d’Etats.
II/2 - Contribution à l’analyse de l’impérialisme
aujourd’hui
Le capitalisme demeure au stade impérialiste-monopoliste
de son développement.
Première caractéristique : l’internationalisation
croissante de la production.
Ce phénomène n’a pas débuté avec
la « mondialisation » ou la « globalisation »,
il a sa source dans l’essor économique et le développement
capitaliste naissant de certains Etats européens dès
le 16ème siècle. Ce phénomène a pris
une ampleur remarquable avec la formation du stade impérialiste
du capitalisme, voici plus de 100 ans.
Cette internationalisation se traduit par les échanges économiques,
culturels, humains (inégaux). Nous avons là aussi
un phénomène qui n’est pas intrinsèquement
l’apanage du capitalisme. Les échanges internationaux
existaient sous le féodalisme, l’internationalisation
peut aussi servir de cadre au développement égalitaire
des nations sous un régime débarrassé de l’exploitation
de l’homme par l’homme, avec la propriété
sociale des moyens de production, une planification mondiale et
une division internationale du travail contractuelle qui permettraient
enfin à l’humanité de rompre avec la misère,
le chômage, la famine et l’analphabétisme.
L’internationalisation croissante est aussi la marque de
la contradiction fondamentale entre le caractère de plus
en plus social des forces productives et l’appropriation de
plus en plus oligarchique de la plus-value.
Certains traits de ce phénomène sont, ou modifiés,
ou nouveaux :
le marché financier est maintenant relativement mondialisé
(relativement car seuls quelques Etats ont un marché financier
!), sur fond de luttes aiguës et de développement inégal
entre places boursières, de fusions et acquisitions, trois
places boursières sont dominantes : New-York, Tokyo, Londres,
grâce aux moyens de télécommunication moderne,
les échanges financiers sont devenus instantanés,
ce qui accentue et accélère l’exportation des
capitaux (la prédominance de l’exportation des capitaux
sur celle des marchandises est un trait organique de l’impérialisme),
la finance (capitalisation boursière) attire les hauts
salaires mais aussi l’actionnariat ouvrier (à caractère
souvent imposé, il est vrai), tant et si bien que dans les
grands Etats impérialistes, la bourse devance les banques
comme principal moyen d’investissement !
le profit maximum reste l’objectif fondamental des monopoles
mais sa recherche à court terme, voire immédiate,
devient décisive dans la stratégie des entreprises,
d’où accentuation de l’internationalisation de
la spéculation financière.
Ces données modifiées ou nouvelles confirment et
renforcent la suprématie du capital financier, l’hégémonie
de l’oligarchie financière dans les Etats capitalistes,
une oligarchie d’Etats dominant le monde et se « partageant
» selon leur poids respectif les organismes financiers supranationaux
: FMI, OCDE, OMC, Banque Mondiale etc., les Etats-Unis gardant,
nous le verrons ainsi l’hégémonie mondiale.
Autre donnée modifiée, elle concerne l’internationalisation
du procès de travail. Le Net s’il permet des transactions
de toutes sortes et peut même provoquer des tempêtes
boursières dans la « nouvelle économie »
(cf. Iloveyou), favorise une gestion internationalisée des
Entreprises, où la maison-mère qui a son siège
dans tel ou tel Etat impérialiste va désectoriser
ses activités dans des filiales dans d’autres Etats
souvent dépendants, ce qui occasionne délocalisations
dans le pays de la « maison-mère » et gestion
centralisée des filiales quasi immédiate par le moyen
de l’informatique.
Les sociétés multinationales gèrent donc leurs
entreprises, de leur siège social à l’échelle
continentale voire mondiale. Si nous prenons l’exemple de
Ford, un holding a été créé pour coordonner
toutes les activités en Europe (idem pour General Motors).
Ainsi, les entreprises à l’étranger se transforment
en « sites spécialisés » sur la base d’une
division du travail très poussée, le centre décisionnel,
même pour les petites opérations se localisant au siège
social, d’où dépendance accrue des filiales
par rapport à la multinationale, cette dépendance
concourant aussi à empêcher une politique anticapitaliste
alternative ; imaginons un gouvernement nationalisant telle filiale,
quelle utilité nationale et sociale peut avoir une usine
fabriquant exclusivement des esssuies-glaces d’une Ford produite
dans des dizaines de pays !
La division entre maison-mère et filiales grandit tant et
si bien que le commerce inter-firme (principalement américaines,
japonaises, allemandes) représente maintenant 1/3 du commerce
mondial. La maison-mère gardant la maîtrise de toute
la production et du commerce est rattachée à son Etat
impérialiste qu’elle sert.
L’Etat capitaliste national continue à gérer
les intérêts collectifs de la bourgeoisie monopoliste
; par exemple, Washington sert ses multinationales mais arbitre
les rivalités, si nécessaire, entre Ford et General
Motors qui ont d’ailleurs leurs avocats et représentants
directs dans l’appareil d’Etat.
Comme nous l’avons montré, le néo-libéralisme
et l’internationalisation croissante ne modifient pas le rôle
de l’Etat capitaliste (national) qui demeure l’organisateur
collectif de la classe capitaliste et subordonne les intérêts
d’un monopole fut-il tout puissant aux intérêts
de l’ensemble des monopoles (cf. Procès à Micro-Soft
et à Bill Gates).
Avec l’impérialisme, certains monopoles internationaux
jouent un rôle premier dans la mise en valeur de la politique
de leur Etat bourgeois en contribuant à l’assujettissement
de tel Etat dépendant, Elf, Total sont une des armes de l’impérialisme
français pour contrôler sa zone néo-coloniale.
Les moyens de pressions des Etats impérialistes se sont
accrus grâce à l’instantanéité
des échanges financiers, puisque des multinationales, des
banques nationales ou continentales, des Etats peuvent sanctionner
par la spéculation financière, la fuite immédiate
des capitaux, toute politique gouvernementale d’un autre Etat
jugée contraire aux intérêts de la globalisation
capitaliste.
Cette instantanéité n’a pas d’ailleurs
que des avantages et aggrave certaines contradictions du capitalisme
puisqu’elle a largement favorisé le krach asiatique
en soufflant la panique d’où les propositions, même
de certains néo-libéraux, de réglementer internationalement
les marchés financiers.
Le processus d’internationalisation ne conduit pas actuellement
à l’effacement des origines et du caractère
nationaux des grandes firmes qui restent contrôlées
majoritairement par des actionnaires du pays d’origine.
De plus, si le commerce et les investissements s’internationalisent,
la plus grande proportion des avoirs et de leurs ventes se situent
dans le pays d’origine. Selon les experts entre 70 et 75 %
de la valeur ajoutée des multinationales a été
produite dans le pays du siège social.
Sur les 100 firmes les plus actives à l’étranger,
18 seulement y ont la majorité de leurs avoirs ; s’avère
également un mythe, le prétendu « management
internationalisé » ; dans les 500 plus grandes entreprises
américaines, 2,1 % des membres des conseils d’administration
sont étrangers.
Certes, les Etats-Unis usent d’un protectionnisme qu’ils
combattent chez les autres, mais même si la participation
étrangère est plus grande dans les firmes de l’UE
(mais pas au Japon), les conseils d’administration restent
sous le leadership des capitalistes nationaux.
Autre fait qui souligne le caractère encore « national
» des capitalismes développés, les pratiques
financières, commerciales sont définies par chaque
Etat, pour favoriser ses entreprises locales, y compris dans l’UE
où derrière « l’Union » officielle,
agissent les rivalités.
On voit même certains hommes d’Etat lors de leurs déplacements
officiels endosser le rôle de représentants de commerce
de leurs monopoles nationaux (cf. le Président Chirac pour
l’Airbus ou le TGV !). Les garanties, exonérations,
tarifs préférentiels dont bénéficient
les grandes firmes sont accordés et fixés par les
Etats ; de même, la majeure partie de la recherche, de l’espionnage
industriel s’effectue au profit de « sa » nation.
Les coopérations dans ce domaine ne s’exercent qu’une
fois que le plus fort ait imposé le prix de monopole pour
tirer de substantiels profits, même les projets européens
communs se placent sous la domination de tel ou tel Etat dans tel
ou tel secteur.
La conjoncture (menace de krach) a même obligé les
100 plus grandes firmes mondiales à réduire leurs
activités à l’étranger en raison des
conditions économiques dégradées et incertaines,
des révoltes sociales dans certains Etats néo-colonisés
ou dépendants.
Cela appelle plusieurs réflexions : le processus de mondialisation
est une tendance du développement économique, existent
des limites objectives qui constituent une contre-tendance qui sont
suffisamment fortes pour qu’on conclut que le procès
de mondialisation est loin d’être achevé.
De plus, le néo-libéralisme globalisé se trouve
confronté à l’aiguisement des contradictions
qu’il engendre en raison de sa politique, ainsi la recolonisation
en marche du « Tiers-Monde » contrecarre cette mondialisation
vantée par les thuriféraires du capital, en ruinant
certaines économies nationales poussant les monopoles, parfois
au redéploiement intérieur (cf. les dévaluations
de la monnaie de 50 à 60 % en Asie du Sud-Est).
Le mode de production capitaliste se caractérise encore
à l’échelle mondiale par la domination d’une
poignée d’Etats impérialistes (les mêmes
puissances qu’au début du 20ème siècle,
dans une hiérarchie modifiée). La haute technologie,
la recherche sont concentrées dans 5 Etats (+ 80% des brevets
mondiaux).
Les IDE (investissements directs à l’étranger)
ont augmenté 5 fois plus rapidement que la valeur de la masse
commerciale, 10 fois plus que la production industrielle depuis
15 ans. Ces IDE concernent surtout des portefeuilles spéculatifs
(recherche du profit maximum immédiat), ce qui aggrave les
fluctuations et les tempêtes boursières, provoquant
krach ou risque de krach, hier l’Asie, demain la Russie, le
Brésil ... ? Nous avons là un facteur d’aggravation
de la crise structurelle du capitalisme.
Les IDE mettent en mouvement la plus grande masse financière
jamais atteinte, en 1995 les IDE se sont montés à
230 milliards de dollars mais ont rapporté 5 200 milliards
de dollars !
Les valeurs et rentrées financières sont concentrées
dans 5 puissances : Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni
à hauteur de 65 % des transactions mondiales ; avec inégalités
entre eux puisque les Etats-Unis à eux seuls totalisent 25
% des transactions mondiales, 6 % des IDE proviennent d’Etats
du Tiers-Monde.
Cette décennie, les IDE des Etats impérialistes en
direction de « Tiers-Monde » ont été multipliés
par 5, l’Asie étant à 70 % la cible de ces transactions.
L’Afrique est un continent laissé pour compte avec
seulement 4 % du montant des IDE (essentiellement en Afrique du
Sud ou dans les Etats pétroliers). L’Europe Centrale
et de l’Est n’est pas mieux lotie avec 6,5 % des IDE.
De tous ces chiffres, nous pouvons tirer plusieurs leçons
: la loi capitaliste-impérialiste du développement
inégal persiste plus que jamais et va même en s’aggravant.
On est donc encore loin d’une économie mondiale et
intégrée ou d’une « inégalité
relative dans le développement mondial ». Les IDE revêtent
surtout un caractère essentiellement spéculatif :
90 % des IDE nord-américains concernent des rachats, des
prises de part liées aux privatisations.
Lorsque les IDE se déploient dans la production, ils ne
touchent que des pays où les salaires sont plus bas que dans
le pays d’origine. Ainsi l’heure moyenne de travail
est payée 1,5 dollar en Europe de l’Est contre 26 dollars
en Allemagne ; ce qui explique la pénétration économique
de l’impérialisme allemand dans cette zone.
Toutefois, les IDE ne sont qu’une partie minime de la spéculation
financière, puisque chaque jour dans les principales places
boursières sont échangées 1 230 milliards de
dollars de devises (5 fois environ le budget annuel de la France
!).
Ce cancer financier obtenu au détriment de la satisfaction
des besoins souligne plus que jamais le caractère parasitaire
du capitalisme.
L’accroissement du volume des opérations bancaires
est supérieur au volume du commerce mondial, sur 70 dollars
échangés au marché des devises, 1 seul paye
l’échange de marchandises ou de services.
Le commerce mondial des marchandises atteint 3 000 milliards de
dollars, alors que les obligations liées aux crédits
bancaires ou boursiers atteignent 75 000 milliards de dollars !
preuve aussi du caractère pourrissant de ce système
dominé par le capital financier et une oligarchie financière.
II/3 - Les multinationales et les Etats nationaux
Certains théoriciens du mouvement ouvrier défendent
l’idée que les multinationales détruisent les
fonctions de l’Etat-nation et sont les véritables maîtres
du monde.
Certes l’économie contemporaine confirme largement
la caractéristique selon laquelle l’impérialisme
est le capitalisme de monopoles, qu’il signifie centralisation
et concentration du capital.
En 1969, on comptait 7 300 sociétés multinationales
; actuellement ce sont 37 000 firmes multinationales qui opèrent
dans le monde, marque de l’internationalisation croissante
des forces productrices.
Sur les 200 plus grands monopoles mondiaux, 166 (83 %) appartiennent
aux 5 plus grandes puissances impérialistes (cf. tableau
ci-dessous).
PAYS
|
FIRMES
|
PRODUIT
BRUT
(Milliards de $) |
Etats-Unis
|
80
|
1 305,5
|
Japon
|
35
|
657,3
|
Royaume-Uni
|
18
|
264,7
|
Allemagne
|
17
|
207,5
|
France
|
16
|
182,6
|
Notons que l’UE compte 64 firmes, ce qui souligne ses potentialités
de rivale des Etats-Unis. Toutefois, ce chiffre ne tient pas compte
du fait qu’actuellement, ces monopoles agissent principalement
pour les intérêts impérialistes de « leur
» Etat.
Ces 200 oligopoles réalisent 30 % du Produit Mondial Brut.
Précédemment, nous avions évoqué le
rapport entre « maison-mère » et filiales pour
pouvoir conclure que la politique des multinationales est double
: centralisation accrue des capitaux et des options décisionnelles
au sein des sièges sociaux, décentralisation de la
production dans les filiales installées dans les autres Etats.
Ce sont seulement des tendances puisque nous avons vu que les délocalisations
n’étaient pas exclusives à certains Etats développés.
La situation est dramatique pour le « Tiers-Monde »
touché par des mesures d’ajustement structurel édictées
par l’impérialisme mondial qui ont préalablement
liquidé souvent les industries locales traditionnelles. 80
pays se sont vus imposer ces mesures d’ajustement qui signifient
extension du chômage, paupérisation absolue pour les
habitants, austérité et ruine parfois du pays. En
effet, les Etats développés voient une solution à
la crise de surproduction dans l’exportation des biens d’équipement
à des pays qui en sont dépourvus. Cela n’est
qu’un palliatif temporaire.
Cette tendance de l’impérialisme via les multinationales
à transférer une partie de la production, a des conséquences
lourdes pour le prolétariat des pays impérialistes
: chômage, baisse des salaires par la concurrence etc. Ici
la division internationale du travail prend des traits sinon nouveaux
du moins accentuée avec la parcellisation des tâches
à l’échelle internationale. Ainsi, le profit
maximum est garanti puisque le salaire (à travail égal)
varie de 1 à 30 entre la maison-mère et les filiales.
Cette division internationale du travail accroît l’interdépendance
par la dépendance y compris d’Etats de capitalisme
développé par rapport aux trois centres impérialistes.
Cela signifie-t-il formation d’une macro-économie mondiale
? Non, parce que demeurent les Etats qui avec « leurs »
multinationales forment un mécanisme complexe d’interaction
(cf. le passage des dirigeants des sociétés privées
à l’appareil d’Etat et vice-versa).
Ces 37 000 multinationales d’un poids très inégal
puisque la concentration et la centralisation du capital se renforçant,
200 en fait jouent un rôle décisif, sont en rivalité
: les fusions-acquisitions ne cessent de se multiplier, les Etats
sont amenés à exercer une fonction importante dans
ce processus.
La question étant fort complexe, nous pensons qu’il
y a confusion souvent entre la politique de liquidation des souverainetés
nationales conduite au moyen du néo-libéralisme par
le capital financier au nom de la « libéralisation
» des marchés (pour empêcher aussi les formes
nationales de résistance) et la disparition de l’Etat-Nation.
Dans l’histoire, bien des pays sont passés sous le
joug militaire, politique d’un agresseur : le pays perdait
sa liberté et son indépendance mais non seulement
la nation n’était pas détruite mais le sentiment
national était la source du combat pour chasser l’envahisseur.
Le capitalisme et plus encore au stade impérialiste est
marqué par la loi d’inégalité de développement
source objective des contradictions et rivalités entre Etats
et entre monopoles. Certains pays deviennent dominants par le pillage,
l’assujettissement des autres, d’autres gagnent puis
perdent l’hégémonie mondiale. La particularité
du monde contemporain est que les Etats-Unis écrasent le
globe de leur domination et façonnent selon leurs stricts
intérêts la politique de la plupart des Etats.
En fait, deux pays : le Japon et l’Allemagne (à condition
que l’UE reste sous son leadership et se fédéralise
toujours plus, constituant une véritable entité politique
et économique) peuvent concurrencer les Etats-Unis.
Concernant le capitalisme, trois types d’Etats existent :
- 1/ les Etats impérialistes « dominants »
en rivalité pour l’hégémonie mondiale
: Etats-Unis, Japon, Allemagne qui constituent sous leur égide
de vastes espaces économiques continentaux. Les Etats-Unis,
seul Etat à l’influence transcontinentale, est le seul
à être totalement « indépendant »
tandis que ses rivaux sont partiellement soumis à l’impérialisme
US par le biais de l’occupation militaire ; ce qui peut provoquer
pressions ou conflit armé si l’hégémonie
nord-américaine est contestée.
- 2/ autres Etats impérialistes « dominants/dominés
» en raison de l’inégalité de développement
Dominants à l’égard de pays plus « faibles
» si l’on prend par exemple la France qui s’est
emparé de trois monopoles clés de l’économie
belge ou qui continue de se subordonner les Etats de la «
zone Franc » en Afrique noire,
Dominés en partie aussi puisque sous la dépendance
plus ou moins partielle d’impérialismes plus puissants
; en France toujours, les Etats-Unis, le Japon, la RFA détiendraient
plus de 30 % du capital des Entreprises locales.
- 3/ les Etats capitalistes ou pré-capitalistes soit dépendants,
soit totalement subordonnés, en voie de recolonisation sous
des formes modifiées par le surendettement, la filialisation
de l’économie, le rôle du FMI et des ajustements
structurels.
Signalons aussi, mais ce n’est pas l’objet de notre
étude, les quelques Etats dont Cuba, la Corée populaire
qui tentent de maintenir une économie alternative au capitalisme
mais qui en raison du rapport de forces mondial ne peuvent échapper
aux pressions impérialistes, dans tous les domaines.
De ce tableau esquissé, plutôt qu’analysé
en profondeur, il faut se garder de plusieurs interprétations
erronées.
1/ rien n’est moins stable que l’impérialisme,
ne figeons pas les deux premiers types de pays, les luttes et rivalités
incessantes peuvent conduire un pays à se renforcer au détriment
des autres (cf. le Japon et l’Allemagne ruinés en 1945).
2/ enfin, il faut appréhender que les formes d’assujettissement,
de domination se font principalement aujourd’hui par le biais
économique plus que par les interventions et l’occupation
militaire, donc l’oppression est moins « palpable »
et visible, plus facile à camoufler
3/ dans les Etats impérialistes (dominants/dominés),
la bourgeoisie monopoliste nationale n’est nullement une victime,
en fait la souveraineté et l’indépendance des
nations sont devenues un fardeau pour le capital financier, le cadre
national (sous l’angle des acquis, des luttes, des conquêtes)
est vu comme empêcheur de réalisation du profit maximum.
La domination de tel Etat sur tel autre engendre à son tour
les tentatives du pays dominé mais impérialiste de
conquérir tel ou tel pays plus faible, c’est la loi
de l’inégalité de développement.
Donc, pas d’union sacrée avec « sa » bourgeoisie,
pas de soutien à « son » impérialisme
contre les Etats-Unis par exemple mais lutte globale internationale
contre l’impérialisme mondial, et nationale contre
son propre impérialisme et capital ; il faut organiser la
solidarité internationaliste de tous les exploités.
II /4 – Physionomie des Etats impérialistes
: rivalités et danger de guerre
Toute l’analyse de « Continuer la CGT » se fonde
sur l’impérialisme conçu comme stade économique
du capitalisme et non seulement comme une « politique étrangère
agressive d’un Etat ».
Le nouvel ordre mondial dominé par les Etats-Unis ne signifie
pas que le capitalisme forme un camp uni. Cette unité (relative)
a pris le dessus sur les rivalités après la seconde
guerre mondiale quand existait un camp socialiste, maintenant les
rivalités et conflits se déchaînent. Au centre
de ces rivalités se trouvent trois Etats ou blocs : les Etats-Unis,
le Japon, l’Union Européenne. Au 21ème siècle,
l’hégémonie américaine peut être
mise en péril comme le montre le tableau ci-dessous concernant
les prévisions économiques dans 20 ans.
PRÉVISION PIB en 2020
|
% par rapport à la part mondiale
|
Union Européenne
|
12
|
Etats-Unis
|
11
|
Japon
|
5
|
Chine - Russie – Inde - Brésil - Indonésie
pris ensemble
|
35
|
Source OCDE The World en 2020
Bien sûr ce ne sont là que des indications possibles
mais qui montrent que nous allons entrer dans une période
de grande instabilité puisque les Etats-Unis sont menacés
dans leur leadership, les dirigeants américains avouent leurs
craintes en diffusant des déclarations bellicistes :
« l’Euro pourrait conduire à la guerre »
(J. Feldstein conseiller économique du Président Bush),
craintes confirmées par certains indices.
OBLIGATIONS ÉMISES
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
Dollars
|
173,2
|
252,1
|
227,3
|
193,9
|
Euros (en milliards de dollars)
|
4,7
|
9,6
|
77,9
|
330,2
|
Cette perte d’hégémonie se traduirait par des
tentatives de repartage du monde au profit des impérialismes
montants sur fond d’incertitudes car même l’UE
(à condition qu’elle forme un Etat unique et non plus
un bloc) ne serait pas en mesure d’imposer son hégémonie
véritable.
Les forces impérialistes en présence
1 – les Etats-Unis se préparent dès maintenant
à affronter leurs concurrents ; les potentialités
sont grandes, les Etats-Unis restent de très loin la 1ère
puissance mondiale (environ ¼ du produit mondial brut). Le
« nouvel ordre mondial » se construit sur leur initiative,
impulsion et direction, sa domination est patente dans les organisations
internationales (FMI, OCDE, OSCE, G 7, OTAN, Banque mondiale, OMC,
ONU) même si des résistances d’autres pays capitalistes
existent, les Etats-Unis en viennent facilement à bout pour
l’instant.
Les multinationales les plus riches sont américaines et
servent les intérêts de leur impérialisme. Les
armes des Etats-Unis pour assurer leur hégémonie sont
multiples :
§ ordre néo-libéral globalisé orchestré
par eux
§ ingérences politiques dans la politique des autres
Etats
§ pressions militaires y compris sur les « alliés
»
§ guerres avec emploi d’armes nouvelles de haute technologie
§ terrorisme d’Etat avec le bombardement ou l’invasion
d’Etats qui ne constituent aucune menace pour eux (Somalie,
Afghanistan, Grenade etc.)
§ levée des diverses mesures protectionnistes des
autres Etats (projet AMI)
§élargissement à l’est de l’OTAN
§pressions sur l’Union Européenne avec l’appui
de la Grande-Bretagne très encline à défendre
les intérêts US au sein de l’UE
§ marché nord-américain ALENA
Economiquement, la situation est plus contrastée ; certes
le taux de croissance, la « reprise » sont plus marqués
qu’en Europe ou au Japon, le taux de chômage moindre,
mais cette relance a un caractère largement artificiel :
revitalisation des capacités de production pour l’exportation
(au détriment des rivaux) d’où rétrécissement
du marché global pour ses concurrents mais effets de retour
prévisibles sur l’économie américaine,
enfin les emplois créés principalement dans les services
sont plus des « jobs » que de véritables emplois.
Les obstacles demeurent, le déficit commercial, la dette
colossale, le recours aux emprunts étrangers qui font des
Etats-Unis le débiteur n° 1. Enfin, contradiction organiquement
liée au leadership, le poids des dépenses militaires
: 262 milliards de dollars (37 % des dépenses mondiales –
1995) contre 150 milliards à l’UE dont la grande majorité
des Etats sont membres de l’OTAN (ou associés), 42
milliards pour le Japon,
8 milliards : la Chine !
Ce gouffre financier pour la guerre, s’il assure l’hégémonie
incontestable des Etats-Unis, aggrave en même temps ses handicaps
économiques. L’arsenal américain constitue un
potentiel massif de destruction de la planète au service
non des « droits de l’homme » et de la «
paix » mais des seuls multimilliardaires nord-américains.
Dans le même temps, 30 % de la population est illettrée,
45 millions d’américains vivent en-dessous du seuil
de pauvreté (principalement noirs et portoricains). Les Etats-Unis
restent le pays de la discrimination raciale, des ghettos, d’une
polarisation extrême.
2 – l’Union Européenne (UE)
Pour l’instant, l’UE constitue une tentative de cartellisation,
de bloc d’Etats impérialistes associés (et concurrents).
L’objectif des monopoles et des Etats français, allemand,
britannique était de trouver une solution à la surproduction
due (selon eux) à l’étroitesse des marchés
nationaux par la « libre circulation des capitaux et des hommes
» là où la rentabilité est plus élevée
et de former ainsi un impérialisme « Européen
» puissant pouvant contester aux américains leur hégémonie.
L’UE est une création du capital financier pour ses
objectifs de classe, dévoyant les aspirations populaires
à la coopération, à l’entente et au rapprochement
; c’est une œuvre réactionnaire sur toute la ligne.
Social : c’est le nivellement par le bas, les mêmes
attaques contre les statuts, les salaires, l’emploi. Chantre
du néo-libéralisme, d’ailleurs imposé
par le Pacte d’Amsterdam, l’UE privatise ; l’ensemble
des secteurs est visé, partout règne la rentabilité
capitaliste.
Ce bloc impérialiste en formation a des potentialités
dans sa lutte concurrentielle avec les autres impérialismes.
L’UE (fédérée) regrouperait 30 pays et
600 millions d’habitants.
Actuellement, la puissance dominante reste l’Allemagne. Le
« miracle économique allemand » était
basé sur la priorité accordée à l’investissement
dans les nouvelles technologies et le marché intérieur,
faute d’être une puissance (néo) coloniale.
Parmi les 37 000 multinationales mondiales, 7 500 sont allemandes.
L’Allemagne contrôle par exemple des pans importants
de l’économie française son rival n° 1.
Mais le « miracle » s’essoufle, l’annexion
de la RDA, la montée de l’inflation et du chômage
soulignent que la reprise y est moins marquée que chez ses
voisins.
Dans le domaine politique et diplomatique, l’Allemagne a
été aux avants postes pour une unité toujours
plus organique de l’Europe, outre que sa concurrence avec
les Etats-Unis passe par la formation d’une entité
européenne unie, elle aspire à une fédération
qui casserait les Etats-Nations par le bas en les « provincialisant
» et le haut par le supranationalisme (cf. Maastricht-Amsterdam).
Aucune situation n’est figée, les impérialismes
français et anglais hésitent entre plusieurs stratégies.
Jusqu’ici, la France s’est rangée à «
l’axe Berlin (Bonn) Paris » pour derrière le
sillage allemand parvenir à constituer une grande puissance
impérialiste en Europe, n’hésitant pas à
sacrifier les acquis sociaux de la Résistance antifasciste,
pour satisfaire le profit maximum.
De récents éléments et faits montrent que
l’impérialisme français s’engage dans
une contre-offensive voulue par certains monopoles : fusions dans
le secteur bancaire et de l’armement, prises de participations
ou de contrôle d’EDF dans le secteur électrique
et énergétique de plusieurs Etats, pénétration
économique en Belgique, situation de relative pause dans
la crise etc. Cela annonce-t-il une tentative de modifier la hiérarchie
de l’axe Berlin-Paris d’où le rapprochement aussi
Londres-Berlin en riposte ? l’avenir le dira.
La Grande-Bretagne demeure une puissance impérialiste affaiblie
mais non négligeable du point de vue financier et militaire.
Sa stratégie traditionnelle a été d’avoir
un pied dans l’Europe, tout en développant l’alliance
préférentielle avec les Etats-Unis dont elle est le
cheval de Troie dans l’UE. Là aussi, des modifications
semblent apparaître notamment avec le ralliement au Projet
Européen de Défense (Déclaration de St-Malo)
rejoignant les préoccupations françaises et allemandes
sur la nécessité d’une armée européenne,
après la guerre contre la Yougoslavie.
Les peuples n’ont donc rien de bon à attendre de cette
UE dont le bilan pour les travailleurs est catastrophique : 52 millions
de chômeurs, 25 à 30 % de la population européenne
en-dessous du seuil de la pauvreté. Cette continentalisation
économique en détruisant les souverainetés,
les acquis, les conventions collectives est rendu possible par les
forces réformistes syndicales et politiques entièrement
acquises à l’Europe capitaliste.
La CES est une chambre d’enregistrement des décisions
et diktats patronaux, une force d’accompagnement visant, en
prônant la collaboration de classe, à étouffer
les luttes de classe et à satisfaire la construction de l’Europe
des monopoles.
Le prolétariat, les travailleurs d’Europe n’ont
rien à gagner au projet européen capitaliste, sinon
les licenciements massifs à travers les « rationalisations
», la paupérisation de certaines populations par la
désertification de régions entières (cf. le
sort de l’ex-RDA avec 30 % de chômeurs), les inégalités
sociales croissantes. Nul besoin de l’UE pour voyager, travailler
et étudier à l’étranger ; au contraire,
c’est l’ennemi la bourgeoisie monopoliste européenne
qui sortirait renforcée par la régression sociale,
économique généralisée.
A nous syndicalistes de classe de trouver les formes du combat
en commun pour nos revendications. Cette UE est dirigée par
les monopoles et les Etats à leur service, nous serons vite
dans une impasse si nous pensons transformer cette superstructure
réactionnaire de l’intérieur par des réformes.
Il faut s’engager dans l’internationale des luttes,
contre le projet impérialiste européen.
3 – Le Japon
Autre pôle (le second par la puissance) du triangle qui domine
le monde, le Japon a transféré outre-mer une grande
partie de ses industries et est au premier rang pour une division
parcellisée et internationale du travail : grandes firmes
et multiples sous-traitants (cf. Toyota avec 36 000 sous-traitants).
Dans les filiales, le Japon impose la plus longue durée
du travail au monde, les cadences les plus infernales, pour des
salaires très bas. Il conduit une politique de cartellisation
et de continentalisation de l’Asie du sud-est par le biais
de l’ASEAN. Contrôler cet axe est vital pour les besoins
d’expansion de l’impérialisme japonais.
Le renforcement de l’économie japonaise notamment
dans le secteur financier (années 80/90) a inquiété
Wall Street et le pentagone, qui ont orchestré une offensive
protectionniste aux Etats-Unis, notamment dans le secteur de l’automobile.
Par la suite, le ralentissement des activités économiques
a obligé l’Etat japonais à intervenir pour relancer
l’économie à hauteur de 390 milliards de francs,
mais la croissance est restée quasi-nulle.
Malgré un dynamisme, de fortes multinationales, des capacités
d’innovation et la surexploitation ouvrière, le Japon
rencontre de sérieux obstacles dans la lutte pour l’hégémonie.
Sa dette se monte à 90 % du PIB, son système bancaire
après le krach asiatique est au bord de la faillite ; les
dettes non recouvrables se montent à 350 milliards de francs
(10 % du PIB).
De plus, la dépendance japonaise vis à vis des Etats-Unis
reste marquée :
l’auto-suffisance alimentaire représente 22 % des biens
consommés (Allemagne 75 %, Etats-Unis 70 %), le Japon est
le plus grand importateur agricole du monde ; plus grave encore,
les besoins énergétiques du Japon sont couverts seulement
à 0,3 % ! Le Japon est sous l’emprise du contrôle
américain sur le secteur pétrolier mondial.
L’objectif du Japon est donc de constituer une grande puissance
en Asie comme base pour une expansion ultérieure, certains
monopoles évoquent la « grandeur militaire passée
» et le « besoin d’espace vital ». Là
aussi, le Japon est partie prenante d’un repartage du monde.
4 – La recolonisation du « Tiers-Monde »
Cette recolonisation revêt des formes modifiées. Les
Etats sont formellement indépendants mais toutes leurs prérogatives
économiques et sociales leur échappent. Les Etats
du Tiers-Monde sont les victimes les plus touchées par la
globalisation néo-libérale.
Dans l’Asie du Sud-est, beaucoup d’Etats limitaient
les participations étrangères dans le capital des
entreprises à hauteur de 25 %, le FMI a fait lever les restrictions
et porter le seuil à 53 % en attente de le faire supprimer.
C’est là, un exemple du processus de recolonisation
dans une région qui est pourtant relativement développée.
La domination des grandes puissances impérialistes s’exerce
à la fois par le biais de leurs multinationales et des organismes
financiers supranationaux : Banque mondiale, FMI, OMC.
La Banque mondiale accorde les prêts aux Etats et par le
biais des dettes pèse sur leur orientation dans le sens de
l’application du néo-libéralisme.
Le FMI gère les monnaies ; c’est lui qui impose et
veille au recouvrement de la dette au profit du capital financier
international. Il s’appuie sur l’éviction du
pouvoir des « capitalistes nationaux » remplacé
par les secteurs compradores de la bourgeoisie qui agents de l’impérialisme
(et vivant de l’échange inégal), font appliquer
les mesures néo-libérales : réduction drastique
des dépenses pour l’éducation et la santé,
licenciements des fonctionnaires, liquidation du secteur d’Etat
et privatisations, dévaluations monétaires sans compensation
financière pour le peuple, suppression des produits subventionnés
(souvent les produits alimentaires de base). La politique budgétaire
(une des prérogatives essentielles de la souveraineté)
est fixée par le FMI.
L’OMC est l’instrument de pénétration
des multinationales : liquidation des industries traditionnelles,
filialisation des usines rattachées aux monopoles mondiaux.
Ce « libre échange » généralise
et systématise l’échange inégal et profite
à 70 % aux Etats impérialistes.
Les conséquences sociales sont catastrophiques : 75 % de
l’humanité vit dans la misère. La maladie faute
de crédits tue des millions de personnes qui seraient soignées
dans les Etats « riches », la surexploitation, l’esclavage
par la traite sexuelle des enfants, la prostitution sont le lot
de plus d’un milliard d’individus.
215 millions d’Africains sont sous-alimentés, 1,3
milliard d’hommes et de femmes vivent avec moins d’1
dollar par jour, 600 millions n’ont pas de toits ! Ces chiffres
montrent que le capitalisme constitue une menace pour la survie
de l’humanité.
5 – Le repartage du monde et le danger de guerre
Trait important de l’impérialisme, sur la base du
développement inégal s’instaure une lutte par
tous les moyens pour le repartage du monde entre grandes puissances
capitalistes.
L’existence de l’Union Soviétique, quoi que
chacun puisse en penser, était un obstacle majeur au déchaînement
impérialiste, au néo-libéralisme, à
la recolonisation et à la guerre.
Pour limiter les effets de la crise structurelle de surproduction,
l’impérialisme a un besoin impératif de conquérir
de nouveaux marchés, d’exploiter les ressources du
sous-sol à un moindre coût.
70 % des réserves mondiales de gaz sont concentrées
au Moyen-Orient et dans la mer Caspienne. Les guerres d’Irak
et de Yougoslavie sont les prémisses barbares d’un
conflit majeur dans cette région du globe, où les
transnationales au service de leurs Etats rivalisent férocement.
Les troubles au Kurdistan, en Tchétchénie, Afghanistan,
Géorgie, Moyen-Orient sont provoqués par les puissances
impérialistes camouflées derrière des factions
opposées.
La formation de l’UE, de l’Alena, de l’Asean
montre que la continentalisation est au service de la guerre, jusqu’où
ira la folie meurtrière de l’impérialisme avide
de profits ? Nul ne peut le dire avec précision. La guerre
mondiale à deux reprises est partie du continent européen,
les événements de Yougoslavie nous incitent à
la vigilance face à l’OTAN qui marche sur les pas du
fascisme hitlérien.
La lutte contre le danger de guerre, la course aux armements, la
militarisation des économies, les conflits armés sous
l’égide des grandes puissances capitalistes, devient
une tâche centrale des forces prolétariennes et de
leurs organisations. Les syndicats doivent déployer le drapeau
de la lutte contre la guerre en s’inspirant des succès
et manifestations des travailleurs grecs lors de l’agression
américaine et européenne contre la Yougoslavie.
CONCLUSION
Dans cette contribution qui vise à susciter débat
et échanges d’analyses et d’expériences,
nous avons voulu montrer qu’au-delà de ses politiques
keynésienne ou néo-libérale, le capitalisme
impérialiste reste l’obstacle à un avenir progressiste
de l’humanité. Les solutions visant à corriger
les excès, à considérer la continentalisation
de puissants blocs impérialistes comme fatale ou pire comme
positive, ne résoudraient aucun des problèmes auxquels
sont confrontées les forces de travail.
Derrière sa puissance actuelle qui est réelle, des
fissures, contradictions minent le système d’exploitation
salariale, qui appréhendées, doivent redonner confiance
à la classe ouvrière mondiale dans ses capacités
de résistances et de luttes transformatrices, révolutionnaires.
La question de l’alternative au capitalisme grandira si nous
ne partons pas d’un capitalisme mythifié, à
la « mondialisation achevée ». Les antagonismes
surgissent à partir des oppressions de classe mais aussi
nationales formant des maillons explosifs sur la chaîne impérialiste.
Commencer la lutte nationalement contre son propre Etat, contre
« ses » monopoles dans une perspective solidaire, interactive,
internationale contre l’ensemble du système impérialiste,
autour d’exigences communes, telle est selon nous la mission
des forces de libération, du syndicalisme de lutte et de
masse.
Jean-Luc Sallé
! Notes !
(1) Page 1 - Ricardo Petrella : ancien haut-fonctionnaire de l’Union
Européenne
(2) Page 2 - Keynésianisme : un des principaux courants
de l’économie politique bourgeoise à l’époque
de la crise du capitalisme des années 30, fondé par
John Maynard Keynes (1883-1946) et reposant sur la conception d’une
nécessaire intervention de l’Etat capitaliste dans
le processus de reproduction. Cette approche a été
qualifiée de « macro-économie ». Des études
portent sur les principales composantes de la demande – consommation
et accumulation. La plupart des gouvernements des années
50 et 60 ont fondé leur politique sur la régulation
de la demande globale grâce au budget d’Etat, à
son déficit, au rôle de la monnaie, pour endiguer l’inflation.
Cette régulation monopoliste d’Etat devient inconsistante
face à l’aggravation de la crise de surproduction (années
70...).
(3) Page 3 – Le réformisme par essence vise à
solutionner les maux du capitalisme par des réformes de façon
à le transformer en société régulée,
éliminant ses contradictions antagoniques. C’est une
arme du capital pour combattre le mouvement révolutionnaire
syndical et politique. A chaque période de l’histoire,
le réformisme s’il conserve son essence, peut modifier
sa forme. Sous le Keynésianisme, les syndicats réformistes
oeuvraient pour une cogestion du système capitaliste, avec
le néo-libéralisme et son offensive anti-ouvrière,
les bureaucraties réformistes prônent le syndicalisme
intégré aux intérêts monopolistes donnant
à la collaboration de classe un contenu réactionnaire
plus marqué.
(4) Page 9 – « Confrontations » est un club de
réflexion regroupant des monopolistes comme J. Gandois, ancien
Président du Centre National du Patronat Français
(CNPF), J. Peyrelevade, des dirigeants de la CGT : JC Le Duigou,
des dirigeants socialistes et communistes : PH. Herzog. Ce club
apporte son soutien tant à l’Europe du capital qu’à
une transformation du syndicalisme en courroie de transmission des
secteurs monopolistes.
Pour toute question ou remarque concernant le site d'origine agnes.clcgt
(at) wanadoo.fr
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