VERS UN PARADIGME DES SOCIÉTÉS DE CRÉATION ET DE
COOPÉRATION ?
La rencontre NTIC de Mantes la Jolie des 26 et 27 mars 2002
15 janvier 2003
COLLOQUE "TEXTUALITÉS & NOUVELLES TECHNOLOGIES"
(MUSÉE D'ART CONTEMPORAIN, MONTRÉAL, 23-25 OCTOBRE 2001),
DANS LE CADRE DE LA "SAISON DE LA FRANCE AU QUÉBEC".
Nouvelles frontières de l'économie politique du capitalisme
cognitif.
par Yann Moulier Boutang
Résumé de la communication
La révolution des NTIC n'est pas une simple mutation instrumentale.
Les fondements de la valeur, le paradigme du travail sont profondément
bouleversés. Les modèles économiques de création
de valeur, nés dans la matrice de la révolution industrielle
sont incapables de rendre compte de la dynamique de la coopération
sociale, du travail immatériel, de l'invention et de l'innovation.
Le papier présente les principales hypothèses qui permettent
de comprendre les mutations actuelles comme l'émergence d'un
capitalisme cognitif et pas simplement d'une économie de la connaissance
ou de l'information. Après avoir passé en revue quelque
unes des limites de l'approche économique de l'économie
reposant sur la connaissance, il montre en quoi la question des nouvelles
frontières devient centrale. Elle se traduit par les conflits
qui naissent autour de la codification droits de propriété,
des libertés de création et d'innovation par rapport aux
règles du marché. L'émergence d'une nouvelle éthique
des valeurs de la création et de l'innovation conduit à
un éclatement du concept unitaire de propriété
tel qu'il nous a été légué par l'individualisme
possessif de Locke. Le caractère cessible et l'aliénabilité
se dissocient de l'usage et de l'usufruit et finalement de l'accès.
Les nouveaux usages des moyens de reproduction et de diffusion des connaissances
dressent en effet des obstacles croissants à l'exécution
des vieux droits de propriété.
L'hypertextualité associée à la puissance de l'Internet
comme modèle profondément innovant de coopération
sociale et scientifique dans le domaine des sciences des arts et des
lettres ne serait pas pensable sans ce que l'on a appelé la révolution
des NTIC (nouvelles technologies de l'information et de la communication).
La sociologie de la production de la connaissance et de la création
artistique, les politiques publiques en matière de culture, sont
et seront chaque fois davantage, profondément remodelées
par les transformations intervenues dans l'économie en général.
Il serait toutefois erroné de n'y voir que l'extension de la
règle du marché à la sphère de la culture,
ou d'achèvement du règne de l'économie politique
dans les plus ultimes retranchements de la vie privée et dans
le sanctuaire de la création. En effet, l'économie politique
elle-même vacille dans ses règles, dans ce qui est la valeur,
dans l'unité des droits de propriété. Il se produit
un retour à l'intérieur de l'économie cette fois-ci
de tout ce qu'elle avait rejeté en dehors d'elle depuis Adam
Smith
On se propose ici d'examiner en quoi ces transformations majeures peuvent
être appréhendées ou non dans les divers cadres
explicatifs qui ont été proposés en particulier
la théorie de la société de l'information ou celle
de la théorie de l'économie fondée sur la connaissance.
Nous proposons de recourir à la notion de capitalisme cognitif
pour mieux saisir les enjeux actuels des conflits qui ont trait à
la redéfinition des droits de propriété intellectuelle
et immatérielle et que nous appelons la nouvelle bataille des
clôtures (enclosures). Après une remarque d'ordre épistémologique,
nous rappellerons tout d'abord les éléments saillants
des transformations observables depuis une vingtaine d'années
(en fait sur une période plus longue quand on relit le passé
et les mouvements profonds à partir de notre présent)
puis nous examinerons les nouvelles frontières de l'économie
politique aujourd'hui.
Pour une épistémé de la rupture
Les analyses des transformations intervenues depuis 1975 dans l'économie
mondiale sont multiples, nuancées, mais pour s'en tenir à
celles qui prétendent être globales, on peut dresser une
ligne de partage facile entre celles qui inscrivent l'après-fordisme
dans la continuité des tendances du capitalisme industriel apparu
vers 1780-1815, et celles qui se situent du côté de la
thèse d'une rupture fondamentale. Les premières ont pour
elles la modestie de leurs prérequisits, le caractère
évident ou familier de ces derniers constitués en discipline
"scientifique", c'est-à-dire des instruments de comptabilité
nationale et privée qui ont fait leur preuve et sont encore opératoires,
une théorie des cycles économiques que n'impressionnent
pas neuf ans de prospérité américaine sans l'ombre
d'une récession. En face des partisans de la thèse des
variations sur un thème imposé (le capitalisme), les tenants
de la rupture profonde dans le capitalisme paraissent en position de
faiblesse : leurs capacités prédictives selon les règles
de l'art des modèles économiques testables, s'avèrent
bien moindres car elles ne peuvent s'appuyer sur le prolongement de
la tendance, leurs outils conceptuels relèvent plutôt de
l'hypothèse, du programme de recherche qui n'a pas encore été
reconnu par les gens du métier. Pourtant il nous semble qu'il
faut courir le risque de la thèse de la rupture profonde. Trop
de phénomènes n'entrent plus dans le moule de l'économie
politique traditionnelle (et pas simplement dans le moule du courant
principal (main stream) de l'économie, c'est-à-dire l'école
néoclassique) pour que nous puissions écarter l'hypothèse
sacrilège que le programme de recherche de l'économie
née avec Adam Smith, Ricardo, tout comme le programme finalement
annexe qui l'a relayé avec Jevons, Walras et Pareto soient bel
et bien entrés dans une phase de sclérose et de dégénérescence
marquées par une exaspération d'une formalisation et d'une
axiomatisation de plus en plus stériles. La thèse défendues
ici sera celle d'une nouvelle "grande transformation" (pour
reprendre l'expression de Karl Polanyi) de l'économie et donc
de l'économie politique. Recourant à la terminologie de
la théorie de la régulation, nous parlerons d'une mutation
non dans le mode de régulation simplement mais dans le mode d'accumulation.
Certes, ce n'est pas une rupture dans le mode de production car nous
sommes toujours dans le capitalisme, mais les composantes de ce dernier
sont aussi renouvelées que celles du capitalisme industriel ont
pu l'être par rapport au capitalisme marchand (en particulier
dans le statut du travail dépendant qui passe du second servage
et esclavage au salariat libre).
Pour désigner la métamorphose en cours nous recourrons
à la notion de capitalisme cognitif comme troisième espèce
de capitalisme en nous appuyant sur nos recherches sur le salariat d'un
point de vue des transformations de longue durée du capitalisme
historique ainsi que sur celles des autres chercheurs de notre laboratoire
Isys-Matisse. Ce programme de recherche ne correspond pas à la
simple analyse de l'économie de l'information à quoi l'on
a réduit la mutation, ni, non plus, à l'extension des
modèles économiques formalisés à l'incertitude
et à la finance, à ce que l'on appelle l'économie
cognitive .
Faits nouveaux, pour de nouvelles hypothèses
La révolution des NTIC (nouvelles technologies de l'information
et de la communication) a été comparée par Peter
Drucker et bien d'autres, à la révolution des chemins
de fer . Il n'est pas abusif de parler d'une " révolution
cognitive " qui englobe les technologies mais aussi les usages
et pratiques de la connaissance . La comparaison vaut pour l'échelle
de changement introduite, mais elle ne mesure pas la mutation qualitative
qui touche aussi bien la substance que la forme de la valeur. C'est
en fait à un changement de paradigme total que les NTIC sont
en train d'aboutir, comparable seulement à la dilatation du monde
que l'on a observée entre 1492 et 1660, et encore, cette dilatation
n'est-elle pas de même nature.
Non seulement les paramètres de l'espace et du temps sont radicalement
modifiés, mais la refonte radicale des représentations
qui est à l'œuvre touche aussi bien la conception du faire,
du sujet du faire, que celles de l'agir, de l'acteur, du produire et
du producteur du vivre et des conditions de la vie sur terre. S'il est
facile de pointer les éléments de continuité entre
le créationnisme judéo-chrétien, l'arraisonnement
de la Nature par la technique post-Renaissance cartésienne (Heidegger),
la "révolution industrielle" d'une part, et la cybernétique,
l'informatique et les inventions liées à la découverte
de support de l'information et de son acheminement de l'autre, la nature
du saut radical qui sépare les premières transformations
des secondes est moins analysée alors qu'elle est cruciale pour
l'économie des forces en action et leur gouvernabilité.
La description phénoménologique de la mondialisation a
été largement faite désormais ; la principale caractéristique
est que le rétrécissement radical des distances et les
bas coûts d'acheminement et de transmission de l'information codifiée
dans des systèmes binaires, ne constituent pas un simple moyen
au service des unités anciennes, mais opèrent une mutation
radicale des découpages de pouvoir. Les niveaux administratifs
qui s'étaient édifiés lentement sur la décomposition
du Moyen ge (les Villes Cités, l'Etat moderne, la Nation, et
dernièrement les Organisations Internationales) perdent de leur
substance et de leur pertinence pour traiter des problèmes et
prendre décisions de façon autonome et cohérente
. La mondialisation ne dilate pas l'espace de façon enivrante
comme lors des grandes découvertes, un même espace, elle
"déterritorialise" et "reterritorialise"
des espaces, désarticule immédiatement les homogénéités,
les cohésions aussi bien au centre qu'à la périphérie,
alors que les conquêtes du monde par les Empires européens
successifs, vénitien, génois, portugais, espagnols, français,
hollandais, anglais puis américain, avaient commencé par
détruire les mondes premiers, eux-mêmes ne se transformant
que par un lent effet de retour (feed-back) du à la naissance
de l'inflation, à la possibilité d'accumuler plus vite.
Pour situer sommairement le capitalisme disons que nous distinguons
trois configurations principales du capitalisme qui peuvent être
identifiées : le capitalisme marchand fondé sur l'hégémonie
de mécanismes d'accumulation de type marchand et financier et
étatique et qui se développent entre le début du
XVI° siècle et la fin du XVII° siècle ; le capitalisme
industriel fondé sur l'accumulation du capital physique et sur
le rôle moteur de la grande usine manchestérienne dans
la production de masse de biens standardisés ; le capitalisme
cognitif fondé sur l'accumulation du capital immatériel,
la diffusion du savoir et le rôle moteur de l'économie
de la connaissance. Quelles sont les caractéristiques de la mutation
en cours depuis une trentaine d'années et qui nous permettent
de parler de capitalisme cognitif bel et bien en train de s'installer
?
1. La virtualisation de l'économie, c'est-à-dire, le rôle
croissant de l'immatériel et des services liés à
la production de cet immatériel 2. Le rôle désormais
fondamental de la saisie de l'information, de son traitement, de son
stockage sous forme numérisée dans la production de connaissance
et dans la production tout court à partir de petits ordinateurs
décentralisés de plus en plus puissants reliés
entre eux par l'Internet et la Toile . 3. Le rôle décisif
dans la croissance du processus de captation de l'innovation des processus
cognitifs interactifs de coopération sociale, des savoirs tacites
aussi bien par l'entreprise, que par le marché et la puissance
publique . La connaissance et la science qui avait été
incorporées dans la valorisation du capital industriel, mais
en demeurant distinctes, deviennent le lieu hégémonique,
la leading part du système. 4. Le progrès technique n'est
plus une caractéristique exogène, il prend la forme d'un
système socio-technique caractérisé par les NTIC
(nouvelles technologies de l'information et de la communication) . 5.
Lorsque l'enjeu économique majeur devient la production de la
connaissance et de l'innovation (et pas simplement de l'information)
le modèle smithien de division du travail, qui s'était
imposé avec le modèle de la manufacture d'épingles
et qui avait été perfectionné par le taylorisme,
se retrouve invalidé dans ses trois dimensions majeures . Celles
de la spécialisation de l'activité (réduction du
travail complexe au travail simple, division de l'exécution manuelle
d'avec la conception intellectuelle) conçue pour diminuer le
temps d'apprentissage : celle de la taille du marché perd sa
pertinence dans un univers de production de petite série, une
"économie de variété (R. Boyer) dans un contexte
de forte incertitude de la demande ; l'innovation s'agissant de la coordination
de processus complexes est freinée par la division du travail
; celle enfin des gains de productivité ne résulte plus
d'économies d'échelle pour pallier la loi des rendements
marginaux décroissants . 6. On assiste à un bouleversement
des séquences productives donc de la division du travail et de
ses composantes : en particulier au renversement des séquences
production/commercialisation (dans l'Ohnisme appliqué à
la production automobile apprentissage / production) ; au caractère
productif de la consommation comme produisant de l'information et de
la régulation en temps réels de la production ; enfin
à la réversibilité des outputs réinjectés
comme inputs (multiplication à tous les niveaux de boucles de
feed-back) . 7. La nature uniforme d'étalon des marchandises
est remise en question en raison de la pluralité irréductible
des inputs et dissolution des lignes de partages traditionnels entre
capital / travail homogène ou qualifiés / non qualifiés.
L'école évolutionniste souligne la distinction hardware,
software et wetware . 8. La montée irrésistible dans les
modèles de coopération sociale et productive d'une quatrième
composante, le netware ou réseau. La société de
réseau est rendue possible par l'informatique (la numérisation,
la programmation, par la diffusion de l'ordinateur personnel et par
la constitution de l'Internet ). 9. Cette montée de la "coopération
entre les cerveaux" comporte un déclin du paradigme énergétique
et entropique de la force de travail, des marchandises matérielles
dans la production de richesses. 10. Le rôle dominant des économies
d'apprentissage dans les phénomènes de différenciation
des marchés et de concurrence inter capitalistique . 11. Le caractère
central du travail vivant non consommé et non réduit à
du travail mort dans le machinisme et importance des savoirs implicites
irréductibles à du machinisme, à du capital humain
standardisé codifié ; Dans les sociétés
dont la forme se rapproche du capitalisme cognitif, le travail vivant
et la consommation " vivante " occupent toutes deux une place
centrale. 12. Le déclin des concepts de performance individuelle
de l'entreprise , de la performance factorielle (problème de
l'indicateur de productivité) et globalisation de la performance
étendue au territoire productif . 13. La spécificité
du bien information quant à son usage, son amortissement, son
enrichissement, son appropriabilité exclusive, son horizontalisation
nécessaire (firme apprenante se manifeste de façon croissante.
Nous y reviendrons mais cette caractéristique qui fait émerger
au sein même des relations de marché, la connaissance comme
bien public n'est pas séparable de la révolution des NTIC
dans la crise de mise en oeuvre (enforcement) des droits de propriété
classique (y compris ceux de la propriété intellectuelle,
les brevets, les droits d'auteur) 14. Les externalités cessent
d'être marginales et liées à de simples phénomènes
partiels d'indivisibilité (problème du rapport de l'économie
avec la sphère non marchande) pour se généraliser.
L'exaspération de la "norme marchande" se produit dans
une situation paradoxale : les prix de transferts sont incommensurables
avec les prix de marché et les coûts de transactions sont
infinis. Il ne s'agit que des traits les plus saillants d'un développement
des forces productives, pour employer la terminologie canonique, qui
se confond de plus en plus avec le développement de la force
productive des cerveaux humains en interaction. Nous pouvons essayer
maintenant de caractériser le capitalisme cognitif ou troisième
capitalisme, au-delà du capitalisme marchand et du capitalisme
industriel et financier.
La thèse générale défendue ici est que la
transformation qui touche l'économie capitaliste et la production
de la valeur est globale. Elle traduit la sortie du capitalisme industriel
né avec la grande fabrique manchestérienne qui reposait
essentiellement sur le travail matériel ouvrier de transformation
de ressources matérielles. Pas plus que le capitalisme industriel
n'avait rompu avec la substance du capitalisme marchand esclavagiste,
le capitalisme " cognitif " qui s'annonce et qui produit et
domestique le vivant à une échelle jamais vue, n'évacue
le monde de la production industrielle matérielle : il le ré-agence,
le réorganise, en modifie les centres nerveux. Il obéit
à cette nouvelle logique et ne se contente pas de tordre la logique
de l'ancienne économie comme une perversion sans avenir. La financiarisation
est donc l'expression de ce remodelage, du reformatage de la production
matérielle. Par capitalisme cognitif, nous désignons un
régime d'accumulation dans lequel l'objet de l'accumulation est
principalement constitué par la connaissance qui devient la ressource
principale de la valeur et qui devient le lieu principal du procès
de valorisation.
Ce régime se manifeste empiriquement par la place importante
de la recherche, du progrès technique, de l'éducation
(la qualité de la population), de la circulation de l'information,
des systèmes de communication, de l'innovation, de l'apprentissage
organisationnel et du management stratégique des organisations.
Du côté de la demande, la consommation est aussi orientée
vers la technique, et notamment vers les techniques de l'esprit c'est-à-dire
celles qui mettent en jeu les facultés mentales via l'interaction
avec les nouveaux objets techniques : audiovisuel, ordinateurs, Internet,
consoles de jeu etc...
Une société dans laquelle se manifestent les orientations
du capitalisme cognitif tend à accentuer et exercer directement
un contrôle sur les lieux ou les acteurs détenant des connaissances
ou un potentiel de créativité technique (que ce soit dans
le domaine de la production, du commerce, ou de l'organisation). Il
ne s'agit plus, comme dans la société industrielle, d'accroître
l'emprise sur les lieux de production, de développer l'organisation
de la production et de maîtriser une capacité de production
de plus en plus étendue afin de bénéficier d'économies
d'échelle ou d'effets d'expérience. Il s'agit principalement
de gérer des connaissances techniques, d'assurer le développement
de processus d'apprentissage, de créer des connaissances nouvelles,
et de se ménager l'accès à des connaissances disponibles
à l'extérieur. Il s'agit aussi de mettre en place des
systèmes étendus de communication et de développer
la gestion de projets .
Un système de ce type vise à placer au centre de la sphère
de production et à intégrer pleinement à la sphère
économique marchande et non marchande, des ressources qui leur
étaient extérieures. Ceci requiert souvent l'établissement
d'un certain nombre de règles de nature institutionnelle. Le
salariat libre qui avait été la forme canonique de la
soumission du travail dépendant connaît alors une crise
constitutionnelle : son ancien régime n'est plus compatible avec
les nouvelles formes d'accumulation. La crise structurelle de l'emploi
est une crise de l'emploi salarié sous sa forme fordiste et keynésienne.
Elle e ne marque pas la fin du travail, ni celle du travail dépendant,
car des formes de soumission nouvelle apparaissent avec la dé-salarisation
formelle d'employés qui sont directement sous les ordres du marché
même s'ils sont autonomes ou indépendants ou bien avec
des formes d'emploi dépendant qui ne bénéficient
plus des garanties du volet social du salariat classique. Le développement
du capitalisme cognitif ne peut en effet se réaliser sans un
certain nombre d'agencements réglant des activités, des
relations et des droits de propriété dont l'encadrement
institutionnel se révèle insuffisant. Les deux lignes
directrices de l'installation d'un régime stable du capitalisme
cognitif consistent : 1) à faire apparaître les externalités
positives dans une globalisation qui sert aussi à solder les
externalités négatives dans un souci d'éliminer
les sources de déséquilibre durable sur la croissance
de la production connaissance. 2) À capter les externalités
positives et à les valider dans la création d'un profit
privé .
Dans ce cadre, le capital tend à se détacher de la maîtrise
et du contrôle direct des moyens de production. Le lien avec les
unités de production devient un enjeu secondaire. La source de
valeur n'est plus là. Le capital devient plus abstrait, moins
dépendant des contraintes matérielles de localisation
et de contrôle d'une certaine main d'œuvre directe. La firme
devient la "boîte vide" (hollow box) de Peter Drucker,
c'est-à-dire essentiellement des droits de propriétés
et les moyens juridiques de les faire respecter.
La crise majeure systémique qui guette le capitalisme cognitif
n'est pas une chute dans l'indifférenciation monétaire,
ni les incertitudes dues à la financiarisation de l'économie.
C'est plutôt le contraire qui se produit. La financiarisation
de la production matérielle reflète deux choses à
la fois : 1) la trop grande lenteur de la transition en cours et ; 2)
le mode de contrôle sur la coopération des cerveaux qui
ne sont plus maintenables dans la hiérarchie industrielle par
le biais du fordisme ou du taylorisme. L'incertitude essentielle qui
pèse dans le capitalisme cognitif concerne la difficulté
croissante de valider ex post la loi de la valeur travail, bref d'inscrire
les nouveaux rapports de propriété et les institutions
qui garantiraient la "loi du marché". La re-privatisatioon
de la coopération sociale n'apparaît plus comme un développement
de la force productive qu'est l'activité du travail vivant, mais
une régression. Le capitalisme cognitif ne peut plus recourir
aux vieilles recettes du salariat. Il est bloqué comme l'a été
le capitalisme marchand quand il s'est agi d'abandonner le travail dépendant
non libre de l'esclavage au second servage. Mais cette alternative considérable
qui se dessine est largement dissimulée par la mobilisation des
vieilles catégories progressistes de la critique de l'économie
politique dans un sens réactif ou réactionnaire et nostalgique
du capitalisme industriel fordiste.
Le déclassement de la vieille économie politique
Mise à part la littérature très instructive mais
purement descriptive que l'on retrouve chez les praticiens de la finance
ou dans certains manuels de gestion, force est de dresser le constat
que l'analyse économique de tradition critique ne fait pas preuve
d'une grande fécondité. La plus grande partie de la tradition
marxiste ou critique se contente d'insister sur le caractère
faussement novateur des transformations en cours en mettant en lumière
la persistance des phénomènes de domination, d'exploitation.
Ainsi la dénonciation de la finance et de l'argent retrouve-t-elle
des caractéristiques populistes que Marx avait combattues dans
ce qu'il appelait le " marxisme vulgaire ", lors qu'elle rapporte
la croissance spectaculaire de la sphère financière à
une simple maladie ou un déséquilibre ou perversion intrinsèque
conduisant à " l' écroulement final " déjà
largement invoqué du temps d'Hilferding . Elle se situe le plus
souvent dans un registre symétrique de la littérature
apologétique : face aux thuriféraires du système,
elle se croit obligée d'adopter les registres de la déploration
ou de dénonciation en faisant bon marché du défi
que représente la compréhension des mécanismes
véritables en jeu. La tradition de la critique de l'économie
politique semble largement oubliée ou anémiée.
Les quelques exceptions à cet épuisement du paradigme
critique, la théorie de la régulation, l'économie
des conventions ont du mal à intégrer la mutation du capitalisme
en cours dans leur analyse. La théorie de la régulation
a tenté de rendre compte des transformations au sein du capitalisme
en distinguant des modes de régulation de l'accumulation (passage
du capitalisme concurrentiel à un capitalisme monopoliste) et
des dispositifs institutionnels (en particulier le régime salarial).
Elle propose a proposé le terme de post-fordisme pour désigner
la mutation à partir des travaux de R. Boyer, A. Lipietz notamment.
L' économie des conventions, ranimant le courant institutionnaliste
et radical, met l'accent sur le caractère social des compromis
institutionnels en réintégrant dans l'analyse économique
les procédures, les langages, les habitudes des agents . Malgré
la finesse et la richesse de certains de leurs développements,
ces deux grands volets de l'analyse critique du capitalisme partagent
avec le courant marxiste orthodoxe, et ajoutons avec le courant néo-classique,
le même socle épistémologique, celui qui s'est constitué
à la fin du XVIII° siècle avec Adam Smith et David
Ricardo avec ses topiques. Si la conception de la valeur reçoit
différentes acceptions (les querelles sur le prix du travail
ou de la force de travail, sur la valeur travail ou la valeur utilité)
deux invariants sont présents partout : le modèle développé
par Adam Smith de la division du travail et de la coopération,
le lieu fondamental où se forge la valeur économique à
savoir la sphère de la production entendue comme celle de l'entreprise.
Or ce sont précisément ces deux piliers principaux de
l'édifice conceptuel de l'économie politique qui se trouvent
minés aujourd'hui par le troisième capitalisme dont la
nouvelle économie n'est que le symptôme avant-coureur.
L'une des conséquences majeures de la sénilité
de l'économique politique classique, et son enfermement corrélatif
dans une formalisation mathématique excessive, c'est son obstination
à continuer de soutenir que la production de valeur ne peut émerger
dans la circulation. La sphère financière demeure vue
de façon essentiellement parasitaire et les dépenses sociales
comme des " faux frais " de la production capitaliste. On
assiste donc à une hypertrophie de l'analyse de la sphère
monétaire et financière dont les conséquences,
jugées perverses ou néfastes sur l'économie réelle,
sur la valeur sont désignées par le terme de financiarisation
de l'économie. Mais le chemin inverse qui consisterait à
se demander les raisons de ce basculement est beaucoup plus rarement
emprunté . On a vu récemment beaucoup d'économistes
néo-classiques ou critiques se réjouir du krach du marché
des valeurs technologiques (du Nasdaq en particulier) parce qu'ainsi
tout rentrerait dans l'ordre de l'orthodoxie théorique. La bulle
spéculative devait crever comme une bonne purge . On pouvait
donc revenir aux bons vieux concepts qui appellent un chat un chat et
un spéculateur un coquin. Pareille attitude outre son caractère
réactif sur le plan méthodologique (les catégories
sont immuables et la réalité est priée d'entrer
dans leur lit de Procuste) est surtout peu féconde. Existe-t-il
des théories économiques nouvelles qui échappent
à ces œillères ?
Intérêt et limites des approches nouvelles
Le panorama théorique n'est pas toutefois aussi gris qu'on pourrait
le déduire de ce jugement sans aménité qui vient
d'être exposé sur l'économie politique et sa critique.
Quatre approches tendent en effet de rendre compte des transformations
de l'économie dans une direction intéressante : 1) la
doctrine désormais officielle d'une économie reposant
sur la connaissance (knowledge based economy) ; 2) l'idée d'une
économie patrimoniale défendue par Michel Aglietta et
une partie de l'école de la Régulation ; 3) celle d'une
société des réseaux développée par
les travaux de Manuel Castells ;4) celle enfin du mouvement pour une
économie du don ou altruiste dans la tradition polanyienne dont
A. Caillé et La Revue du Mauss sont de représentants actifs
en France . On ne saurait dans le cadre limité de ce panorama
rapide, développer les pistes ouvertes par ces contributions.
On se bornera ici, à souligner leur rôle positif dans le
déblocage de la pensée critique vis-à-vis de la
mutation en cours. Toutes ces écoles de pensée ont le
mérite considérable de ne pas se boucher les yeux devant
la prodigieuse transformation de la substance de l'économie.
Elles ne sont pas toutefois exemptes de limites. Ainsi la knowledge
based economy malgré l'acuité de sa description de l'immatérialisation
de la connaissance et de son rôle crucial, malgré sa sortie
partielle du schéma d'Adam Smith de division du travail et d'un
" frabriquisme " ou usinisme manchestérien, demeure
prisonnière dans ses a priori théoriques, d'une théorie
schumpéterienne de l'innovation. L'invention demeure in fine
extérieure au cycle économique. Il n'y a pas de production
de la connaissance . Au mieux trouve-t-on des recommandations pour une
industrialisation et une financiarisation de la connaissance. La nouvelle
organisation rationnelle d'une économie reposant sur la connaissance
entend en effet mesurer les performances et à assujettir plus
étroitement à la sphère marchande les lieux de
productions de savoir, bref à fournir de meilleures recettes
pour capter, par les mécanismes de valorisation, l'invention
produite par les usages innovants et les apprentissages des agents .
Paradoxalement, les experts de la knowledge based economy se bornent
à ajouter des appendices aux développements de Marx dans
les Grundrisse sur le pouvoir du capitalisme comme pouvoir de la science
alors qu'ils décrivent un système qui doit avant tout
contrôler la production de la connaissance en son sein.
La théorie d'une régulation patrimoniale du capitalisme
prend bien en compte une socialisation décisive et irréversible
de la coopération sociale et d'une globalisation de la productivité
que seule l'approche financière permet de solder , mais la liaison
entre la sphère financière et la sphère matérielle
est un point faible de son analyse tandis que le modèle contractualiste
auquel elle reste fidèle empêche de démêler
plus précisément ce qui relève du conflit régulable
et producteur de dispositifs institutionnels nouveaux de ce qui est
un facteur de déséquilibre ou de crise.
La théorie de la société des réseaux exposée
par Manuel Castells dans son monumental ouvrage sur la société
de réseaux , présente dans l'analyse de la sphère
dite " réelle " , des limites qui ressemblent à
l'approche " patrimoniale ". De même que dans la création
de la monnaie, le pouvoir des agents se trouve totalement absorbé
et contrôlé dans les institutions consensuelles, dans la
société de réseaux le capitalisme semble avoir
entièrement gagné la partie, ce qui a pour conséquence
que les espaces de subjectivation alternative se trouvent quasiment
inexistants ou marginalisés. Tout se passe comme si la richesse
de l'univers des réseaux se trouvait ramenée à
une ressource en richesse pour l'appareil de captation de surplus. Le
conflit ne se multiplie pas dans le réseau, il s'y dissout littéralement
ou devient un simple bruit.
Un tel danger ne guette pas l'école polanyienne et maussienne
du don qui se propose de fournir une alternative altruiste au cadre
de l'échange marchand. Ce courant de pensée auquel s'adossent
les positions anti-libérales dans la mondialisation plaide pour
englober l'analyse de l'échange par l'économie classique
et néo-classique dans un ensemble plus large. L'échange
marchand comme échange d'équivalents stricts mesuré
par la monnaie ne parvient pas à rendre compte de toutes formes
d'échange beaucoup plus riches en liens sociaux tel le potlatch,
mais aussi la relation religieuse comme échange incommensurable
et totalement asymétrique entre le don infini de la grâce
divine et le culte de la créature dans la théologie .
Pourtant, cette tentative de conserver un espace non marchand dans la
coopération sociale, laisse paradoxalement intact le cadre de
la division du travail conçue comme un échange entre individus.
Elle continue de partager la vision de l'économie politique de
Smith : la mesure de l'échange doit, pour elle, être revue
au sens où la norme marchande est à encastrer et contrôler
au moyen des normes sociales et des règles symboliques, mais
il s'agit toujours de mesurer des valeurs . Aussi demeure-t-elle peu
sensible aux transformations des termes mêmes de la conception
de la division du travail et à celles de la valeur économique
qui sont en train de se produire sous le capitalisme cognitif à
l'intérieur de l'économie elle-même. Ce qui est
pourtant singulier dans la phase de mutation que nous connaissons, c'est
que les frontières de l'économie sont en train de vaciller
sérieusement et pas seulement dans le sens d'une expansion continue,
démesurée et irrésistible de la marchandisation.
Les nouvelles frontières et nouvelles clôtures du capitalisme
cognitif révolutionnent bel et bien ce que les économistes,
les chefs d'entreprise comme les banquiers avaient coutume d'entendre
par capitalismeá car elles touchent à la fois la lisière
de la sphère marchande que sa structure interne.
Les nouvelles frontières extérieures et intérieures
La mutation du deuxième capitalisme au troisième capitalisme
est considérable parce qu'elle implique l'ensemble des rapports
de propriété et particulièrement la propriété
intellectuelle. Rappelons que la propriété est définie
par l'économie du droit comme la faculté ou le pouvoir
d'exercer un choix sur un bien, sur un service, sur un usageá.
Le nouveau continent de la valeur voit naître avec les espoirs
d'Eldorado, des explorateurs, des aventuriers, des pionniers, des pirates,
de nouveaux États corsaires. Il voit naître aussi de nouvelles
cultures, culture des nouveaux espaces, culture de ces nouveaux marchés
avec leur cortège d'attelages étranges, hybrides. Le numérique
secrète ses sectes éphémères, ses valeurs
culturelles pérennes. Il ne s'agit pas simplement de frontières
extérieures, mais bien aussi de ses frontières intérieures.
Dans l'histoire du capitalisme comme phénomène historique,
la découverte de nouvelles terres à conquérir s'est
toujours traduite par un problème d'établissement de droits.
L'appropriation par les couronnes Ibériques du Nouveau monde
a ouvert des conflits immédiats tant avec les colons blancs installés
qu'avec les populations autochtones. Conflits de territoires bien sûr
: comme cet adage terra nullius (la terre de personne est réputée
appropriable par le nouvel arrivant) qui permit la spoliation des populations
autochtones sous prétexte qu'elles n'exhibaient aucun titre de
propriété individuelle et dont récemment la Cour
Suprême australienne a accepté d'entreprendre la révision.
Mais conflits de droit plus subtils aussi, portant sur la nature des
créatures : les Indiens et les Noirs ont-ils une âme ?
Si oui, il paraissait difficile de les traiter comme des choses ou du
bétail, c'est-à-dire de les réduire en esclavage.
La découverte des moyens pour les humains de pénétrer
dans la fabrique du vivant et d'y intervenir (génome, organisme
génétiquement modifié, clonage) ranime des querelles
de cette ampleur autour des enjeux commerciaux considérables
des transplantations d'organe, des cultures thérapeutiques sur
embryon, jusqu'au clonage humain, ainsi que des biotechnologies. Il
existe toutefois une différence considérable avec l'ère
des grandes découvertes : les conquistadors, puis les colons
disposaient d'un arsenal de droits de propriété assez
complet et bien au point pour quadriller les nouveaux " eldorados
" : la propriété éminente du souverain qui
permettait d'annexer en droit des millions de kilomètres carrés,
les systèmes de délégation semi-seigneuriale (Encomiendas,
Capitaineries feudataires), les propriétés ecclésiastiques
jouissant de leurs propres tribunaux, la propriété privée
illimitée du colon faisant de l'individualisme possessif à
la Locke comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. On ne décèle,
au cœur de l'Occident entre 1500 et 1880, aucune crise de la propriété,
mais un maillage de plus en plus fin qui laisse échapper de moins
en moins de poissons et de ressources autochtones. Autrement dit, il
n'y a aucune crise de la propriété à l'intérieur
des Nations Européennes occidentales. Les seules crises féroces
concerneront la répartition des pouvoirs de ces différentes
formes de propriétés (en particulier la propriété
religieuse qui perdra son statut d'exception après la Réforme
et la laïcisation de l'État) et dans les colonies et les
Empires (russe et américain) avec le statut du travail dépendant
(la question de l'esclavage et du servage) . Aujourd'hui en revanche,
les nouveaux territoires sont situés à l'intérieur
du capitalisme après la première mondialisation (XV°-XIX°)
et d'autre part et surtout, les droits de propriété sont
minés à l'intérieur même par la révolution
des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Il s'agit de déterminer ce qui est privé, ou privatisable
en le séparant de ce qui ne saurait faire l'objet d'une exploitation
économique (premier degré) et ce qui, bien qu'exploitable
ou productible comme une ressource économique, ne saurait faire
l'objet d'une appropriation privée et devrait donc rester objet
de la propriété publique. Lé délimitation
de nouvelles clôtures ne regarde pas simplement les clôtures
privées (comme à l'époque des Parlamentary Enclosures
du XVIII siècle) mais également les clôtures ou
limites entre ce qui peut faire l'objet d'une intervention humaine et
fabricante et ce qui ne le peut pas. On peut parler dans ce cas de clôtures
en voie de constitution qui délimitent le domaine de l'écologique
à ne pas envahir. La nouvelle bataille des clôtures tourne
donc autour de la détermination de trois domaines . Le premier
est celui de la biosphère, qui, par sa complexité et la
fragilité de son équilibre, requiert l'application d'un
principe de précaution aussi bien par rapport à l'intervention
économique privée que par rapport à l'action publique
de " mise en valeur " . Il est ainsi clair que les projets
" nationaux " de gestion des ressources hydroélectriques,
forestières, d'irrigation, d'amendement des sols, en raison même
de leur ampleur et de leurs répercussions sur la désertification
des sols, sur les modifications climatiques, ne peuvent pas plus être
laissés à la souveraineté " publique "
qu'aux initiatives des firmes transnationales. De même, malgré
ses effets moins nocifs sur la production de carbone, la filière
du nucléaire est abandonnée par un grand nombre de pays
en raison de l'impossibilité de maîtriser réellement
le problème de traitement des combustibles irradiés, source
de dégradation plurimillénaire de la planète. Le
deuxième type de clôture désigne le nouveau domaine
de la sphère publique, essentiellement définie comme excluant
l'appropriabilité privée de certaines ressources maintenues
dans le domaine de l'accès public et gratuit pour des raisons
d'efficacité économique (principe de disclosure ou révélation
pour susciter et préserver l'innovation) et/ou des raisons politiques
(immaturité des agents privés à intérioriser
et endogènéiser dans le calcul économique des règles
plus complexes que la formation du profit à court terme) et/ou
des raisons éthiques (immaturité passagère ou durable
de la société en général à affronter
la maîtrise du vivant ).Ces barrières ne sont pas immuables.
Ainsi il n'est pas exclu que l'état des connaissances techniques
permette un jour d'admettre que la puissance publique puisse intervenir
dans la production de la biosphère de façon non catastrophique,
ou à l'aveuglette comme c'est le cas actuellement. On examinera
maintenant l'un des aspects le plus emblématique de cette bataille
générale des clôtures : celle qui concerne les biens
information ou biens connaissance dans la transition au capitalisme
cognitif.
La bataille des clôtures sur les biens connaissances
L'incorporation de la science dans la production n'est pas un phénomène
nouveau : le capitalisme industriel a développé une application
systématique de la science . Les inventions ont ainsi été
appliquées sous forme d'innovations technologiques. Mais la numérisation
des connaissances, l'informatisation du traitement des données,
leur diffusion à l'échelle des individus par la généralisation
des ordinateurs personnels aux capacités de mémorisation
de plus en plus grandes, les coûts de plus en plus bas de l'acheminement
des données ont changé complètement les termes
dans lesquels se trouve définie la propriété intellectuelle
et industrielle des biens immatériels qui régissaient
et régissent toujours largement la vie économique. Un
procédé technique, une connaissance spécifique
immatérielle pouvait faire l'objet d'une appropriation privée
dans la mesure où elle est brevetée. Le compromis du brevet
consiste en une description précise, permettant à n'importe
quelle personne " de l'art " de comprendre et de reproduire
le procédé innovant, non révélé jusque-là.
En échange de cette mise à disposition de cette innovation
pour les États, l'auteur du brevet s'en voit reconnaître
la paternité morale et juridique et a la possibilité d'en
vendre l'usage exclusif à des acheteurs pour une durée
limitée dans le temps (de dix à vingt ans en moyenne).
Au terme de cette période, le brevet tombe dans le domaine public
des connaissances incorporables gratuitement dans la production. La
création artistique et littéraire a fait l'objet d'une
codification du droit de propriété différente dans
ses modalités, mais fondamentalement semblable dans son propos
: à la différence du procédé ou produit
de nature industrielle, l'œuvre se définit par son originalité,
son caractère artistique. L'élément industriel,
c'est-à-dire la répétition ou reproduction de l'œuvre
(le livre par exemple dans son support matériel) fait l'objet
d'une cession marchande temporaire et renouvelable de la part de l'auteur.
Ce dernier et ses héritiers se voient garantir deux droits distincts
: le droit patrimonial d'abord plus long que le brevet d'exploitation
d'une invention, car la clause de chute dans le domaine public est de
plusieurs dizaines d'années et le droit moral incessible en droit
français qui garantit que la singularité de l'œuvre
ne sera pas compromise par le plagiat, la déformation, le détournement
du sens etc. Le droit de propriété artistique et intellectuelle,
tels que nous le connaissons résulte de codifications successives
qui intervinrent chaque fois que des techniques et leurs usages mettaient
en question l'exercice du droit de propriété dans sa définition
comme dans sa mise en œuvre que les juristes nomment son exécution
ou enforcement en anglais. Définir en effet un droit de propriété
comme le pouvoir d'exercer un choix sur un bien et un service ou l'usage
de connaissances et d'informations ne consiste p as seulement à
étiqueter tel ou tel actif comme susceptible de tel droit d'usage,
de fructus (en tirer un revenu) ou d'abusus (l'aliéné
ou le céder pour un temps limité). Cela suppose aussi
comme l'exprime le terme " pouvoir ", la capacité effective
de mettre en œuvre, d'exécuter ce " contrat "
de propriété. Cette condition gouverne l'inclusion dans
les " ressources économiques " : ce qui est disponible
en quantité illimitée pour tous ne saurait faire l'objet
d'une appropriation économique et donc d'un investissement, d'une
production, d'une vente ou d'une accumulation. L'air, à la surface
du globe, était jusqu'à, il y a peu dans cette situation.
Les molécules de principe actifs chimiquement contenues dans
les plantes des forêts primaires tropicales. Mais la rareté,
condition indispensable à la mise sur le marché d'un produit,
peut être organisée involontairement par la sottise humaine
(gaspillage de ressources rares non renouvelables) ou par une malveillance
délibérée (collecte et inventaires des plantes,
déposition de demande de brevet sur leur formule, obtention d'elles
par mise en culture artificielle en laboratoire, puis, étape
indispensable pour rentabiliser l'investissement ainsi effectué,
destruction de la forêt tropicale). La ressource disponible gratuitement
et renouvelable par la propriété de la nature de se reproduire
toute seule avec la lumière, devient une ressource économique
(et rentable) car construction institutionnelle d'un monopole de sa
reproduction : le paysan se bornant à assurer le cycle producteur
sans pouvoir bénéficier du cycle reproducteur, le consommateur
étant invité à payer pour utiliser le produit .
Toutefois la rareté et le caractère non renouvelable "
naturellement " d'un bien ou d'un service ne sont pas suffisants
pour assurer à un actif quelconque la qualité d'être
appropriable de façon privative par un propriétaire et
faire l'objet d'un contrat de vente ou d'usage. Il faut en effet que
cet actif possède deux autres qualités : le caractère
exclusif (excludability) et le caractère rival (rivalry). L'exclusivité
veut dire que l'appartenance à un propriétaire prive tout
autre personne de jouir des mêmes droits sur cet actif. La rivalité
veut dire que l'usage d'un actif choisi par le propriétaire n'est
pas compatible avec un autre usage. Ces précisions pourraient
paraître assez scolastiques. Elles ne le sont nullement à
partir du moment où l'on considère les biens publics d'une
part, et les biens connaissance ou les biens informations qui composent
une part croissante des richesses économiques de l'autre. L'analyse
économique des biens publics montre que le caractère non
exclusif et non rival des actifs comme la sécurité, l'éducation,
les infrastructures matérielles communes empêche leur appropriation
et leur production : compte tenu de leur nature, on ne trouve aucun
producteur privé pour les produire. Tout le monde veut profiter
de la sécurité, mais personne n'est prêt à
payer une personne privée pour y avoir accès. Le marché
s'avère donc incapable d'allouer les ressources nécessaires
à leur production et c'est à la puissance publique qu'incombe
le financement obtenu par prélèvement obligatoire (la
question du caractère privé ou nom de l'entreprise qui
réalisera la production de ces biens ou services est tout à
fait secondaire, car plusieurs combinaisons sont possibles pourvu que
le financement soit public).
Le caractère inexécutable des droits de propriété
de la vieille économie
Or les biens connaissance et les biens information qui constituent l'armature
même du troisième capitalisme présentent une grande
partie des caractéristiques des biens collectifs. Si X échange
avec Y des connaissances, ce qu'il communique à Y, il ne le perd
pas. L'usage qu'en fera Y n'interdit pas à X d'en faire un usage
différent. Paradoxe encore plus fort, alors que la rareté
d'un bien matériel croit avec son usage du fait de son usure
progressive, la valeur d'un bien information ou d'un bien connaissance
croit avec son usage, sa diffusion. Le mode de la connaissance et de
l'information est un mode de l'abondance . La part des biens collectifs
tend donc s'accroître jusques et y compris dans la production
matérielle informatisée. Et lorsque les biens informations
peuvent être codifiés en biens vendables sur un marché
compte tenu par exemple de leur rareté ou de la difficulté
à les rendre immédiatement disponibles, leur obsolescence
très rapide constitue une difficulté supplémentaire
à leur marchandisation. Nous sommes conduits ici à la
difficulté la plus importante à la commercialisation de
la connaissance : celle du caractère exécutable des droits
de propriété qui sont établis sur elle. L'impact
de la révolution des NTIC est en effet de rendre reproductible
très facilement, stockable sans usure et acheminable à
un coût marginal quasi nul une portion croissante des connaissances
mais aussi de procédés techniques que la numérisation
rend accessibles et codifiables. En résulte une perte des monopoles
ou des rentes de savoir liés à autre chose que le cerveau.
À l'âge de l'Internet, du téléchargement
immédiat, vous ne pouvez espérer conserver une découverte
très longtemps si bien que la publication et la publicité
la plus rapide possible deviennent le seul rempart efficace contre le
plagiat. En revanche les barrières à la diffusion de la
connaissance sont liées au niveau d'éducation du travail
vivant du cerveau. Autrement dit, l'utilisation à une échelle
massive du potentiel de reproduction que contient la révolution
numérique, rend l'exécution des droits de propriété
intellectuelle de plus en plus difficile. L'apparition du format MP3
de compression du son numérique rend possible l'échange
par téléchargement d'ordinateurs personnels à ordinateurs
personnels (voir le procès de Naptser). Comme l'explique Richard
Barbrook les tentatives des majors de la musique d'interdire ces échanges
en invoquant le respect des droits d'auteurs et de décourager
les 36 millions d'utilisateurs quotidiens de la musique en ligne gratuite
se sont soldées par une victoire à la Pyrrhus. Napster
a été relayé par des logiciels pourtant beaucoup
plus techniques dans leur maniement et les tentatives de capter la "
clientèle potentielle " dans des " abonnements "
légaux de Bertelsmann ont été des fiascos commerciaux.
L'apparition prochaine de format de compression numérique de
l'image de très bonne qualité, l'augmentation considérable
de la puissance et de la rapidité de téléchargement
des ordinateurs, le développement du FreeNet ou de l'Internet
sans fil en utilisant la diffusion hertzienne vont rendre de plus en
plus compliquée l'application des règles d'exécution
des droits de propriété intellectuelles qui se trouvent
effectivement au centre des prochaines re-négociations du l'Organisation
Mondiale du Commerce (sous le nom de TRIPS). La connaissance ou l'information
coûtent cher à produire et consomment, nous l'avons vu,
quatre composants, des biens matériels (machine), des biens immatériels
(logiciels et informations traitables par les ordinateurs), des services
immatériels et vivants (l'activité et l'attention du cerveau,
ainsi que les réseaux). Une partie croissante de ces biens ou
ressources correspondent à des biens collectifs. La privatisation
à une échelle significative de ces biens alors que la
reproduction des produits des biens (informations, connaissances codifiées
numérisées) ne coûtent quasiment rien, se heurte
à l'exécution du contrat de droit de propriété.
Dans la " vieille " économie, la rareté, la
difficulté, la médiocrité, le coût de la
reproduction constituaient les meilleurs auxiliaires des droits de propriétés
privatifs. Les NTIC et leur appropriation à une échelle
massive (1986 avec les ordinateurs personnels) dans un réseau
transnational et libre d'accès, (l'Internet à partir de
1995) et la diffusion durant quarante ans des logiciels libres ont affaibli
très fortement le caractère exécutable des droits
de propriété. D'innombrables procès attestent de
sa fragilité. Pour préserver au marché sa place,
il faudrait arriver à réglementer férocement l'usage
de la photocopie ou du téléchargement. Richard Stallman,
le développeur du système GNU qui s'est combiné
avec Linux et qui défend le principe du logiciel libre, c'est-à-dire
de licence de copyleft sur lequel nous reviendrons, imagine un monde
sinistre en 2096, Tycho, où il est interdit à tout étudiant
de prêter ses livres numériques à un autre étudiant
. La bataille autour du cryptage des données et des messages
illustre également ce phénomène. Dans le souci
de réserver les logiciels de cryptage aux grandes organisations
jugées plus contrôlables, les entreprises privées
ont réclamé de breveter ces logiciels, tandis que les
États tentent actuellement d'imposer des dispositifs obligatoires
de dépôt préalable des codes d'accès au nom
d'impératif de sécurité nationale ou de lutte contre
la criminalité (drogue, pédophilie). Les développeurs
et inventeurs de ces logiciels pour s'opposer à leur brevetage
se sont empressés de les rendre public sur l'Internet, ce qui
interdit le dépôt d'une demande en ce sens. La fracture
numérique constitue l'élément déterminant
pour les pays du Sud, s'ils ne veulent pas se trouver cantonnés
dans les tâches de plus en plus subalterne d'ateliers de sous-traitance
de la production matérielle tandis que la production immatérielle,
le savoir faire, les réseaux juridiques et les réseaux
d'organisation des marchés globaux demeureraient plus que jamais
dans les pays du Nord. Malgré la ferme intention des Etats-Unis
et de l'Union Européenne de réviser les droits de propriété
intellectuelle dans le sens d'un renforcement des droits de propriété
privés sur les savoirs (le génome, les OGM, les nouvelles
molécules thérapeutiques issues de biotechnologies, les
brevets sur les logiciels) plusieurs symptômes sont apparus d'une
difficulté croissante d'exécution de ce programme dans
la mondialisation. Le projet de l'AMI de réglementation unifiée
de code des investissements a été refusé ainsi
que l'inclusion des biens artistiques et culturels dans les négociations
commerciales de l'OMC, Le clonage des organes humains soulève
une opposition considérable, le projet Terminator a été
officiellement abandonné par la Monsanto devant le tollé
créé par sa diffusion sur l'Internet (plusieurs milliers
de protestations ont été réunies en quelques heures
aux États-Unis), l'Union Européenne continue à
se prononcer contre la révision de la Convention de Munich qui
n'accepte pas la brevetisation des logiciels, la non-ratification par
le gouvernement américain du Protocole de Kyoto suscite une très
forte réprobation. Mais l'exemple le plus significatif est venu
du Sud avec le retrait de la plainte des firmes multinationales pharmaceutiques
américaines contre le gouvernement sud africain à propos
de la production de médicaments génériques permettant
d'abaisser radicalement le coût des tri thérapies contre
le sida. Il est symptomatique que le gouvernement américain ait
finalement fait pression pour obtenir ce recul de ses propres industriels.
Il semble en effet qu'il ait jugé la situation tellement dégradée
qu'elle risquait de faire échouer la totalité du cycle
de négociations sur les nouveaux droits de propriété
intellectuelle (le TRIPS).
L'éclatement du noyau classique des droits de propriété.
La bataille des clôtures bat son plein. Elle est certainement
l'une des conditions décisives de l'installation d'un régime
d'accumulation plus stable pour le troisième capitalisme. Il
serait largement réducteur de présenter cette bataille
comme perdue d'avance pour les adversaires dune mondialisation marquée
au seul sceau du néo-libéralisme. Deux éléments
se conjuguent pour bloquer le passage en force de dispositifs contraignants
et répressifs, malgré des situations d'exception créées
sur l'Internet au nom de la lutte anti-terroriste depuis le 11 septembre
2001. Le premier tient à l'étendue de la transgression
des droits de propriété intellectuelle dont le piratage
et la napstérisation populaire sont des indices patents. La firme
Microsoft n'a pas été démantelée comme l'avait
préconisé le Juge Jackson lors de la première phase
du procès anti-trust ; elle poursuit ses pratiques de conquête
d'un monopole sur le marché des logiciels propriétaires.
Elle pourfend le piratage de ses logiciels avec une belle énergie.
Mais en Russie, les trois quarts des logiciels propriétaires
utilisés (presque exclusivement Microsoft) sont en fait piratés
et ne rapporte rien à la firme de Redmont. Il en va de même
dans le gigantesque marché potentiel chinois Dans le Sud, même
s'il s'agit de marchés bien plus modestes, la même logique
que celle qui a présidé à la bataille autour des
produits génériques est à l'œuvre. Pour obtenir
le minimum de consensus à l'exécution des droits de propriété
intellectuelle, les entreprises et les États du Nord doivent
baisser drastiquement leurs prix. Le deuxième élément
de desserrement de la contrainte des droits de propriété,
et c'est l'argument le plus lourd, est le caractère inefficace,
du point de vue de la logique de l'innovation qui se trouve au cœur
du capitalisme cognitif, de la logique propriétaire. L'exemple
des logiciels libres, celui du libre accès des archives de données
montre que le modèle de coopération transnationale en
temps réels grâce à l'outil de l'Internet permet
d'atteindre dans la production scientifique, dans celle de programmes
d'informatiques des solutions beaucoup plus innovantes, de bien meilleure
qualité, dans des délais beaucoup plus rapides et à
un coût incomparablement plus faible. La productivité,
et c'est une nouveauté considérable par rapport à
la bataille des enclosures de la fin du XVIII° siècle lors
de l'émergence du deuxième capitalisme, se trouve du côté
des adversaires des clôtures privés et des clôtures
disciplinaires de l'État Nation ou de l'Empire. Cette leçon
administrée par les communautés de l'Internet dans le
domaine de la production numérique, s'étend dans l'économie
" légère " des services de production de la
santé ou de la sécurité du vivant. L'économie
d'échange de biens matériels entre des propriétaires
qui aliènent l'usage et l'usufruit de leurs produits est remplacée
par des marchés de services complexes qui combinent la fourniture
d'un bien matériel (dont le coût et le profit retiré
sont le plus souvent très faible) avec des services d'entretien,
de calcul et de réduction des risques, d'assurances multiples.
Dans cette économie fort bien décrite par Jeremy Rifkin
, les droits de propriété s'ils ne disparaissent pas sont
fortement restructurés : le droit de propriété
privée de biens matériels devient moins important que
le droit d'accès à des flux de services. Même si
cet auteur voit clairement les enjeux de la brevétisation du
vivant auquel il s'oppose par l'intermédiaire de sa Fondation
contre les organismes génétiquement modifiés, et
remarque bien le déclin de l'importance de la propriété
matérielle, il a tendance à négliger la question
du caractère exécutable des droits de propriété
transformés en droit d'accès selon des abonnements. Les
abonnements paraissent un système qui permet de contourner la
réticence des consommateurs et leur volonté de piratage
(syndrome du passager clandestin) en procurant une impression d'abondance
de services disponibles. Mais la question de leur réussite économique
passe par leur prix. Les tentatives d'introduire des abonnements et
de faire payer l'information sur l'Internet se révèlent
décevantes comme dans les cas comme ceux de la remise au pas
de Napster. Le nombre de candidats réels à un abonnement
devient trop faible pour justifier les frais de production et de mise
en ligne des portails commerciaux qui sont obligés de fermer
massivement. La puissance économique de l'Internet est liée
au nombre d'usagers, à la puissance de la multitude des interactifs.
La marchandisation de la connaissance et de l'information est d'autant
plus mal reçue que l'Internet n'est pas gratuit, il est seulement
d'un coût suffisamment bas pour être tolérable. Il
semble bien que l'échec de la Net economy corresponde à
une incapacité structurelle des vieilles règles du capitalisme
industriel à gouverner ces nouvelles formes de coopération,
sauf à tuer la poule aux œufs d'or. Si la vieille économie
veut pouvoir maintenir la règle du profit et la norme marchande,
il lui faut alors se contenter d'extraire le maximum d'externalités
positives de la coopération cognitive et, dans ce cas, renoncer
à subsumer directement la sphère de l'Internet. Un compromis
majeur a déjà eu lieu. La tendance qui nous paraît
se manifester dans ce jeu incessant de redéfinition des droits
de propriété est en effet celle d'un éclatement
du concept unitaire de la propriété. Alors qu'au Moyen
ge, l''usus, le fructus et l'abusus étaient trèsrarement
concentrés entre les mains d'une seule personne, sous le second
capitalisme marchand, au XVII° siècle il s'est produit une
unification de ces trois possibilités de droit de propriété.
L 'individualisme possessif de Locke s'est battu pour obtenir le caractère
illimité de la propriété (c'est-à-dire un
retour au droit romain) et particulièrement le caractère
dominant de l'abusus. Le droit de céder et d'aliéner la
totalité du bien constitue l'enjeu fondamental de ce capitalisme.
On sait qu'il étendra ce droit à une partie des travailleurs
dépendants sous la forme de l'esclavage ou du servage. Cette
unification des droits de propriété est conservée
dans le capitalisme industriel même si la personne humaine est
retirée des actifs cessibles. Dans le troisième capitalisme,
cette unification trop forte des trois composantes des droits de propriété
s'avère un obstacle à l'absorption et à la production
endogène de l'innovation. Le développement de la force
d'invention de la coopération entre les cerveaux requiert de
nouvelles formes de domination : le modèle de la firme-réseau
horizontale ne se cantonne plus seulement aux départements R&D,
il restructure l'ensemble des relations de marché tant du côté
des fournisseurs que de celui des clients. Tandis que la puissance productive
de la coopération via l'Internet ne supporte pas la vieille culture
industrielle et fordiste. Le troisième capitaliste est condamné
à devoir composer continuellement avec une véritable culture
alternative. La nouvelle codification de l'activité et du travail
pour le compte d'autrui, la transformation de la constitution salariale
résulteront de cette confrontation.
Une véritable culture alternative de la mise en commun
L'offensive particulièrement forte depuis quelques années
contre la culture pionnière de l'Internet a pris la forme d'une
réaffirmation répressive des vieux droits de propriété
intellectuelles surtout des brevets et du droit patrimonialdudroit d'auteur
au profit essentiellement des distributeurs, éditeurs, producteurs
et intermédiaires de la culture (musées, bibliothèques)
accélérant par là même, la fuite vers les
solutions d'évitement du marché, de piratage. Les NTIC
mettent largement en péril le circuit traditionnel de construction
des échanges par la publicité payante et par l'abaissement
drastique des coûts d'entretien des réseaux de diffusion.
Les entreprises habituées aux consommateurs de la vieille économie
se sont rendu compte lors de leur ruée vers l'or de l'Internet,
qu'elles se heurtaient à une contre-culture puissante de la gratuite,
du libre (qui n'est pas la même chose), de la coopération,
de l'émulation scientifique, du jeu, de la contestation systématique,
quasi caractérielle de la hiérarchie dépourvue
de légitimité. Le marché n'est pas en cause, car
il n'est pas nié par les hackers, mais il est remis à
sa place de l'intérieur et surtout limité dans ses prétentions
d'absorber la sphère de la production e connaissance. Il est
évidemment difficile de dégager les lignes et les valeurs
d'un mouvement multiple, pluriel comme en témoigne par exemple
le débat qui oppose les tenants du copyleft strict comme R. Stallman,
à un mouvement plus conciliant de l'open source, bien que ce
dernier qui paraît accommodant envers les systèmes hybrides
avec les logiciels propriétaires ait des conséquences
révolutionnaires en matière de définition des missions
de politique publique de production de la connaissance. Il suffit pourtant
de voir la perplexité des économistes classiques devant
le modèle du logiciel libre, c'est-à-dire devant un modèle
efficace économiquement comme GNU-Linux qui utilise les ressources
juridiques du droit de propriété pour sauvegarder et étendre
un nouveau domaine public . À un autre pôle et sur un registre
nettement plus hargneux, les attaques des groupes de pression des entreprises
de logiciels propriétaires se font virulentes à l'égard
des logiciels libres accusés de faire une concurrence déloyale
au secteur privé. Ce n'est pas un hasard si ces pourfendeurs
du libre réclament outre un régime de brevets renforcé,
que l'État demeure le seul propriétaire des logiciels
développés par les chercheurs payés sur les budgets
publics et leur interdise d'en disposer à leur guise et en particulier
de les mettre en ligne ou de les soumettre à un régime
d'in-brevabilité. Bel hommage du vice à la vertu, puisque
se trouve reconnu l'efficacité du libre et son caractère
contagieux . La question qui se trouve ouverte est aussi celle du statut
du nouveau salarié ou dépendant dans le capitalisme cognitif.
Robert Castel a suggéré que le compromis mis en place
à la fin du XIX siècle sous le capitalisme industriel
avait consisté à doter le prolétaire privé
de propriété, d'une nouvelle forme de propriété,
la propriété de droits sociaux exprimée dans l'Etat
Providence . La direction suivie par les entreprises de la nouvelle
économie a été jusqu'ici de patrimonialiser le
revenu des salariés par le biais des stock-options, des fonds
de pensions et de l'épargne salariale confiée à
la Bourse au marché et aux entreprises. La vulnérabilité
de cette solution aux krachs financiers ( tel celui d'Enron) conduira
inéluctablement à des mécanismes de garanties de
revenu comme l'allocation universelle ou le revenu d'existence Le principe
du copyleft opposé au copyright repose sur le principe suivant.
L'auteur ou les créateurs, lorsqu'il s'agit d'un collectif, ne
renoncent nullement à exercer un droit de suite sur leur production
intellectuelle. Les logiciels contrairement aux logiciels propriétaires
révèlent leur corde source et ils sont reproductibles
et modifiables à deux conditions ; la réciprocité
et la transitivité. Celui qui bénéficie des externalités
positives que lui procure l'usage libre et sans droits d'auteur doit
faire de même. Il lui est interdit sous peine de poursuite pour
violation de la licence qui lui a été accordée
de transformer le logiciel libre en logiciel propriétaire en
fermant l'accès au code source. Il doit aussi informer celui
qui est en amont et qui lui a concédé le copyleft de ses
initiatives d'amélioration du produit. Si l'innovation est retenue
dans les configurations et les versions ultérieures, il devient
coauteur. Il s'agit d'un système juridique qui n'accorde que
l'usus (la copie et la modification) en récusant le fructus et
l'abusus. L'open source se renonce à exercer ce droit de suite
puisque comme dans le cas des connaissances produites publiquement,
il laisse libres les auteurs de tirer un revenu (fructus) et d'aliéner
(abusus) leurs logiciels qui peuvent être insérés
dans des logiciels propriétaires dont le code d'accès
cesse d'être disponible. Mais en pratiquant une politique de mise
en ligne immédiate, c'est-à-dire de publicité,
le mouvement open source entend bloquer la prise de brevet par les firmes.
Les questions qui sont au cœur de ce différend sont celles
de la question du revenu des auteurs, créateurs et inventeurs.
Comment les développeurs du libre survivent-ils économiquement
lorsqu'ils sont organisés en entreprise ? La réponse,
semble être qu'ils facturent le service de conception, de maintenance
des systèmes, le conseil en innovation donc le wetware et non
pas le software. Ils ne sont pas les seuls : IBM a pris ce tournant
stratégique depuis plusieurs années et s'allie maintenant
à Linux contre Microsoft . Terminons cet examen de la bataille
autour de la redéfinition des droits de propriété,
par la question de la culture des activistes á . La question
de la codification du droit n'est jamais une simple affaire de droit
positif ou de théorie évolutionniste et fonctionnaliste
de l'adaptation des règles aux impératifs économiques.
L'émergence du droit comme compromis, résulte largement
des sujets, des usages qu'ils développent et de leur légitimation.
La lecture de la réflexion théorique ou polémique
produite par les communautés de l'Internet, qui ont précédé
de plus de trente ans, les industriels et les États , témoigne
de l'émergence d'un modèle de valeurs et d'activité
profondément divergent par rapport aux modèles du salarié,
de l'entrepreneur innovateur comme de la division post-smithienne du
travail . La thèse de P. Himanen assez séduisante, malgré
son caractère très général est que la culture
des hackers, expression qui agace beaucoup ces derniers, constitue le
signe d'une mutation en profondeur du paradigme dominant du travail,
bref d'une nouvelle éthique du capitalisme. Ces hypothèses
rencontrent largement les nôtres. Himanen oppose en effet la nouvelle
éthique du travail en gestation dans le monde de l'Internet,
qui relève de l'Académie de Platon (modèle universitaire
de partage des connaissances, d'émulation, de jeu à celle
de l'esprit protestant du capitalisme (l'accumulation d'argent, l'individualisme).
Cette opposition se double d'un autre repoussoir : le modèle
du monastère qui fixe le travail dépendant et la discipline
hiérarchique collective. Ce qui correspond dans notre tripartition
des époques du capitalisme au legs du premier capitalisme.
Nous avons rassemblé dans le tableau 1 les principaux traits
de la mutation de la division du travail sous l'angle de sa place, de
la variable clé de son évolution, du modèle d'organisation,
de la caractéristique des actifs dominants, des biens dominants,
de l'effet majeur, l'outil économique, du rôle des externalités.
Une opposition très forte domine terme à terme. Nous l'avons
souligné. L'opposition essentielle tient d'abord à la
place de la division du travail. Si elle occupe une place centrale aussi
bien chez Smith que chez Marx, elle devient secondaire par rapport à
la coopération immédiate dont on trouve le modèle
théorique complexe chez Gabriel Tarde. Le modèle organisationnel
du réseau et la taille de ce dernier se substituent à
la taille du marché et à la hiérarchie. Les biens
dominants se rapprochent des biens publics, les externalités
et leurs mécanismes de captation jouent un rôle croisant.
L'attention se substitue à l'obéissance.
Tableau 1. Division du travail : la mutation de la division smithienne
à la division cognitive
Aspects de la division du travail Économie du 2° capitalisme
Économie du 3° capitalisme Importance Originelle, elle distribue
le pouvoir (Smith, Marx) Dérivée de la coopération
(G. Tarde) Variable d'évolution Taille du marché Taille
du réseau Modèle organisationnel Marché / hiérarchie
/Etat Réseau et réseau des réseaux Caractéristiques
des actifs dominants Exclusivité, rivalité, appropriation
privative possible et exécutable Biens indivisibles, non rivaux
Biens publics ou difficulté d'exécution des droits de
propriété Biens dominants Bien marchandise et bien travail
comme quantum énergétique Biens information et bien connaissance,
Attention cérébrale et réseau Effet majeur Économie
d'échelle Économies d'apprentissage Captation des externalités
positives de réseau Outil économique privilégié
Calcul marginal spot Rendements décroissants Globalisation patrimoniale
Rendements d'usage innovant croissants Calcul Matrice Input/output de
produits homogènes Biens quadruples hardware/software/wetware
/ netware Externalités Marginales sauf pour biens publics Dominantes
y compris pour les biens marchands privés.
Il est intéressant de rapprocher ce tableau du tableau 2 dans
lequel nous avons rapproché les caractéristiques de la
mutation de l'économie des mutations de valeur de l'activité
humaine proposée par les hypothèses de Pekka Himanen.
Nous sommes conduit au profil d'une nouvelle " Grande Transformation
"
Tableau 2. La nouvelle grande transformation
Éthique comme paradigme de l'activité Le monastère
Premier capitalisme Protestant, (capitalisme industriel) L'Académie
Le capitalisme cognitif
Micro niveaux locaux L'Individu L'entrepreneur Le salarié obéissant
et dépendant La vocation déterminée L'individu
créateur Le groupe d'appartenance volontaire, Le réseau
Le jeu Systèmes macro Marché, Entreprise nationale, Etat
(hiérarchie) Firmes transnationales RÉseau Valeurs Argent
Travail Optimalité Flexibilité Stabilité Détermination
Contrôle du résultat Passion Liberté Valeur sociale
Ouverture Altruisme Plaisir (fais ce que voudras) Abbaye de Thélème
Créativité
On peut parler d'une opposition stratégique qui s'exaspère
dans les secteurs-clés de la nouvelle économie qui produit
des connaissances au moyen de connaissance. Chercheurs, communicateurs,
formateurs, enseignants, techniciens de la production du vivant et des
langages symboliques, manipulateurs de symboles découvrent l'inanité
de contenu et la vulgarité sans fond des formes de captation
de la valeur au regard de la richesse. Il en résulte la formation
d'un monde aussi étranger dans ses valeurs, ses habitus à
l'horizon marchand et aussi profondément étranger à
ce dernier que le monde marchand des bourgeois du XIV° au XVII°
siècles pouvait l'être vis-à-vis de l'ordre féodal
et religieux.
Yann MOULIER BOUTANG
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