Genève 2003
Propriété intellectuelle et contenus ouverts : un juste
équilibre entre l'auteur et le public
15 janvier 2003
Richesse, propriété, liberté et revenu dans le "capitalisme
cognitif "
par Yann Moulier Boutang
Préambule : la difficile transition au capitalisme cognitif
Les différents indices boursiers (Nasdaq, Dow Jones) peuvent monter
ou descendre un peu, beaucoup, passionnément à la folie
ou pas du tout, mais les transformations du capitalisme historique, elles,
vont bon train. En témoigne la liste impressionnante des affrontements
récents sur le domaine d'extension des brevets (le génome
humain, le vivant naturel, le vivant modifié, les médicaments
pour les trithérapies), sur les droits de la propriété
intellectuelle (droit d'auteur versus copyright), sur le droit de copier
les logiciels, les données, les informations de caractère
"privé" ou non, sur le droit de lire gratuitement dans
les bibliothèques. Nous sommes en pleine bataille des nouvelles
enclosures (nom qu'on a donné en Angleterre à la suppression
par le Parlement des droits de propriété collective sur
les terres communes ). Pourquoi ? Parce nous assistons à une mutation
profonde du capitalisme que nous résumons par le terme de capitalisme
cognitif. Le capitalisme immatériel, sans poids (weightless economy
selon l'expression de D. Quah), la "société de l'information",
la net-economy, la "Nouvelle économie", la Knowledge-based
Economy (OCDE), la révolution technologique des NTIC sont autant
de façons de nommer cette transformation et d'en saisir certains
aspects partiels.
Notre thèse principale est que la nature même de la valeur,
sa forme, le lieu et les modalités de son extraction sont remodelés
de fond en comble. Il s'agit pour nous de situer la transformation en
amont d'un changement de régime de croissance ou d'un paradigme
technique ou régime sociotechnique (Perez, Freeman et Soete). Quelque
part entre un changement de régime de l'accumulation capitaliste
(école de la régulation) et un changement des rapports de
production proprement dit c'est-à-dire l'esquisse d'une transition
à l'intérieur du capitalisme, transition comportant des
mutations aussi radicales que celles qui ont marqué le passage
du capitalisme marchand esclavagiste et absolutiste, au capitalisme industriel
salarié et "démocratique". Transition qui suppose
probablement une métamorphose du salariat. La division verticale
du travail, le caractère presque universel de la loi des rendements
décroissants, la séparation de la force de travail de la
personne du travailleur, le paradigme de la valeur comme transformation
et dépense d'énergie musculaire, la rareté et l'usure
des biens et services, la divisibilité des facteurs, la loi de
l'entropie généralisée et de l'usure des biens par
leur usage, le caractère subalterne ou marginal des externalités
en particulier les exigences de les solder à un niveau systémique
écologique, tous ces traits qui façonnaient l'horizon de
l'économie politique classique et néo-classique se trouvent
aujourd'hui remis en cause . C'est cette question fondamentale qui se
profile derrière le débat : y a-t-il des lois nouvelles
pour la nouvelle économie (en matière de cycle de la conjoncture,
de "fondamentaux" à respecter) ou les lois de la vieille
économie valent-elles encore ? Naturellement l'effondrement boursier
du Nasdaq et des valeurs de la e-economy fait que ces questions reçoivent
le plus souvent depuis six mois une réponse négative : finalement
la nouvelle économie est critiquée du côté
"radical", soit comme une opération libérale allant
de pair avec la financiarisation, soit comme une "nouvelle ruée
vers l'or", aussi éphémère que les précédentes
et redistribuant finalement les droits de propriétés en
faveur des investisseurs capitalistes au détriment des pigeons
qui avaient caressé un moment le rêve de faire fortune vite.
Des visions moins âprement critiques (par exemple celle de P. N.
Giraud) notent l'extension de la sphère marchande aux diverses
formes de transactions virtuelles (les produits dérivés)
destinées à résoudre le problème de l'incertitude
et d'un risque proprement systémique.
Je crois qu'il ne faut pas confondre, dans le débat sur la nouvelle
économie, l'expansion débridée de l'économie
de l'information et du Net avec une transformation de longue durée
pourtant apparue très rapidement. Cette métamorphose traduit
la tentative capitaliste de subsumer réellement l'économie
de l'immatériel et son potentiel gigantesque de coordination et
d'interaction de l'action humaine. Une telle opération devient
envisageable grâce à la numérisation de l'information
et de la connaissance, par son traitement informatique, en profitant des
capacités presque illimitées de stockage, de calcul, qui
se combinent dorénavant avec la révolution de l'acheminement
quasi instantané des données. Ajoutons un dernier facteur
essentiel : la réduction quasiment à zéro du coût
de reproduction de la connaissance. Mais si cette révolution technologique
et sociétale (la diffusion de l'ordinateur personnel et de l'accès
au Net) ouvre de gigantesques possibilités, bref un nouveau continent,
le continent connaissance, à l'expansion qualitative du capitalisme,
elle ouvre également de prodigieuses contradictions nouvelles.
Nous les résumerons ainsi : il devient très difficile de
justifier les droits de propriété tels qu'ils ont été
mis en place au début du capitalisme industriel. La reproductibilité
indéfinie à un coût quasiment nul de la connaissance
rend très inopérantes (voire inapplicables) les règles
et les sanctions prévues pour contraindre les consommateurs à
payer. Autrement dit, la net economy comme entreprise pionnière,
y compris dans ses bulles destinées à crever, vient d'arpenter
en grandeur nature, dans l'échec du e-business, ou dans son caractère
décevant sur le plan de la profitabilité, les véritables
obstacles que le capitalisme devra résoudre. Par exemple les règles
de comptabilité des actifs, dont le classement des salaires dans
le passif du bilan des entreprises n'a plus de sens dans une économie
dominée d'une part par le capital humain immatériel (individuel,
wetware, ou collectif netware) et des investissements matériels
de réseau largement financés par l'intervention publique
ou par des transferts. Elle fausse totalement l'appréciation de
la valeur quand elle applique les critères de rentabilité
des capitaux investis.
L'échec de la net economy traduit donc à mon sens, non pas
l'absence de changement réel du capitalisme mais la difficulté
que celui-ci éprouve à prendre réellement le contrôle
de la sphère de l'information, de la connaissance avec les outils
dont il dispose (c'est-à-dire les droits de propriété
et les institutions répressives ou incitatives chargées
de le faire respecter), et l'expérience pluriséculaire qu'il
a désormais de l'économie de rareté. Dans une économie
de l'abondance où persiste déjà le scandale d'une
inégalité plus vertigineuse que jamais entre les pauvres
et les autres, entre le Sud et le Nord, les péages à l'accès
à la connaissance, au réseau de la Toile, sont reçus
encore plus mal que les octrois sous l'Ancien Régime.
Un tel optimisme pourrait sembler assez paradoxal étant donné
la constitution de pôles monopolistes mondiaux dans le domaine des
médias, des tubes et des réseaux qui acheminent l'information,
et l'accroissement du rôle des laboratoires des grandes multinationales
pharmaceutiques dans le domaine de la santé. Mais l'établissement
de nouvelles règles à l'échelle mondiale, bref du
"nouvel ordre économique mondial" sous hégémonie
américaine, y compris dans le domaine des services, de la propriété
intellectuelle et artistique soulèvent non seulement des oppositions
considérables, mais aussi des problèmes théoriques
de fond. Cela en raison de l'outillage de la discipline reine de la mondialisation,
l'économie orthodoxe. L'agitation et la mobilisation en cours depuis
une bonne quarantaine d'année dorénavant (Coase, Demsetz,
Pozner comme points de départ, sans oublier Arrow, Becker et Stigler,
puis Williamson, North), autour de l'économie de l'information
imparfaite, des coûts de transaction, des interactions, des externalités
etc. désigne clairement le lieu de l'obstacle. C'est à mon
sens celui de l'établissement des nouveaux droits de propriété
permettant l'absorption non chaotique ou révolutionnaire sous la
règle du marché, de l'activité cognitive humaine
dans ce qu'elle a de libérateur et en même temps de possibilité
de réaliser du profit.
Les nouvelles "enclosures" du capitalisme cognitif
Pour que les vagues de progrès technique (encore largement à
venir) se consolident en un régime de croissance, il faudra une
série de transformations institutionnelles et constitutionnelles
majeures. Le capitalisme cognitif est dans sa phase d'accumulation primitive
au sens où l'ensemble des droits de propriété mis
en place entre le XVII° et le XIX° siècle à partir
desquels a raisonné l'économie politique classique (et qu'elle
a, à son tour, contribué largement à perfectionner
et à légitimer) constitue une limite infranchissable à
l'inscription du potentiel de développement des forces productives
de l'activité humaine dans une trajectoire de croissance régulière
et dans un compromis institutionnel avec les forces de l'ancienne économie
. Sans ce considérable "investissement de forme" (L.
Thevenot), l'instabilité du troisième capitalisme devient
dangereuse et sa profitabilité trop aléatoire. Quand nous
parlons des droits de propriété, cela vise en premier les
droits de propriété conçus essentiellement comme
le mouvement des clôtures, (l'appropriation et expropriation), donc
la délimitation stricte de ce dont l'usage (usus), la mise en valeur
(le fructus ou revenu qu'on peut en tirer) et l'aliénation (l'abusus)
peuvent être réunifiés et constituer le préalable
indispensable d'un recours aux mécanismes de marché et de
prix. Rappelons la définition d'Harold Demsetz, l'un des grands
initiateurs néo-classiques d'une refonte de la théorie de
la propriété : la propriété explique-t-il
est "la liberté d'exercer un choix sur un biens ou un service".
Le caractère absolu, totalitaire, de la propriété
dans le libéralisme, tient à ce que cette liberté
(évidemment limitée par les lois du pays où elle
est exercée) doit porter sans aucune entrave sur les trois dimensions
d'un bien ou d'un service (l'usage, le fruit que l'on peut en tirer directement
ou par délégation, la cession totale ou conditionnelle).
L'accumulation primitive est avant toute une accumulation de nouveaux
droits, souvent durement inculqués aux couches populaires récalcitrantes
et aux couches sociales dominantes menacées elles aussi d'expropriation
ou de dévaluation de leurs titres. Cette optique correspond pour
faire vite, à la grande tradition bourgeoise et libérale
de l'économie constitutionnelle réelle de l'individualisme
possessif (avant de retomber dans la vulgarisation médiocre de
l'individualisme méthodologique), bref la tradition qui va de Locke
à Hayek. Richesse, propriété, liberté et individu
s'y génèrent les uns à partir des autres. On a affaire
à une structure articulée par un contrat, ou des conglomérats
de contrats à tous les niveaux (de la firme nœud de contrats,
au calcul du consensus de l'école des choix publics). Leur cohérence
est garantie par le marché généralisé, depuis
la main invisible jusqu'aux raffinements de l'équilibre général
: marché des biens, des services, mais aussi des hommes (esclavage,
salariat), et surtout marché des droits (dont celui des libertés
politiques), aujourd'hui enfin, marché des promesses et des risques
(la finance), marché des nouveaux droits de propriété
émettables sur l'environnement, le vivant etc. Mais il faut aussi
ne pas oublier dans ce tableau, deux autres traditions : la première,
bien repéré par l'institutionnalisme américain est
surtout juridique (et très absente de l'économie politique
classique entre Cantillon et Keynes sauf à titre minoritaire dans
l'école historique allemande), celle de la propriété
publique qui intervient à la fois comme instrument de limitation
du contrat (droit d'expropriation des propriétaires d'esclaves
par exemple, des propriétaires terriens etc..) mais surtout l'émergence
du droit social, du droit du travail, du droit public économique
qui encastrent ( Polanyi), "régulent" le marché,
l'individu, l'exercice de la liberté et le jouissance de la propriété.
C'est à l'Etat que cette tâche incombe, par la loi qu'il
émet et dont il garantit l'exécution d'un côté
et par des compromis institutionnels (conventions collectives) dont il
favorise l'émergence. Ces compromis se construisent entre la totalité
sociale représentée par le bloc (holos) étatique
et les individus qui sont à la fois des propriétaires libres
(et donc par complément des exclus de la propriété
et ou de la liberté), et les citoyens égaux, des statuts
conciliateurs, hybrides, mixtes. Ces compromis déterminent ce qui
est soumis aux transactions monétaires et ce qui est mis en dehors
des échanges marchands. Ils peuvent être pensés comme
des conditions indispensables du marché ou bien comme des compromis
temporaires. La détermination des droits de propriété
intellectuelle épouse d'autant plus cette logique que leur caractère
de bien collectif, reconnu dès le XVI° avec le "privilège
royal" accordé aux imprimeurs, tarit l'espace du marché
qui devient autophage. La marchandisation prédatrice épuise
les possibilités de reproduction de la création. Les possibilités
de reproduction des manuscrits sous la forme imprimée découverte
par Gutenberg, jointe à l'inexistence d'un appareil de coercition
capable de faire respecter la propriété commerciale du support
imprimé conduisirent les imprimeurs à accepter la tutelle
du privilège royal donc étatique. Celui-ci comportait la
tutelle de la censure, mais il reconnaissait également le caractère
limité dans le temps de la cession des droits . On aura reconnu
dans ces deux premiers filons, le face à face classique du contrat
face à la loi, du marché face à l'Etat, de l'individu-propriétaire
et bourgeois ou marchand face aux groupes sociaux sans propriété
ni qualité, les pauvres ou prolétaires, possesseurs seulement
de leur travail puis d'un statut de salarié (R. Castel et C. Haroche)
. Mais en fait il manque une troisième tradition qui complique
un peu ce schéma et qui est particulièrement d'actualité
dans les périodes de redéfinition des clôtures, des
barrières. Nous voulons parler des figures hybrides, insaisissables,
fuyantes à tous les sens du terme qui précèdent la
mise en forme des relations marchandes, et celles de rapports de production.
Citons l'esclave détenteur de pécule, le demi-prolétaire,
le serf détenteur d'un titre d'occupation ou d'un bail verbal,
le squatteur rural ou urbain, le bourgeois dans une ville libre au Moyen
Age. Bref, toutes les formes de détention de droit sur un bien,
sur un service, dont j'ai essayé de montrer ailleurs qu'elles avaient
inventé quelques-uns des traits les plus essentiels du marché.
Bref les formes constitutives et constituantes du marché de la
liberté, bien avant que ne s'installe l'ordre de la liberté
du marché. J'ai essayé de suivre cet étrange processus
de constitution dans le cas du travail salarié, et du type de contrat
parfaitement singulier que représente le contrat à durée
indéterminée.
Ces hybrides ou formes mixtes, généralement plus complexes
que la forme marchande simple (qui elle réunit sur le même
titulaire de la propriété, les trois principales fonctions),
sont inventées par des agents économiques quand ils cherchent
à échapper aux servitudes ou aux contraintes d'un ordre
juridique. Un ordre qui entrave leur mobilité, leur possibilité
d'action (on dirait de façon spinoziste qui diminue leur conatus
ou leur puissance d'agir) ou leurs droits déjà constitués.
Depuis l'effritement de la cohérence du salariat canonique (à
durée indéterminée) on assiste à une multiplication
des statuts mixtes, mais surtout à des formes nouvelles de nomadisme
dans les statuts . Mais sur le plan des droits de propriété,
il faut faire le même constat. Des formes nouvelles émergent.
Le terrain des logiciels libres largement analysé offre un exemple
de cette nouvelle frontière juridique. C'est précisément
parce qu'elle ne se contente pas d'ouvrir l'accès aux codes sources
d'un logiciel, que la licence GPL (copyleft) mise en place par la fondation
pour le Freesoftware de Richard Stallman innove. Elle produit de la propriété
sociale et collective en utilisant le droit commercial. Le copyleft n'est
pas un régime d'ouverture du code source (open source) mais un
droit de propriété particulier, un droit qui installe au
coeur du droit privé, en utilisant les prérogatives que
confère ce droit, un élément crucial du droit public
: l'interdiction de privatiser à usage marchand les produits dérivés
d'un logiciel laissé en copie libre. Ceci peut s'interpréter
comme l'invention dans le domaine du copyright et du brevet, d'un équivalent
du droit moral de suite. La marchandisation d'un produit construit à
partir du logiciel dont l'architecture et les codes de programmation ont
été livrés, est jugée contraire à la
nature profonde de l'œuvre et le détenteur du copyright s'il
affaiblit ce dernier en acceptant de renoncer aux produits patrimoniaux
de son œuvre, le renforce en le dotant d'un droit moral reconnu dans
le copyleft, parce qu'il est aussi très précisément
spécifié.
Mais on peut faire la même analyse pour le rapport juridique qui
s'établit entre l'usage et l'échange en général
en particulier l'affranchissement du droit d'aliénation (acheter,
vendre, transmettre) vis-à-vis de la réalité matérielle
de l'actif concerné par la transaction aussi bien dans sa dimension
d'usage, de reproduction (fructus) que dans son image virtuelle.
Quel est le problème central de l'échange marchand dans
l'économie du capitalisme cognitif ?
Elle tient à notre sens au poids croissant des externalités
positives, c'est-à-dire aux effets productifs positifs et gratuits
des multiples interactions dans une société reposant sur
la connaissance. (Dans le cas des externalités négatives,
c'est-à-dire d'effets négatifs au détriment de la
population, de l'environnement, de la terre en général,
la compensation des dommages pousse les associations écologiques,
les Comités d'Hygiène et de sécurité dans
les entreprises, à réclamer leur inclusion dans le calcul
marchand. C'est le principe : faire payer les pollueurs). Pour revenir
aux externalités positives, leur multiplication et leur caractère
indispensable à des procédures de coordination dans un univers
incertain rendent le recours à un mécanisme de prix déterminés
par le marché à la fois irréalisable techniquement
et surtout impossible. S'il fallait tout faire passer par l'échange
marchand en recourant au mécanisme des prix, la société
se priverait d'une des sources essentielles de productivité des
agents économiques. L'activité gratuite contenue en amont
et en aval de ce qui est considéré par l'économie
politique traditionnelle (toutes écoles comprises) comme le seul
travail méritant rémunération, est la source principale
de la valeur. Ainsi les biens et les services présentent de moins
en moins les conditions canoniques d'une appropriation privative et d'une
monétisation marchande sauf dans un système de prix en réalité
administrés dès que l'on prend en compte l'importance des
transferts incorporés en amont et en aval de leur production.`
Les biens savoir et information ne présentent plus les caractères
d'exclusivité, de rivalité, de divisibilité, de cessibilité,
de difficulté de reproduction et de rareté qui permettaient
de marchandiser leur usage, leur fruit et leur reproduction et donc de
rendre applicables effectivement les droits de propriété
(Brad DeLong et Michael Fromkin 2000). Il ne s'agit donc pas d'un problème
d'efficacité de l'allocation des biens et services, entendu au
sens du choix entre tel ou tel prix pour l'usufruit ou la nue-propriété
de tel ou tel bien de façon à satisfaire le mieux les agents
concernés. Il s'agit plus trivialement de la possibilité
même de classer tels ou tels biens ou services, dans la catégorie
des biens exclusifs, rivaux, donc privatisables. Au moment où le
marché semble avoir conforté son assise, éliminant
historiquement le socialisme en tant qu'alternative à la production
de biens matériels en dehors du marché, le nombre de biens
information et de savoirs qui présentent toutes les caractéristiques
des biens collectifs devient tellement important que la justification
essentielle de l'appropriation privative devient de plus en plus acrobatique
et largement inopérante. Sans appropriation privative possible
techniquement, aucun agent économique ne voudra produire pour et
sur le marché car les solutions de compromis établies sous
le capitalisme industriel pour les inventions, les biens artistiques et
intellectuels (le système des brevets et des licences d'un côté,
celui des droits d'auteurs de l'autre) entre la propriété
privative pour un temps donné et le besoin collectif de leur diffusion
gratuite, source indispensable d'externalités positives, se trouvent
menacées. Et cela par la nature même du bien savoir dans
un capitalisme cognitif opérant avec les NTIC (nouvelles technologies
de l'information et de la communication). Ces biens savoir présentent
une double difficulté à une marchandisation classique et
à la mise en œuvre des droits de propriété privative.
D'un côté ils sont de plus en plus inutilisables sans l'activité
humaine vivante qui seule peut opérer le travail de contextualisation
et qui profite de sa singularité (comme autrefois le travail très
qualifié, pour renforcer des conditions d'échange idiosyncrasiques
(ce qui veut dire que chaque personne est irremplaçable, elle est
une bibliothèque, et surtout la clé de classement de ladite
bibliothèque borgésienne). D'autre part, la numérisation
informatique des données qui permettrait de banaliser, déqualifier
ce travail cognitif, bref de le rendre substituable facilement, rend reproductibles
très facilement et à un coût très bas ces mêmes
données. Il en résulte deux choses : a) le caractère
de plus en plus public ou collectif de ces biens information ; b) la fin
du monopole de détention des données comme biens de production
et instrument de travail par le capital en raison de la disparition des
difficultés de copie de ces données ou de coût de
leur duplication. Le monopole de la propriété de la science
n'est plus assuré face au cognitariat (le prolétariat du
travail cognitif, qui peut largement se réapproprier des instruments
de travail et s'évader dans des activités non marchandes
ou contrôlées par lui. Cette situation s'est fortement amplifiée
avec l'introduction du format MP3 de compression musicale (Naptser, Gnutella)
qui utilise déjà la procédure P to P", c'est-à-dire
directement de l'ordinateur d'un utilisateur à l'ordinateur d'un
autre utilisateur. La défaite de Napster dans son procès
avec les Majors du disque est due au passage obligé des information
par son serveur central. La question de la reproduction de l'image va
également se trouver posée avec l'arrivée imminente
de logiciels de compression sasn dégradation du degré de
résolution de l'image. Les stratégies de capture des marchands
émergeants de l'image par Microsoft qui a racheté des agences
de photos, risquent alors d'être réduites à néant.
C'est surtout le développement de FreeNet comme alternative au
Web actuel et aux serveurs centralisateurs qui rendra impossibles à
mettre en oeuvre les mesures de contrôle de la Toile (les règles
de dépôts des clés de cryptage, la répression
de la copie, du piratage). En effet, s'il existe déjà des
sites qui permettent d'anonymiser les connexions
http://www.anonymiser.com
et ce, gratuitement
http://www.safeweb.com
http://www.triangleboy.com
, le prinjcipe de centralisation de la connexion demeure et la traçabilité
avec. FreeNet représente une révolution : celle de la décentralisation
et d'une véritable l'horizontalisation du réseau. Un procès
de type de celui qui vient d'être gagné par les majors contre
Napster deviendra impossible. La liberté du réseau s'avère
prodigieusement inventive et coriace aux différentes opérations
de régulation extérieure . Il était beaucoup plus
facile pour le capitalisme marchand ou industriel de procéder à
l'accumulation primitive des clôtures matérielle que pour
le capitalisme cognitif de cloisonner le Réseau.
C'est pourquoi les rumeurs persistantes d'effondrement de l'e-business
sont directement liées à cet échec prévisible
désormais de la première tentative sérieuse de plier
le WEB aux nouvelles clôtures des nouveaux droits de propriété.
Cet échec en lui-même aurait fâcheux. Mais il a été
accompagné de surcroît quasi simultanément de l'échec
de l'AMI, de l'arrêt provisoire du projet Terminator qui visait
en manipulant la propriété reproductive ( le "privilège
des agriculteurs" ) à rendre impossible aux paysans de fuir
le marché des semences (le renouvellement annuel de leurs semences
sur des plants hybrides ou génétiquement modifiés)
. Pour finir, les deux pays les plus "libéraux" le Royaume-Uni
et les États-Unis, ont été contraints de reculer
sur la brevetabilité du génome humain ( et pas sur les OGM
jusqu'à présent). Certes l'arrivée d'un Président
américain beaucoup plus conservateur risque de remettre en cause
ces débuts de victoire. En attendant la bourse a parfaitement compris
que la clôture était une passoire et surtout qu'aucune relation
répressive (comme on temps où la soldatesque britannique
occupait militairement le Pale irlandais et détruisait les maisons
des tenanciers catholiques) ne pourrait en venir à bout. Bien creusé
petite souris (et non plus vieille taupe) !
La liberté des internautes se défend bien. Et cette liberté
décuple le pouvoir d'innovation de la coopération pour la
production de savoir, donc les gisements potentiels de profit. Mais comment
cette liberté peut-elle se consolider, rester l'échange
non marchand de la liberté et non pas finir dans les défenses
de la liberté du marché ? Le débat juridique autour
de Napster fait apparaître un point très intéressant
aussi bien dans des régimes de copyright anglo-saxon que dans des
régimes latins de droit d'auteurs : la question de la compatibilité
entre la liberté, la gratuité des utilisateurs et les conditions
de reproduction de cette liberté. Pour que le savoir se reproduise
et s'accroisse, il faut que les cerveaux qui le produisent vivent et vivent
libres.
Droits d'auteur, propriété et revenu dans le capitalisme
cognitif
Le salarié n'est pas rétribué par le fruit de son
produit (dont il a cédé la propriété à
l'employeur, tout comme le commandement sur lui-même en acceptant
la relation de subordination dans l'exercice de son activité).
Il vit en louant l'usage de son service pour un temps limité pour
une rétribution forfaitaire. On admettra ici qu'il est légalement
acquis pour le travailleur dépendant libre (le salarié par
oppposition à l'esclave) qu'il ne peut transmettre ou vendre ce
service ou le fruit de ce service sous peine pour l'acheteur du délit
d'esclavage ou pour l'interdmédiaire du délit de marchandage.
Les non salariés sont rétribués par la vente du fruit
de leur activité dont ils restent maîtres. Quand les non
salariés produisent des biens matériels ou des services
liés à la production matérielle, le caractère
exclusif et rival de l'usage de ces produits ou services, rend la procédure
de leur vente sur et par le marché assez performant (performant
voulant dire ici à la fois l'efficacité technique et le
caractère prescriptif, normatif : le marché révèle
les talents comme dit la langue de bois, mais il dit aussi que ce qui
n'est pas sur le marché ne vaut rien, ce qui est une toute autre
paire de manche). Mais que se passe-t-il pour des non-salariés
qui produisent ou créent par leur activité du savoir, de
la culture, de l'art ? Lorqu'ils vivent uniquement de leur art, ils sont
rétribués Mais à la différence des artisans
leur revenu ne s'éteint pas dans la vente du produit de leur activité
(la toile originale, ou le manuscrit livré à l'éditeur,
le film libré au producteur) ils ont des droits sur toutes les
formes de reproductions qui sont tirées de leur "oeuvres",
le droit patrimonial. Ils conservent également un autre droit (le
droit moral) qui leur permet de s'opposer à des adaptations, à
des formes de reproductions qui dénatureraient le produit de leur
art ou de leur intelligence. L'interprétation ordinaire du droit
moral tend souvent à en faire une sorte de droit patrimonial renforcé,
offrant des garanties que le copyright américain n'offre pas. Maisil
est plus intéressant,à l'âge du capitalisme cognitif,
de remarquer que l'oeuvre ou création n'est pas séparable
dans sa consommation (contrairement aux marchandises standard) d'une activité
de connaissance qui lui confère chaque fois son sens. Ce qui décide
du droit moral d'un créateur ou auteur à s'opposer à
tel ou tel usage de son activité, c'est la destination, l'intention
patente de l'oeuvre . Le droit matériel de propriété
se trouve subordonné au droit de savoir, de connaître. À
la différence du brevet industriel qui marchandise simplement la
reproduction des procédés de fabrication ou des processus
originaux des inventeurs, le droit moral concédé aux créateurs
leur laisse un droit de suite indéfini de leur vivant (c'est-à-dre
sans terme de chute dans le domaine public) étendu ensuite à
leurs héritiers. Et ce quels que soient les abus manifestes lorsque
le droit moral (qu'on peut inférer de l'intention affichée
par le créateur) est détourné au profit du droit
patrimonial (pour le bénéfice des ayant droits).
Les progrès technologiques de Gutenberg à la photocopieuse,
jusqu'à l'image numérisée, ont représenté
des défis croissants pour l'exécution des obligations contractuelles
issues des droits de la propriété intellectuelle. L'exigence
de diffusion de ces biens, comme des biens publics a été
reconnue très tôt mais les moyens de rétribuer ces
non- salariés en les ramenant au cas des professions libérales,
c'est-à-dire par la vente du produit de leur activité sur
un marché, s'est heurtée à la difficulté croissante
de mettre en oeuvre le recouvrement des droits patrimoniaux. L'auteur
ou le créateur, isolés, s'avèrent, à la différence
de l'entreprise, incapables de peser sur le marché. C'est là
qu'apparaît l'intermédiation de l'imprimeur, du galériste,
du producteur. Ces institutions, véritables entreprises marchandes,
se proposent contre cession des droits d'exploitation, de commercialisation
de recouvrer les revenus découlant des droit patrimoniaux. Les
auteurs, créateurs sont donc rémunérés par
une avance sur la vente des produits de leur activité. Plus les
facilités de reproduction de ces oeuvres s'accroissent, plus il
devient difficile pour les auteurs de recouvrer ces revenus et plus ces
derniers sont enclins de céder systématiquement par contrat
à l'agent qui a le pouvoir effectif de faire appliquer la législation,
la gestion des droits patrimoniaux. Le producteur de cinéma devient
l'agent, le manager de l'ensemble de plus en plus complexe des droits
patrimoniaux et le droit moral ne peut plus s'opposer à lui, si
son application met en péril l'entreprise elle-même. Le réalisateur
ne pourra pas s'opposer à la coloration des films , à la
diffusion hachée par la publicité, l'auteur de livre à
des adaptations "libres" de scénaristes. Lorsque le droit
moral n'a pa été érigé formellement, le détenteur
effectif des droits de propriété qui peut agir juridiquement
est le détenteur du copyright et non plus l'auteur, créateur
ou réalisateur. Mais il serait abusif de voir dans le droit moral
une muraille éfficace contre le copyrightage généralisé.
Comme l'exception culturelle, celui-ci risque d'être une simple
ligne Maginot : dans l'édition par exemple, les auteurs français,
tout détenteurs des droits moraux qu'ils soient, sont largement
ligotés par l'éditeur qui négocie pour eux, ou par
un agent littéraire, quand ils ont les moyens de s'en payer un.
Mais avec les NTIC et la diffusion exponentielles des savoirs, des textes,
des images, des vidéos, des partitions musicales, des morceaux
de musique sur le réseau du WEB, le compromis juridique qui visait
à rémunérer le créateur, l'inventeur se trouve
lui aussi remis en question. Il existe plusieurs solutions à ce
problème de la rémunération de l'activité
de l'artiste ou du créateur en tant qu'il est producteur d'un bien
de plus en plus collectif ( non pas tant d'ailleurs de par la nature intrinsèque
du produit lui-même que par le mécanisme technologique de
numérisation sous forme de données de ces differents produits).
Le premier est la salarisation ou forfaitisation des artistes, écrivains,
chercheurs pris en charge par les galeries, les éditeurs, les producteurs,
les firmes qui, en échange d'un droit exclusif sur une oeuvre à
venir, ou sur une suite d'oeuvres, versent une revenu fixe (qui peut être
concue comme un à valoir sur des droits marchands ou bien comme
une véritable salarisation). La deuxième est l'émargement
de l'artiste, du créateur ou inventeur à une pension, ou
une bourse qui doit subvenir à ses besoins pour services rendus
ou à rendre dans la production de biens publics. Le problème
qui se trouve posé aujourd'hui, c'est que la première de
ces solutions ne constituait que le minimum vital ou le revenu de base
auquel vient s'ajouter les revenus de l'œuvre conçue à
long terme comme un patrimoine qui produit une rente. Et si les droits
patrimoniaux deviennent de plus en plus ardus à percevoir, l'auteur
aura le choix entre recevoir très peu parce que l'exécution
du contrat est inappliquée ou inapplicable et recevoir... très
peu également. Pourquoi ? Parce que les frais de recouvrement mangent
l'essentiel de la recette générée, et pire encore
parce que la norme marchande (un prix trop élevé par exemple)
chasse la possibilité de conquérir un public et à
terme des clients. L'autre solution très répandue est le
double métier : le créateur ou l'artiste est par ailleurs
un fonctionnaire, ou occupe un emploi salarié dans le secteur privé
qui lui garanti une régularité de revenu, améliorée
par la vente de ses produits. Mais à partir du moment où
le modèle du travail cognitif comprend de plus en plus des éléments
créatifs, des innovations, et que d'autre part, les modèles
du droit d'auteur, du copyright, quelles que soient les différences
entre ces deux formes juridiques, ne se trouvent plus applicables, plus
effectifs, comment déterminer le revenu de cette activité
? Le droit d'auteur dans le capitalisme cognitif se transforme en droit
au revenu garanti en échange de l'activité humaine et non
plus en droit au fruit de son produit. Il s'agit d'une activité
humaine qui fournit non plus un bien ou un service vendable sur le marché
et consommable, mais un bien ou un service collectif. Comment cette reconnaissance
du caractère collectif d'un service ou d'un bien donné peut-elle
se faire ? Il semble qu'il existe deux modèles (la question demeure
ouverte de savoir s'ils sont alternatifs ou complémentaires) :
Le premier est la reconnaissance par le système des prix et par
le marché qui permettra de relayer les formes de revenus substitutifs
jusqu'au point où l'artiste et le créateur vivent de leur
"industrie" comme un artisan, ou un industriel. Le second est
la reconnaissance par la gloire ou la renommée (validée
par un prix, une distinction dans la cité du renom) qui peut générer
par surcroît une rente, ou des occasions de gains marchands. En
fait, contrairement à ce que prétendent les défenseurs
de l'introduction systématique du marché dans la production
des savoirs, par une notation reposant sur des indicateurs aussi variés
que le tirage, les publications dans des revues baptisées scientifiques
(comité de lecture), le premier ne conduit pas au second mais c'est
plutôt le second qui offre une sélection gratuite et non
risquée aux investisseurs dans l'art, la création, ou les
savoirs. Cité marchande et cité du renom (Boltanski et Chiapello)
ont partie liée. Mais dans le capitalisme cognitif, à l'ère
du réseau et de la cité par projets, on ne peut plus se
contenter de vanter la liberté, la gratuité de la consommation
active de connaissance dans la production des savoirs, de la culture et
de l'innovation. Sauf à se faire les courtiers d'un système
corsaire de prédation des externalités positives pour le
compte du marché, id est de l'activité gratuite déployée
dans la coopération. Renvoyer au marché les auteurs, les
créateurs, les compositeurs, les artistes, ce qui ne vaut déjà
que pour une toute petite partie d'entre eux (ceux qui vivent uniquement
de leur "art") est une fausse solution dramatiquement en crise
pour au moins deux raisons dont chacune suffit à elle seule. 1)
C'est oublier la part croissante d'invention mobilisée dans le
travail en général qui met en question à son tour
la notion "d'auteur ayant droit". La production de connaissance,
de la culture dans le capitalisme cognitif est essentielle, mais que dire
de l'éducation des enfants ? 2) Les NTIC et les pratiques des multitudes
dans le réseau mettent de plus en plus en porte-à-faux les
stratégies de passage en force d'exécution des droits de
propriétés anciens. Sans redéfinition complète
des droits de la nouvelle propriété publique, on restera
à un régime de pillage vampirisateur du marché sur
le corps des externalités positives jusqu'à ce corps soit
exsangue, tempéré çà et là de subventions
se bornant à soigner les symptômes. Le web a créé
un marché non marchand de la connaissance et de la reconnaissance,
ainsi que de l'interaction mondialisée. Là encore et toujours,
la coopération, la coordination humaines se trouvent convoitées
par la valorisation marchande. Le web offre un modèle de confrontation
d'une offre et d'une demande de connaissances et d'informations en temps
réels. La partie non marchande de ce marché (au sens d'un
échange) très particulier de la liberté, du jeu,
du savoir est largement dominante. Et à la différence des
programmes de radio ou de télévision, cet échange
ne réclame pas d'être financé par des revenus (de
subvention ou de publicité). Les portails et divers moteurs de
recherche ont été mis sur pieds pour récupérer
une information et un savoir produit par une multitude d'agents coopérant
sans manufactures, ni entreprises, ni contremaîtres, ou employeurs.
Ce savoir est une source de valeur sans commune mesure avec les profits
extorqués au travail humain subordonné de plus en plus difficilement.
Si Adam Smith revisitait la société capitaliste actuelle,
nul doute que la richesse nouvelle des nations et leur nouvelle manufacture
d'épingle se nommerait la toile immatérielle. Les "ouvriers"
qui y travaillent n'ont plus besoin de surveillants, et pourvu qu'ils
disposent d'un revenu moins compliqué et moins onéreux que
les stock-options, les primes à la productivité au demeurant
incalculables, ils sont capables de travailler des nuits entières
pour chercher. La coopération sociale déterminante dans
ce qu'est devenue la production sous le régime de capitalisme cognitif,
incorpore une quantité considérable d'activité qui
n'est pas reconnue comme du travail donnant droit à rémunération,
sauf sous la forme de produits de la création artistique. Les créateurs,
les artistes, les inventeurs, mais aussi les soutiers du travail immatériel,
le cognitariat, qui inventent la société, et recrée
le lien sous la forme de réseau de la coopération gratuite,
doivent-ils faire valoir leurs droits de propriété et réclamer
que le marché paye toutes consommations intermédiaires cachées
qu'il incorpore dans ses produits et dans ses institutions (un produit
stratégique celui-là) ? Cette voie largement encouragée
par le libéralisme hayékien, infiniment plus intelligent
que le crétinisme manufacturier et assurantiel du Medef, est à
notre avis une réponse anachronique : elle revient aux balbutiements
du libéralisme du XIX siècle, quand l'art n'était
qu'une affaire des élites bourgeoises. Aujourd'hui, le véritable
sacre du capitalisme cognitif, c'est la dimension massive de la politique
culturelle, la grande industrie de la fabrique du social. Il existe une
autre voie : celle indiquée par le revenu universel La propriété
sociale qui doit être reconnue à ces actifs qui ne se retrouvent
pas dans les comptes du capitalisme industriel, et qui pourtant nourrissent
le marché, c'est celle de leur existence sociale libre. Pour passer
des heures sur le réseau, pour lire, pour inventer des emplois
qui ne soient pas des formes dégradantes d'esclavage déguisé,
il faut être délivré de la quête du pain quotidien,
du loyer mensuel, des notes de téléphone . La grande conquête
du salariat qui en affaiblit largement le caractère esclavagiste
fut l'accès à la protection sociale et l'extension de cette
protection à la famille des titulaires d'emploi dans l'économie
manufacturière. Seul un nouvel affaiblissement du salariat par
l'attribution inconditionnelle d'un revenu d'existence à tous ceux
qui en amont et en aval de la production matérielle garantissent
sa profitabilité, permettra : a) de vaincre l'exclusion ; b) de
développer une pression suffisante sur le marché pour le
conduire à un régime non pas de plein emploi mais d'emploi
autre ; c) de garantir le revenu des para-salariés de la société
de l'information ; d) de procurer aux auteurs une indépendance
beaucoup plus forte vis-à-vis des intermédiaires financiers
et matériels qui gèrent aujourd'hui le système inopérant
et hémiplégique des droits de propriété. La
véritable réponse au nouveau mouvement des clôtures,
c'est d'opérer sur le salariat le même type d'innovation
que la licence du copyleft a opéré sur le droit d'auteur
et sur le droit de reproduction des logiciels. Un beau chantier pour le
XXI siècle.
Yann Moulier Boutang
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Enzo & Romano, Luca [1998], Il Postfordismo.Idee per il capitalismo
prossimo venturo,EtasLibri,Milano. Veltz, P. (2000), Le nouveau monde
industriel, Le Débat/Gallimard
Source ouverte : cet article a été publié dans la
revue "Multitudes".
A vous la parole
Richesse, propriété, liberté et revenu dans le "capitalisme
cognitif "
17 janvier 2003, par fsmax01
Si je veux monter une entreprise qui utilise ces théories en étant
rentable selon les critères actuels de marché, quel est
le modèle économique efficace ? Comment la valeur information
et le capital social se transforment en valeur économique selon
les normes de la sphère marchande qui se base sur un système
monétaire ? Y a-t-il des exemples concrets en France ou à
l'étranger d'entreprises qui ont réussi à créer
de la valeur économique en produisant grâce au lien social
? et comment ?
[Répondre à ce message]
Richesse, propriété, liberté et revenu dans le "capitalisme
cognitif "
19 janvier 2003, par Jean-Patrick Abelsohn
J'ose reprendre au vol le dernier terme de vos questionnements et inverser
la problématique, sortir de la question pour faire affirmation,
rappeler à un fondement sociétal : il n'y a pas d'exemple
concret d'entreprise qui ont réussi à créer de la
valeur économique sans s'appuyer sur du lien social.
Tout simplement parce que rien ne serait possible sans la production de
la sphère dite domestique. C'est le premier niveau où on
trouve les auteurs et créateurs de société, (encore,
mais pour combien de temps ?) bien en amont du marché. Espace économique
originel non reconnu ou les femmes occupent généralement
la plus grande place.
Salutations solidaires
Le lien d'origine
http://www.i3c-asso.org/article.php3?id_article=316
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