Mardi 10 avril 2001
Les Chiennes de garde sont nées pour réagir à
des insultes publiques contre des femmes. Parce que les mots ont un
sens. Parce qu'une insulte est une forme d'agression, verbale. Parce
qu'insulter publiquement une femme c'est implicitement autoriser n'importe
qui à faire de même.
Mais la tache est compliquée, car les mots sont à double-fond.
Féministes, nous sommes condamnéEs à mener deux
combats à la fois.
Le problème n'est pas seulement dans les mots, il est aussi
dans leur usage, c'est à dire plus largement dans le langage.
Certaines phrases sont des agressions, comme le fait de crier «
à poil » quand une femme se présente à une
tribune pour y faire un discours. Mais « à poil »
n'est pas une locution insultante en soi, je peux dire « quand
le facteur a sonné je n'ai pas pu lui ouvrir tout de suite parce
que j'étais à poil », alors c'est simplement une
description, avec un vocabulaire trivial. Le contexte, le ton de la
voix ou les mimiques du visages, influencent le sens du message.
Les insultes sont plus complexes qu'elles n'y paraissent.
Prenons un exemple frappant, et d'une affligeante banalité,
l'ensemble des expressions liées à la prostitution. De
« sale pute » à « fils de pute », on
trouve de nombreuses variations. On pourrait en ajouter bien d'autres,
en général liées à la sexualité,
mais restons-en là pour l'instant.
Le premier réflexe est de nier. InsultéE, on veut d'abord
dire qu'on n'est pas une prostituée ou un fils de.
Parce cette dénégation, on refuse d'être insulté
et on le fait savoir. Ou alors on rétorque « toi même
», ou encore on verse dans la surenchère en répliquant
une autre insulte qu'on espère plus violente encore ou plus stigmatisante.
Ce premier réflexe est légitime, puisqu'il affirme notre
droit à ne pas être traitéE en inférieurE,
notre droit à être traitéE avec un minimum de respect.
De ce point de vue on a raison de repousser l'insulte, et de ce point
de vue en tant que féministe on se doit de réagir lorsqu'une
personne les prononce. En tant que féministe, on est donc amené
à dire à ces insulteurs (quel que soit leur sexe) «
vous n'avez pas à traiter ces personnes de ... ».
Et pourtant on ne peut en rester là. Dans un premier temps le
sexisme gagne. Car est-ce mal d'être une prostituée, est-ce
condamnable ? A mes yeux, non. Au contraire, je souhaite qu'on cesse
de les stigmatiser. Stigmatisons plutôt leurs clients, les michetons.
Si l'on récuse l'insulte, si l'on dit « non, moi je n'en
suis pas une », on donne raison au sexisme, car implicitement
on dit « non, je suis un femme respectable DONC je ne suis pas
une prostituée ». Certes, on n'y pense pas au moment où
l'on se défend, mais puisqu'on répond avec des mots, ces
mots disent bien un message. Ou plutôt ils en disent deux, le
premier est « je refuse d'être insultéE et je ne
me laisserai pas faire », ce message est perçu immédiatement
par tout le monde. Mais le second message, subliminal si l'on veut,
revient à dire « moi aussi je méprise les prostituées
et c'est bien pour cela que je refuse de leur être assimilée
».
Pour qu'il y aie insulte il faut deux éléments. Il faut
l'intention d'insulter. Et il faut que les mots prononcés soient
perçus comme une insulte. C'est même là le principal,
car on peut très bien choquer quelqu'un sans en avoir eu l'intention
et sans avoir eu conscience d'être insultant. Le principal est
donc le référent du propos, or pour que « salope
» ou « pute » soit une insulte il faut que le référent
soit le sexisme. J'imagine mal deux féministes entre elles se
lancer ce genre d'insultes, cela n'aurait de sens ni pour l'une ni pour
l'autre.
Mettons que l'on ne veuille pas répliquer de cette manière,
pour ne pas entretenir un discours sur les prostituées auquel
on n'adhère pas soi-même.
Mais si l'on se contente de répondre « et alors ? »,
pour bien montrer qu'on ne voit pas où est le problème
à être une x ou y, le sexisme gagne une fois de plus. Car
cette réaction autorise l'insulteur à recommencer, avec
soi mais aussi avec d'autres femmes. Or même si l'on est en désaccord
avec le référent de l'insulteur, si l'on estime qu'il
n'y a rien de méprisable à être une prostituée,
on a tout de même compris qu'on était insultéE.
Il faut donc réagir à cette insulte, sinon on conforte
l'insulteur dans l'idée qu'il a le droit de s'en prendre à
n'importe quelle femme, qu'il a des droits sur elle et qu'il peut la
traîner plus bas que terre et l'insulter librement. Or le comportement
de l'insulteur est inadmissible, c'est pour cela qu'il faut pouvoir
lui répondre.
Soit l'on nie, et l'on sauve la face mais en confortant le sexisme.
Soit l'on reste indifférentE, mais le sexisme sort encore vainqueur.
Les mots à double-fond sont un piège pervers. Difficile
de s'en dépêtrer.
La passivité ne semble pas une issue satisfaisante. Alors comment
faire ?
Il n'y a sans doute pas de méthode miracle, mais faisons une
proposition. Essayons de nous réapproprier le langage. Féministes,
nous pouvons agir en donnant au langage un contenu qui nous convienne.
Se revendiquer « chiennes » de garde fait partie de cette
démarche. La solution face aux insultes sexistes consiste peut-être
à inventer des contre-insultes qui soient en accord avec nos
conceptions. Par exemple, on traitera le type de « micheton »
ou, pourquoi pas, de violeur. Pour ne pas perdre au jeu, il faut le
reformuler, le reprendre dans nos propres termes, sans accepter ceux
qu'on nous impose.
Extrait du site des Pénélopes, site féministe
Le lien d'origine sur le site des Pénélopes http://www.penelopes.org/archives/
Le mail penelopes@penelopes.org