Comment pousse la monnaie ?
Les mécanismes de la création monétaire
Depuis moins de deux siècles, il coexiste en Occident deux sortes
de monnaie: l'une faite de billets et de pièces, dite "monnaie
fiduciaire", et l'autre faite de chèques ou de virements
qui circulent entre banques c’est la "monnaie scripturale".
Il existe quatre cas de création monétaire de monnaie
scripturale, relatif: aux actifs patrimoniaux, aux devises, aux effets
de commerce, aux crédits de trésorerie.
Nous n’examinerons que le premier car les trois autres sont analogues:
Supposons qu’une banque B fasse l’acquisition d’un
immeuble à une Société Dupont. Elle inscrira cette
opération dans l’Actif de son bilan à la rubrique
"immobilisations". En même temps, pour s’acquitter
de sa dette envers la Société Dupont, vendeuse de l’immeuble,
elle va lui ouvrir un compte sur lequel elle portera le montant de la
transaction (par exemple: 100). Ce compte constituant une dette de la
banque sera inscrit au Passif du bilan. L’équilibre du
bilan reste intact.
Quant à la société Dupont, puisqu’elle a
cédé un immeuble valant 100, ses immobilisations, inscrites
à l’actif de son propre bilan vont diminuer de 100. Par
contre la rubrique "Réalisable et disponible" (qui
comprend l’avoir en banque), va augmenter de 100. Son bilan restera
équilibré aussi. Voici les schémas comptables des
opérations:
ACTIF |
. PASSIF |
Immeuble: +100
|
Cpte Sté Dupont : + 100
|
Solde = 0 |
|
ACTIF |
. PASSIF |
Immeuble: +100
|
Cpte Courant. Banque B: -100
|
Solde = 0 |
|
|
Ainsi la société Dupont disposera chez la Banque B d’un
compte courant sur lequel elle pourra régler ses dépenses.
Trois remarques s’imposent
La première: Il n’est pas nécessaire pour la banque
de posséder le moindre billet de banque pour procéder
à de tels jeux d’écritures. Dans la réalité,
les banques en ont besoin pour faire face au phénomène
des "fuites", correspondant à la part que les titulaires
de comptes en banque transforment en espèces. En outre, "l’encadrement
de la création de crédit" a pour effet de "geler"
à la Banque de France une partie des dépôts de
ses clients (environ 10%) tout en laissant multiplier l’autre
partie par un coefficient. Actuellement, ce coefficient multiplicateur
dépasse six. Les fuites sont de l'ordre de 16% [1]
La seconde: Ainsi que le souligne A. Cheneau, les banques jouissent
de l’exorbitant privilège de créer à partir
de rien un titre de créance pour régler leurs obligations
(aux fuites près), et comme le disait le Prix Nobel français
d'économie, Maurice Allais[2] « Dans son essence la création
de monnaie ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique
… à la création de monnaie par des faux monnayeurs.
Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats.
La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents
».[3]
La troisième: Cette opération de création monétaire
consiste à enregistrer un actif patrimonial d’un côté
et sa valeur de l’autre. Les spécialistes disent que
"les banques créent de la monnaie en monétisant
des actifs non monétaires". D’autres diraient qu’ils
s’approprient des richesses réelles sans bourse délier.
On peut aussi remarquer que le système bancaire possède
un insolent privilège : celui de faire payer des frais financier
provenant de son propre endettement ![4]
Ce privilège de création monétaire se voit cependant
imposer une limite par l’existence de l’encadrement du
crédit; mais ces mécanismes n’ont pas leur place
ici.
Mais il y a encore plus intéressant.
Vous ouvrez un compte dans une banque et vous amenez 1000 F, sous
forme d’une traite commerciale. Votre compte sera crédité
du même montant et, bien évidemment, c’est bien
une dette de la banque envers vous. Néanmoins la banque, pour
ce service d’escompte, va se faire payer des agios, par vous.
La monnaie scripturale créée à cette occasion
est donc produite par la banque, par une augmentation de sa propre
dette.
Propriétés de la monnaie et des devises:
Depuis que la monnaie n’est plus gagée sur l’or,
elle n’existe plus que sous forme de crédit. Chaque créance
(C) est compensée par une dette (D) de même montant.
Même les billets de banque sont restés inscrits au passif
de la Banque de France ; c’est la Nation, c’est à
dire vous et nous, qui les doit à la Banque de France. Il y
a donc un argent et un anti-argent qui s'annulent.
On peut écrire l’équation: Créances = Dettes
donc Créances - Dettes = 0
et, au niveau national: Somme des Créances - Somme des Dettes
= 0
Autrement dit:
==> la monnaie nationale n’a pas d’existence collective
C’est si vrai que si le franc perdait toute sa valeur en quelques
jours la collectivité française ne s’appauvrirait
pas d’un centime ; les richesses ne continueraient pas moins
d’exister ; elles seules existent. Certaines changeraient de
main, car les créances des uns et les dettes des autres s’annuleraient.
Note : Ce qui a été dit de la monnaie nationale ne peut
en aucun cas l’être des devises. Aucun étranger
n’est assez fou pour faire confiance aux autres États
(pour le sien, le citoyen est bien obligé ; la monnaie nationale
y a "cours forcé" ; on ne peut la refuser).
Une monnaie n’est acceptée comme devise que si la Banque
Centrale du pays est toujours prête à la reprendre contre
d’autres devises ou de l’or à un taux voisin de
celui de sa vente.
Revenons aux propriétés de l’argent national.
Nous avons vu circuler cet argent à propos de la production
et de la vente d’outils et nous avons pu constater que:
1- La production ne consomme pas d’argent sur le plan national
mais sa vente rapporte de l'argent aux personnes privées.
2 - L’ensemble des dépenses de chacun constitue le revenu
économique de tous.
3 - L’argent agit comme un catalyseur chimique : il favorise
les échanges mais reste intact à la fin. Il ne fait
que circuler.
4 - Cependant, il peut disparaître (quand il s’agit d’un
crédit remboursé par l’emprunteur à sa
banque).
5 - Il ne peut manquer que si on n’en crée pas proportionnellement
à l’expansion de la production et / OU si on en fait
disparaître sans en recréer autant aussitôt.
6 - L’argent abondant fait l’argent bon marché,
(loi du marché), donc des prix bas (les investissements alourdissent
moins les prix de revient dans ce cas).
On peut distinguer deux sortes de monnaie du point de vue de leur
permanence: la monnaie permanente (pièces et billets) et la
monnaie temporaire (issue des crédits)
Remarquons que, par le fait du crédit avec ses agios, la seconde
rogne la première continuellement.
De plus, cette monnaie temporaire à des caractéristiques
particulières, comme le fait remarquer Pierre Aunac [5] :
- Émise à l’occasion des crédits consentis
par les banques, son émission a pour effet d’endetter
ceux qui bénéficient de sa création et elle donne
lieu au payement de frais financiers. Or, l’endettement augmente
d’une manière exponentielle et on peut dire, si on compare
une nation à une entreprise, qu’un pays où la
totalité de la monnaie en circulation serait faite de monnaie
temporaire serait comme une entreprise qui n’a pas de capital
propre : elle serait en cessation de payement.
La nécessité de payer aux banques à la fois le
principal et les intérêts ferait de cette monnaie un
système « boule de neige ». Seuls les dépôts
de bilans, mais avec le chômage comme conséquence, joueraient
un rôle de variable d’ajustement
- Contrairement à la monnaie permanente, la monnaie temporaire
doit être remboursée, donc détruite, lorsque les
crédits arrivent à échéance, ce qui exige
des entreprises des marges supplémentaires importantes. C’est
une monnaie « auto évanescente », et la masse monétaire
peut se dégonfler spontanément, si elle n’est
pas compensée par la demande de nouveaux crédits, ce
qui peut provoquer une implosion de la demande. C’est ce qui
est arrivé lors de la crise des années 30 et c’est
ce qui nous menace aujourd’hui.
Ce risque diminue beaucoup avec une masse importante de monnaie permanente
car cette monnaie thésaurisée peut facilement ressortir
des tiroirs ou des comptes pour relancer la demande au moindre signe
encourageant.
Mais comment « pousse » donc la monnaie ?
Sans doute l’explication qui précède n’a
t’elle pas encore complètement répondu à
cette question. Nous allons donc essayer d’être plus clairs.
D’une part : Le Trésor (la Nation) demande à la
Banque de France d’émettre un certain montant de ce que
l’on nomme « monnaie centrale » (monnaie permanente).
Ce sont les billets et pièces: en 1995, il y en avait 256 milliards
de francs. Retenons aussi que c’est une dette portée
dans la comptabilité de la Banque de France et que cette monnaie
n’est plus gagée sur l’or.
D’autre part : Les banques privées créent une
monnaie temporaire sous forme de crédits (les prêts),
laquelle gonfle la masse monétaire en circulation, mais disparaît
lorsque ce crédit est remboursé. C’est le cycle
permanent de création et de remboursement qui fait que cette
masse monétaire reste sensiblement constante. Elle était,
toujours en 1995, de 1566 milliards de francs et elle est constituée
par les « Dépôts à Vue ».
La somme de ces deux termes représente ce que l’on nomme
l’agrégat monétaire M1, représentant la
masse de la monnaie dans le pays (1823 milliards de francs en 1995).
Ne vous laissez pas abuser si vous entendez parler des agrégats
M2 et M3. Ce sont des « ensembles vides ». Il n’y
a de monnaie que dans M1 car la comptabilité de ces agrégats
M2, M3 ne représente que des « transits » ; comme
le disent les économistes, ce sont des « bulles monétaires
» . Nous ajoutons que leur caractéristique est qu’elles
sont vides.
En conclusion
L’argent est un mythe qui fait l’objet de beaucoup de
passions : il est l’OUTIL de la domination de l’homme
par l’homme, mais on le prend facilement pour la CAUSE de cette
domination.
Il est rare de le voir "A L’ENDROIT" et c’est
pourquoi on s’en sert "A L'ENVERS":
- Quand les prix montent, on augmente les taux d’intérêts
qui grèvent les investissements en faisant monter les prix
davantage.
- L’État dit "je n'ai pas d’argent pour créer
de l’emploi", alors que l’emploi n’en consomme
pas.
- Il y a mévente dans beaucoup de secteurs, signe évident
qu’il y a manque de pouvoir d’achat donc d’argent.
Et c’est le moment choisi pour "resserrer le crédit"!.
==> Ce qu’il faut retenir, c’est que la création
monétaire, aujourd’hui, permet de produire les biens
qui, vendus, valorisent la monnaie créée.
[1] Lorsque la banque crée 100 de monnaie scripturale, 16%
finira par être convertie en billets. En d'autre termes, chaque
fois qu'une banque détient 16 francs de monnaie, elle peut
créer 100 F de monnaie scripturale. Le multiplicateur de crédit
est donc de 100/16 = 6,25. Ceci se déduit des composants de
la masse monétaire M1, dont les dépots à vue
(argent scriptural) représentent un peu plus de 6 fois le montant
des billets et pièces.
[2] Certains considèrent Allais comme un gentil huluberlu.
Bernard Maris dans « Lettre ouverte aux gourous de l’économie
qui nous prennent pour des imbéciles » (Albin Michel
1999), ne fait guère de cadeaux aux économistes en général.
Mais il écrit (pages 136 / 137) : " On va chercher Allais
en 1987, après le krach, on le coiffe d’un chapeau pointu
de devin, et on le ressort en 1998. Il dit la même chose, de
bon sens, « que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel
». Il ne prévoit rien : il fait de remarquables comparaisons
historiques, point. Il donne la même analyse limpide de la crise
de 1929, mais peu importe ; ce n’est pas sa capacité
d’analyse historique que l’on met en scène, mais
son coté vieux sage, vaguement sorcier et un peu loufoque :
museler le système bancaire, interdire aux banques de créer
de la monnaie, dire que la monnaie bancaire est de la « fausse
monnaie », empêcher les banques de prêter à
plus long terme que leurs fonds… si les gens lisaient vraiment
ce qu’à écrit Allais, ils seraient stupéfaits
! Allais n’est pas un expert, mais un grand économiste…
"
[3] Puisque les banques n'ont à rémunérer qu'une
partie des crédits qu'elles accordent à leurs clients
sur création monétaire, le coût de la monnaie
prétée n'est pas égal à celui de la monnaie
qu'elles emprûntent pour se refinancer. En réalité
le coût des crédits monétaires pour les banques
est égal au taux du marché divisé par le multiplicateur
de crédit. Pour faire simple, le coût d'un refinancement
pour les banques reste inférieur à 1%.
[4] Une étude, faite en Allemagne par Margrit KENNEDY ( "Libérer
l'argent de l'inflation" - Vivez Soleil - 1996), montre le fonctionnement
insidieux de notre système monétaire. Il n'y a pas que
ceux qui empruntent de l'argent qui payent des intérêts,
car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, nous en payons
tous, sans même nous en rendre compte.
En effet, dès que nous achetons un bien ou un service, nous
payons toujours une part d'intérêts incluse dans le prix
et cette part est fonction des investissements qui ont été
nécessaires pour la production considérée. Pour
des services de main d'oeuvre cette part, dans les coûts de
production, est voisine de 10%, mais elle peut atteindre 80% si la
production nécessite beaucoup de capital et peu de main d'oeuvre.
L'étude a porté sur 25 millions de foyers allemands,
répartis en 10 classes selon leurs revenus. Pour chacune de
ces classes il a été pris en compte les intérêts
payés, inclus dans les achats de biens de consommation, et
ceux perçus par les placements de l'épargne. Cette étude
met en lumière que l'intérêt ne profite qu'à
la tranche supérieure c'est à dire à 10% de la
population la plus aisée, qu'il est neutre pour les 10% de
la classe 9 et qu'il est prélevé sur les 8 premières
tranches soit 80% de la population. L'incidence de l'intérêt
justifie ainsi l'appauvrissement des classes moyennes.
[5] « Une économie au service de l’homme »,
éd. L’Harmattan - 2001
Il est intéressant de voir comment Michel Lasserre explique
la création monétaire, avec une pédagogie différente
(avec l'autorisation de l'auteur).
a) La Banque centrale
Au cœur du système bancaire se trouve la Banque centrale,
chaque État moderne possède la sienne. La Banque de
France, fondée en 1800 sous un statut privé, a été
nationalisée en 1945, elle est indépendante depuis 1993.
Sa mission, variable suivant les périodes, est aujourd'hui
d'assurer la stabilité des prix dans le cadre de la politique
économique du gouvernement, elle est chargée de veiller
sur la monnaie, le crédit et le bon fonctionnement du système
bancaire.
La Banque Centrale est la banque des banques, toutes les autres banques
(banques de second rang) possèdent un compte chez elle, qu'elles
sont obligées de provisionner ("réserves obligatoires").
Si une banque n'a pas assez de liquidités, elle peut s'en procurer
sur le marché monétaire ou directement auprès
de la Banque centrale. Un rôle important de la Banque centrale
est donc de refinancer les banques, de leur fournir des liquidités
en prenant en pension des titres en leur possession, généralement
des créances privées. La Banque centrale reprend ces
créances et fournit en échange de la monnaie à
la banque privée.
Mais cette monnaie n'existe pas, la Banque Centrale la crée,
sa contrepartie consiste en des créances à l'économie.
Ces prises en pension sont d'une durée très courte de
un à quelques jours, la monnaie centrale ainsi créée
disparaît dès la fin de la prise en pension, d'où
la nécessité d'effectuer en permanence de telles opérations.
En cas de crise de liquidités (manque de monnaie) sur le marché
monétaire, la Banque centrale joue le rôle de prêteur
en dernier recours. Si à d'autres époques la Banque
Centrale a créé de la monnaie en échanges de
titres du Trésor Public, ce n'est plus le cas de nos jours.
A ce jour, l'État se finance directement sur les marchés
financiers, et ne fait plus intervenir directement la création
monétaire de la Banque Centrale pour ses financements.
b) Les autres banques
Le rôle des banques privées est d'un tout autre type,
elles sont principalement chargées de collecter les dépôts
et de prêter (d'investir) les sommes ainsi collectées.
Elles prêtent beaucoup plus qu'on ne leur confie, elles jouent
un rôle de multiplicateur de crédit. Si une banque a
10 000F en dépôt et qu'elle doit garder 10% de celui
ci en réserve, elle peut prêter 9 000F. Les 10 000F existant
toujours sur le compte de dépôts, les 9 000F prêtés
existent maintenant deux fois, il y a bien eu création monétaire
par l'intermédiaire du crédit, et cette monnaie ne disparaîtra
que quand le crédit arrivera à son terme.
En attendant, ces nouveaux 9 000F, une fois dépensés,
aboutiront sur un autre compte de dépôt et la banque
réceptrice pourra à son tour accorder un autre prêt
de 8 100F. Ces 8 100 F aboutiront à leur tour sur un compte
de dépôt et permettront à leur tour un nouveau
prêt, etc.... ce système aboutissant en fin de compte
à la possibilité de multiplier par 10 les 10 000F initiaux.
Ceci montre bien que si les banques créent l’argent par
le crédit, personne ne crée la monnaie nécessaire
au payement des intérêts, sauf par de nouveaux crédits.
Le lien d'origine : http://www.local.attac.org/13/documents/doc16.htm
Attac Bouches du Rhône - Document 16
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