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Les enfants sans-papiers scolarisés en France
Une nouvelle «cause célèbre»

Origine : http://www.lanouvellerepublique.com/actualite/lire.php?idc=110&ida=40721&refresh=1

La médiatisation n’est pas une fin en soi

Le milieu des journalistes est resté dans l’ensemble plutôt favorable aux sans-papiers. Selon un sondage publié dans l’hebdomadaire Marianne le 23 avril 2001, 38% d’entre eux sont «tout à fait pour» la régularisation, et 49% «assez pour».

C’est durant l’été 2005 que des journalistes ont vraiment commencé à se sentir concernés. Le 24 août, des policiers perquisitionnent le domicile de Bleuette Dupin, journaliste de Radio France Bleue Bourgogne, soupçonnée d’héberger des enfants d’une mère sans-papiers. La veille, elle avait diffusé un reportage sur Barbe Makombo Mbelu, une Congolaise assignée à résidence, et sur la fuite de ses deux enfants Rachel et Jonathan, 14 et 15 ans. Deux autres de ses enfants de 10 et 12 ans avaient auparavant été interpellés dans un centre aéré. Vécue par la profession comme une intimidation policière et une atteinte à la liberté de la presse, cette affaire va laisser des traces.

Anne Gintzburger, journaliste et animatrice sur la nouvelle chaîne pour enfants Gulli, s’intéresse, elle aussi, à la fuite de Rachel et Jonathan, qu’elle narre dans son ouvrage, Ecoliers, vos papiers ! Sur les plateaux de télévision où elle présente son livre, ses interventions pondérées mais sans concession dénotent dans le débat récurrent sur la violence à l’école, qui tend à pointer l’impunité des mineurs, l’auteur rappelle aussi aux téléspectateurs la violence faite aux élèves de sans-papiers.

La télévision, toutefois, a tardé à prendre la mesure du phénomène. D’après l’émission, Arrêt sur images du 9 octobre 2005, intitulée «Sans-papiers, de l’ombre à la lumière», il aura fallu attendre l’affaire Guy Effeye pour assister à une «explosion médiatique». Le 19 septembre 2005, une équipe de France Télévision filme une action à l’aéroport de Roissy pour empêcher l’expulsion d’un élève du lycée Feyder, à Epinay-sur-Seine. Alors que Guy Effeye, camerounais de 19 ans, résiste, ses amis subissent une charge policière et des gaz lacrymogènes. Les images, diffusées sur France 2 et France 3, impressionnent. Deux jours plus tard, 400 personnes manifestent devant le tribunal de Bobigny où le lycéen comparaît pour «refus d’embarquement». Il ressortira libre, et obtiendra «à titre exceptionnel et humanitaire» l’autorisation de poursuivre ses études jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Revenant sur cette affaire, Arrêt sur images s’interroge sur le rôle des médias. L’animateur de l’émission, Daniel Schneidermann, cuisine ses invités. D’un côté, il cherche - avec peu de succès - à faire réagir le député UMP, Yves Jégo sur les images, qui tendraient à montrer à destination de l’opinion hostile à l’immigration que l’Etat fait quelque chose contre les clandestins. De l’autre, il demande à Arnaud Muller, du Vrai journal de Canal Plus, jusqu’où peut aller l’implication personnelle d’un journaliste pour régler un cas sur lequel il a enquêté. Enfin, Jérôme Martinez de la Cimade est soumis au feu roulant des questions sur «l’utilisation» des médias par les associations. Ce n’est pas «une fin en soi», répond-il. «La médiatisation vient après», en cas de blocage de la négociation, et dépend avant tout du choix de la personne concernée.

«L’été de tous les dangers» ?

Désormais, la médiatisation est réelle, et le message clair : les familles sans-papiers ne sont plus seules. Portraits et reportages insistent sur les parrains et les marraines de sans-papiers. Au risque, parfois, de reléguer au second plan les principaux concernés, qui ont pourtant acquis une nouvelle visibilité, auprès de leurs copains d’école, des parents et voisins, en rendant publique leur situation jusque-là souvent tue. Photographes et caméramen ne savent d’ailleurs pas toujours comment faire pour prendre des images des sans-papiers, parents ou enfants. Le choix des personnes, au sein d’une même famille, d’apparaître ou non à visage découvert, peut-être contradictoire. C’est le cas par exemple de Karima, 12 ans, qui pour la photo-portrait de la der de Libération des 24-25 juin 2006, se cache le visage sous ses longs cheveux, la tête blottie sur l’épaule de sa mère sans-papiers qui, elle, fixe l’objectif. A la télévision, certaines images indirectes de sans-papiers se révèlent néanmoins contre-productives, renouant avec la figure inquiétante du clandestin. Dans les manifestations, des masques blancs ont fait leur apparition pour contourner ce genre de dilemme. Toutes ces hésitations témoignent du climat de peur ambiante, alimentée par la dramatisation de l’échéance du 30 juin. La couverture médiatique - qui a côtoyé l’enthousiasme autour du sursaut de l’équipe de France «Black-Blanc-Beur» au Mondial - a démultiplié les initiatives, elle a aussi provoqué la ruée de familles sans-papiers beaucoup plus nombreuses que prévues vers les préfectures, avant la date butoir, repoussée au 13 août. Mais la menace d’expulsions estivales continue de planer, malgré les déclarations qui se voudraient apaisantes d’Arno Klarsfeld, le médiateur nommé par le ministre de l’intérieur. Face aux promesses de régularisation de ceux qui répondent aux critères, les citoyens solidaires, les associations et les syndicats attendent des faits concrets et annoncent déjà l’éventualité d’une grève s’il manque un seul élève lors de la prochaine rentrée scolaire.

23-07-2006
Mogniss H. Abdallah