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origine : http://bok.net/pajol/international/allemagne/liga/mog-liga.html
Le 6 déc. 1998, Madjiguène Cissé et les Sans-Papiers
de France ont reçu à Berlin le prix Carl von Ossietzky
de la LIGA, section allemande de la Fédération Internationale
des Droits de l'Homme.
Cette cérémonie, qui coïncide avec le 50ème
anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme des Nations Unies, a permis de renforcer les liens entre
les sans-papiers de France et d'Allemagne, et posent la question
d'un mouvement européen.
LES réfugiés et les nouveaux migrants sont les grands
absents du programme de gouvernement de la coalition SPD-Verts arrivée
au pouvoir fédéral après les élections
de septembre 1998 en Allemagne. C'est à peine si ce programme
évoque la mise à l'étude de la durée
de rétention ou la situation des "duldung", ces
réfugiés déboutés mais provisoirement
"tolérés" sur le sol allemand dans l'attente
de leur rapatriement. En revanche, on a déjà beaucoup
glosé sur le projet d'accorder la citoyenneté à
la troisième génération d'immigrés nés
en Allemagne, accompagnée du droit à la double nationalité.
Le droit de vote des résidents extra-communautaires aux élections
locales, également prévu, est tout simplement passé
sous silence.
Otto Schilly, le nouveau ministre SPD de l'intérieur - ex-Vert
et avocat des prisonniers de la fraction Armée Rouge (RAF)
-, a délibéremment choisi de porter le débat
sur l'immigration "zéro". "La limite du poids
de l'immigration supportable pour l'Allemagne est atteinte",
déclare-t-il à la mi-novembre. Son prédécesseur
chrétien-démocrate, Manfred Kanther, avait déclaré
: "le navire est plein à ras bord. Un peu plus, il coulerait".
Et en Bavière, le jeune Mehmet, mineur "multi-récidiviste"
d'origine turque, est expulsé. Le ton est donné. C'est
la continuité dans le changement.
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Apparition publique des sans-papiers d'Allemagne
Vu ce contexte, la décision d'honorer le "courage civique"
des sans-papiers de France avec la remise officielle du prix Carl
von Ossietzky à Madjiguène Cissé, dans le cadre
du 50ème anniversaire de la Déclaration universelle
des droits de l'homme, est un geste méritoire de la part
de la LIGA, la ligue internationale des droits de l'homme allemande.
On pouvait craindre la dilution du message dans le cérémonial
et la bonne conscience unanimiste de circonstance. Fanny Michaela
Reisin, la présidente de la LIGA, a été sans
équivoque : elle endosse sans complexe le mot d'ordre "des
papiers pour tous" parce que "l'obligation de vivre dans
l'illégalité" est "le pire des dénis
des droits de l'homme". Certes, le prix a été
décerné aux sans-papiers de France, dont le mouvement
fascine littéralement une partie de la gauche allemande au
point de le mythifier. Mais la remise du prix a aussi été
l'occasion d'une apparition publique des sans-papiers d'Allemagne,
consciencieusement mise en valeur sur la grande scène de
la "Haus der Kulturen der Welt" de Berlin, la Maison des
Cultures du Monde.
La plupart des caméras présentes ne tournaient évidemment
pas la litanie des sans-papiers de toutes origines vivant en Allemagne
qui ont défilé les uns après les autres au
micro avant d'aller grossir les rangs de ceux qui s'installent assis
sur la scène. Pourtant, leur choix d'apparaître enfin
à visage découvert, à la fois seuls et dans
un groupe qui s'élargit ostensiblement sous une banderolle
de manif sur laquelle est inscrit "nous voulons le droit au
séjour", n'était-ce pas là le véritable
clou du spectacle?
Parmi les "illégaux", qui commencent à
adopter le label d'"Ohne papiere", voire de "sans-papiers"
en français, il n'y a pas encore de leaders avec un charisme
"vendable" aux médias, mais des hommes et des femmes
qui témoignent de leur calvaire quotidien et qui veulent
que ça cesse. Le cynisme des autorités allemandes
est mis à nu par les survivants de l'incendie criminel du
foyer de réfugiés de Lübeck qui avait fait dix
morts en 1996, aujourd'hui menacés d'expulsion et vivant
toujours sous le soupçon d'être eux-mêmes responsables
du drame. Les témoignages à la tribune sont appuyés
par le dossier de presse préparé par la LIGA, qui
énumère une quinzaine de cas comme celui d'Ali, Libanais
débouté du droit d'asile et Ohla sa fille de onze
ans, déléguée de sa classe d'école,
menacés d'expulsion imminente; ou Paula, mineure roumaine
violée; ou Abu du Yémen, ex-drogué qui a réussi
sa thérapie et n'a plus de raison administrative pour rester;
ou encore Habiba de Syrie, battue par son mari expulsé depuis,
qui a réussi à obtenir son divorce mais est à
son tour menacée d'expulsion... Tous sont là sans
statut, en situation d'attente, tolérés ou non.
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Sans-papiers Solidarnosc!
Les caméras se sont ruées sur Madjiguène Cissé
et les officiels au moment de la remise de la médaille. "The
Reggae Doctor" Cliff Brown, auteur de l'hymne des sans-papiers,
réussit alors un beau coup en glissant à ce moment
de la cérémonie son nouveau tube en gestation : "Y'en
a marre!". Transfigurée par l'émotion, Madjiguène
marque un moment d'hésitation, puis retrouve sa stature de
"battlewoman" en obtenant de la salle une minute de silence
pour Semira Adamu et tous les sans-papiers morts au cours de la
lutte en France, en Europe et dans le monde.
Les médias écrits ou audio-visuels eux, ont retenu
les déclarations de la présidente de la LIGA ou encore
de Heribert Prantl, journaliste reconnu du Süddeutsche Zeitung.
Qu'à cela ne tienne! Prantl considère l'action des
sans-papiers comme un mouvement social et politique parmi les plus
importants d'Europe, susceptible de rallumer la flamme de l'asile
dans les églises, et devrait recevoir le même appui
que Solidarnosc en Pologne!
A la finale, pourquoi snober ce soutien et cet écho, aussi
empreint de germano-germanisme soient-ils? Ils contrastent avec
la réprobation avouée ou non de plusieurs milieux
humanistes qui ne voient pas en quoi l'action des sans-papiers concernent
les droits de l'homme. Die Tagezeitung, le quotidien de Berlin en
passe de devenir le "Journal officiel" de la coalition
SPD-Verts, a ainsi révélé qu'un dirigeant local
d'Amnesty International a essayé de contester le principe
d'accorder le prix Carl von Ossietzky aux sans-papiers. Durant le
week-end du 5-6 décembre, Amnesty International fêtait
d'ailleurs le Cinquantième de la déclaration universelle
à Franckfort/Main, et a honoré douze combattants pour
les droits de l'homme, dont le dissident chinois Wei Jingsheng exilé
aux USA, ou encore le Turc Akin Birdal, avec un prix doté
de 60 000 DM.
Si Amnesty International aborde les droits de l'homme sous un angle
plus "classique", elle n'en demande pas moins une nouvelle
politique d'immigration et l'extension du droit d'asile au-delà
des seules victimes persécutées par un Etat.
La LIGA élargit sans doute le spectre en décernant
chaque année depuis 1962, le prix Carl von Ossietzky à
des personnalités ou des groupes qui oeuvrent pour les droits
de l'homme, y compris les droits sociaux, économiques, culturels
et écologiques, à la protection et à la reconnaissance
civique. En outre, la référence au fondateur de la
LIGA donne à ce prix un caractère très solennel.
Carl von Ossietzky a fondé la LIGA en 1922, et a travaillé
en étroite collaboration avec la Ligue des droits de l'homme
francaise, prônant dans un "Appel aux démocrates"
la réconciliation entre les deux pays. La LIGA sera dissoute
par les nazis en 1933. Détenu en camp de concentration, Carl
von Ossietzky reçoit le prix Nobel en 1936, mais meurt peu
apres, en 1938, des suites de son internement.
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Les droits de l'homme investis par un foisonnement militant
Cependant, la LIGA elle-même ne semble pas avoir fait le plein
de ses adhérents cette année pour les sans-papiers.
Le grand auditorium de la Maison des Cultures du Monde aurait pu
accueillir beaucoup plus de monde. D'après des habitués,
peu de sociaux-démocrates ont fait le déplacement.
Est-ce le sujet qui dérange? Rappelons que le SPD avait in
fine approuvé en 1993 la réforme de la Constitution
qui a drastiquement restreint le droit d'asile. Où est-ce
plus prosaïquement l'effet de la diffusion d'une nouvelle culture
de gouvernement qui assècherait le vivier militant? Il semble
en tout cas que des membres individuels de la LIGA, investis dans
les groupes de travail sur les pays d'origine (Moyen-Orient, Iran,
Afrique de l'Ouest, Erythrée...), ont contribué à
la bonne tenue de l'événement, notamment en mettant
à disposition leurs réseaux d'affinités immigrés
ou allemands.
Ils ont ainsi permi un brassage de milieux diversifiés,
qui n'ont guère l'occasion de se croiser, bien qu'ils travaillent
sur les mêmes sujets et qu'ils signent parfois les mêmes
pétitions. Cette diversité a pu se vérifier
lors des débats de la veille, après la diffusion de
La Ballade des sans-papiers, version allemande. Une précision
nécessaire, tant la question des traductions en différentes
langues a provoqué un boxon indescriptible. Madjiguène,
parfaitement bi-lingue, a cet avantage de pouvoir d'autant mieux
capter l'attention de son auditoire d'expression allemande, au point
de faire des envieux parmi les immigrés d'Allemagne qui,
décidemment, n'arrivent pas à se faire à cette
langue.
Dans la salle archi-comble de l'association de solidarité
internationale animée par des Turcs et des Kurdes à
Neuköln, un quartier de Berlin, les réfugiés
et immigrés Tamouls, Nigérians, Togolais, latino-américains,
Palestiniens, Iraniens, s'échangent des tracts et des coordonnées
pendant que des enfants cavalent dans tous les sens. Les organisations
anti-racistes et les chrétiens de Pro-Asyl, les étudiants
de l'université libre de Berlin et le PDS (ex-SED, parti
communiste de RDA) ont déballé leur matériel
de propagande. Des pétitions circulent contre l'expulsion
collective par charter de Nigérians ou contre la suppression
de l'aide sociale à différentes catégories
d'immigrés, ainsi que des appels à manifester dans
les prochains jours .
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"Papiere für alle"
Ce foisonnement militant préfigure-t-il la fin du sectarisme
groupusculaire de la "scène" allemande, particulièrement
décrié à Berlin? Il apparaît que certains
se regroupent dans la "Karawane des réfugiés
et des immigrés" qui a parcouru le pays durant la dernière
campagne électorale, d'autres participent au réseau
"Keine Mensch ist Illegal" qui semble à la recherche
d'un second souffle pour faire face à la nouvelle donne politique.
La question de l'autonomie taraude les esprits avec plus ou moins
d'acuité. Au-delà, l'interrogation centrale du moment
est de savoir si la situation en Allemagne est mûre pour lancer
un mouvement de sans-papiers à la française. Les "Français",
morts de fatigue après un périple en voiture sous
la neige, ne savent plus trop où donner de la tête.
Faut-il surfer sur le statut de guest-stars et se poser en donneurs
de leçons sur le mode "mais qu'est-ce que vous attendez
pour sortir de l'ombre?" ou ne s'agit-il pas plutôt d'être
attentif à l'évolution des expériences allemandes
pour tenter de repérer les points de convergences possibles
pour une action commune au niveau franco-allemand et européen?
Quitte à décevoir certains, il n'y a pas de recettes
miracles à importer de France prêtes à l'emploi!
Et vice-versa: ici, quand on entend Daniel Cohn Bendit faire la
leçon à Jospin sur les sans-papiers, tout le monde
ou presque rigole. Car, enfin, qu'est-ce qu'il a foutu pour les
sans-papiers en Allemagne?
A défaut de solutions toutes faites, on s'accorde cependant
sur le diagnostic. La restriction du droit d'asile et la spirale
de la dérèglementation au nom de l'Europe ou de la
mondialisation sont la source d'une fabrique à clandestiniser,
à précariser et à criminaliser. En France comme
en Allemagne, la visibilité sociale du "clandestin"
est de plus en plus patente depuis 1993 (lois Pasqua, révision
de la constitution allemande etc...). C'est à une visibilité
politique que les sans-papiers s'attellent désormais des
deux côtés du Rhin.
Pour cela, il leur faudra des références communes.
Le mot d'ordre "Papiere für alle" -"des Papiers
pour tous!"- a été plébiscité en
ce début décembre 1998 à Berlin. Plus qu'un
slogan, ce sera bientôt un livre écrit par Madjiguène
qui, ostracisme d'une certaine gauche française aidant, sera
d'abord publié en allemand. Sortie prévue en avril
1999.
Gageons enfin que la présidence allemande de l'union européenne
va faire converger sur Cologne, en juin 1999, les "sans"
de tout le continent, avec cette forte exigence d'égalité
des droits pour tous, dont les principes énoncés par
la déclaration universelle des droits de l'homme, sont quotidiennement
bafoués par les Etats-nations.
Mogniss H. Abdallah
agence IM'média
19 décembre 1998
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