La Médiathèque des 3 mondes, dont le catalogue de quelque 250 titres fait référence pour tous ceux qui s’intéressent aux œuvres audiovisuelles d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, ainsi qu’aux films traitant de l’immigration, lance une nouvelle collection : Cinémigration.

Dominique Sentilhes, le directeur de la Médiathèque des 3 mondes (M3M), aime le cinéma. Il a donc pris le chemin du festival de Cannes, cette année pour soutenir le cinéaste sénégalais Sembene Ousmane, 81 ans (!), qui présente son dernier film Moolaade dans la sélection “Un certain regard”. Ceux qui n’ont pas la chance de se rendre sur la Croisette pourront se rattraper en se procurant le coffret DVD en hommage au cinéaste, incluant cinq de ses principaux films (Le Mandat - 1968 ; Emitaï - 1971 ; Xala - 1974 ; Ceddo - 1976 et Camp de Thiaroye - 1988) ainsi que Référence Sembene, de Yacouba Traore, un documentaire où Sembene Ousmane s’exprime pendant le tournage de son dernier film sur la situation du cinéma africain et les politiques culturelles du continent . Ce sixième DVD contient en outre un portrait du réalisateur, une filmographie, des articles et des extraits de films.

Alternance de sujets d’actualité et de fictions

C’est cette formule multimédia que la M3M projette de développer pour tout ou partie de son catalogue. Début 2004, elle a lancé une nouvelle collection, intitulée Cinémigration, et réfléchit à une autre collection, Cinémémoire, dédiée à des sujets comme le Rwanda, l'Apartheid, les tirailleurs sénégalais, la colonisation, ... Le projet Cinémigration se présente sous la forme de DVD thématiques. La première livraison aborde le thème du retour à partir de deux films de Diden Zegaoui, Ici ou là-bas, sur le retour forcé d’enfants d’immigrés en Algérie et Droit du sol, sur le dilemme pour les enfants du lieu de l’enterrement des parents. Le deuxième DVD de Cinémigration, Je de Mémoire, co-édité avec Kyrnéa international, donne à voir des films d’ateliers réalisés en 2002 et 2003 dans le cadre de l’opération “Un été au ciné - cinéville” et du projet “Devoirs de mémoires sur la mémoire de l’immigration”. (voir notre rubrique événement et le site de l'opération Un été au ciné)

Cinémigration semble ainsi démarrer par une démarche éclectique, en tâtonnant. “Pour le moment il s'agit d'ouvrir la collection et de voir les réactions”, explique Dominique Sentilhes. “Le projet est d'éditer un assemblage de documentaires sur DVD ou un film de fiction tous les mois. On va donc alterner : fin mai, je sors Sia, le rêve du python de Dani Kouyaté ; et en juin, avec La Huit : Les gens du Salto, un DVD réalisé par José Vieira sur l'émigration portugaise (dans le prolongement du film La photo déchirée, chronique d’une émigration clandestine, 52 mn - 2001. voir notre chronique). Toutes les possibilités sont ouvertes : édition, co-édition, ou même simple distribution par notre catalogue de titres existants ailleurs”.“L'idée est de devenir assez réactif pour proposer un DVD sur un sujet d'actualité : le voile, la présence des Français colorés dans l'information, la discrimination à l'emploi, etc. On voudrait aussi présenter plusieurs programmes sur la vie dans les quartiers, peut-être en assemblant plusieurs émissions de l’opération Télécité (France 3)” ajoute Dominique Sentilhes.

Promouvoir le DVD documentaire face à la loi du marché

La médiathèque parie sur l'ouverture du “Musée de l'histoire et des cultures de l’immigration en France” pour élargir les réseaux et la demande d’un produit comme Cinémigration. Aujourd’hui, Dominique Sentilhes estime à 1000 exemplaires le potentiel de vente d'un DVD thématique documentaire. Côté fiction, le tirage de départ sera de l’ordre de 2000. Pour des questions d'argent, les producteurs renâclent encore à céder leurs droits face à ces tirages limités, et prétendent vouloir éditer eux-mêmes en DVD. Mais, généralement, les choses traînent. Or, à l’heure où la cassette vidéo VHS tend à disparaître (elle ne représenterait au premier trimestre 2004 que 10 % du marché), l’enjeu est de taille : il s’agit à la fois de produire et de diffuser des sujets directement en DVD, et de transférer sur ce nouveau support des œuvres existant sous des formats bientôt obsolètes. Sinon, nombre de documentaires risquent de disparaître...
Et, l’évolution récente du marché de la DVD ne simplifie pas les choses. Selon le Syndicat de l’édition vidéo (SEV), on assiste en effet pour la première fois à une baisse du chiffre d’affaires des ventes: au premier trimestre 2004, il a chuté de 16 %, alors même que le volume de vente a continué à augmenter. Cela s’explique avant tout par la baisse spectaculaire des prix des gros tirages en DVD. Dans ces conditions, l’avenir du documentaire en DVD, hormis peut-être le musical et l’animalier, est très incertain, économiquement parlant. D’où plus que jamais la nécessité d’une politique volontariste et raisonnée d’aide à la numérisation et à la diffusion de ce genre audiovisuel en phase avec la société réelle.

Mogniss H. Abdallah
Agence IM'média