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Origine : http://bok.net/pajol/sanspap/immedia/mogniss3.html
A l'heure du bilan de seize années de présence de
Helmut Kohl comme chancelier de l'Allemagne, l'immigration semble
occultée dans le débat public. La discussion porte
essentiellement sur l'évaluation du modèle économique
allemand à l'ausne de la réunification, sur l'explosion
du chômage et la remise en cause d'un certain "bien-être"
social" jusque-là garanti par l'Etat-providence et par
un consensus national reposant sur la co-gestion entre partenaires
sociaux.
En filigrane pourtant, la question de l'immigration se profile
derrière l'inquiétude suscitée par le retour
de plusieurs partis d'extrême-droite sur le devant de la scène
publique, par une recrudescence de la violence et de la délinquance,
et par l'élargissement de l'Union européenne à
l'est. Les immigrés servent alors de révélateur
des contradictions de la société allemande et des
limites de sa capacité à digérer les mutations
de cette fin de siècle, mais ils ne sont que trop rarement
considérés comme des acteurs partie-prenantes de ces
évolutions, considérées d'un point de vue germano-germanique
ou euro-germanique. En d'autres termes, la majorité de la
classe politique ne s'intéresse guère aux immigrés
comme citoyens potentiels de la société allemande.
"Nous n'avons pas le droit de vote mais nous avons une voix!",
ont clamé plusieurs centaines de réfugiés et
d'immigrés qui ont organisé une "Caravane pour
les droits", du 14 août au 20 septembre 1998, parcourant
tout le pays en pleine période électorale dans l'espoir
de soulever un débat national sur une politique de l'immigration
de plus en plus restrictive et tendant à criminaliser les
étrangers. Si cette initiative a permi la rencontre de groupes
de différentes communautés immigrées (Tamouls,
Kurdes, Congolais, Iraniens...) entre eux, et si elle a bénéficié
du soutien actif de nombreux réseaux allemands de solidarité
comme "Keine Mensch ist illegal"(Personne n'est illégal),
elle n'a pas eu l'écho espéré. Et le célèbre
écrivain Gunther Grass semble bien seul quand il bataille
pour l'accueil des étrangers, Kurdes en particulier, gravement
remis en cause en 1993 par l'abrogation de l'article 16 de la Constitution
qui garantissait jusqu'alors le droit d'asile en Allemagne.
En revanche, le 19 septembre 1998, jour de l'arrivée de
la Caravane à Cologne, le Nationaldemokratische Partei Deutschland
(NPD), d'obédience néo-nazie, organisait une manifestation
pour commémorer la spectaculaire attaque du foyer d'immigrés
de Rostock-Lichtenhagen en 1992. Cette provocation a suscité
une mobilisation anti-fasciste fort médiatisée, rappelant
les gigantesques mais éphémères "chaînes
de lumières" fraternelles ou les initiatives "multi-kulti"
du temps où Daniel Cohn-Bendit était maire-adjoint
chargé des affaires multi-culturelles à Franckfort
(il a démissionné depuis pour passer à autre
chose).
Lors d'un important meeting électoral tenu deux jours plus
tôt à Bitterfeld, ancienne ville phare de l'industrie
chimique est-allemande en Saxe-Anhalt, land où 12,9 % d'électeurs
-pour l'essentiel des jeunes et des chômeurs -avaient voté
pour le parti d'extrême-droite DVU (Union du Peuple allemand),
Helmut Kohl a eu le mérite de ne pas céder à
la démagogie anti-immigrée ambiante, refreinant son
credo habituel de campagne sur sa détermination à
"jeter dehors" les criminels étrangers. De même,
il n'a pas voulu suivre Edmund Stoiber, son encombrant mais efficace
partenaire ministre-président CSU de Bavière, lorsque
celui-ci a tenté de relancer au niveau fédéral
la fameuse devise: "l'Allemagne n'est pas un pays d'immigration".
Au-delà des effets d'annonce, des réactions de circonstance
intrinsèques à toute campagne électorale et
bien sûr de la défaite du Chancelier chrétien-démocrate,
le bilan des années Kohl en matière d'immigration
reste donc à faire. Des pistes peuvent néanmoins d'ores
et déjà être débroussaillées au
regard des interrogations majeures actuelles de la société
allemande, à commencer par la question de l'identité
d'un pays et d'un peuple renouant avec le statut de grande puissance
économique et politique au coeur de l'Europe.
Un pays d'immigration qui s'ignore
Depuis l'accession de Helmut Kohl au pouvoir en 1982, force est
de constater que l'immigration s'est accrue. De 4,5 millions, soit
7,2% de la population en Allemagne de l'ouest, elle est passée
à 7,314 millions en 1996, soit 8,9% de la population de l'Allemagne
réunifiée. (Tendances des Migrations Internationales,
SOPEMI-OCDE, 1998). Certes, ces chiffres ont été dopés
par les importants flux migratoires consécutifs à
la réunification et à la guerre en ex-Yougoslavie,
et l'on peut constater une nette diminution des entrées depuis
l'adoption d'une nouvelle loi sur le droit d'asile en 1993 et des
politiques visant à restreindre les entrées de nouveaux
travailleurs non ressortissants de l'Union européenne. Ainsi,
après avoir culminé à 438 000 en 1992, le nombre
de demandeurs d'asile est-il retombé à 116000 en 1996.
L'Allemagne continue de signer des accords bi-latéraux avec
les pays d'origine pour le rapatriement de leurs ressortissants
(Turquie, Bosnie, Vietnam, Mozambique...) plus ou moins suivis d'effet
sur le terrain. Ainsi, les 350 000 réfugiés Bosniaques
devraient déjà être sur le chemin du retour,
mais la réalité s'avère plus complexe.
Cependant, la population de résidents étrangers augmente
du fait du regroupement familial et des naissances en Allemagne,
et l'immigration de travail continue. "En 1996, près
de 440 000 nouveaux permis ont été délivrés,
dont plus de la moitié à des personnes nouvellement
entrées sur le territoire" (Sopemi-OCDE op. cité).
Ces chiffres concernent essentiellement des travailleurs sous contrat
d'ouvrage ainsi que les fameux "gastarbeiter" ou travailleurs
invités échappant à la règle d'opposabilité
de la situation de l'emploi. L'Allemagne leur applique la politique
des quotas par pays et par secteur d'activités, fixés
annuellement. En 1996, ces contingents ont été revus
à la baisse, mais les emplois de saisonniers progresse de
nouveau. Près de 193 000 travailleurs immigrés, Polonais
pour la plupart, ont été admis en 1995 surtout dans
l'agriculture ou l'hôtellerie (rapport SOPEMI-OCDE op. cité).
Cette situation fait dire à certains qu'en Allemagne, il
y a "un million de permis de travail en trop", sans déterminer
exactement quelles catégories d'immigrés sont ainsi
visées.
Les immigrés et le chômage, nouveau dilemne allemand
En novembre 1996, Helmut Kohl affirme que les étrangers
pourraient bien être une des principales causes du chômage
des Allemands, et quelques semaines plus tard il renchérit:
"cette situation ne peut plus durer. On ne peut pas faire comprendre
aux travailleurs allemands qu'avec un chômage élevé,
des centaines de milliers d'étrangers puissent travailler
en Allemagne". Klaus Zwickel, président du syndicat
IG Metall, déclare dans la foulée: "je pense
que nous devons arriver à un contingentement dans le cadre
d'une loi sur l'immigration pour soulager le marché du travail
allemand et désamorcer l'explosion sociale".
Pour faire travailler des chômeurs allemands, "le ministère
du travail à Bonn a ordonné de réduire de 10%
le nombre des 200 000 travailleurs saisonniers en provenance d'Europe
de l'est, (offrant) 10,60 marks de l'heure, plus 25 marks de supplément
par jour payés par le bureau du travail", relate le
quotidien populaire Bild Zeitung en mai 1998. Cette directive est
à l'origine du "scandale de l'asperge" qui fait
sortir Helmut Kohl de ses gonds. Les chômeurs allemands n'ont
en effet pas daigné se baisser pour travailler à ce
tarif-là, des saisonniers polonais se sont retrouvés
à leur tour au chômage, et la récolte d'asperges
a été en partie perdue. "Nous ne sommes pas un
peuple de mangeurs d'asperges, fulmine le Chancelier au congrès
du CDU à Brême, mais il faudrait que les nouveaux emplois
que nous créons soient aussi occupés". Dans sa
croisade contre le chômage, Helmut Kohl choisit donc de culpabiliser
les Allemands, sous-entendant qu'ils vivent au-dessus de leurs moyens,
voire qu'ils font preuve d'une fainéantise jusque-là
plutôt attribuée à des étrangers abusant
de la protection sociale du pays d'accueil. "Il y a 1,5 million
d'offres d'emplois non pourvues...Comme les Allemands ne les acceptent
pas, ce sont les étrangers qui les prennent", répète-t-il
à Bitterfeld (Le Monde, 19/9/98).
Ces piques stigmatisent tout autant le manque de "flexibilité"
des partenaires sociaux, et confortent le processus de dérégulation
fortement encouragé par les partisans de la performance maximale,
à droite comme à gauche. "Celui qui n'accepte
pas de servir n'est pas rétribué", disent les
proches du ministre-président de la Saxe, M. Kurt Biedenkopf.
"Il faut accepter les inégalités" ajoutent-ils
( "les sociaux-démocrates veulent faire "mieux"
que la droite", Matthias Greffrath in Le Monde Diplômatique,
juin 1998). L'option néo-libérale est appuyée
par l'OCDE qui, dans son rapport sur l'Allemagne rendu public en
août 1998, préconise la pérénisation
des "billigjobs", emplois "légalement au noir"
payés moins de 620 DM par mois pour 15 h maximum de travail
par semaine. Ces emplois, dont le nombre varie selon les sources
de 1,6 à 6 millions, sont exemptés de charges sociales,
et concurrencent le travail au noir des immigrés illégaux,
même si ces derniers sont souvent décriés pour
accepter un salaire horaire de 5 DM. L'OCDE conseille en outre à
l'Allemagne d'accentuer les réformes de son système
de protection sociale, amorcées par la baisse des remboursements
des congés-maladie, la réforme des retraites etc...
pour le rendre économiquement viable.
Le droit constitutionnel à l'aide sociale (équivalent
amélioré du RMI français), garanti pour tous,
est à son tour de plus en plus malmené. La vox populi
se retourne alors une fois de plus contre les étrangers avec
l'antienne: "nous on a plus rien, et les étrangers continuent
à venir exprès pour encaisser les allocations..."
Les ténors du CDU et du CSU se réfèrent au
principe de la préférence nationale ou européenne
pour l'emploi mais aussi pour la sécurité sociale.
"Les contribuables ne sont plus prêts à supporter
des transferts d'argent importants pour les immigrants étrangers".
La remise en cause de l'aide sociale pour les réfugiés
Dans un premier temps, l'aide sociale pour les réfugiés
a été remplacée par une aide en nature comprenant
nourriture, hébergement et soins médicaux, aussitôt
chiffrée à 5,6 milliards de DM en 1996. Avec les projets
discutés au printemps 1998 de réforme de l'"asylbewerberleistungsgesetz",
la loi sur les allocations sociales des demandeurs d'asile, il est
désormais question de supprimer toute assistance à
certaines catégories de demandeurs d'asile, des déboutés
aux autres réfugiés provisoirement tolérés
sur le sol allemand. Face à la réaction d'indignation
à ce projet, qui aurait laissé dans le dénuement
total des centaines de milliers de personnes, le parlement a amendé
le texte afin de maintenir un filet de protection pour les réfugiés
bosniaques.
Autre centre d'intérêt, l'augmentation du travail
clandestin sur de grands chantiers comme la reconstruction de Berlin
-qui doit accueillir le siège du gouvernement fédéral
en 1999, suscite de nouvelles vocations. Afin d'associer les chômeurs
de longue durée à la lutte contre les travailleurs
clandestins, des "brigades du travail" composées
de chômeurs ont été mises en place par l'équivalent
de l'ANPE à Berlin-Est. Ces brigades opèrent des descentes-surprises
sur les chantiers du bâtiment après une longue planque,
contrôlent les papiers de séjour des travailleurs sur
place et remettent certains des clandestins au commissariat de police.
20 000 personnes auraient ainsi été contrôlées
en 1997, selon LCI (La Chaîne Info), et une personne sur dix
aurait été découverte en situation irrégulière.
Ce type d'initiative affichant sans complexe l'opposition entre
nationaux et immigrés est censé mettre du baume au
coeur des quelques 30 000 chômeurs dans le secteur du bâtiment
à Berlin. Elle confirme en tout cas que la chasse aux étrangers
peut prendre des formes institutionnelles surprenantes, relayant
des manifestations publiques aux accents xénophobes comme
celles de certains travailleurs du bâtiment qui, sous la bannière
de leur syndicat, l'IG Bau, ont pourchassé des travailleurs
immigrés sur les chantiers de la Potsdamer Platz au printemps
1997 (voir à ce sujet le film "Die Leere Mitte"
de Hito Steyerl 1998 et les reportages multi-diffusés sur
LCI du 22 au 27 septembre 1998).
L'accès à la citoyenneté et à la nationalité
sans cesse différé.
La fermeté à l'égard des nouveaux arrivants,
demandeurs d'asile, immigrants saisonniers ou travailleurs clandestins,
a-t-elle un effet bénéfique pour l'intégration
des immigrés durablement installés, comme le prétendent
certains gouvernants ? Episodiquement évoquée, une
nouvelle politique de l'immigration qui reconnaîtrait la permanence
du séjour des étrangers résidant en Allemagne,
et l'obtention de droits culturels, sociaux et politiques y afférant,
a bien du mal à s'affirmer. L'accession à la citoyenneté
ou le droit à la double nationalité, maintes fois
promis, sont des questions sans cesse remises en cause ou différées.
"Si nous cédions face à la Turquie sur la question
de la double nationalité, nous aurions rapidement non plus
3 millions, mais 4, 5 ou 6 millions de Turcs dans notre pays"
déclare Helmut Kohl fin octobre 1997. Accorder la nationalité
allemande aux enfants d'étrangers les libérerait de
la menace d'expulsion qui les oblige à se comporter correctement,
ajoute Michael Gros, chef du groupe CSU au Bundestag (Libération,
31 octobre 1997). Le contrat de coalition signé en 1994 avec
le parti libéral FDP prévoyait pourtant explicitement
une réforme du code de la nationalité. Les uns et
les autres se sont une fois de plus retractés sur cette question
sensible, non sans contradictions: ainsi deux millions d'Allemands,
essentiellement les Aussiedler, reçoivent d'emblée
la nationalité sans être obligés d'abandonner
leur nationalité antérieure (polonaise, russe...).
Ils bénéficient donc bel et bien de cette double nationalité
qu'on refuse aux deuxième ou troisième génération
de Turcs nés en Allemagne.
De même, les Lander de Hambourg ou de Schleswig-Holstein
gouvernés par une coalition SPD-Verts ont tenté d'accorder
aux étrangers le droit de vote aux élections locales
après cinq ans de résidence, mais leur décision
a été cassée par la cour constitutionnelle
en 1994. Depuis, c'est le laisser-aller sous prétexte que
le traité de Maastricht prévoit déjà
le droit de vote pour les ressortissants de l'Union européenne.
Pragmatisme aidant, l'intégration malgré tout.
Tout se passe comme si l'Allemagne se refuse à admettre
l'échec de sa politique de rotation de la main-d'oeuvre immigrée
mise en place dans les années 60. Beaucoup continuent obstinément
à définir les immigrés comme des "gastarbeiter"
qui rentreront tôt ou tard chez eux, et la confusion entre
réfugiés et résidents immigrés semble
savamment entretenue comme pour signifier que l'ensemble des étrangers
est concerné à terme par les programmes de rapatriements
collectifs négociés avec les pays d'origine. Un certain
pragmatisme face à la réalité de l'intégration
individuelle et collective des immigrés entraîne néanmoins
quelques correctifs au statut des résidents étrangers.
Le 1er janvier 1991, l'"Auslandergesetz", une nouvelle
loi sur les étrangers organise la limitation des flux migratoires
à venir, mais introduit aussi quelques assouplissements aux
conditions de séjour des résidents permanents: une
carte de séjour après huit ans de résidence
protège contre l'expulsion, et la naturalisation des jeunes
âgés de moins de 24 ans ainsi que des adultes présents
depuis plus de quinze ans devient désormais possible si la
nationalité d'origine est abandonnée (cf. "La
Nouvelle loi relative au séjour des étrangers, Birgit
Harprath in "Hommes et Migrations n° 1152, février-mars
1992). Pour se mettre en conformité avec les textes européens,
le droit au regroupement familial est explicité. Par ailleurs,
l'acceptation d'une plus grande mobilité sur le marché
du travail permet aux immigrés de changer de métier
et de statut. Les Turcs créent ainsi 35 000 entreprises et
emploient quelques 130 000 personnes.
Dès lors que la flambée de violences racistes du
début des années 90 va cibler des familles turques
et provoquer la mort de femmes et d'enfants en Allemagne de l'ouest,
le pouvoir et le patronat multiplieront les gestes de bonne volonté
à l'égard de l'importante communauté turque.
Le 4 juin 1993, aux obsèques des cinq victimes de l'incendie
criminel de Sölingen, le président de la République
Richard von Weizsaecker conclut son vibrant et solennel hommage
par un plaidoyer très politique en faveur de la citoyenneté:
"les Turcs qui vivent sous les règles de notre Etat
n'ont pas le droit d'exercer d'influence. Est-ce que cela doit rester
ainsi?"
L'émotion retombée, et sans effets d'annonce médiatiques,
de nombreux résidents turcs obtiennent progressivement la
nationalité allemande. En 1998, 160 000 électeurs
d'origine turque peuvent se rendre aux urnes, et selon les prévisions
ils seront 500 000 en l'an 2002. (Note: en 1996, 46 300 Turcs ont
obtenu la nationalité allemande. Ils ont été
les plus nombreux à bénéficier d'une décision
discrétionnaire en leur faveur, avant même les Aussiedler.
Globalement, il y a eu 302 000 naturalisations en 1996.)
Les agressions racistes continuent. Les autorités allemandes
manifestent moins de sollicitude à l'égard des autres
communautés victimes d'agressions racistes, africaines ou
vietnamiennes en particulier. Helmut Kohl a répèté
que sa "sympathie va aux victimes et pas aux criminels".
Mais qu'en est-il lorsque les victimes sont des étrangers,
immigrés ou réfugiés? En 1994 à Berlin,
Martin Agyaré, un jeune ghanéen défénestré
dans un train par un groupe de skinheads, a dû se faire amputé
d'une jambe. Quelques mois après sa sortie, il reçoit
une facture pour son hospitalisation d'un montant de 51 000 DM et
instruction de retourner au Ghana. Son autorisation de séjour
ayant expiré, il n'était plus couvert par la sécurité
sociale et se retrouvait en situation illégale du fait de
son maintien en Allemagne. Il ne doit son salut qu'à la solidarité
d'une famille allemande à titre privé (Marc Cheb Sun
in Pote à Pote n° 35, septembre 1998, et l'Humanité
Hebdo, 17 septembre 1998). "Les autorités et les média
s'intéressent aux agresseurs plus qu'à nous autres
agressés, tout simplement parce que ce sont des Allemands",
commente désabusé Jona Iipeng, un jeune Namibien lui
aussi grièvement blessé dans un foyer d'apprentis
à Wittenberge, en Allemagne de l'est. "On dit qu'ils
sont victimes de l'histoire sociale et politique troublée
de ce pays... et on paie même aux jeunes néo-nazis
des vacances en Israël ou en Turquie pour leur apprendre à
aimer les Juifs et les Turcs."
La tentation néo-nazie est considérée comme
une forme de "révolte juvénile" stimulée
par le chômage et l'inaction, et les autorités consacrent
des sommes importantes à des projets de resocialisation des
jeunes allemands. Or ces projets sont détournés par
les jeunes qui y confortent leur culture d'extrême-droite.
A l'école comme dans les clubs, enseignants, travailleurs
sociaux et policiers n'osent pas intervenir et laissent faire au
nom d'une pédagogie d'écoute compréhensive.
Par ailleurs, nombre d'"incidents" sont attribués
aux étrangers eux-mêmes, accréditant la thèse
d'une culture de la violence domestique qui leur serait inhérente.
Après l'incendie criminel d'un foyer de réfugiés
qui a fait dix morts à Lübeck en janvier 1996, Safwan
Eid, réfugié libanais habitant lui-même sur
place, est accusé d'avoir mis le feu suite à une querelle
familiale et fait sept mois de prison. Il sera acquitté par
la justice "au bénéfice du doute", mais
des "soupçons sérieux" demeurent. Quatre
jeunes allemands connus pour leur engagement à l'extrême-droite,
repérés à proximité du foyer au moment
du drame, n'ont pas été inquiétés, faute
de preuves. "L'absence de justice et l'échec de l'accompagnement
social "anti-raciste" des néo-nazis va les pousser
à récidiver avec la bénédiction des
"stino" (beaufs)" prédit Jona (Raus II, Le
Syndrôme de Hoyerswerda, film de Joy Banerjee et Yonas Endrias,
production IM'média,1996).
En mai 1998, le ministre fédéral de l'intérieur
Manfred Kanther annonce que le nombre d'agressions violentes contre
les étrangers est reparti à la hausse, avec près
de 800 cas sérieux en 1997. On en parle peu, sous prétexte
de ne pas faire de la publicité aux néo-nazis. Et
le 22 novembre, Martin Agyaré est de nouveau agressé
dans le train reliant Berlin par cinq jeunes Allemands qui, interpellés,
ressortent libres...
L'après-Kohl et les nouvelles perspectives européennes.
Le chômage, le coût de la réunification et des
réformes pour adapter le modèle allemand aux nouvelles
données économiques mondiales ont sans doute eu raison
du chancelier Helmut Kohl. Usé par le pouvoir, il s'en va
et cède sa place au "nouveau centre" incarné
par son challenger social-démocrate Gerhard Schröder.
Sur le dossier de l'immigration, la perspective avec la nouvelle
équipe d'une inflexion plus libérale reste incertaine.
En 1993, le SPD avait finalement voté la loi limitant le
droit d'asile. Sur le dossier du chômage et la criminalité
des étrangers, le SPD et l'ex-Verts Otto Schily ont rivalisé
d'ingéniosité pour admettre qu'il y a bien un "problème"
avec les immigrés et qu'ils séviront une fois au pouvoir,
promettant d'être plus efficaces encore en matère d'expulsions.
Seule modification plausible, la réforme du code de la nationalité
en faveur des jeunes de la deuxième ou de la troisième
génération ne remettrait cependant pas en cause une
gestion de l'immigration comme force de travail étrangère
maléable au gré des besoins économiques de
l'Allemagne. La construction européenne, jusqu'ici accaparée
par le passage à l'euro et l'harmonisation des politiques
de contrôle de l'immigration au point de banaliser l'image
d'une "forteresse Europe", va reposer très concrètement
la question de la liberté de circulation et d'installation
pour les ressortissants des pays de l'Est intégrant l'Union
à l'aube du XXIème siècle. Gerhard Schröder,
"l'homme de Volkswagen", a fait campagne pour repousser
à plus tard cette liberté de circulation au nom de
la protection des travailleurs allemands. Mais à l'heure
où l'Europe politique et sociale devient une nécessité
impérieuse, impliquant la définition d'une citoyenneté
européenne et l'harmonisation des droits sociaux, on ne pourra
continuer à différer indéfiniment les droits
des migrants communautaires et extra-communautaires au nom de la
seule défense des intérêts immédiats
des nationaux. La perspective d'une nouvelle politique de l'immigration
digne de ce nom devrait commencer par une rupture avec la culture
de la suspiscion à l'égard des immigrés. Dans
le contexte de la grande Allemagne et de la "forteresse Europe",
c'est là une vraie gageure.
Paris, le 6 octobre 1998.
Mogniss H. Abdallah
agence IM'média
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