|
Origine : http://bok.net/pajol/sanspap/immedia/mogniss2.html
"Un emploi, c'est un droit! Un revenu c'est un dû!"
Ce leitmotiv, entendu mille fois lors du mouvement des chômeurs
de l'hiver 1997-98, c'est au tour de Madjiguène Cissé,
porte-parole des sans-papiers de Saint-Bernard et initiatrice de
leur Coordination nationale, de le scander avec tout l'art de la
mise en scène qu'on lui connaît. Sous l'oeil des caméras
de télévision, elle est une fois de plus évacuée
manu militari en ce mercredi 21 janvier 1998 du Conseil Economique
et Social, occupé l'espace de quelques heures par environ
deux cents personnes, militants des collectifs de chômeurs
et de sans-papiers réunis pour la circonstance. Plusieurs
occupations coups de poing des chômeurs se sont terminées
soit au poste comme ce soir là, soit devant l'Assemblée
Nationale pour dénoncer le projet de loi Chevènement
sur l'immigration, symbôle-type des attermoiements et reniements
de la gauche "plurielle" au pouvoir qui, tournant le dos
aux engagements électoraux d'abroger les lois Pasqua-Debré,
s'ingénue à s'inscrire dans la continuité d'une
politique de contrôle policier des étrangers.
Au-delà du soutien réciproque, ces actions symboliques
tendent à démontrer qu'il y a une communauté
de lutte des chômeurs et des sans-papiers émergeant
sur le terrain, et cela au-delà de l'agit-prop' du microcosme
parisien. A l'occasion d'opérations "péage gratuit",
les chômeurs emblématiques d'Arras dans le Nord ont
ainsi reversé la moitié de la recette aux sans-papiers
en grève de la faim pour leur régularisation à
Lille. Le butin d'autres "réquisitions de bouffe"
dans des hypermarchés de la région parisienne a été
équitablement partagé entre chômeurs et sans-papiers.
A Créteil, des chômeurs ont occupé le 27 janvier
1998 l'hôpital Mondor avec des syndicalistes CGT pour exiger
l'accès de tous aux soins, insistant en particulier sur les
risques encourus par les chômeurs et les sans-papiers qui
ne se soignent plus faute de moyens, ou à cause de tracasseries
administratives préalables à leur admission. Le 18
février 1998, une centaine de personnes réunies à
l'appel de la CGT, de 13 Actif, d'AC! et de la Coordination nationale
des sans-papiers a de nouveau manifesté dans l'enceinte de
la Pitié-Salpêtrière et a obtenu du directeur
de l'hôpital un engagement écrit diffusé auprès
du personnel pour que cessent les obstacles au libre accès
aux soins. Dans la foulée, Madjiguène s'est fait arracher
une dent, suivie par d'autres précaires français et
immigrés qui ont pu ce jour-là se faire soigner, gratuuitement,
"quelle que soit leur situation administrative". Rappelons
également un "parrainage républicain" des
"sans", organisé à Aubervilliers sous l'égide
de Droits Devant!! et du sénateur-maire Jacques Ralite. Sans-papiers,
sans-emplois et sans-logis se sont retrouvés entre-mêlés
lors de cette cérémonie symbolique censée restaurer
la citoyenneté bafouée des "sans".
Les luttes-relais
En rupture avec la fâcheuse loi de la succession par laquelle
un mouvement chasse l'autre, l'émergence des chômeurs
sur la place publique n'a pas occulté ni fagocyté
le mouvement des sans-papiers. Certes, les chômeurs ont par
endroits pris l'espace ouvert par les collectifs des sans-papiers
et leurs soutiens. A Morlaix en Bretagne, par exemple, ils ont occupé
les mêmes locaux en mairie, et c'est d'autant plus logique
que les protagonistes étaient souvent les mêmes. L'immigration
et le racisme ont trop souvent servi de lièvre ou de prétexte
pour une relance de débats franco-français qui écartent
les immigrés en cours de route. Un mois après la vague
pétitionnaire anti-Debré de février 1997, sans-papiers
et immigrés étaient quasimment absents de la "marche
citoyenne" contre le Front National à Strasbourg. Mais,
globalement, les chômeurs ont constitué un relais inespéré
permettant aux sans-papiers de rebondir. C'est ainsi qu'au terme
de la manifestation "Tous ensemble, on continue" du 7
mars 1998, les sans-papiers ont pu occuper la cathédrale
d'Evry dans l'Essonne, une occupation qui va s'incrire dans la durée
et qui en annoncera d'autres à Paris, en banlieue et en régions.
Ce nouveau phénomène de luttes-relais a sans doute
pris corps ces dernières années dans la volonté
diffuse de donner des suites plus durables à l'action des
mal-logés, à la révolte anti-CIP de 1994 et
au mouvement social de novembre-décembre 1995. Plutôt
que la recherche de débouchés dans la sphère
politique traditionnelle, les révoltes partielles et conjoncturelles
semblent désormais s'orienter vers la recherche d'un mouvement
social d'ensemble, revendiquant sa diversité et son autonome.
Toutefois, cette aspiration se heurte aussi à une "gauche
de la gauche" omniprésente qui cherche elle, à
engranger les acquis et à institutionnaliser les mouvements,
comme en témoignent les élections régionales
de mars 1998 et les scores inespérés de l'extrême-gauche.
Sortir de l'ombre pour exister comme nouvel acteur social
Les méthodes d'action des militants des associations de
chômeurs sous les feux de la rampe en janvier-février
1998 (AC!, APEIS, MNCP, comités-CGT) semblent un décalque
de la boulimie d'actions qui a accompagné l'errance urbaine
du groupe initial des trois cents occupants de l'église Saint-Ambroise
depuis le 18 mars 1996: occupations de lieux publics pour fonder
un groupe social et affermir sa cohésion collective, puis
interpellation des pouvoirs publics et appel à l'opinion
publique, évacuations policières, manifestations publiques
et nouvelles occupations, nouvelles évacuations, et ainsi
de suite. Même détermination à s'inscrire dans
la durée et à étendre le mouvement par la multiplication
d'actions similaires sur le plan national. Et tout cela, accessible
en direct par l'entremise de nombreux médias qui amplifient
le message, à l'instar de la presse quotidienne régionale
dont plusieurs titres ont par exemple titré en Une : "SORTIR
DE L'OMBRE", slogan-fétiche des sans-papiers aujourd'hui
repris par les chômeurs comme ode à une dignité
nouvellement reconnue.
Le mot "chômeur", comme celui de "sans-papier",
n'existe pas administrativement. N'empêche. Le chômeur
existe, et il existe désormais comme un nouvel acteur social
qui s'est imposé sur la scène publique. Il ne s'agit
pas seulement d'une figure médiatique, mais d'une figure
sociale qui, au-delà des réponses d'urgence se cherche
un statut en devenir.
Une fois n'est pas coutume et popularité aidant, les médias,
les plateaux de télévision en particulier, sont devenus
à l'occasion des temps forts du mouvement, un lieu de confrontation
entre protagonistes, mais aussi un passage obligé de la négociation
avec les pouvoirs publics. Ainsi, le premier ministre Lionel Jospin
a-t-il pris à témoin le citoyen-téléspectateur
et la nation française toute entière pour annoncer
le jeudi 22 janvier 1998 ses nouveaux engagements afin de tenter
de répondre à l'attente des chômeurs et de faire
cesser le mouvement. Tout comme les sans-papiers à la veille
de l'évacuation de l'église Saint-Bernard en août
1996, les chômeurs agglutinés devant leur poste, ont
aussitôt manifesté leur réprobation de ce qu'ils
ont identifié à la politique de "la carotte et
du bâton". Les appréciations diffèrent,
mais il reste que le premier ministre se devait de mettre fin à
ce qui a été présenté comme une spirale
de l'erreur en communication institutionnelle. A force de crier
à l'"irresponsabilité" de groupuscules "minoritaires",
à la "manipulation" et à "l'illégalité"
pour discréditer le mouvement des chômeurs, le gouvernement
risquerait de se déligitimer lui-même. En effet, la
nouvelle légitimité publique des chômeurs est
confortée par des sondages favorables non seulement à
leurs revendications, mais aussi à ce que leur mouvement
continue jusqu'à un relèvement général
des minima sociaux (sondage IPSOS-Le Point, 23-24/01/1998).
"Le cas par cas, c'est Kafka à la puissance K"
Cette popularité est aussi un désaveu de la seule
recherche de solutions individuelles d'urgence pour les chômeurs
les plus démunis. "On ne donne pas de droits, le traitement
du chômage est encore affaire de charité", constate
Claire Villiers, porte-parole d'AC! "Ce conflit, dit-elle,
permet de poser enfin d'emblée l'exigence de traiter la question
du chômage non pas comme une addition de traitements individuels
mais comme une question structurelle dont les réponses se
posent en termes de choix de société" (journal
OCCUPATION). Les sans-papiers retrouvent là, quasimment mot
pour mot, la même logique dans laquelle ils se débattent
depuis le début de leur mouvement, à savoir l'opposition
entre le cas par cas et la régularisation globale de tous
les sans-papiers, ou encore entre modifications partielles des lois
Pasqua-Debré sur l'immigration et refonte globale de l'ordannance
de 1945 (les chômeurs évoquent aussi "la remise
à plat du système d'indemnisation").
Face au refus de l'Etat de négocier politiquement sur le
fond, sans-papiers et chômeurs sont piégés malgré
eux par la multiplication des dossiers individuels à résoudre
au nom de l'urgence. Pour les uns, c'est la relance de l'action
pour les dizaines de milliers de déboutés de la régularisation
renvoyés à leur clandestinité, pour les autres
c'est les recalés de l'accès au Fonds d'urgence sociale
renvoyés à leur misère.
"L'emploi n'est plus la seule condition de la citoyenneté"
Ces multiples similitudes entre mouvements des chômeurs et
des sans-papiers amènent naturellement à s'interroger
sur les figures sociales concernées, pour vérifier
s'il y a bien des points communs ou bien s'il s'agit d'un simple
effet d'affichage dû au volontarisme de certains milieux militants.
D'emblée, d'aucuns ont fustigé les syndicalistes ou
"gauchistes" qui parlent à la place des chômeurs.
Certes, la parole des chômeurs a vite été réduite
à des témoignages de révoltes sans discours
élaboré, aussitôt expertisés par des
professionnels de la chose publique. Mais les "élites"
qui parlent au nom des chômeurs ne se cachent pas de leur
position sociale respective. Désormais, on peut même
dire qu'ils s'en prévalent car, justement, ce mouvement présente
la particularité d'une grande hétérogénéité
sociale. Le point commun, c'est bien la précarisation généralisée
de pans entiers de la société, dans et hors le travail
salarié. Il faudrait donc parler de mouvement des précaires,
plutôt que des chômeurs ou des "sans-emplois",
ce dernier terme étant particulièrement impropre pour
désigner ces nouveaux acteurs sociaux qui, tout en cherchant
à exprimer une conscience commune des "sans-droits",
commencent à faire admettre à la société
française que "l'emploi n'est plus la condition de la
citoyenneté" (Libération, 27 janvier 1998).
Les salariés "inclus" ont un intérêt
manifeste à inverser la pression de la précarisation
du travail pour ne plus vivre dans la peur permanente de perdre
à leur tour leurs garanties (emploi, statut, salaire, acquis
sociaux etc...), comme les sans-papiers et les résidents
immigrés en situation régulière ont aussi,
de surcroît, intérêt à se battre pour
l'obtention et le maintien de plein droit de la carte unique de
dix ans indépendamment de leur situation au regard de l'emploi,
cela pour ne pas revivre les affres de l'incertitude quant au renouvellement
des papiers. Le mouvement a bien mis en évidence que le niveau
"scandaleusement" bas des minima sociaux et du travail
"clandestin" incite par défaut au travail précaire,
des temps partiels imposés aux boulots tendanciellement payés
en-dessous du SMIC. Il est donc tout à fait logique que ceux
qui prétendent représenter les intérêts
des salariés, des sans-papiers et des résidents étrangers
participent "tous ensemble". Cette convergence d'intérêts
n'efface pas pour autant la persistance du décalage entre
le volontarisme des militants et le niveau de conscience réel
des différents secteurs de population concernés. Force
est de constater la faible mobilisation des salariés.
Mythes et réalités des convergences
Au-delà des effets d'annonce de l'intervention militante,
et sans ergoter sur la représentativité réelle
ou supposée des uns et des autres, les sans-papiers sont
également peu présents. Sans doute est-ce là
le résultat de la projection d'une image de soi qui a sous-évalué
leur précarité sociale réelle. Les sans-papiers
ont trop longtemps crû -ou fait croire- que leur précarité
était essentiellement liée à la question des
papiers et, qu'une fois régularisés, ils pourraient
s'intégrer socialement sans trop de difficulté. Ils
ont aujourd'hui bien du mal à justifier de leur "bonne
insertion" dans la société française pour
obtenir leur régularisation parce qu'ils vivent dans des
situations sociales très précaires. Et ce n'est pas
un hasard si c'est parmi les déboutés de la régularisation
Chevènement - en particulier dans les foyers- que l'on retrouve
des sans-papiers partie-prenantes des actions conjointes avec les
chômeurs et les précaires. Cette présence se
limite néanmoins trop souvent à une présence
"protocolaire", histoire de marquer le coup, symboliquement.
L'adhésion individuelle ou collective des sans-papiers aux
comités des chômeurs CGT à Lille, par exemple,
ne dépasse guère le stade de la solidarité
de principe et de la mise à disposition de la logistique
du syndicat. Ici et là, des projets d'ouvrir des lieux communs
aux sans-papiers et aux chômeurs rencontrent incompréhension
ou indifférence. A Colombes, dans les Hauts-de-Seine, l'idée
d'une permanence juridique pour les droits sociaux des étrangers,
notamment pour les chômeurs avec des problèmes de papiers,
domiciliée à la bourse du travail avec l'aval de la
CGT, a capoté faute de combattants.
Les chômeurs immigrés, clandestinés par les
lois Pasqua-Debré-Chevènement
En revanche, un peu partout en France les immigrés en situation
régulière de différentes origines, hommes et
femmes toutes classes d'âge confondues, sont omniprésents
dans le mouvement des chômeurs et des précaires, et
se déterminent clairement comme tels. De fait, depuis la
pérennisation du phénomène de chômage
massif et de longue durée, qui les touche davantage encore,
les immigrés voient leur identité même de travailleurs
remise en cause. La raison initiale de leur présence en France
semble donc caduque. Or, ils restent, et l'on découvre avec
stupéfaction que dans nombre de cités ouvrières,
le chômage se transmet de parents à enfants. Mais l'entrée
et l'installation dans la précarité peut aussi entraîner
pour les résidents étrangers une remise en cause de
leur droit au séjour. Ainsi, les conditions d'activités
liées au titre de séjour n'étant plus réunies
lors de l'obtention du RMI, la délivrance d'une carte de
séjour est souvent refusée. Des chômeurs étrangers
se voient refuser par l'administration le renouvellement de leur
carte de résidence... (cf. "La République bornée",
Plein Droit n° 36-37, décembre 1997, et en particulier
l'article d'Adeline Toullier "Fidélité à
la logique Pasqua en matière de protection sociale",
p. 48-51).
Les lois Pasqua de 1993 ont précipité nombre d'immigrés
dans l'irrégularité, elles ont supprimé aussi
l'accès des sans-papiers aux fameux minima sociaux, imposant
aux caisses de sécurité sociale et aux ANPE le contrôle
des papiers des étrangers et la connexion avec les fichiers
de l'Etat. La nouvelle loi Chevènement non seulement ne revient
pas sur ces dispositions, mais l'invocation quasi-incantatoire de
"l'ordre public" et de "la situation économique
et sociale du pays, avec ses cinq millions de chômeurs réels"
ne cesse d'inquiéter quant à l'égalité
d'accès de l'ensemble des immigrés aux droits sociaux.
On comprend ainsi mieux pourquoi les immigrés s'identifient
pleinement aux revendications des chômeurs, concernant tout
à la fois l'égalité d'accès aux minima
sociaux et leur augmentation significative, mais aussi leur refus
de cette logique d'épuisement des droits que l'administration
notifie aux uns et aux autres sous la formule cynique de "fin
de droits".
"Ne pas déshabiller Mohamed pour rhabiller Paul ou
Pierre"
L'association "Une Chorba pour tous", créée
pour fournir une bonne soupe aux démunis pendant le mois
de Ramadhan, a pris ses quartiers à la Maison des Ensembles,
et intervient quotidiennement à la gare du Nord. Pendant
le mouvement, elle a fourni la nourriture sur les lieux d'occupation,
et l'abnégation de ses militants a suscité l'admiration
des chômeurs. Dans le fracas des évacuations policières,
ils ont perdu l'essentiel de leurs grandes gamelles collectives,
sans jamais réclamer un quelconque dédommagement.
La coincidence des fêtes de Noël et du Ramadhan a aussi
contribué à rapprocher chômeurs français
et immigrés. Les associations contestant les projets de redéploiements
budgétaires dans le cadre de la lutte contre l'exclusion
avaient l'habitude de refuser que "l'on déshabille Paul
pour rhabiller Pierre". Du coup, c'est l'idée qu'"il
ne faut pas déshabiller Mohamed pour rhabiller Paul ou Pierre"
que s'approprient les chômeurs en lutte.
Le MIB, Mouvement de l'Immigration et des Banlieues, participe
aussi pleinement à la dynamique de révolte des chômeurs.
Tout en soulignant que l'immigration porte un lourd tribut depuis
le début en 1974 de la "crise" structurelle de
l'économie française, il se fait le chantre d'une
communauté sociale des cités, non de tribus ou d'ethnies,
qui s'est forgé une histoire politique et sociale propre
depuis la fin des années 1970. L'auto-organisation à
partir des besoins réels des gens a ainsi été
mise en avant, au détriment des multiples tentatives de récupération
par la "gauche morale", tel l'anti-racisme des années
80 qui a eu pour effet concret de masquer la galère sociale
dans les cités (cf. l'Echo des Cités, journal du MIB,
ou les Inrockuptibles n°132 du 24 décembre 1997).
Ironie du sort, les lieutenants de Chevènement et quelques
contre-pétitionnaires accrochés aux basques de JF
Kahn et l'hebdomadaire "Marianne" sont pris à leur
propre piège politicien. S'érigeant en porte-paroles
d'une "gauche sociale" prétendumment en phase avec
"le combat pour la transformation sociale", ils ont stigmatisé
cette "gauche morale" qui y aurait renoncé ( "Quand
on ne croit plus au combat pour du 'boulot pour tous', il ne reste
plus que 'des papiers pour tous' ", dixit Jean-Loup Coly, secrétaire
national du Mouvement des Citoyens, in Politis du 23 octobre 1997).
Arroseurs arrosés, ils ont perdu de leur arrogance depuis
la gestion policière par le gouvernement Jospin du mouvement
social réel!
La Marche des chômeurs et des précaires en lutte
En réponse à la gestion policière du mouvement
des chômeurs, notamment depuis l'action au Cash Converters
qui avait abouti à l'emprisonnement de quatre chômeurs
ou précaires, beaucoup se sont retrouvés dans le mot
d'ordre des banlieues: "pas de justice, pas de paix!"
"La Marche des chômeurs et précaires en lutte"
qui a relié du 23 février au 6 mars 1998 la ZUP de
Vaulx-en-Velin aux cités de Nanterre, a essayé de
renforcer les liens entre les chômeurs, les jeunes et les
habitants des cités. L'idée était de modifier
la perception que les uns ont des autres, marquée par les
stigmates dominants: chômeurs franchouillards et jeunes "sauvageons".
Suite à la rencontre avec les marcheurs à Vaux-en-Velin,
des jeunes du quartier de la Thibaude ont de leur propre initiative
investi une administration locale pour exiger du boulot, quitte
à accepter des emplois-jeunes. La marche a aussi porté
les revendications de liberté de circulation et de nouvelle
citoyenneté, sous des formes éprouvantes mais ludiques:
l'impuissance des contrôleurs et des chefs de gare face à
leur détermination à voyager sans payer a décuplé
le sentiment de pouvoir des marcheurs sur leur propre destin.
L'occupation de la fac de Nanterre le 22 mars, clin d'oeil au 30ème
anniversaire de mai 68, a dans la foulée signifié
la volonté de rechercher de nouveaux lieux non-expulsables
pour pérenniser le mouvement et pour lui donner les moyens
de s'organiser. L'autonomie de ces initiatives n'a cependant pas
plu aux dirigeants des associations de chômeurs qui les ont
boudées. Pire: comme le constate amèrement Khelil,
militant d'AC! à la Maison des Ensembles, "l'immigration
pose toujours problème pour les orgas, dès lors qu'elle
s'affirme et s'auto-organise". Au point que des militants,
même des franges les plus radicales, prétendent que
les "jeunes des cités" sont une catégorie
fictive inventée par les médias. Décidemment,
de ce côté il y a encore beaucoup de pain sur la planche...
Le revenu de citoyenneté, y compris pour les immigrés.
En tout état de cause, le mouvement des chômeurs a
de façon inattendue bouleversé le climat idéologique
du pays qui jusque-là tendait à culpabiliser ceux
qui vivraient sur le dos de "la société de travail"
en profitant de l'assistance publique, au premier rang desquels
les immigrés et tous ces "salauds de pauvres".
Après avoir été pris à contre-pied,
le Front National tente bien de refaire surface auprès de
couches populaires qu'il considérait comme sa chasse gardée,
en suggérant de réserver les minima sociaux aux seuls
Français et en menant bataille pour une allocation de naissance
réservée aux Européens. Mais aujourd'hui, certains
n'hésitent pas à plaider pour un "revenu de citoyenneté"
ou une "allocation universelle" reversée à
tous, immigrés compris. Ce faisant, ils ne demandent finalement
que l'application de la Constitution française de 1946, qui
proclame en préambule:"la Nation garantit à tous,
notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux
travailleurs, la protection de la santé, la sécurité
matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain
qui, en raison de son âge, de son état physique ou
mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité
de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des
moyens convenables d'existence".
Mogniss H. Abdallah/agence IM'média
28 mai 1998.
Article paru dans la revue Alice n°1, automne 1998.
|
|