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Banlieues, un an après Les médias en font-ils trop ?
November 23, 2006 • Filed under Analyses
Mogniss H. Abdallah Agence IM’média [21/11/2006]

Origine : http://atouteslesvictimes.samizdat.net/?p=329

Les médias en font-ils trop ? La question, désormais récurrente dès que l’insécurité en banlieue revient sur le devant de la scène médiatique, taraude les rédactions. Un après l’embrasement de novembre 2005, plusieurs émissions de télévision y ont été consacrées. Mais, pour conjurer les risques d’une nouvelle irruption de violences à la veille d’importantes échéances électorales, les médias français ont plutôt fait le choix de l’appel au calme, quitte à s’autocensurer, et mettent en avant des exemples dits “positifs”. Une partie de la presse écrite insiste, elle, sur la nécessité d’une immersion en banlieue, “terra incognita”, afin de “prendre le temps de l’enquête” et, surtout, de rétablir la confiance avec les habitants, nombreux à tenter de développer leurs propres médias.

Suspense autour d’un “anniversaire”

Face à la critique de téléspectateurs dénonçant le sordide suspense autour d’un “anniversaire” artificiellement entretenu, Etienne Leenhardt, directeur-adjoint de l’information sur France 2, se réfugie dans la dénégation. “On ne célèbre rien”, répète-t-il dans la chronique hebdomadaire du médiateur de la chaîne, le 28 octobre 2006. Arrêt sur Images démontre pourtant le contraire. Dans son dossier du 5 novembre, intitulé “Banlieues : happy birthday ?”, l’émission de décryptage des médias de France 5 livre un montage-zapping de sujets qui, depuis le 1er octobre, tendent tous à se demander : va-t-on à nouveau vers l’explosion ? Sur le plateau, Omar Dawson, réalisateur de films avec les habitants de Grigny (Essonne) (voir notre chronique), constate : “C’est comme si on voulait que ça pète !”. Il confirme ainsi le sentiment des acteurs associatifs sur le terrain, exaspérés par le harcèlement de journalistes à l’affût. “Joyeux anniversaire, les émeutiers…”, chante quant à lui à tue-tête le comédien Jamel Debbouze, dans le nouveau talk-show de Thierry Ardisson sur Canal + (Salut les terriens, 4 novembre ). Avec son sens très singulier de la provocation, il tourne ainsi en bourrique le manège commémoratif ambiant.

Un emballement médiatique arrêté net… mais jusqu’à quand ?

Cependant, l’emballement médiatique, reparti de plus belle depuis les images de CRS tabassés en septembre aux Tarterêts (Grigny) et celles d’une descente de police matinale début octobre aux Mûreaux (Yvelines), semble s’être arrêté net après l’incendie d’un bus dans les quartiers Nord de Marseille, samedi 28 octobre. On a alors reparlé du phénomène de mimétisme et de compétition entre cités, cette agression faisant suite à une série d’actions similaires à Montreuil, à Nanterre ou au Blanc-Mesnil en banlieue parisienne. Mais l’identification au destin de la passagère marseillaise, Mama Galledou, grièvement blessée, a comme suspendu toute velléité de continuer à mettre le feu aux bus. En tout cas, les médias n’en parlent plus. Ils soulignent au contraire la condamnation de ces actes par les quartiers, dont prend acte le sociologue Denis Merkien : “Aujourd’hui, tous disent : ça ce n’est pas nous. Il n’y a pas de sens dans le fait d’incendier des bus” (Libération, 4 novembre).

On évoque des actes isolés, en prenant soin de ne pas les amalgamer avec l’embrasement de l’an dernier. “Ce soir, il n’y a pas de raison de se battre” affirme un lycéen d’Aulnay sous-Bois à Luc Bronner, reporter “dédié” aux banlieues (Le Monde, 29-30 octobre 2006 ). Cette affirmation, mise en exergue par le journal, sonne tel un appel au calme.

En effet, presse écrite ou télévisions, les médias français ont dans leur grande majorité prôné l’apaisement, un choix qui contraste avec l’attitude des équipes étrangères, toujours avides d’images spectaculaires. D’après certaines sources, citées par Libération (30 octobre) ou par la presse étrangère (De Volkskrant, traduit dans Courrier international, 2-8 novembre), les rédactions soumises à une pression croissante des milieux politiques, voire du ministère de l’Intérieur lui-même, auraient délibérément pratiqué une sorte d’auto-censure afin de ne pas se retrouver en situation d’accusé en cas de nouvelle irruption de violence. Les sujets dits “positifs” - souvent des portraits de réussite individuelle exemplaire - refont surface

(13% du temps accordé aux banlieues en octobre, selon l’“infochrono” d’Arrêt sur images).

“Opposer une autre parole à celle trop souvent proposée”

Quoi qu’il en soit, à Clichy-sous-Bois d’où l’étincelle est partie le 27 octobre 2005 après la mort de Zyed et Bouna, électrocutés dans un transormateur EDF suite à un contrôle de police, les journalistes ont privilégié la couverture de la cérémonie en hommage aux victimes et les prises de parole des jeunes. Sur le plan politique, les initiatives du collectif AC le feu (voir notre chronique) ont été largement annoncées et suivies, mais la faible mobilisation lors de la marche pour la remise des cahiers des doléances à l’Assemblée nationale, le 25 octobre, rappelle que les médias ne font pas à eux seuls l’événement, et que l’effet d’affichage ne suffit pas. Sur le plan culturel, l’attention a été davantage portée sur des expressions de proximité. “La banlieue se raconte sans clichés”, titre Le Parisien du 27 octobre, sur une double page présentant un foisonnement de films, journaux, livres et chansons rap réalisés par des habitants eux-mêmes. On redécouvre le rap engagé et citoyen, qui rend collectivement hommage à Zyed et Bouna, et qui incite à aller voter. Les blogs des jeunes de quartier, hier décriés pour incitation à l’émeute, sont aussi des repères de “gens responsables”, estime Aziz Zemouri dans Le Figaro magazine (10 novembre). Libération lui, publie quatre pleines pages d’extraits du blog Made in Aulnay, dans lequel Zineddine Chenoufi et Ouardi Taguia chroniquent leur univers quotidien (23 et 24 octobre).

L’immersion des journalistes en “terra incognita”

La démarche est ici plus documentaire que journalistique. Elle rejoint une volonté à la fois d’immersion des journalistes dans un monde des banlieues “terra incognita” comme le dit Le Monde (22-23 octobre 2006), de recherche de nouvelles relations entre journalistes et habitants des cités, mais aussi de nouvelles formes de médias. On a beaucoup cité en exemple Bondy blog, initié par des journalistes suisses (voir notre chronique). Mais l’expérience reste pour l’essentiel limitée à la blogosphère. D’autres acteurs essaient de sortir de cet effet de niche, dans la perspective d’une transformation des représentations au sein même des médias généralistes dominants. “En tant que journalistes, nous sommes responsables”, écrit Samuel Bollendorff, photographe, co-animateur avec Jacky Durand de la chronique hebdomadaire Cité dans le texte publiée en 2005 dans Libération, (objet d’un nouveau film consultable sur internet). “Nous sommes responsables collectivement, de cette image que les médias donnent de la cité et de ses habitants mais nous sommes aussi ‘victimes’ d’une crédibilité perdue des journalistes au sein des cités à force de stigmatisations. Rédacteurs, photographes, il nous incombe la tâche de penser et de trouver un autre vocabulaire, une autre écriture pour montrer la cité. Il est de notre devoir d’opposer une autre parole à celle trop souvent proposée”.

“Prendre le temps de l’enquête”

On retrouve une option similaire avec Alimentation générale, documentaire diffusé sur Planète et actuellement sur les écrans. Pour réaliser ce film, Chantal Briet s’est installée plusieurs mois durant dans l’épicerie d’Ali Zebboudj, dernier lieu encore ouvert d’un centre commercial déserté, cité de la Source à Epinay-sur-Seine. Ici, en dehors d’une actualité spectaculaire, s’inventent des solidarités concrètes entre les gens. Ce quotidien-là est transmis sans idéalisation démonstrative. Car, au-delà de la part d’humanité qu’inspirent ces personnages, la situation sociale dans laquelle ils évoluent demeure suffocante.

Des sociologues cherchent eux aussi des formules de coopération avec les habitants, en prenant leurs distances avec l’inflation éditoriale, parfois qualifiée d’“émeute de papier”, qui prend la relève des médias. Au Blanc-Mesnil, la méfiance persistante à l’égard des journalistes a poussé les habitants à se regrouper pour produire leurs propres espaces d’information et de débat. Ils ont cependant accepté l’idée d’une collaboration avec Stéphane Beaud, sociologue et enseignant qui s’engage à “prendre le temps de l’enquête”, comme il l’écrit dans Vu d’ici, premier numéro d’un bimestriel réalisé par les habitants. Dans ce cadre, il est prévu qu’il anime des ateliers d’écoute et d’écriture à la Maison des Tilleuls durant l’année 2006-2007, associant chercheurs et habitants pour mieux comprendre les révoltes en banlieue. Et, peut-être, pour contribuer à l’élaboration commune d’une expression publique forte, qui déborde du cadre trop étriqué du témoignage, aussi authentique soit-il.

Mogniss H. Abdallah Agence IM’média [21/11/2006]