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Origine : http://atouteslesvictimes.samizdat.net/?p=329
Les médias en font-ils trop ? La question, désormais
récurrente dès que l’insécurité
en banlieue revient sur le devant de la scène médiatique,
taraude les rédactions. Un après l’embrasement
de novembre 2005, plusieurs émissions de télévision
y ont été consacrées. Mais, pour conjurer les
risques d’une nouvelle irruption de violences à la
veille d’importantes échéances électorales,
les médias français ont plutôt fait le choix
de l’appel au calme, quitte à s’autocensurer,
et mettent en avant des exemples dits “positifs”. Une
partie de la presse écrite insiste, elle, sur la nécessité
d’une immersion en banlieue, “terra incognita”,
afin de “prendre le temps de l’enquête”
et, surtout, de rétablir la confiance avec les habitants,
nombreux à tenter de développer leurs propres médias.
Suspense autour d’un “anniversaire”
Face à la critique de téléspectateurs dénonçant
le sordide suspense autour d’un “anniversaire”
artificiellement entretenu, Etienne Leenhardt, directeur-adjoint
de l’information sur France 2, se réfugie dans la dénégation.
“On ne célèbre rien”, répète-t-il
dans la chronique hebdomadaire du médiateur de la chaîne,
le 28 octobre 2006. Arrêt sur Images démontre pourtant
le contraire. Dans son dossier du 5 novembre, intitulé “Banlieues
: happy birthday ?”, l’émission de décryptage
des médias de France 5 livre un montage-zapping de sujets
qui, depuis le 1er octobre, tendent tous à se demander :
va-t-on à nouveau vers l’explosion ? Sur le plateau,
Omar Dawson, réalisateur de films avec les habitants de Grigny
(Essonne) (voir notre chronique), constate : “C’est
comme si on voulait que ça pète !”. Il confirme
ainsi le sentiment des acteurs associatifs sur le terrain, exaspérés
par le harcèlement de journalistes à l’affût.
“Joyeux anniversaire, les émeutiers…”,
chante quant à lui à tue-tête le comédien
Jamel Debbouze, dans le nouveau talk-show de Thierry Ardisson sur
Canal + (Salut les terriens, 4 novembre ). Avec son sens très
singulier de la provocation, il tourne ainsi en bourrique le manège
commémoratif ambiant.
Un emballement médiatique arrêté net…
mais jusqu’à quand ?
Cependant, l’emballement médiatique, reparti de plus
belle depuis les images de CRS tabassés en septembre aux
Tarterêts (Grigny) et celles d’une descente de police
matinale début octobre aux Mûreaux (Yvelines), semble
s’être arrêté net après l’incendie
d’un bus dans les quartiers Nord de Marseille, samedi 28 octobre.
On a alors reparlé du phénomène de mimétisme
et de compétition entre cités, cette agression faisant
suite à une série d’actions similaires à
Montreuil, à Nanterre ou au Blanc-Mesnil en banlieue parisienne.
Mais l’identification au destin de la passagère marseillaise,
Mama Galledou, grièvement blessée, a comme suspendu
toute velléité de continuer à mettre le feu
aux bus. En tout cas, les médias n’en parlent plus.
Ils soulignent au contraire la condamnation de ces actes par les
quartiers, dont prend acte le sociologue Denis Merkien : “Aujourd’hui,
tous disent : ça ce n’est pas nous. Il n’y a
pas de sens dans le fait d’incendier des bus” (Libération,
4 novembre).
On évoque des actes isolés, en prenant soin de ne
pas les amalgamer avec l’embrasement de l’an dernier.
“Ce soir, il n’y a pas de raison de se battre”
affirme un lycéen d’Aulnay sous-Bois à Luc Bronner,
reporter “dédié” aux banlieues (Le Monde,
29-30 octobre 2006 ). Cette affirmation, mise en exergue par le
journal, sonne tel un appel au calme.
En effet, presse écrite ou télévisions, les
médias français ont dans leur grande majorité
prôné l’apaisement, un choix qui contraste avec
l’attitude des équipes étrangères, toujours
avides d’images spectaculaires. D’après certaines
sources, citées par Libération (30 octobre) ou par
la presse étrangère (De Volkskrant, traduit dans Courrier
international, 2-8 novembre), les rédactions soumises à
une pression croissante des milieux politiques, voire du ministère
de l’Intérieur lui-même, auraient délibérément
pratiqué une sorte d’auto-censure afin de ne pas se
retrouver en situation d’accusé en cas de nouvelle
irruption de violence. Les sujets dits “positifs” -
souvent des portraits de réussite individuelle exemplaire
- refont surface
(13% du temps accordé aux banlieues en octobre, selon l’“infochrono”
d’Arrêt sur images).
“Opposer une autre parole à celle trop souvent proposée”
Quoi qu’il en soit, à Clichy-sous-Bois d’où
l’étincelle est partie le 27 octobre 2005 après
la mort de Zyed et Bouna, électrocutés dans un transormateur
EDF suite à un contrôle de police, les journalistes
ont privilégié la couverture de la cérémonie
en hommage aux victimes et les prises de parole des jeunes. Sur
le plan politique, les initiatives du collectif AC le feu (voir
notre chronique) ont été largement annoncées
et suivies, mais la faible mobilisation lors de la marche pour la
remise des cahiers des doléances à l’Assemblée
nationale, le 25 octobre, rappelle que les médias ne font
pas à eux seuls l’événement, et que l’effet
d’affichage ne suffit pas. Sur le plan culturel, l’attention
a été davantage portée sur des expressions
de proximité. “La banlieue se raconte sans clichés”,
titre Le Parisien du 27 octobre, sur une double page présentant
un foisonnement de films, journaux, livres et chansons rap réalisés
par des habitants eux-mêmes. On redécouvre le rap engagé
et citoyen, qui rend collectivement hommage à Zyed et Bouna,
et qui incite à aller voter. Les blogs des jeunes de quartier,
hier décriés pour incitation à l’émeute,
sont aussi des repères de “gens responsables”,
estime Aziz Zemouri dans Le Figaro magazine (10 novembre). Libération
lui, publie quatre pleines pages d’extraits du blog Made in
Aulnay, dans lequel Zineddine Chenoufi et Ouardi Taguia chroniquent
leur univers quotidien (23 et 24 octobre).
L’immersion des journalistes en “terra incognita”
La démarche est ici plus documentaire que journalistique.
Elle rejoint une volonté à la fois d’immersion
des journalistes dans un monde des banlieues “terra incognita”
comme le dit Le Monde (22-23 octobre 2006), de recherche de nouvelles
relations entre journalistes et habitants des cités, mais
aussi de nouvelles formes de médias. On a beaucoup cité
en exemple Bondy blog, initié par des journalistes suisses
(voir notre chronique). Mais l’expérience reste pour
l’essentiel limitée à la blogosphère.
D’autres acteurs essaient de sortir de cet effet de niche,
dans la perspective d’une transformation des représentations
au sein même des médias généralistes
dominants. “En tant que journalistes, nous sommes responsables”,
écrit Samuel Bollendorff, photographe, co-animateur avec
Jacky Durand de la chronique hebdomadaire Cité dans le texte
publiée en 2005 dans Libération, (objet d’un
nouveau film consultable sur internet). “Nous sommes responsables
collectivement, de cette image que les médias donnent de
la cité et de ses habitants mais nous sommes aussi ‘victimes’
d’une crédibilité perdue des journalistes au
sein des cités à force de stigmatisations. Rédacteurs,
photographes, il nous incombe la tâche de penser et de trouver
un autre vocabulaire, une autre écriture pour montrer la
cité. Il est de notre devoir d’opposer une autre parole
à celle trop souvent proposée”.
“Prendre le temps de l’enquête”
On retrouve une option similaire avec Alimentation générale,
documentaire diffusé sur Planète et actuellement sur
les écrans. Pour réaliser ce film, Chantal Briet s’est
installée plusieurs mois durant dans l’épicerie
d’Ali Zebboudj, dernier lieu encore ouvert d’un centre
commercial déserté, cité de la Source à
Epinay-sur-Seine. Ici, en dehors d’une actualité spectaculaire,
s’inventent des solidarités concrètes entre
les gens. Ce quotidien-là est transmis sans idéalisation
démonstrative. Car, au-delà de la part d’humanité
qu’inspirent ces personnages, la situation sociale dans laquelle
ils évoluent demeure suffocante.
Des sociologues cherchent eux aussi des formules de coopération
avec les habitants, en prenant leurs distances avec l’inflation
éditoriale, parfois qualifiée d’“émeute
de papier”, qui prend la relève des médias.
Au Blanc-Mesnil, la méfiance persistante à l’égard
des journalistes a poussé les habitants à se regrouper
pour produire leurs propres espaces d’information et de débat.
Ils ont cependant accepté l’idée d’une
collaboration avec Stéphane Beaud, sociologue et enseignant
qui s’engage à “prendre le temps de l’enquête”,
comme il l’écrit dans Vu d’ici, premier numéro
d’un bimestriel réalisé par les habitants. Dans
ce cadre, il est prévu qu’il anime des ateliers d’écoute
et d’écriture à la Maison des Tilleuls durant
l’année 2006-2007, associant chercheurs et habitants
pour mieux comprendre les révoltes en banlieue. Et, peut-être,
pour contribuer à l’élaboration commune d’une
expression publique forte, qui déborde du cadre trop étriqué
du témoignage, aussi authentique soit-il.
Mogniss H. Abdallah Agence IM’média [21/11/2006]
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