|
Origine : http://bok.net/pajol/sanspap/immedia/dietrich.html
La perspective de l'intégration de la Pologne à l'Union
européenne et l'ouverture des marchés de l'ex-bloc
socialiste de l'est fait à nouveau craindre une vague de
migrations, légales ou illégales, des ressortissants
de ces pays vers l'Allemagne et les autres pays riches.
Cette crainte est-elle fondée? Comment l'Europe de Schengen
envisage-t-elle le contrôle de cette pression migratoire?
Nous avons rencontré en Allemagne M. Helmut Dietrich, chercheur
à l'institut des recherches sociales à Hambourg et
membre d'un groupe de recherche sur les réfugiés et
l'immigration à Berlin, le Forschungsgeseleschaft Flucht
und Migration, qui travaille sur ces questions depuis 1994. Il a
notamment collaboré à plusieurs enquêtes en
Pologne, en Roumanie et en Ukraine, publiée sous forme d'une
série de petits livres.
# Mogniss : L'intégration de la Pologne à l'Union
européenne, prévue pour l'an 2002, et la liberté
de circulation qui en découlera à plus ou moins long
terme pour les Polonais, relance à nouveau la crainte de
vagues migratoires en provenance des pays de l'est, comme après
la chute du mur en 1989. Ces craintes sont-elles fondées
?
# Helmut Dietrich: Il y a une dramatisation de cette question,
pour d'évidentes raisons de politique intérieure allemande
(Gerhard Schröder, candidat du SPD à la Chancellerie
lors des élections législatives de septembre 1998,
surenchérit sur l'obtention de délais plus longs pour
que la libre circulation des Polonais ne pénalise pas les
travailleurs allemands. Ces délais, qui rappellent ceux demandés
à l'Espagne et au Portugal lors de leur intégration,
sont aujourd'hui de 5 à 7 ans, NDLR). Avec la chute du mur,
le principe de liberté de circulation tant vanté jusqu'alors
par les autorités allemandes a été remis en
cause du jour au lendemain. Le spectre d'une arrivée massive
de 6 à 10 millions de Russes a hanté les esprits de
la classe politique. Pourtant, cette migration massive n'a pas eu
lieu.(1) Comme il n'y a pas eu de mouvement migratoire significatif
après la liberté de circulation pour les Espagnols
ou les Portugais. En revanche, cette rhétorique alarmiste
a permi de complètement réorganiser la police des
frontières, la Bundesgrenzschutz (BGS) pour mieux poursuivre
les réfugiés illégaux.
LA DÉLATION, MIEUX QUE LE HIGH TECH
En Allemagne, la police régionale dépend des Länder.
La BGS est une police fédérale. (2) Auparavant, c'était
une troupe paramilitaire formée contre les manifestations
radicales et contre l'ex-RDA. Depuis 1992, la BGS a acquis un nouveau
matériel électronique très sophitiqué
installé dans des camionnettes ou des hélicoptères
pour surveiller la frontière et détecter toute présence
humaine dans les véhicules ou dans l'eau (la frontière
germano-polonaise actuelle est marquée par les rivières
Oder et Neisse). Mais la BGS a aussi été "flexibilisée",
pour être davantage comme un poisson dans l'eau parmi la population.
En effet, l'équipement aussi sophistiqué soit-il n'a
pas permi beaucoup d'arrestations. La BGS a aussi modifié
son mode de recrutement, favorisant un personnel directement issu
de la localité, dont beaucoup de jeunes. La BGS paie très
bien, et représente le premier employeur de la région.
A partir de 1994-95, la BGS a le pouvoir d'intervenir dans une
zone frontalière de trente km à la ronde, d'entrer
dans les maisons sans mandat judiciaire, de procéder à
des écoutes téléphoniques... La BGS développe
aussi un travail de propagande auprès des élèves
et des enseignants dans les écoles, auprès des associations
sportives, des mairies, sans oublier bien sûr les médias
locaux. L'objectif, c'est que la population collabore activement
au contrôle et à l'arrestation des immigrés
clandestins. D'après le chiffres du ministère de l'intérieur,
70% des personnes arrêtées ont ainsi été
dénoncées par la population. Et des chauffeurs de
taxis ont été inculpés, voire condamnés
à des peines de prison, pour avoir transporté des
clandestins dans leur véhicule ou pour ne pas les avoir dénoncé.
Nous voulons rompre cette logique de la dénonciation et
de contrôle omnipotent, avant qu'elle ne se généralise.
Déjà, la BGS a obtenu des pouvoirs accrus pour intervenir
dans les grandes gares avec les mêmes méthodes, et
procéder à des contrôles sans qu'il y ait délit.
Nous voulons aussi pouvoir expliquer pourquoi les réfugiés
passent clandestinement, n'ayant pas la possibilité matérielle
de pouvoir fournir sur le champ les preuves de leur persécution
dans le pays d'origine.(3)
DRAMATISATION DE NOUVEAUX RISQUES MIGRATOIRES ET RÉALITÉS
ÉCONOMIQUES TRANSFRONTALIERES
# La médiatisation d'une nouvelle "criminalité
organisée" déferlant des pays de l'est, attribuée
à la "maffia russe" amplifie la dramatisation du
risque migratoire, et jette la suspiscion sur les immigrés
de l'est déjà présents dans l'Union européenne.
Cependant, avec l'intégration de la Pologne et l'ouverture
aux autres pays d'Europe centrale ou orientale, de nouvelles perspectives
de mobilité sur le marché du travail communautaire
vont se préciser. D'ores et déjà, quelle est
la place des Polonais sur le marché du travail allemand aujourd'hui,
et va-t-elle selon vous être modifiée par la liberté
de circulation à venir?
# Il est de notoriété publique que toute personne
qui veut rénover sa maison peut recourir à des Polonais
travaillant au noir. Beaucoup de femmes polonaises travaillent dans
le secteur du nettoyage. Il y a aussi la prostitution, où
l'on retrouve de nombreuses jeunes filles de Pologne, d'Ukraine,
des pays baltes ou même d'Asie. Les hommes sont aussi engagés
dans la construction etc... Comme l'obligation d'avoir un visa a
été supprimée en 1991, les Polonais viennent
travailler pendant trois mois, puis repartent, reviennent, et ainsi
de suite. On estime à 100 000 les Polonais en situation illégale
à Berlin. Il existe aussi d'autres formes de présence
immigrée polonaise: il y a la présence légale
des "anciens" de la Ruhr (travailleurs dans les mines
de charbon) des ex-réfugiés de Solidarnosc, l'arrivée
d'une partie des Aussiedler (Allemands émigrés depuis
plusieurs générations), et les "werkvertragsarbeiter",
saisonniers sous contrat dans l'agriculture ou le bâtiment;
et il y a une présence à cheval entre légalité
et illégalité, sur les chantiers du bâtiment
par exemple, où les immigrés travaillent pour des
sous-traitants (un immigré polonais venu avec un permis temporaire
de carreleur est en situation légale s'il travaille comme
carreleur. Mais si, sur le même chantier, il intervient comme
maçon, il se retrouve en situation illégale et risque
l'expulsion, NDLR).
Des deux côtés de la frontière germano-polonaise,
les gens ont l'habitude, et l'expérience, d'une économie
informelle depuis les années 70. Pendant près de dix
ans, la frontière entre la Pologne et la RDA est restée
ouverte. Les Polonais de la frontière ont travaillé
dans l'ex-RDA comme werkvertragsarbeiter, et parfois en Allemagne
de l'ouest, légalement. Le travail des saisonniers transfrontaliers
est une vieille tradition qui remonte à la Prussie du XIXème
siècle.
Avec la chute du mur, les Allemands ont introduit l'obligation
de visa pour les Polonais, dont certains ont continué à
venir travailler en Allemagne, cette fois illégalement. Il
est d'ailleurs intéressant de noter qu'à Berlin-ouest,
les Alliés ont dit non dès 1988 à cette politique
des visas à l'encontre des Polonais. La mesure a été
annulée en 1991, après la signature par la Pologne
d'un accord de réadmission dans le cadre de l'Europe de Schengen.
En fait, les responsables de l'économie cherchent à
flexibiliser au maximum cette main-d'oeuvre immigrée pour
constituer dans le futur une "caste" de sans-droits. Il
me semble essentiel de poser dès aujourd'hui la question
des droits sociaux et civiques de ces immigrés qui vont et
viennent en traversant la frontière, et qui continueront
ainsi.
L'ALLEMAGNE CONVOITE LE MARCHÉ POLONAIS
# L'intégration à l'Union européenne devrait
également modifier en profondeur l'économie de la
Pologne et avoir des conséquences importantes sur l'emploi.
Selon vous, que représente le marché polonais pour
l'U.E., et plus particulièrement pour l'Allemagne ?
# Il est important de rappeler la volonté de domination
hégémonique de l'Allemagne sur l'Europe de l'est,
et en particulier ses prétentions économiques et politiques
en Pologne. Volkswagen, par exemple, vient d'ouvrir une usine à
Gliwice (Gleiwitz en allemand), en Silésie, lieu des provocations
nazies à la veille de la seconde guerre mondiale (qui ont
conduit en 1939 à la réannexion par le troisième
Reich de la Haute-Silésie, déjà théâtre
d'insurrections anti-allemandes entre 1919 et 1921, NDLR). Par ailleurs,
le gouvernement allemand distribue des passeports en Pologne, spécialement
en Silésie, aux personnes de descendance allemande ou aux
Polonais dont les parents ont combattu dans la Wehrmacht. Entre
200 000 et 400 000 passeports ont ainsi été distribués
en Pologne, et j'insiste sur le fait que les bénéficiaires
ne sont pas des immigrés revenus en Allemagne comme Aussiedler,
mais bien de Polonais d'origine allemande qui vivent toujours chez
eux et qui comptent y rester. Le gouvernement allemand demande qu'ils
soient respectés comme une minorité nationale, et
prône leur droit à la double nationalité. Paradoxalement,
ce droit n'existe pas de ce côté-ci de l'Oder-Neisse
!
En Allemagne, une campagne assez virulente, de type nationaliste,
s'est développé ces derniers temps pour la restitution
des propriétés des Allemands partis en 1945 après
le retour de la Silésie à la Pologne. Mais le Parlement
polonais a catégoriquement refusé cette hypothèse,
et veut user du droit de préemption pour empêcher ou
limiter les acquisitions de terre par les Allemands.
L'intégration de la Pologne dans l'Union européenne
soulève en effet deux autres grandes questions: la situation
de l'agriculture et celle de la grande industrie. Entre 32 et 34
% de la population active travaille dans l'agriculture (ces chiffres
varient de 25 à 40% selon les sources et les modes de calcul,
certains parlent de "campagnes surpeuplées" incluant
un secteur informel gonflé par le retour à la terre
de milliers d'ouvriers et d'employés récemment licenciés,
et doivent être comparés aux 3,5% de paysans allemands
recensés en 1995 ou à la moyenne de 5,7% dans l'Union
européenne- cf. Le Monde, "une agriculture en mal de
modernisation et des campagnes surpeuplées, 31/3/1998, NDLR).
Lorsque l'Allemagne a occupé la Pologne durant la seconde
guerre mondiale, les nazis ont parlé de surpopulation et
ont voulu détruire le petit commerce tenu par les Juifs,
et détruire l'agriculture des Polonais en lui substituant
de grandes entreprises agricoles. Ils avaient une politique beaucoup
plus dure à l'encontre des Polonais que des Tchèques,
par exemple. Leur plan était de germaniser ou détruire.
L'agriculture reste donc jusqu'à aujourd'hui un enjeu très
politique. C'est une question de mode de vie, et un moyen de subsistance
dont la destruction aurait de graves conséquences. On parle
ouvertement dans les cercles européens de réduire
la population des campagnes, et donc d'expulser les paysans qui
ne sont pas assez rentables, et d'implanter une industrie agro-alimentaire
aux normes communautaires. ( la terre a été peu collectivisée
sous le régime communiste, ce qui explique le morcellement
des terres et l'existence de près de 2 millions de petites
fermes familiales, NDLR).
L'autre secteur menacé par l'intégration, c'est la
grande industrie, à commencer par la sidérurgie et
les chantiers navals. Son démantèlement va provoquer
des licenciements massifs, et va développer au nom d'une
nouvelle économie "dérégulée"
une grande "caste" de travailleurs précaires sans-droits
comme on connaît en France ou en Allemagne.
LA POLOGNE, UN PAYS D'IMMIGRATION
# La Pologne est aussi présentée désormais
comme un pays d'immigration. Quelle est la situation des immigrés
dans ce pays?
# Je voudrais commencer par évoquer les possibilités
de survivre pour les immigrés et les réfugiés
dans le contexte actuel. Aujourd'hui la Pologne, comme les autres
pays de l'est, est un pays de transit où les réfugiés
peuvent rester pour faire des petits boulots sur le marché
informel. Beaucoup d'entre eux sont présents légalement
en Pologne, et on a trop souvent tendance à oublier que la
présence en transit est légale jusqu'à la frontière
germano-polonaise, dite "frontière Schengen". Les
Polonais délivrent assez facilement des visas, et les ressortissants
de certains pays de l'est n'en ont pas besoin, comme les Kosovars
par exemple. C'était aussi le cas pour l'Allemagne jusqu'en
1992. Mais avec la guerre en ex-Yougoslavie, l'Allemagne décide
de reconnaître la Croatie et impose les visas aux ressortissants
du Kosovo, de Macédoine etc... Cette dernière mesure
entraîne une coupure entre la communauté des Albanais
du Kosovo légalement installée en Allemagne et leur
famille ou amis. En effet, il est aujourd'hui quasimment impossible
pour les Kosovars d'obtenir un visa. Or il y a 700 000 résidents
immigrés d'ex-Yougoslavie aujourd'hui en Allemagne. Initialement
venus dans les années 60 et 70 comme gastarbeiter, dans le
cadre du plan gouvernemental de rotation migratoire, ils ont réussi
à s'installer durablement. Ils aspirent bien sûr à
rester en lien avec leur famille et amis du pays (4).
Au vu des difficultés d'accès à l'Allemagne,
les immigrés et les réfugiés restent pour quelque
temps en Pologne, et commencent à y travailler. Dans ce pays,
il n'y a pas encore une distinction nette entre personnes légales
et illégales, et les différences de salaire entre
travailleurs réguliers et sans-papiers ne sont pas très
importantes. Par ailleurs, ils peuvent trouver sans trop de difficultés
un hébergement, y compris dans la zone frontalière
avec l'Allemagne, et certains restent au-delà de l'expiration
de leur visa. Le séjour dans une maison polonaise peut se
prolonger en échange de 100 DM par mois, par exemple. Avec
la même somme, un habitant polonais du coin donne volontiers
des indications aux réfugiés pour traverser la frontière.
Pour intégrer la Pologne à l'Union Européenne,
la première exigence est de formaliser l'économie
informelle du pays, de faire la distinction entre légaux
et clandestins, et d'adopter les mêmes mesures concernant
les réfugiés et les immigrés. C'est clair que
cela ne fonctionne pas. Début 1998 par exemple, l'obligation
de visas a été instaurée pour l'entrée
des Biélorusses et des Russes en Pologne. Durant le printemps,
il y a eu plusieurs manifestations dans l'est du pays pour protester
contre cette politique des visas qui détruit l'économie
informelle locale, et notamment le petit commerce. Le gouvernement
polonais, qui avait voulu faire un pas dans le sens de l'Union européenne
en marquant sa future frontière à l'est, a dû
faire marche arrière, remplaçant l'ancien visa par
un "petit visa" qui s'achète à la frontière.
Il faut dire aussi que même le ministère de l'économie
et des finances avait protesté en affirmant que l'économie
se retrouvait en panne!
# Mais de quel type d'économie informelle s'agit-il ?
# c'est par exemple la fabrication de meubles. Le bois, coupé
en Biélorussie, est travaillé avec les machines-outils
dans de petites fabriques en Pologne, et le produit est retransporté
de l'autre côté de la frontière. Il y a aussi
l'alimentation et le commerce local, les petits trafics d'essence
etc... Pour le gouvernement polonais, il serait trop onéreux
de subventionner cette économie pauvre dépendant de
la circulation transfrontalière, c'est pourquoi il préfère
laisser faire, et ça marche.
QUAND LES PAYS DE L'EST DOIVENT ADOPTER LES METHODES DE CONTROLE
DE L'EUROPE-SCHENGEN
Dans les accords de réadmission germano-polonais il est
stipulé que l'Allemagne financera toutes les installations
nécessaires pour traiter les procédures liées
aux demandes d'asile en Pologne. Les fonctionnaires de l'administration
polonaise doivent être formés par des instructeurs
allemands, et ils sont sensés adopter les mêmes techniques
et les mêmes informations sur les pays d'origine à
partir de la Bundesamt für die anerkennung Ausländischer
flüchtlinge (BAFE), banque de données fédérale
allemande centralisée près de Nuremberg.
La police des frontières devrait également adopter
la même technologie de contrôle, acheter les mêmes
voitures, la radiophonie, les communications... ainsi que le même
système d'"avis à la population" pour dénoncer
les réfugiés clandestins.
Le gouvernement polonais a également créé
vingt-trois centres de rétention immédiatement après
la signature de l'accord bilatéral en 1993. Ces centres ont
été établis dans des commissariats de police.
Mais le juge du Conseil constitutionnel a rejeté le principe
de la rétention de personnes qui n'ont commis aucun crime,
et a bloqué ces centres.
Les techniques de contôle ne marchent pas non plus. Il n'y
a pas de dénonciation par la population comparable à
l'Allemagne. Cependant, l'influence des agents du BGS sur la police
des frontières polonais est réelle. Au nom de la coopération
des polices, ils interviennent même dans la zone frontalière
sans l'aval de leur direction à Bonn ou à Varsovie,
ce qui est illégal.
Chaque année, environ 10 000 personnes captées dans
la zone frontalière sont expulsées de l'Allemagne
vers la Pologne en vertu des accords de réadmission. Il s'agit
pour moitié de Polonais, l'autre moitié étant
composée d'Européens de l'est mais aussi d'Asiatiques.
L'afflux de réfugiés expulsés en Pologne a
entraîné une nouvelle politique de contrôle d'identité
policier dans les rues, et surtout dans les banlieues. L'été
1996, un congrès de l'OTAN et une réunion du Conseil
de l'Europe sur les migrations se sont tenus à Varsovie.
Dans la foulée, des contrôles et des rafles ont eu
lieu dans la banlieue de la capitale. En une semaine, la police
a arrêté 600 personnes, 400 ont été conduites
en centre de rétention. Ces centres fonctionnent à
nouveau depuis une loi provisoire de 1996 sur l'entrée et
le sjour des étrangers, et une loi sur l'immigration plus
complète en vigueur depuis le 1er janvier 1998.
Lors d'une enquête sur place, nous avons pu rencontrer personnellement
plus d'une centaine de réfugiés retenus. Ils avaient
fait une demande d'asile, mais ils n'ont pas même obtenu un
récépissé de leur déclaration de demande.
La police a affirmé qu'ils ne voulaient pas l'asile politique.
Nous avons alors provoqué un esclandre médiatique
en Allemagne... Le ministère de l'intérieur polonais
est revenu sur ses positions et a confirmé qu'il s'agissait
bien de demandeurs d'asile et, au bout des trois mois de rétention,
durée légale maximum, ils ont tous été
libérés. Même les gardiens du centre de rétention
que nous avons visité nous ont affirmé qu'ils estimaient
être plus utile à s'occuper de la sécurité
dans les rues plutôt que de garder des gens qui n'ont commis
aucun délit. Il nous a paru clair que la Pologne réagissait
sous la pression de l'Union européenne (5).
ALLEMAGNE-POLOGNE-UKRAINE-BIELARUSSIE... L'EFFET DOMINO
La Pologne participe désormais à une politique d'expulsions
en chaîne, de l'Allemagne vers la Pologne, puis vers l'Ukraine,
des ressortissants des pays de l'est et d'Asie, en particulier de
Moldavie, de Chine, du Bengladesh, du Sri Lanka. Les expulsés
traversent directement le pays en 48h dans des camions de police.
Les conditions de transports sont très précaires,
ce qui a provoqué plusieurs accidents mortels. La Pologne,
sous la pression de l'Union Européenne, a signé avec
l'Ukraine le même type d'accord de réadmission, alors
que l'Ukraine n'a toujours pas signé la convention de Genève
sur les réfugiés.
La Pologne expulse entre 3 000 et 4 000 personnes par an, ce qui
est encore loin des quelques 60 000 expulsés d'Allemagne,
dont 22 000 l'année dernière à la frontière
avec la Pologne et la Tchéquie. Mais différents fonds
européens existent pour inciter la Pologne à expulser
davantage. Le ministre de l'intérieur allemand est allé
jusqu'à inspecter la frontière est de la Pologne,
ce qui n'a pas manqué de rappeler de fâcheux antécédents
historiques!
# Et où en est la coopération entre l'Allemagne et
la république tchèque ?
# La situation est assez différente dans la mesure où
les Allemands des Sudètes, expulsés de Tchécoslovaquie
en 1945, sont très influents dans la vie politique, notamment
en Bavière. Ils revendiquent toujours avec force leurs propriétés
en Tchéquie, et interviennent dans les négociations
bilatérales. Certes, un accord de réadmission similaire
à celui avec la Pologne a été signé,
et environ 10 000 personnes sont expulsées par an. Mais une
fois les réfugiés réadmis en Tchéquie,
les Allemands ne savent plus ce qu'ils deviennent. Il n'y a pas
de centres de rétention et à priori, ils ne sont pas
expulsés. En fait, il n'y a pas en Tchéquie de politique
coordonnée, cohérente, de l'immigration.
Pour éviter que les Roms ne reviennent en Allemagne par
la Tchéquie ou la Pologne, ils sont expulsés directement
par avion à Bucarest, en Roumanie, y compris les Roms apatrides
qui récusent la nationalité roumaine.
En Pologne comme en Tchéquie, l'Allemagne a donc beaucoup
de difficultés à faire admettre sa conception du contrôle
de l'immigration, malgré des moyens financiers très
importants, à la fois pour des raisons historiques et pour
des raisons sociales et politiques à l'origine de la mobilité
transnationale actuelle. Il est temps de regarder cette réalité
des migrations en face au lieu de s'enfermer dans une "forteresse-Europe".
Propos recueillis à Görlitz, sur la frontière
germano-polonaise le 1er août 1998 et annotés par Mogniss
H. Abdallah/agence IM'média.
(1) Paradoxe de la politique allemande vis-à-vis des Aussiedler,
les autorités ont favorisé l'arrivée des Allemands
de souche expatriés à l'est pour compenser la tendance
à la baisse démographique du pays. Mais elles ont
dans le même temps craint une arrivée trop massive
des Aussiedler en provenance de l'ex-URSS. Elles ont donc commencé
à limiter ces flux et à conditionner leur accès
à la nationalité allemande, finançant par exemple
des projets de logements pour les fixer en Russie.
(2) En Bavière, le ministre-président, Edmund Stoiber(CSU),
s'est targué pendant la campagne des élections régionales
et législatives en 1998 d'avoir fait expulser par sa police
régionale 24 000 demandeurs d'asile en 1997 et mène
une politique de rapatriement des réfugiés de l'ex-Yougoslavie
contestée au niveau fédéral.
(3) Helmut Dietrich participe à la campagne "Keine
Mensch ist illegal" (Personne n'est illégal), un réseau
lancé en 1997 pour protester contre la remise en cause du
droit d'asile en 1993, et qui prône une aide aux réfugiés
comme les Allemands ont su en prodiguer par le passé.
(4) L'intensification de la guerre au Kosovo durant l'été
1998 a amplifié les mouvements de réfugiés
albanais du Kosovar, estimés à quelques 200 000 personnes.
Certains passent illégalement en Allemagne, passant à
travers les mailles du filet de la BGS. Cela se passe parfois mal:
le 30 juillet 1997, un camion transportant un groupe de réfugiés
albanais a été pris en chasse à Freiberg, près
de la frontière germano-tchèque. Bilan: 7 morts, 21
blessés.
(5) Les ministres de l'intérieur et les responsables des
polices de 34 pays (U.E. + pays de l'est + USA + Australie) se sont
réunis les 13 et 14 octobre 1997 à Prague dans le
cadre du "groupe de Budapest" pour renforcer leur coopération
face "à la criminalisation croissante des migrations
illégales". La Slovénie, recompensée pour
sa politique de contrôle de l'immigration, a été
chargée d'organiser en 1998 des réunions d'experts
chargés de la mise en place des recommandations de cette
conférence. J.P Chevènement y a souligné l'augmentation
sensible des migrations illégales en provenance d'Asie (Turquie,
Irak...) qui représenteraient plus du tiers des refoulés
à la frontière franco-italienne.
La série d'ouvrages sur la Pologne, La Roumanie et l'Ukraine,
est publiée aux éditions Schwarze Risse-Rote Strasse,
Berlin-Göttingen, 1995-1997.
FFM: Gneisenauestr. 2
10961 Berlin.
Tél: 00 49 30 693 56 70.
Hommes & Migrations
40 rue de la Duée, 75020 Paris.
|
|