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Origine : http://icietlabas.lautre.net/spip.php?article53&var_recherche=MognissH.Abdallah
« Et toi féroce Africain, qui triomphe un instant
(...) rentre dans le néant politique auquel la nature elle-même
t’a destiné. Ton orgueil atroce n’annonce que
trop que la servitude est ton lot. Rentre dans le devoir et compte
sur la générosité de tes maîtres. Ils
sont blancs et français ». Cette éructation,
d’un certain B. Deslozières contemporain de Napoléon,
annonce la volonté de réinstaurer la « loi du
sang », le Code Noir, et de gommer ainsi des mémoires
des Noirs, et de leurs rêves si possible, la moindre trace
d’une possibilité de révolte. Nous sommes au
tout début du XIXème siècle, l’esclavage
est rétabli dans les colonies des Antilles en réaction
à la révolte de Saint-Domingue, les Noirs et les métis
sont interdits de séjour sur le territoire métropolitain,
et ordre est donné de renvoyer les étudiants d’origine
africaine de l’Ecole polytechnique de Paris[1]. De l’histoire
ancienne ? Certes. On dit que l’Histoire ne se répète
pas. Reste un état d’esprit...
Avec la lutte des sans-papiers et la remise en cause de la carte
de résidence de plein droit, la société française
redécouvre la réalité de l’immigration,
avec ses galères de papiers pour le droit au séjour.
On avait fini par l’oublier pour n’en retenir qu’un
aspect, le racisme, comme si l’immigration était devenu
un phénomène résiduel, désintégrable
dans le creuset français au terme d’un processus plus
ou moins heurté de naturalisation. Pourtant, l’immigration
- plurielle - a une longue histoire derrière elle, marquée
par des luttes sociales, culturelles et politiques pour asseoir
son droit de cité dans la société française.
Mais force est de constater que la transmission des expériences
passées a du mal à se faire, bien que le besoin de
reconstituer la mémoire collective de l’immigration
s’exprime avec de plus en plus d’insistance.
A travers le prisme des politiques d’expulsion du territoire
français, révélatrices de la situation d’infra-droit
des immigrés, il nous a semblé important de rappeler
quelques grandes phases de ces luttes depuis les années 70,
pour aboutir à un statut de résident de plein droit.
Ce rappel qui ne saurait être exhaustif, devrait contribuer
à relier les acteurs de cette histoire encore trop fragmentée,
à l’heure où les sans-papiers de l’ère
Pasqua semblent tomber du néant, tels des orphelins de l’histoire.
De la « neutralité » à l’engagement,
« ici et maintenant »
La politique d’expulsion a changé de nature à
la fin des années 60. Jusque-là, les expulsions étaient
en grande partie liées à la situation du marché
du travail et permettaient de renvoyer massivement les travailleurs
immigrés quand il n’y avait plus besoin d’eux.
Avant les années 60, l’Etat français expulsait
bien sûr aussi pour motif politique les militants des mouvements
anti-colonialistes et anti-impérialistes, mais c’est
l’expulsion de Daniel Cohn-Bendit après Mai 68 qui
a ouvert la nouvelle donne qui nous intéresse ici : l’expulsion
pour « trouble à l’ordre public », mélange
de délinquance sociale « made in France » et
de délit (d’opinion) politique. Les immigrés
commencent à s’impliquer dans la société
française, conscients d’être un maillon important
de son fonctionnement. Ils se départissent lentement mais
sûrement de « l’obligation de réserve »
et de « neutralité » jusque-là respectée
par souci de non-ingérence dans les affaires d’un pays
encore considéré comme lieu de passage.
Ils s’engagent dans des luttes contre le racisme et les conditions
de vie dans les bidonvilles et les cités de transit, mais
aussi dans les grèves d’usine, sans oublier l’engagement
anti-franquiste, anti-salazariste ou pro-palestinien.
Cet activisme politique sera pour certains sanctionné dans
les années 70 par des mesures d’expulsion du territoire
prises au nom du non-respect de « la stricte neutralité
politique qui s’impose aux étrangers en France ».
C’est le grief prononcé en 1971 à l’encontre
de Laureta Fonseca, une mère portugaise de cinq enfants qui
bougeait avec les habitants portugais du bidonville de Massy ( Essonne
) pour obtenir leur relogement. Laureta avait participé à
l’occupation de la mairie avec des habitants et des militants
français, parmi lesquels les maos du groupe de défense
Secours Rouge. La veille de sa comparution devant la commission
d’expulsion à la préfecture, 1.500 personnes
manifestent pour la soutenir. Face à la pression, la préfecture
lui accorde un sursis qui sera reconduit d’année en
année.
En octobre 71 à Amiens, Sadok Djeridi, un travailleur tunisien
qui venait de faire venir sa femme et ses enfants, reçoit
lui aussi un avis d’expulsion. Cette fois-ci, pas de motivation
politique. Sadok s’insurge contre cette injustice. Il explique
simplement : « Mes gosses sont ici, ma femme aussi. Je suis
ici, j’y reste ! » Emu par la grève de la faim
de soutien organisé par un comité anti-raciste constitué
à l’initiative du Secours Rouge, il entame à
son tour un jeûne. D’autres grèves de la faim
tournantes sont déclenchées, spontanément,
ponctuées de meetings et des manifestations. Sadok obtient
sa carte de travail. Le mouvement de soutien apparu sur son lieu
de travail permettra par la suite une lutte pour les papiers et
pour le droit à la sécurité sociale des travailleurs
immigrés dans sa boîte.
1972-75 : luttes autonomes contre les crimes racistes, les expulsions,
et pour la régularisation des sans-papiers
En octobre 72 à Paris, Fawzia et Saïd Bouziri se voient
enjoindre de quitter sous huitaine le territoire français.
Motif invoqué : retard dans la demande de renouvellement
de leur carte de séjour. En fait, ils paient pour leur activité
politique. On leur reproche d’avoir manifesté en soutien
aux Palestiniens, et d’avoir participé à la
campagne contre le meurtre du petit Djillali le 25 octobre 71 à
la Goutte d’Or. Cette campagne, à l’origine de
la première manifestation immigrée d’importance
à Paris depuis le massacre du 17 octobre 61 - 200 manifestants
algériens tués[2] -, est sans doute avec les comités
Palestine le point de départ d’un nouveau mouvement
politique de l’immigration capable de mobiliser de manière
autonome à la fois les immigrés et les intellectuels
français. Le comité de soutien aux Bouziri en témoignera.
Après une grève de la faim et une manifestation, la
mesure d’expulsion sera levée. Le comité se
transforme alors en Comité de Défense de la Vie et
des Droits des Travailleurs Immigrés. Le CDVDTI interviendra
par la suite pour la vérité sur la mort de Mohamed
Diab, assassiné dans un commissariat de Versailles. Il fait
cause commune avec le MTA, le Mouvement des Travailleurs Arabes,
qui organise en 73 une grève générale contre
les assassinats racistes, très suivie en région parisienne
et surtout en Provence. Auparavant, le CDVDTI et le MTA avaient
joué un rôle déterminant dans la mobilisation
contre les circulaires Marcellin-Fontanet, liant la question des
papiers et celle des expulsions. Les nombreuses grèves de
la faim secouant le pays entre octobre 1972 et janvier 1975, aboutiront
d’abord aux « mesures Gorse » de juin 1973 qui
prévoient la régularisation pour raisons « humanitaires
» des clandestins entrés en France avant une certaine
date, puis finalement à l’annulation partielle des
circulaires incriminées par le conseil d’Etat.
Tout au long de ces luttes, la plupart des camarades français
critiqueront à la fois les formes d’action et les objectifs
politiques des immigrés. Ils dénoncent « l’irresponsabilité
» face aux risques encourus par l’action radicale (occupations
de lieux publics, manifs spontanéistes sans service d’ordre,
dangers pour la santé des grévistes...). Les formes
spécifiques de popularisation, comme le fait de se donner
rendez-vous à la sortie des mosquées, sont présentées
comme une division de la classe ouvrière. Pour couronner
le tout, les immigrés sont gratifiés du label d’«
apolitisme », de réformisme à courte vue ou
de triomphalisme excessif. Le CDVDTI se verra ainsi reprocher de
vouloir contenir le mouvement contre la circulaire Fontanet dans
un cadre « infra-politique » dans le but d’une
adhésion humanitaire large, sur une revendication unique
(la carte de travail) et, pour finir, il est accusé de chercher
à brader le mouvement après le succcès des
négociations avec le pouvoir. A croire que les immigrés
ne sont décidemment pas capables de reconnaître l’intérêt
général, ni même de diriger leurs propres luttes.
Pourtant, les résultats sont là : la CFDT soutient
la régularisation, mais il aura fallu que trois Tunisiens
viennent entamer une grève de la faim dans les locaux-mêmes
de la centrale : des mesures gouvernementales concrètes sont
obtenues ; un mouvement immigré autonome capable de gagner
a émergé, et il rebondira sur de nouvelles luttes
sociales et culturelles dans les années suivantes. A l’issue
d’un colloque national de l’immigration tenu les 15
et 16 février 1975, le CDVDTI, le MTA, le GISTI et d’autres
organisations françaises déclarent dans une motion
finale : « Notre objectif : coordonner les différents
comités de soutien apparus au cours des dernières
luttes pour qu’ils soient un instrument de l’unité
de tous les travailleurs, tant vis-à-vis des organisations
françaises que vis-à-vis des mouvements autonomes
de l’immigration ».
Le retour des expulsés des foyers Sonacotra
L’Etat ripostera souvent au renouveau des luttes immigrées
par des expulsions collectives. En plein mouvement contre les circulaires
Marcellin-Fontanet, plusieurs sans-papiers, dont des grévistes
de la faim tunisiens, sont expulsés. Pour casser la grève
des loyers étendue à des dizaines de foyers Sonacotra
dans toute la France, le ministre de l’intérieur Poniatowski
envoie le 16 avril 76 les CRS et expulse dix-huit délégués
du Comité de Coordination, Maghrébins, Portugais et
Maliens. Motif, formulé par Giscard : « violences et
voies de fait vis-à-vis du personnel d’encadrement
des foyers ». 18.000 personnes manifesteront de l’est
parisien à Barbès et les recours déposés
par les avocats et les délégués des résidents
permettront le retour de Moussa Konaté, soutenu par la CGT,
puis des autres expulsés. Le Conseil d’Etat déclare
l’expulsion illégale. Les responsables du comité
de coordination ont pris eux-mêmes à bras-le-corps
les problèmes juridiques. Des militants comme Assane Ba deviendront
d’éminents juristes, mis à contribution à
chaque nouveau projet de loi concernant l’immigration, pour
éplucher les textes et pour imaginer la contre-offensive[3].
Et il va y avoir du travail sur la planche car les textes et contre-textes
législatifs vont pleuvoir tout au long des années
70 et 80.
Jusqu’au milieu des années 70, les expulsions connues
concernaient surtout les immigrés de la première génération.
Mais les expulsions de leurs enfants vont se multiplier dès
l’adolescence. Les banlieues ouvrières baignent dans
l’ambiance d’une crise économique endémique
: alors que le chômage guette les travailleurs français
et immigrés, les jeunes de la seconde génération
sortent de l’école sans perspective de travail. Ils
n’ont d’ailleurs aucune intention d’aller trimer
à l’usine comme leurs parents, et manifestent un certain
mépris de l’ordre social réglé sur le
rythme de l’usine. La démerde, la vie nocturne et la
flambe des jeunes deviennent un mode de vie en conflit ouvert avec
le train-train quotidien métro-boulot-dodo. Désormais,
l’image du délinquant basané s’installe
et le jeune immigré devient la cible du délire sécuritaire
qui gangrène l’opinion publique.
Qu’à cela ne tienne : embastillez-les, puis expulsez-les
! Le problème, c’est que les jeunes immigrés
se considèrent ici chez eux, et celà même s’ils
n’ont pas encore la nationalité française. Quand
on les expulse, ils prennent tous les risques pour revenir, clandestinement.
Le plus souvent sans se soucier des recours juridiques possibles.
Ils n’ont d’ailleurs aucune confiance dans la justice.
Les quelques décisions censées faire jurisprudence
restent lettre morte, comme l’arrêt Dridri du 21 janvier
1977 qui « condamne tout recours automatique à l’expulsion
au seul motif que l’intéressé a fait l’objet
d’une condamnation pénale ». Les chiffres concernant
les jeunes expulsés à cette période parlent
d’eux-mêmes : de 5.380 en 1977, ils passent à
8.000 en 1980.
Les jeunes immigrés face à l’expulsion
A la fin des années 70, une sorte de réseau de groupes
informels aide les expulsés dans les cités. Les lascars
consolident souvent leurs liens autour de la prison, antichambre
de l’expulsion. Simultanément, des groupes de jeunes
immigrés comme « week-end à Nanterre »
ou le « collectif Mohamed » à Vitry expriment
sous des formes culturelles empruntées à la contre-information
leurs aspirations à vivre dans la société française
tels qu’ils sont. Sans angélisme ni diabolisation.
Dans ce cadre, ils organisent des actions publiques, avec les rescapés
de l’aventure révolutionnaire de mai 68, des militants
chrétiens, ou encore avec les ASTI(Associations de Solidarité
avec les Travailleurs Immigrés). Les comités anti-expulsion
ad hoc, qui obtiennent l’annulation de plusieurs décisions
d’expulsion de jeunes, renforcent des réseaux qui donneront
naissance aux premières coordinations de jeunes immigrés,
à l’instar de Rock against Police.
La situation des jeunes expulsés amène des hommes
d’église comme François Lefort et Christian
Delorme à les aider, à Nanterre, à Lyon et
jusqu’en Algérie. Ne pouvant plus supporter cette injustice
faite à des jeunes avec lesquels il s’est lié
d’amitié, Christian Delorme décide une grève
de la faim illimitée avec Jean Costil et un ex-expulsé,
Hamid Boukhrouma. Et celà malgré les réprobations
multiples de ceux qui estiment que « ce n’est pas le
moment ». Nous sommes à la veille des élections
présidentielles de mai 1981. Mitterrand, qui est donné
gagnant, soutiendra la grève de la faim en déclarant
le 17 avril 81 : « C’est une atteinte aux droits de
l’homme que de séparer de leur famille et d’expulser
vers un pays dont bien souvent ils ne parlent même pas la
langue, des jeunes gens nés en France ou qui y ont passé
une partie de la jeunesse. Ces pratiques sont inacceptables. Si
je suis élu président de la République, je
demanderais au gouvernement d’y mettre immédiatement
fin et de présenter les dispositions législatives
nécessaires pour que nul désormais ne puisse y avoir
recours ».
La double peine : prison + expulsion
Effectivement, les expulsions seront immédiatement suspendues
au lendemain du 10 mai 1981, et une nouvelle loi adoptée
dès l’automne intègre des « catégories
protégées » de l’expulsion, en particulier
les jeunes et les résidents de longue date. Mais entretemps,
les fameux rodéos des Minguettes remettent en selle une droite
K.O suite aux élections. A l’unisson avec les syndicats
de police, la droite réattaque sur l’expulsion des
« délinquants immigrés qui défient l’autorité
de l’Etat » dans les banlieues. Elle sera bientôt
rejointe par Charles Hernu, maire de Villeurbanne et ministre de
la défense, ainsi que par Gaston Deferre, maire de Marseille
et ministre de l’intérieur. La législature socialiste
grignotera les acquis de 81, notamment en baissant la barre au-dessus
de laquelle l’expulsion est possible. Par ailleurs, l’explosion
de la drogue dans les années 80 permettra l’application
de l’art L 630-1 du code de la santé publique, un texte
du 31/12/1970 qui introduit pour les étrangers, en plus de
la sanction pénale, l’interdiction du territoire, temporaire
ou définitive (ITF ou IDTF).
A force de ferrailler avec la droite sur le degré d’humanité
ou de répression qui rend l’expulsion acceptable ou
non, la gauche en oublie la question de principe : la notion même
de la double peine est discriminatoire, en ce sens qu’elle
déroge à un principe fondamental du droit républicain,
l’égalité devant la peine[4]. Le droit à
l’égalité tant proclamé implique l’abolition
pure et simple de cette double peine, et non des aménagements
pour raisons humanitaires.
L’action contre les premières lois Pasqua en 1986
Quand la droite revient aux affaires en mars 86, elle s’empresse
de rétablir l’autorité administrative en matière
d’expulsion, et remet en cause les catégories protégées.
Dans la cacophonie générale, Djida Tazdaït et
Nacer Zaïr entament à Lyon une grève de la faim
contre le nouveau projet de loi sur le séjour des étrangers,
bien connu sous le nom de loi Pasqua, pour le maintien des catégories
non-expulsables et du plein droit à la carte unique de dix
ans. Christian Delorme rejoint aussitôt cette grève
par solidarité. Il reste ainsi pleinement fidèle à
ses engagements et règle un compte avec lui-même. Suite
à sa grève de 81, « une attitude paternaliste,
un manque de confiance dans leurs capacités à lutter
», qui a parfois « court-circuité » des
initiatives d’auto-organisation comme Rock Against Police.
Pour la grève de Djida et Nacer, il apporte aussi une médiation
non négligeable avec l’église, Monseigneur Decourtray
acceptant avec Cheikh Abbas de la Mosquée de Paris de les
relayer auprès des autorités. Cette grève qui
s’est terminée à la veille de l’ouverture
du débat parlementaire sur le projet de loi a, au-delà
de quelques concessions gouvernementales, surtout eu le mérite
de remobiliser le mouvement beur mis à mal par le lancement
en fanfare de SOS Racisme puis de France Plus. Les comités
constitués pour la circonstance dans une douzaine de villes
et les différentes tentatives de fédération
nationale des centaines d’associations apparues après
la Marche pour l’Egalité de 1983 et Convergence 84,
comme Mémoire Fertile ou Résistance des Banlieues,
porteront avec plus ou moins de succès l’exigence d’une
nouvelle citoyenneté et de justice pour tous. D’autres
s’inscriront plus directement dans l’arène politique.
Tchao l’immigration ?
Pour beaucoup, la mobilisation contre la loi Pasqua de septembre
1986 ne fut qu’un intermède, la réponse du berger
à la bergère. On se souvient de l’affaire des
101 Maliens expulsés par charter spécial. La gauche
réagira par sursaut d’orgueil, mais la déroute
du gouvernement Chirac sur le front étudiant occultera la
lutte contre les expulsions. Tchao l’immigration. A l’instar
de Malik Oussekine, l’étudiant modèle assassiné
par les pelotons voltigeurs motorisés lors des manifs étudiantes
de 86, les jeunes issus de l’immigration sont désormais
Français. Les Jeunesses Communistes mèneront bien
quelques actions spectaculaires contre les expulsions de jeunes
lycéens. Serge Mitolo est libéré in extremis
par ses amis de Bagnolet lors d’une manif à Roissy.
Il était sur le point d’embarquer pour le Congo. A
Marseille, cinq militants des JC sont condamnés par la justice
pour avoir empêché l’expulsion d’un copain.
Ailleurs en province, les collectifs anti-expulsions continuent
de s’occuper de cas individuels. Mais avec le retour de la
gauche au pouvoir en 1988, la lutte anti-expulsion est passée
de mode. Après l’adoption de la loi Joxe, brocardée
par la droite comme « la loi des associations », le
« collectif des 120 contre la loi Pasqua », regroupé
autour de la Ligue des Droits de L’Homme, se dissout, se contentant
de quelques recommandations de vigilance. Les « catégories
protégées » sont bien réintroduites dans
l’article 25, mais plus personne ne se soucie des questions
laissées en suspens, ni même des milliers de victimes
de la loi Pasqua. Contrairement à 81, le retour des expulsés
ne fait plus partie des préoccupations ambiantes.
C’est dans ce contexte que se constitue en 1990 le comité
national contre la double peine. Les associations rechignent à
« défendre des délinquants ». Qu’à
celà ne tienne : le comité les interpellera sans ménagement,
s’organise de façon autonome et se forme sur le plan
juridique. Il bataillera ferme pour l’abrogation de la double
peine, qui concernerait 20.000 personnes environ, et obtient après
une grève de la faim collective à Paris quelques modifications
de loi, parmi lesquelles le retour à la possibilité
d’un relèvement d’interdiction du territoire[5].
L’ITF, en principe, n’est alors plus applicable aux
« catégories protégées ». L’administration
contourne cet obstacle par l’expulsion en « urgence
absolue ». Les demandeurs d’asile déboutés,
de plus en plus nombreux (ils seraient plus de 100.000), commencent
eux-aussi à réagir face aux menaces d’expulsion.
En avril 1991, 25 Turcs et Kurdes se mettent en grève de
la faim à Bordeaux pour leur régularisation immédiate
et collective avec l’octroi d’une carte de dix ans.
Ils bénéficient du soutien du réseau d’information
et de solidarité composé des associations, et le mouvement
de grève de la faim s’étend à Paris,
Fameck, Val-de-Reuil, Strasbourg, St-Dizier, Mulhouse etc... Au
bout de 50 jours, le gouvernement se décide à nommer
un médiateur, alors que la police tente d’hospitaliser
de force les grévistes. La résistance a payé,
les grévistes seront régularisés. Le 23 juillet
1991, une circulaire de J.L Bianco, ministre des affaires sociales,
permet la régularisation des demandeurs d’asile déboutés
présents depuis au moins trois ans. 15.000 à 20.000
déboutés seront régularisés. Les autres
sont renvoyés à la clandestinité ou à
l’expulsion. Le gouvernement Cresson renoue avec les charters
et les contrôles policiers dans les quartiers reprennent de
plus belle. Cette situation préfigure le 18 mars 1996 : parmi
les réfugiés de St-Ambroise, il y avait plusieurs
déboutés du droit d’asile, laissés pour
compte de 1991. L’actualité est rattrapée par
l’histoire.
Notes :
[1] cf. Louis Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan,
PUF - 1988.
[2] cf. « Le Silence du Fleuve », livre + film de Mehdi
Lallaoui et Anne Tristan, Au Nom de la Mémoire, 1991.
[3] cf. Assane Ba, « Une histoire collective » in Plein
Droit no 29-30, novembre 1995.
[4] cf. « France : l’égalité devant la
peine remise en cause », Christian Bruschi in « Double
peine, c’est reparti », bulletin du comité, février
1992
[5] loi Sapin du 31/12/1991.
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