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[guerre d'Algérie] Nuit noire à Paris, le 17 octobre 1961
film de Alain Tasma. Diffusion sur Canal+ et au cinéma à partir du 19 octobre
Mogniss H. Abdallah
Agence IM'média
[16/10/2005]

Origine : http://www.alterites.com/cache/center_cinema/id_1131.php

Plusieurs films ont ressuscité l’émotion autour des “ratonnades” d’octobre 1961 dans les rues de Paris. Dès le début des années 80, la presse et la télévision évoquent ces événements occultés mais parfois présents de manière confuse dans les mémoires. Les enfants de l’immigration s’emparent à leur tour de cette page de leur histoire, pour savoir, pour se réconcilier avec leurs parents et pour mieux comprendre leur relation avec la société française.

Aujourd’hui, alors qu’émergent les premiers signes d’une reconnaissance publique des massacres du 17 octobre 1961, Canal Plus et France 3 co-produisent Nuit noire à Paris, le 17 octobre 1961, un téléfilm ambitieux réalisé par Alain Tasma - à partir d’un scénario original de Patrick Rotman - qui tente de restituer la multiplicité des mémoires de l’époque. Après sa diffusion à la télévision, cette fiction avec un “regard documentaire” sort dans les salles de cinéma.

Une journée portée disparue

Dans la nuit du 17 octobre 1961, un massacre a lieu en plusieurs points de Paris : de nombreux Algériens (entre quelques dizaines et 300 selon les sources) sont tués suite à la répression policière des manifestations organisées par le Front de libération nationale (FLN) pour protester contre un couvre-feu instauré à l’encontre des seuls Nord-Africains. Cet événement, entouré d’un silence officiel et encore peu connu du grand public, refait peu à peu surface grâce à un long travail de mémoire initié par des journalistes, des écrivains, des chercheurs et des associations.

Plusieurs films ont ressuscité l’émotion autour des témoins des “ratonnades” d’octobre 1961 dans les rues de Paris. Si l’œuvre pionnière de Jacques Panijel, Octobre à Paris (1962), reste quasiment inaccessible après avoir été longtemps interdite, Le Silence du fleuve (1991), d’Agnès Denis et Mehdi Lallaoui, Une journée portée disparue (1992), de Philippe Brooks et Alan Hayling, ou encore Les enfants d’octobre (2000) d’Ali Akika, révèlent le souci des nouvelles générations issues de l’immigration de se réapproprier une mémoire jusqu’alors confuse, marquée par des reconstructions approximatives. Ainsi, dans Une journée portée disparue, les sœurs de la petite Fatima, retrouvée noyée dans le canal Saint-Martin, racontent leur “consternation” en apprenant l’existence de la manifestation du FLN. Elles n’en avaient jamais entendu parler, et avaient toujours cru que leur sœur était morte lors de la manifestation du 8 février 1962 contre l’OAS à Charonne (la mémoire des huit victimes françaises de Charonne a elle été entretenue avec vigueur par une partie de la gauche, notamment le Parti communiste ).

La mémoire retrouvée des enfants de l’immigration algérienne

Les enfants d’immigrés veulent en savoir plus, amorcent un dialogue avec les parents, et se mettent à recueillir avec frénésie tous les témoignages possibles. Les plus jeunes suivent également cette voie, multipliant les documents écrits ou audiovisuels à mi-chemin entre archives familiales et outils de sensibilisation destinés à l’entourage immédiat, voire si possible à un public plus large. Les nouveaux médias relaient volontiers ce foisonnement autour d’une quête mémorielle à la fois individuelle et collective.

Sur le site internet La mare aux canards, on peut ainsi voir Mémoires du 17 octobre 1961, un film de Faïza Guène et Bernard Richard (consulter). Ce montage sans fioritures de 17 minutes donne à entendre deux témoins directs des exactions des forces de police qui ont laissé des séquelles indélébiles dans leur mémoire, ainsi que le témoignage oculaire de Monique Hervo, alors active dans l’aide aux habitants d’un bidonville. Le photographe Georges Azenstarck, du journal L’Humanité, montre de grands tirages de ses clichés où l’on distingue d’un côté des manifestants encadrés par un service d’ordre pacifique, de l’autre un amas de corps à proximité de son journal. Il dit avoir comptabilisé douze cadavres. Ces récits inédits, qui confortent des témoignages déjà entendus par ailleurs, ont une réelle vertu pédagogique en ce sens qu’ils restituent avec conviction et simplicité la réalité de faits si longtemps occultés. On ne peut dès lors s’empêcher de se demander : pourquoi cette occultation ?

Le recours à la fiction avec un “regard documentaire”

Les enfants de l’immigration découvrent que de nombreux témoignages de leurs aînés ont déjà été exprimés, mais qu’ils n’ont guère été entendus. Certains recherchent alors à toucher le grand public.

Découvrant le roman autobiographique de Brahim Benaïcha, Vivre au paradis, le jeune réalisateur Bourlem Guerdjou décide de l’adapter sous forme de fiction cinématographique dans un film sorti sur les écrans en 1998. Il y décrit l’intimité des habitants du bidonville de Nanterre qui marcheront sur Paris le 17 octobre 1961. “Mon film, dit le réalisateur, est un voyage à travers le passé et l'histoire de la première génération, celle de mes parents. Je veux retrouver une partie de mon identité, mieux comprendre ma relation avec la société française et raconter cela aux gens de ma génération.” La caméra adopte délibérément le point de vue de l’enfance, reléguant le contexte historique au second plan. Et la société française d’alors, les Français, on ne les voit pas.

Nuit Noire 17 octobre 1961, un film multipliant les points de vue contradictoires

Cependant, la société française elle-même est parcourue par de multiples mémoires meurtries de la guerre d’Algérie. La multiplicité des mémoires et leur mise en concurrence devient un enjeu de société, interrogeant notre capacité à constituer une mémoire collective partagée. La télévision jouera un rôle important dans cette évolution (cf. Guerre d’Algérie : les images qui fabriques de l’histoire, Mogniss H. Abdallah in Hommes & Migrations n° 1253, janvier- février 2005 - sommaire en ligne). Conscientes de l’enjeu au moment où émergent les premiers signes de reconnaissance publique des crimes du 17 octobre 1961, Canal Plus et France 3 investissent avec Nuit Noire 17 octobre 1961 dans une co-production conséquente (plus de 4 millions d’euros de budget). Ce téléfilm, réalisé par Alain Tasma à partir d’un scénario original de Patrick Rotman (auteur de livres de référence comme Les porteurs de valises et de documentaires comme L’Ennemi intime) fait lui aussi le pari de la fiction à partir d’un “regard documentaire”, mais cette fois-ci sous la forme d’une reconstitution historique qui replace la diversité des points de vue dans le contexte politique de la période. On y voit des policiers face à la hantise des attentats du FLN, tenaillés entre haine raciste, convictions chrétiennes et solidarité avec les collègues, une journaliste confrontée à la censure, des porteurs de valises, des membres du FLN eux aussi partagés entre militants sans pitié et ouvriers sincères. Manque au tableau les harkis, qui ont joué un rôle

non négligeable dans la répression. “Aujourd’hui, avec le recul, explique Patrick Rotman, j’ai voulu tenter de faire revivre les passions exacerbées de l’époque, de recréer cet implacable climat de guerre en plein Paris”. Les personnages, inspirés de figures réelles, sont cependant imaginaires, à l’exception du préfet de police Maurice Papon, dont la froide détermination à l’écran se base sur ses discours publics ou ses instructions écrites. “Pour un coup reçu, donnez-en dix”, ordonne-t-il par exemple à ses troupes. Néanmoins, à travers ce portrait de Papon, se profile aussi la question de la responsabilité des dirigeants politiques dans la tragédie. Cette question lancinante devrait rebondir un jour où l’autre. Peut-être, pourquoi pas, à l’occasion de la sortie en salle de Nuit Noire 17 octobre 1961, coïncidant avec le 44ème anniversaire du 17 octobre 1961.

Mogniss H. Abdallah

Agence IM'média

[16/10/2005]