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Origine : http://www.alterites.com/cache/center_cinema/id_1131.php
Plusieurs films ont ressuscité l’émotion autour
des “ratonnades” d’octobre 1961 dans les rues
de Paris. Dès le début des années 80, la presse
et la télévision évoquent ces événements
occultés mais parfois présents de manière confuse
dans les mémoires. Les enfants de l’immigration s’emparent
à leur tour de cette page de leur histoire, pour savoir,
pour se réconcilier avec leurs parents et pour mieux comprendre
leur relation avec la société française.
Aujourd’hui, alors qu’émergent les premiers
signes d’une reconnaissance publique des massacres du 17 octobre
1961, Canal Plus et France 3 co-produisent Nuit noire à Paris,
le 17 octobre 1961, un téléfilm ambitieux réalisé
par Alain Tasma - à partir d’un scénario original
de Patrick Rotman - qui tente de restituer la multiplicité
des mémoires de l’époque. Après sa diffusion
à la télévision, cette fiction avec un “regard
documentaire” sort dans les salles de cinéma.
Une journée portée disparue
Dans la nuit du 17 octobre 1961, un massacre a lieu en plusieurs
points de Paris : de nombreux Algériens (entre quelques dizaines
et 300 selon les sources) sont tués suite à la répression
policière des manifestations organisées par le Front
de libération nationale (FLN) pour protester contre un couvre-feu
instauré à l’encontre des seuls Nord-Africains.
Cet événement, entouré d’un silence officiel
et encore peu connu du grand public, refait peu à peu surface
grâce à un long travail de mémoire initié
par des journalistes, des écrivains, des chercheurs et des
associations.
Plusieurs films ont ressuscité l’émotion autour
des témoins des “ratonnades” d’octobre
1961 dans les rues de Paris. Si l’œuvre pionnière
de Jacques Panijel, Octobre à Paris (1962), reste quasiment
inaccessible après avoir été longtemps interdite,
Le Silence du fleuve (1991), d’Agnès Denis et Mehdi
Lallaoui, Une journée portée disparue (1992), de Philippe
Brooks et Alan Hayling, ou encore Les enfants d’octobre (2000)
d’Ali Akika, révèlent le souci des nouvelles
générations issues de l’immigration de se réapproprier
une mémoire jusqu’alors confuse, marquée par
des reconstructions approximatives. Ainsi, dans Une journée
portée disparue, les sœurs de la petite Fatima, retrouvée
noyée dans le canal Saint-Martin, racontent leur “consternation”
en apprenant l’existence de la manifestation du FLN. Elles
n’en avaient jamais entendu parler, et avaient toujours cru
que leur sœur était morte lors de la manifestation du
8 février 1962 contre l’OAS à Charonne (la mémoire
des huit victimes françaises de Charonne a elle été
entretenue avec vigueur par une partie de la gauche, notamment le
Parti communiste ).
La mémoire retrouvée des enfants de l’immigration
algérienne
Les enfants d’immigrés veulent en savoir plus, amorcent
un dialogue avec les parents, et se mettent à recueillir
avec frénésie tous les témoignages possibles.
Les plus jeunes suivent également cette voie, multipliant
les documents écrits ou audiovisuels à mi-chemin entre
archives familiales et outils de sensibilisation destinés
à l’entourage immédiat, voire si possible à
un public plus large. Les nouveaux médias relaient volontiers
ce foisonnement autour d’une quête mémorielle
à la fois individuelle et collective.
Sur le site internet La mare aux canards, on peut ainsi voir Mémoires
du 17 octobre 1961, un film de Faïza Guène et Bernard
Richard (consulter). Ce montage sans fioritures de 17 minutes donne
à entendre deux témoins directs des exactions des
forces de police qui ont laissé des séquelles indélébiles
dans leur mémoire, ainsi que le témoignage oculaire
de Monique Hervo, alors active dans l’aide aux habitants d’un
bidonville. Le photographe Georges Azenstarck, du journal L’Humanité,
montre de grands tirages de ses clichés où l’on
distingue d’un côté des manifestants encadrés
par un service d’ordre pacifique, de l’autre un amas
de corps à proximité de son journal. Il dit avoir
comptabilisé douze cadavres. Ces récits inédits,
qui confortent des témoignages déjà entendus
par ailleurs, ont une réelle vertu pédagogique en
ce sens qu’ils restituent avec conviction et simplicité
la réalité de faits si longtemps occultés.
On ne peut dès lors s’empêcher de se demander
: pourquoi cette occultation ?
Le recours à la fiction avec un “regard documentaire”
Les enfants de l’immigration découvrent que de nombreux
témoignages de leurs aînés ont déjà
été exprimés, mais qu’ils n’ont
guère été entendus. Certains recherchent alors
à toucher le grand public.
Découvrant le roman autobiographique de Brahim Benaïcha,
Vivre au paradis, le jeune réalisateur Bourlem Guerdjou décide
de l’adapter sous forme de fiction cinématographique
dans un film sorti sur les écrans en 1998. Il y décrit
l’intimité des habitants du bidonville de Nanterre
qui marcheront sur Paris le 17 octobre 1961. “Mon film, dit
le réalisateur, est un voyage à travers le passé
et l'histoire de la première génération, celle
de mes parents. Je veux retrouver une partie de mon identité,
mieux comprendre ma relation avec la société française
et raconter cela aux gens de ma génération.”
La caméra adopte délibérément le point
de vue de l’enfance, reléguant le contexte historique
au second plan. Et la société française d’alors,
les Français, on ne les voit pas.
Nuit Noire 17 octobre 1961, un film multipliant les points de vue
contradictoires
Cependant, la société française elle-même
est parcourue par de multiples mémoires meurtries de la guerre
d’Algérie. La multiplicité des mémoires
et leur mise en concurrence devient un enjeu de société,
interrogeant notre capacité à constituer une mémoire
collective partagée. La télévision jouera un
rôle important dans cette évolution (cf. Guerre d’Algérie
: les images qui fabriques de l’histoire, Mogniss H. Abdallah
in Hommes & Migrations n° 1253, janvier- février
2005 - sommaire en ligne). Conscientes de l’enjeu au moment
où émergent les premiers signes de reconnaissance
publique des crimes du 17 octobre 1961, Canal Plus et France 3 investissent
avec Nuit Noire 17 octobre 1961 dans une co-production conséquente
(plus de 4 millions d’euros de budget). Ce téléfilm,
réalisé par Alain Tasma à partir d’un
scénario original de Patrick Rotman (auteur de livres de
référence comme Les porteurs de valises et de documentaires
comme L’Ennemi intime) fait lui aussi le pari de la fiction
à partir d’un “regard documentaire”, mais
cette fois-ci sous la forme d’une reconstitution historique
qui replace la diversité des points de vue dans le contexte
politique de la période. On y voit des policiers face à
la hantise des attentats du FLN, tenaillés entre haine raciste,
convictions chrétiennes et solidarité avec les collègues,
une journaliste confrontée à la censure, des porteurs
de valises, des membres du FLN eux aussi partagés entre militants
sans pitié et ouvriers sincères. Manque au tableau
les harkis, qui ont joué un rôle
non négligeable dans la répression. “Aujourd’hui,
avec le recul, explique Patrick Rotman, j’ai voulu tenter
de faire revivre les passions exacerbées de l’époque,
de recréer cet implacable climat de guerre en plein Paris”.
Les personnages, inspirés de figures réelles, sont
cependant imaginaires, à l’exception du préfet
de police Maurice Papon, dont la froide détermination à
l’écran se base sur ses discours publics ou ses instructions
écrites. “Pour un coup reçu, donnez-en dix”,
ordonne-t-il par exemple à ses troupes. Néanmoins,
à travers ce portrait de Papon, se profile aussi la question
de la responsabilité des dirigeants politiques dans la tragédie.
Cette question lancinante devrait rebondir un jour où l’autre.
Peut-être, pourquoi pas, à l’occasion de la sortie
en salle de Nuit Noire 17 octobre 1961, coïncidant avec le
44ème anniversaire du 17 octobre 1961.
Mogniss H. Abdallah
Agence IM'média
[16/10/2005]
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