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[vie politique] L’immigration dans la campagne du référendum sur la Constitution européenne
Les immigré(e)s, oublié(e)s de la citoyenneté européenne ?
Mogniss H. Abdallah
Agence IM'média

Origine : http://www.alterites.com/cache/center_media/id_1072.php

Durant la campagne référendaire sur le traité constitutionnel européen, les médias, généralistes, communautaires ou alternatifs, ont inégalement couvert les questions de l’immigration, de l’apparition d’une opinion publique musulmane diversifiée, ou de l’expression d’un racisme protéiforme qui, sur fond de crise sociale, voit la concurrence du “plombier polonais” et du textile chinois en passe de supplanter “la peur des Turcs”.

Cependant, 15 à 20 millions de résidents non communautaires installés dans l’Union restent exclus de la citoyenneté européenne. Un “oubli” qui fait douter de la volonté politique de voir émerger une nouvelle communauté transnationale de citoyens égaux en droit. Des immigrés s’exprimeront quand même sur des forums internet. Parce que la question sociale, qui s’est invitée dans les urnes le 29 mai 2005, ça les intéresse.

Les immigré(e)s, oublié(e)s de la citoyenneté européenne

Dans une tribune libre du journal Libération, le philosophe Etienne Balibar estime que le Traité constitutionnel européen (TCE) ne crée pas véritablement une citoyenneté nouvelle. En perpétuant “l’apartheid européen, c’est-à-dire la privation de droits civiques des résidents n’appartenant pas aux nationalités 'fondatrices'... il concourt à empêcher l’émergence d’une 'communauté de citoyens'transnationale, traversant les appartenances anciennes et les relativisant”.( Libération, 25 mai 2005 ). Il sera un des rares tout au long de la campagne référendaire à évoquer la question de la citoyenneté des résidents ne disposant pas de la nationalité d’un des vingt-cinq pays de l’Union. Il en fera même un élément déterminant de son choix, hésitant, pour le non. Mais dans les multiples dossiers des journaux, écrits ou audiovisuels, la question est peu voire pas du tout présente. Plus étonnant, les médias dits communautaires ou alternatifs (publications, radios locales, blogs...) et même les sites internet des associations issues de l’immigration n’abordent guère ce sujet qui pourtant leur tient à cœur, et qui évolue plutôt favorablement ( dans le dernier sondage d’opinion réalisé en novembre 2004 pour la commission nationale consultative des droits de l’homme, les avis favorables au droit de vote des immigrés atteint 56 %. Cf. La lettre de la citoyenneté n° 75).

Le 25 mai 2005, plusieurs associations ont organisé à Paris une rencontre publique sur le thème “Les immigré(e)s, les oublié(e)s du traité constitutionnel”. Un intitulé que l’on retrouve sur le site des juristes du Gisti. Certes, on retrouvera sur un site local de l’association altermondialiste Attac son “exigence n° 18”: “étendre la citoyenneté de l’Union les articles II-39 à II-46 relatifs à la citoyenneté de l’union doivent s’appliquer non seulement aux citoyens de l’union, mais également, selon des procédures à déterminer, aux résidents non ressortissants d’un des Etats membres.” Et certains forums de discussion interactifs sur internet évoquent le sujet.

Dans un chat (débat en direct) le 27 mai 2005 sur SaphirNet.info., la sénatrice des Verts Alima Boumediene-Thiery s’exclame : “Les droits sont fondamentaux pour les uns et pas pour les autres, selon les nationalités ! Comment peut-on penser sérieusement que les droits sont ainsi universels et uniques et en même temps sélectifs et selon des critères aussi excluants ! le droit de vote, à l'éducation, à la santé... deviennent ainsi des droits à géométrie variable”.

Comme pour confirmer l’aspiration des immigrés à une participation citoyenne, Yahya de Paris lui dit : “Excusez moi d'intervenir dans ce débat même si je n'ai pas le droit de voter ça m'intéresse. Ma question est peut-être bête mais je vais quand même la poser parce que je ne saisis pas la différence entre le droit de travailler et le droit au travail”. La fibre sociale de cet internaute immigré prime, on le voit, sur tout autre considération identitaire, rejoignant en cela les électeurs français qui ont mis au premier rang de leur motivation de vote une situation sociale incertaine en France. Une réalité qui semble échapper à d’autres internautes qui vivent le droit de vote des immigrés comme une menace protéiforme.

Sur “le salon beige”, “blog quotidien des laïcs catholiques”, un partisan du non souverainiste commente le droit de vote des immigrés européens : “En gros, si vous habitez Varsovie, vous pourrez y élire le maire et même vous présenter... Maintenant, relisez cet article avec, en arrière-plan, l'entrée de la Turquie en Europe... Les minorités étrangères 'européennes' pourront conquérir légalement les mairies de France !” (article)

La formation d’une opinion publique musulmane diversifiée

“Vous avez aimé l’immigration ? Vous adorerez l’islamisation !” clame le Front national, qui à l’occasion ne manque pas d’évoquer le traumatisme des Néerlandais suite à l’assassinat du cinéaste Théo Van Gogh par un jeune islamiste issu de l’immigration marocaine. Sur un plateau de télévision, le dirigeant du Mouvement pour la France, Philippe de Villiers, mêlera lui les “islamistes” aux tenants du ‘oui’. Il se réfère sans doute à un article du Monde en date du 11 mai 2005 qui a retenu l’attention. D’après son auteur, Xavier Ternissien, “les organisations musulmanes penchent nettement pour le oui, y compris celles d’entre elles qui se situent dans la mouvance fondamentaliste”, dont l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). “La Constitution consacre la liberté religieuse” déclare un de ses membres.

L’intellectuel Tariq Ramadan, suivi par le Collectif des musulmans de France, s’inscrit lui à contre-courant en appelant à “dire non à une constitutionqui légitime et cautionne en aval les politiques agressives et autorégulées par les seuls critères du rendement et de la productivité jusque dans la sphère scolaire.”

Oumma.com, un site très visité, relaie cette tendance pour le non. Dans son éditorial du 30 mai 2005, il écrit : “Les associations musulmanes siégeant au CFCM et qui étaient pour le oui, apparaissent plus que jamais comme des béni-oui-ouistes en décalage total avec 'leur base' plutôt favorable au non”.

Les récentes élections générales en Grande-Bretagne ont révélé le poids de l’électorat musulman: le dissident travailliste Georges Galloway a ainsi été élu dans un quartier populaire londonien contre l’élue sortante Oona King, une femme noire d’origine juive sanctionnée par les électeurs pour son soutien à la guerre en Irak. D’où l’intérêt de la presse anglo-saxonne pour la formation d’une opinion publique musulmane en France, divisée comme le reste du pays (cf. “In France, even Muslims are divided”, de Katrin Bernhold, International Herald Tribune, 20 mai 2005).

L’opposition à l’adhésion de la Turquie, rampe de lancement du non

La question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne a, elle, été omniprésente. Elle a même été prétexte à des euphémismes troubles dès avant la campagne référendaire, concourant à installer le non dans le paysage. Le 13 décembre 2004, Le Figaro titrait en une : “Le non des Français à la Turquie” (d’après un sondage Ifop, 67 % des Français s’opposaient alors à l’entrée de la Turquie en Europe). Et ce non, transcendant le clivage gauche/droite et le clivage oui/non sur le TCE, suggérait déjà un climat de peur, voire de phobie, affiché par les magazines Le Nouvel Observateur et Le Figaro magazine qui y ont consacré la même semaine une une quasi identique (“Faut-il avoir peur des Turcs ? ” s’interroge l’un ; “Faut-il avoir peur de la Turquie ?”, demande l’autre). L’étendard du croissant sur fond rouge vient entacher le bleu serein du drapeau de l’Union. Le spectre de l’invasion rôde. Et Philippe de Villiers a beau jeu d’ironiser sur le jour choisi pour le référendum : il coïncide avec un certain 29 mai 1453, date de la prise de Constantinople par les Turcs !

Les souverainistes de droite et d’extrême-droite ont aussi agité la signature par le premier ministre turc Recip Erdogan, le 29 octobre 2004, de l’acte final du TCE, comme une preuve supplémentaire de la “manipulation” du peuple français auquel on cacherait la réalité. Les décisions seraient en fait déjà prises. En stigmatisant la position de Jacques Chirac favorable à l’adhésion de la Turquie, ils entendent souligner la fracture grandissante entre les élites et le peuple. Le gouvernement a bien tenté de réoccuper le terrain. Nicolas Sarkozy a ainsi déclaré, en pastichant une formule célèbre : “l’Europe ne peut pas accueillir tous les pays du monde”. L’élargissement indéfini à l’Est doit cesser. Dominique de Villepin, futur premier ministre, reprend donc le flambeau du contrôle des frontières et de la lutte contre l’immigration irrégulière et rappelle que le TCE prône “une gestion efficace des flux migratoires”(article III-267).

La peur du fantasmatique “plombier polonais”

Mais les micro-trottoirs des journaux télévisés et de la presse écrite reprennent l’antienne de la concurrence déloyale des pays de l’Europe de l’Est intégrés à l’Union en 2004. “Les Roumains et les Polonais que je vois ici ne respectent rien”, affirme Nordine, un chauffeur de taxi parisien (Le Figaro, 30 mai 2005). La surenchère du commissaire européen Fritz Bolkenstein, auteur d’une proposition de directive décriée sur la libéralisation des services, à propos du “plombier polonais” de sa maison au nord de la France, exacerbe les esprits. Le “personnage fantasmatique” du “plombier polonais” est “en voie de dépasser le Turc dans la peur qu’il suscite”, constate désabusé un internaute sur le site www.ouisocialiste.net.

Lors des derniers jours de campagne, on assiste à un “phénomène d’emballement à propos des multiples sujets d’actualité qui mettent en cause le cours libéral de la construction européenne dans les phénomènes d’insécurité sociale, de dumping social et de délocalisation”, écrit Libération (25 mai 2005). Très critiques à l’égard du “matraquage” des médias trop favorables au oui - un fait dénoncé par de nombreux journalistes (cf. sur ce point le site Acrimed), les partisans du non de gauche récupèrent médiatiquement cette actualité sociale en s’affichant aux côtés des ouvriers menacés par la mondialisation libérale. Au risque, pour Laurent Fabius, de se voir accuser de “xénophobe” par des dirigeants socialistes du oui qui raillent sa proximité de circonstance avec Jean-Marie Le Pen.

Malgré l’ampleur de la victoire du non, la culpabilisation va dominer dans les médias qui multiplient les voyages dans la France “rebelle”. D’aucuns ont compris le danger. Sur le plateau de l’émission d’Arlette Chabot sur France 2, l’ex-porte-parole des Verts Stéphane Pocrain affirme avec force : “il faut juguler la tentation de dire : c’est la faute à l’autre, l’étranger”. Dans Libération, Thierry Piketty, directeur d’études à l’EHESS, s’en prend aux “peurs infondées”: il est faux de dire, explique-t-il, que les Portugais hier, les Polonais aujourd’hui, font chuter les salaires en France. Pour refonder l’espoir dans une France et une Europe plus sociales, mieux vaut donc tourner le dos à la logique du bouc-émissaire. Sans remettre en cause la légitimité du vote qui vient d’avoir lieu.

Mogniss H. Abdallah
Agence IM'média
[02/06/2005]