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Origine : http://www.alterites.com/cache/center_media/index.php
Les archives de l’Institut national de l’audiovisuel
(Ina) regorgent d’images sur l’immigration et les banlieues.
Edouard Mills-Affif en a effectué un inventaire critique,
s’attachant plus particulièrement aux magazines d’information
et aux documentaires, puis aux journaux télévisés,
aux émissions de débats et aux variétés.
Dans le film Vu à la télé - la saga des immigrés
(1960-1990), réalisé avec Anne Riegel, il donne un
aperçu de moments de télévision captivants.
Pour mieux appréhender les aléas du traitement de
l’immigration par la petite lucarne, il trace en parallèle
l’histoire des enjeux de pouvoir autour de l’information
à la télévision, mais aussi celle de la course
à l’audimat, qui conduisent à bien des paradoxes.
A la redécouverte du patrimoine audiovisuel de l'Ina
Le public manifeste un intérêt accru pour le patrimoine
audiovisuel et radiophonique. Le succès du site ina.fr, qui
permet depuis le printemps 2006 d’accéder à
plus de 100 000 extraits d’émissions sur un demi-siècle,
confirme cet engouement. Tout un chacun peut en effet aller y piocher
ce qu’il veut. Et c’est vrai, de nombreux documents
à même de répondre à une curiosité
personnelle sont disponibles. Même sur des sujets dits sensibles,
comme l’immigration, le racisme ou les banlieues, classés
par sous-thèmes (“les suites de la guerre d’Algérie”,
“le mouvement des beurs” en passant par les OS et les
licenciements de masse dans l’industrie automobile, etc. ).
Ce classement assez pointu a sans doute été facilité
par différents travaux sur le fonds d’archives de l’Ina
effectués par des chercheurs, dont Édouard Mills-Affif,
auteur d’un ouvrage remarqué, Filmer les immigrés,
les représentations audiovisuelles de l’immigration
à la télévision française (voir notre
chronique). Il y a inventorié et décrypté les
magazines d’information et les documentaires consacrés
à l’immigration, diffusés entre 1960 et 1986,
avec de passionnantes études de cas, suscitant l’envie
de revoir ces documents dénichés, comme Gennevilliers
Bidonville et “l’interview-conversation” entre
Pierre Desgraupes et le couple Zaïd, symbole de la réussite
possible du modèle assimilationniste, réalisée
en pleine guerre d’Algérie (Cinq colonnes à
la Une, 14 mars 1960 ).
“Reporters baroudeurs” contre “zélés
propagandistes”. Récits de vie contre com' institutionnelle
En toute logique, il s’est attelé à cette tâche
de les donner à voir dans le document Vu à la télé
– la saga des immigrés, qui élargit le spectre
des genres étudiés aux journaux télévisés,
aux émissions de débats et aux variétés.
Avec Anne Riegel, il a retravaillé sur une sélection
de 350 heures d’archives pour monter un sujet en deux volets
de 52 minutes chacun. Le premier aborde la situation des travailleurs
immigrés des années soixante et soixante-dix, le deuxième
l’émergence des enfants d’immigrés sur
fond de crise identitaire. Pour mieux appréhender les aléas
du traitement de l’immigration par la petite lucarne, la voix
off très présente de Christine Gagnieux conte en parallèle
l’histoire des enjeux de pouvoir autour de l’information
à la télévision, mais aussi celle de la course
à l’audimat. Avec un parti pris assumé : celui
de l’indépendance éditoriale des “reporters
baroudeurs” contre les “zélés propagandistes”,
celui des récits de vie racontés par les gens eux-mêmes
contre “l’information-spectacle”.
Des marges de manoeuvre aléatoires face au contrôle
de l'information
Le projet de “nouvelle société” prôné
en 1969 par Chaban-Delmas, qui supprime le ministère de l’Information,
permet ainsi à des journalistes plus libres d’évoquer
la “chronique de la souffrance” des immigrés.
Début 1970, la mort de cinq travailleurs africains suite
à l’incendie d’un foyer insalubre à Aubervilliers
devient une affaire nationale. On en parle au journal télévisé,
reportages de terrain à l’appui, ou lors de débats
sur le plateau des Dossiers de l’écran. Les Africains,
qui disent ne pas comprendre pourquoi ils vivent “comme des
bêtes” alors que leurs parents ont lutté pour
la libération de la France, font part de revendications pour
améliorer leur sort. Francis Bouygues, patron du BTP, fait
remarquer que les travailleurs immigrés constituent la moitié
des effectifs sur le chantier, avant d’ajouter : “ils
ne parlent pas la langue française, ils apportent leurs bras,
mais pas leur cœur”. En face, Antonio, un travailleur
portugais, lui répond - en français - qu’il
est “fier de vivre en France”, mais qu'“il y a
toujours une discrimination à tous les niveaux, et c’est
dans la loi”.
Les velléités de contrôle du pouvoir, notamment
sur les JT, reprendront cependant le dessus. Mais Alain Peyrefitte
s’immisce aussi dans le domaine des magazines d’actualité,
imposant par exemple 7 jours du Monde pour contrer Cinq colonnes
à la Une. Les magazines d’information sont relégués
à un horaire plus confidentiel, après 22h. Et l’arrivée
de Giscard d’Estaing va voir une réorganisation de
la télévision, la suppression de 3 000 postes et le
licenciement de 250 journalistes.
Au niveau des contenus, la communication officielle sur l’immigration
est désormais marquée par une obsession : stopper
les flux migratoires d’Afrique, et les remplacer par des Européens,
ou par des robots. Les ex-colonisés, Algériens en
particulier, deviennent “indésirables” après
leur sortie de l’ombre en 1973, lors des grèves des
OS à Renault-Billancourt. Durant l’été,
la presse écrite se déchaîne contre les Arabes
suite au meurtre d’un chauffeur de bus à Marseille.
“La chasse est ouverte”. Bilan : douze morts. La télévision
montrera des images terribles des corps retirés du consulat
d’Algérie, visé par un attentat en décembre
(sur le même sujet, voir aussi Marseille 73 la ratonnade oubliée,
de Morad Aït-Habbouche et Henri Corbière, diffusé
sur Canal Plus le 15 janvier 2007 ).
L'embarras face au racisme décomplexé des téléspectateurs
L’opposition entre chômeurs français et travailleurs
immigrés fait son entrée dans le discours politique,
tandis que le racisme décomplexé des téléspectateurs
met dans l’embarras les animateurs. Sur le plateau des Dossiers
de l’écran, Armand Jammot s’en gratte le cou
en direct et, prévenant, demande “aux immigrés
de bien vouloir nous pardonner”.
“Le regard sur l’immigration devient regard sur la
France. La France est-elle raciste ?”. Les velléités
de la télévision à éduquer les Français
se révèlent inopérantes, estiment les réalisateurs
de Vu à la télé – la saga des immigrés.
Dommage qu’ils ne mentionnent pas ici l’apparition de
l’émission Mosaïque qui illustre la volonté
des pouvoirs publics de contre-balancer les discours de fermeture
par une ouverture aux cultures des populations immigrées.
Cette émission hebdomadaire sur FR3 fait elle aussi partie
du patrimoine commun de la télévision, et cela quand
bien même elle n’était pas une émanation
ni une production de la chaîne, mais un achat d’espace,
une location de temps d’antenne par le Fonds d’action
sociale (Fas). On sait cependant que la mise à disposition
des images produites dans ce cadre relève du casse-tête.
Les paradoxes de “l'information-spectacle”
Au tournant des années 80, on parle un peu hâtivement
de “la fin des immigrés”. Les enfants d’immigrés
qui, eux, font soudainement irruption sur la scène publique,
ne veulent pas être enfermé dans le seul débat
autour du racisme. Lors d’une invitation le 7 mars 1980 sur
le plateau d’Antenne 2 midi, le jeune Mustapha de la cité
Couzy à Vitry-sur-Seine - où son copain Kader a été
tué par le gardien quelques jours plus tôt - répond
au journaliste Paul Lefèvre qui lui a dit “nous sommes
condamnés à vivre ensemble” : “Mais toi
où tu vis ? Dans quelle classe tu vis, toi ?!” Qui
sont ces jeunes des banlieues dont on va beaucoup parler après
l’arrivée de la gauche au pouvoir et les rodéos
des Minguettes durant l’été 1981 ? Des voyous
? Des loubards ? Ou des messagers de la tolérance et d’une
coexistence possible, comme ces marcheurs pour l’égalité
qui font l’ouverture du journal de 20 heures d’Antenne
2 le 3 décembre 1983 ?
Malgré la prégnance d’images-choc et la recherche
du sensationnel, le diagnostic se fait plus nuancé sur le
racisme, dans une société divisée. “La
France antiraciste entre dans le champ des caméras”,
on découvre des histoires de rencontres amicales, des exemples
de bon voisinage. Les grandes chaînes soutiennent SOS Racisme.
TF1 sponsorise même son concert géant du 15 juin 1985.
Paradoxalement, elles remettent aussi Jean-Marie Le Pen en selle.
A deux reprises, en février 1984 puis en octobre 1985, le
dirigeant du Front national est invité sur le plateau de
l’Heure de vérité d’Antenne 2. Son one
man show fait, avec plus de 16 millions de téléspectateurs,
un record d’audience. Faire du chiffre. Avec la privatisation
de TF1, cela devient la principale préoccupation. La “tyrannie
des courbes d’audience” pousse les chaînes à
transformer en psychodrame national un “non-événement”
comme l’affaire des trois écolières de Creil
portant un foulard, ou encore à faire des plateaux de télévision
une arène offrant le piteux spectacle du pugilat entre Jean-Marie
Le Pen et Bernard Tapie. “Il faut que ça cogne !”
dit le commentaire, avant de conclure que la télévision
renoue alors avec ses vieux démons en s’imposant comme
“un pouvoir sans contre-pouvoirs”. Il semble déjà
bien loin le temps où, lors d’un direct à Vénissieux,
le journaliste d’Antenne 2 Bernard Langlois avait vu le maire
et le préfet quitter la scène dans un brouhaha indescriptible,
laissant les habitants seuls maîtres à bord cinq minutes
durant.
Mogniss H. Abdallah
Agence IM'média
[18/02/2007]
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