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[télévision] Vu à la télé - la saga des immigrés, un film de Édouard Mills-Affif et Anne Riegel
Les 19 et 26 février à 21h35 sur France 5
Mogniss H. Abdallah
Agence IM'média [18/02/2007]

Origine : http://www.alterites.com/cache/center_media/index.php

Les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) regorgent d’images sur l’immigration et les banlieues. Edouard Mills-Affif en a effectué un inventaire critique, s’attachant plus particulièrement aux magazines d’information et aux documentaires, puis aux journaux télévisés, aux émissions de débats et aux variétés. Dans le film Vu à la télé - la saga des immigrés (1960-1990), réalisé avec Anne Riegel, il donne un aperçu de moments de télévision captivants. Pour mieux appréhender les aléas du traitement de l’immigration par la petite lucarne, il trace en parallèle l’histoire des enjeux de pouvoir autour de l’information à la télévision, mais aussi celle de la course à l’audimat, qui conduisent à bien des paradoxes.

A la redécouverte du patrimoine audiovisuel de l'Ina

Le public manifeste un intérêt accru pour le patrimoine audiovisuel et radiophonique. Le succès du site ina.fr, qui permet depuis le printemps 2006 d’accéder à plus de 100 000 extraits d’émissions sur un demi-siècle, confirme cet engouement. Tout un chacun peut en effet aller y piocher ce qu’il veut. Et c’est vrai, de nombreux documents à même de répondre à une curiosité personnelle sont disponibles. Même sur des sujets dits sensibles, comme l’immigration, le racisme ou les banlieues, classés par sous-thèmes (“les suites de la guerre d’Algérie”, “le mouvement des beurs” en passant par les OS et les licenciements de masse dans l’industrie automobile, etc. ). Ce classement assez pointu a sans doute été facilité par différents travaux sur le fonds d’archives de l’Ina effectués par des chercheurs, dont Édouard Mills-Affif, auteur d’un ouvrage remarqué, Filmer les immigrés, les représentations audiovisuelles de l’immigration à la télévision française (voir notre chronique). Il y a inventorié et décrypté les magazines d’information et les documentaires consacrés à l’immigration, diffusés entre 1960 et 1986, avec de passionnantes études de cas, suscitant l’envie de revoir ces documents dénichés, comme Gennevilliers Bidonville et “l’interview-conversation” entre Pierre Desgraupes et le couple Zaïd, symbole de la réussite possible du modèle assimilationniste, réalisée en pleine guerre d’Algérie (Cinq colonnes à la Une, 14 mars 1960 ).

“Reporters baroudeurs” contre “zélés propagandistes”. Récits de vie contre com' institutionnelle

En toute logique, il s’est attelé à cette tâche de les donner à voir dans le document Vu à la télé – la saga des immigrés, qui élargit le spectre des genres étudiés aux journaux télévisés, aux émissions de débats et aux variétés. Avec Anne Riegel, il a retravaillé sur une sélection de 350 heures d’archives pour monter un sujet en deux volets de 52 minutes chacun. Le premier aborde la situation des travailleurs immigrés des années soixante et soixante-dix, le deuxième l’émergence des enfants d’immigrés sur fond de crise identitaire. Pour mieux appréhender les aléas du traitement de l’immigration par la petite lucarne, la voix off très présente de Christine Gagnieux conte en parallèle l’histoire des enjeux de pouvoir autour de l’information à la télévision, mais aussi celle de la course à l’audimat. Avec un parti pris assumé : celui de l’indépendance éditoriale des “reporters baroudeurs” contre les “zélés propagandistes”, celui des récits de vie racontés par les gens eux-mêmes contre “l’information-spectacle”.

Des marges de manoeuvre aléatoires face au contrôle de l'information

Le projet de “nouvelle société” prôné en 1969 par Chaban-Delmas, qui supprime le ministère de l’Information, permet ainsi à des journalistes plus libres d’évoquer la “chronique de la souffrance” des immigrés. Début 1970, la mort de cinq travailleurs africains suite à l’incendie d’un foyer insalubre à Aubervilliers devient une affaire nationale. On en parle au journal télévisé, reportages de terrain à l’appui, ou lors de débats sur le plateau des Dossiers de l’écran. Les Africains, qui disent ne pas comprendre pourquoi ils vivent “comme des bêtes” alors que leurs parents ont lutté pour la libération de la France, font part de revendications pour améliorer leur sort. Francis Bouygues, patron du BTP, fait remarquer que les travailleurs immigrés constituent la moitié des effectifs sur le chantier, avant d’ajouter : “ils ne parlent pas la langue française, ils apportent leurs bras, mais pas leur cœur”. En face, Antonio, un travailleur portugais, lui répond - en français - qu’il est “fier de vivre en France”, mais qu'“il y a toujours une discrimination à tous les niveaux, et c’est dans la loi”.

Les velléités de contrôle du pouvoir, notamment sur les JT, reprendront cependant le dessus. Mais Alain Peyrefitte s’immisce aussi dans le domaine des magazines d’actualité, imposant par exemple 7 jours du Monde pour contrer Cinq colonnes à la Une. Les magazines d’information sont relégués à un horaire plus confidentiel, après 22h. Et l’arrivée de Giscard d’Estaing va voir une réorganisation de la télévision, la suppression de 3 000 postes et le licenciement de 250 journalistes.

Au niveau des contenus, la communication officielle sur l’immigration est désormais marquée par une obsession : stopper les flux migratoires d’Afrique, et les remplacer par des Européens, ou par des robots. Les ex-colonisés, Algériens en particulier, deviennent “indésirables” après leur sortie de l’ombre en 1973, lors des grèves des OS à Renault-Billancourt. Durant l’été, la presse écrite se déchaîne contre les Arabes suite au meurtre d’un chauffeur de bus à Marseille. “La chasse est ouverte”. Bilan : douze morts. La télévision montrera des images terribles des corps retirés du consulat d’Algérie, visé par un attentat en décembre (sur le même sujet, voir aussi Marseille 73 la ratonnade oubliée, de Morad Aït-Habbouche et Henri Corbière, diffusé sur Canal Plus le 15 janvier 2007 ).

L'embarras face au racisme décomplexé des téléspectateurs

L’opposition entre chômeurs français et travailleurs immigrés fait son entrée dans le discours politique, tandis que le racisme décomplexé des téléspectateurs met dans l’embarras les animateurs. Sur le plateau des Dossiers de l’écran, Armand Jammot s’en gratte le cou en direct et, prévenant, demande “aux immigrés de bien vouloir nous pardonner”.

“Le regard sur l’immigration devient regard sur la France. La France est-elle raciste ?”. Les velléités de la télévision à éduquer les Français se révèlent inopérantes, estiment les réalisateurs de Vu à la télé – la saga des immigrés. Dommage qu’ils ne mentionnent pas ici l’apparition de l’émission Mosaïque qui illustre la volonté des pouvoirs publics de contre-balancer les discours de fermeture par une ouverture aux cultures des populations immigrées. Cette émission hebdomadaire sur FR3 fait elle aussi partie du patrimoine commun de la télévision, et cela quand bien même elle n’était pas une émanation ni une production de la chaîne, mais un achat d’espace, une location de temps d’antenne par le Fonds d’action sociale (Fas). On sait cependant que la mise à disposition des images produites dans ce cadre relève du casse-tête.

Les paradoxes de “l'information-spectacle”

Au tournant des années 80, on parle un peu hâtivement de “la fin des immigrés”. Les enfants d’immigrés qui, eux, font soudainement irruption sur la scène publique, ne veulent pas être enfermé dans le seul débat autour du racisme. Lors d’une invitation le 7 mars 1980 sur le plateau d’Antenne 2 midi, le jeune Mustapha de la cité Couzy à Vitry-sur-Seine - où son copain Kader a été tué par le gardien quelques jours plus tôt - répond au journaliste Paul Lefèvre qui lui a dit “nous sommes condamnés à vivre ensemble” : “Mais toi où tu vis ? Dans quelle classe tu vis, toi ?!” Qui sont ces jeunes des banlieues dont on va beaucoup parler après l’arrivée de la gauche au pouvoir et les rodéos des Minguettes durant l’été 1981 ? Des voyous ? Des loubards ? Ou des messagers de la tolérance et d’une coexistence possible, comme ces marcheurs pour l’égalité qui font l’ouverture du journal de 20 heures d’Antenne 2 le 3 décembre 1983 ?

Malgré la prégnance d’images-choc et la recherche du sensationnel, le diagnostic se fait plus nuancé sur le racisme, dans une société divisée. “La France antiraciste entre dans le champ des caméras”, on découvre des histoires de rencontres amicales, des exemples de bon voisinage. Les grandes chaînes soutiennent SOS Racisme. TF1 sponsorise même son concert géant du 15 juin 1985. Paradoxalement, elles remettent aussi Jean-Marie Le Pen en selle. A deux reprises, en février 1984 puis en octobre 1985, le dirigeant du Front national est invité sur le plateau de l’Heure de vérité d’Antenne 2. Son one man show fait, avec plus de 16 millions de téléspectateurs, un record d’audience. Faire du chiffre. Avec la privatisation de TF1, cela devient la principale préoccupation. La “tyrannie des courbes d’audience” pousse les chaînes à transformer en psychodrame national un “non-événement” comme l’affaire des trois écolières de Creil portant un foulard, ou encore à faire des plateaux de télévision une arène offrant le piteux spectacle du pugilat entre Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie. “Il faut que ça cogne !” dit le commentaire, avant de conclure que la télévision renoue alors avec ses vieux démons en s’imposant comme “un pouvoir sans contre-pouvoirs”. Il semble déjà bien loin le temps où, lors d’un direct à Vénissieux, le journaliste d’Antenne 2 Bernard Langlois avait vu le maire et le préfet quitter la scène dans un brouhaha indescriptible, laissant les habitants seuls maîtres à bord cinq minutes durant.

Mogniss H. Abdallah

Agence IM'média

[18/02/2007]