"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Pour que mixité rime avec égalité
Philippe Lebailly

Origine http://www.cemea.asso.fr/ven517btexte.html

Vers l’Éducation Nouvelle, n° 517 Revue Cmea

La variable sexe a longtemps été ignorée par la recherche et les travaux effectués en ce domaine étaient jusqu’à peu de temps exclusivement anglo-saxons. Lorsqu’ils ont donné lieu à des publications scientifiques, celles-ci ne sont quasiment pas diffusées et enseignées auprès des personnels éducatifs et des parents. Nous savons donc peu de choses du développement spécifique des garçons et des filles bien que nos pratiques éducatives, professionnelles ou familiales soient fortement stéréotypées.

Pourtant, des études ont montré que les enfants sont capables de différencier et d’identifier, dès les premiers mois, les deux sexes, qu’ils prennent conscience très tôt de leur propre sexe, qu’à partir de 18 mois ils manifestent leur adhésion aux normes culturelles instituées.

Des travaux récents ont permis de mettre en évidence l’existence, à 24 mois, d’un système de référence interne relatif aux catégories sociales de genre (un schéma de genre) qui oriente de façon différenciée et cohérente les conduites des filles et des garçons (1). Les enfants sont capables très tôt de catégoriser des objets selon la dichotomie masculin-féminin et ils préfèrent les objets culturellement attribués à leur propre sexe. Une telle précocité dans l’apparition des conduites sexuées, signifie que les catégories de sexe font partie des catégories sociales les plus rapidement perçues et construites par les enfants. Cette construction de l’identité sexuée se fait dans un environnement hiérarchisé qui génère des inégalités entre les filles et les garçons.

Certains tentent d’expliquer les différences d’aptitudes entre les sexes et justifier de fait les inégalités entre les hommes et les femmes par des facteurs biologiques. Or, les études les plus récentes, grâce aux nouvelles techniques d’imagerie cérébrale, n’ont permis de constater aucune différence significative entre les sexes concernant les fonctions cognitives et ont montré que le langage (activité dite féminine) ou les opérations en mathématiques (activité prétendue masculine) mobilisaient des régions des deux hémisphères du cerveau. Ces résultats scientifiques remettent en cause la théorie des deux cerveaux qui se voulait expliquer les différences entre les sexes (2). Quant aux aptitudes spatiales, plus développées chez les hommes, l’éducation y est pour beaucoup. Très tôt, les garçons sont encouragés à pratiquer des jeux collectifs de plein air qui favorisent l’acquisition des capacités d’orientation spatiale.

Reproduction du rapport de domination homme-femme

En écho des revendications des mouvements féministes dans les années soixante, des analyses ont dénoncé les inégalités entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les places et les rôles sociaux, politiques et professionnels. Ces recherches ont vu émerger la notion de genre (masculin-féminin) afin de mettre en évidence le caractère discriminant et arbitraire des normes attribuées aux hommes et aux femmes. D’autres études plus récentes, essentiellement conduites par des femmes chercheuses, se sont intéressées aux pratiques éducatives et ont montré que les rapports sociaux de sexe, comme rapports sociaux inégaux, influaient fortement sur l’éducation des filles et des garçons (3). Cela passe par des comportements et des mécanismes quotidiens très fins et le plus souvent à l’insu des adultes.

Si on parle d’égalité des sexes, en réalité on éduque de façon très différenciée garçons et filles. Les stéréotypes socioculturels masculin-féminin attribués aux catégories de sexe homme-femme ont pour conséquence d’étiqueter le petit garçon ou la petite fille et de les éduquer en conséquence. L’examen de plusieurs domaines d’interaction entre les parents et les enfants a révélé des différences de comportement en fonction du sexe de l’enfant. Ceci est particulièrement avéré en ce qui concerne les jouets. Ceux attribués aux garçons sont bien plus nombreux et diversifiés ; ils offrent plus de possibilités d’activités motrices, encouragent davantage la manipulation et l’invention et sont plus ouverts sur des rôles sociaux extérieurs à la famille. Les jouets des filles invitent à l’imitation des activités domestiques et de soins et offrent moins de possibilités de variation et d’innovation (4). Les conduites exploratoires, la dépense physique, et la prise d’autonomie sont davantage renforcées par les parents pour les garçons ; les filles sont prioritairement incitées à des activités de proximité familiale et des jeux de faire-semblant faisant appel à beaucoup plus d’interactions verbales avec les parents que les jeux réservés aux garçons qui favorisent un langage de type plus instrumental. Les parents développent ainsi des apprentissages différents de la langue aux garçons et aux filles.

Sur le plan de la communication, dès la naissance, les parents ont aussi des comportements différenciés. Les stimulations émotionnelles des parents sont plus variées et intenses avec les filles ; avec les garçons, les parents ont tendance à être plus directifs, à montrer l’utilisation du matériel, à les contrôler physiquement ; plus tard, ils tolèrent mieux les réactions de colère des garçons alors qu’ils attendent plus de contrôle émotionnel de leur part des filles.

Les pères sont particulièrement actifs dans la construction du sentiment d’appartenir à un sexe et dans le maintien de la différence et des inégalités des rôles de sexe (5).

Des pratiques éducatives marquées par des stéréotypes sexistes

Les comportements appropriés au sexe de l’enfant sont donc stimulés et renforcés positivement ou négativement par les parents et les autres agents de socialisation. Il en est ainsi à l’école où les pratiques enseignantes participent à la construction des inégalités entre les sexes. Les élèves reçoivent par le biais des manuels, des programmes et des interactions avec les enseignants une quantité d’informations sur les comportements adéquats à leur sexe. La mixité telle qu’elle est pratiquée actuellement à l’école, loin d’être neutre, valorise le genre masculin.

Les différences qualitatives et quantitatives des interactions entre les enseignants et les élèves en fonction du sexe de ces derniers s’expliquent par la nature de leurs attentes et représentations. Les pratiques des enseignants sont également différenciées en fonction de la connotation féminine ou masculine des matières.

Cette différenciation des pratiques éducatives doit nous inviter à regarder avec beaucoup de prudence certaines réalités. Par exemple, le fait que les filles soient plus nombreuses à poursuivre des études après le bac peut laisser penser qu’elles réussissent mieux que les garçons à l’école ; or, la lecture des filières d’étude dans lesquelles elles se retrouvent contredit rapidement cette analyse ; elles sont majoritairement concentrées dans un nombre restreint de filières, bien moins nombreuses dans les filières professionnalisantes et très faiblement présentes dans les filières les plus prestigieuses.

Les orientations des filles ne résultent pas des résultats scolaires. La nécessité d’affirmation identitaire et de conformité d’appartenance à l’une ou l’autre catégorie de sexe impose ces choix d’orientation. La connotation masculine de la plupart des filières scientifiques induit un processus d’auto-sélection plus sévère de la part des filles pour oser s’orienter vers celles-ci. Cette réalité a des conséquences dramatiques et explique pourquoi la division sexuée des filières professionnelles est tenace. Il est donc urgent d’élaborer des pratiques d’éducation qui ouvrent un espace de liberté d’orientation beaucoup plus grand que les choix imposés actuellement par les normes de sexe. Cette auto-sélection pratiquée par les filles interroge notre système actuel d’orientation qui tend à suivre les demandes des jeunes et des parents.

Grande disparité dans l’accès aux dispositifs publics

Le groupe de suivi interministériel des Contrats Educatifs Locaux du 19 juin 2001 constatait que 69 % des contrats 2000 répondaient à l'objectif principal de permettre l'accès aux activités du plus grand nombre ; en revanche, si 63 % des jeunes susceptibles d'être concernés sur un territoire bénéficiaient en effet de ce dispositif, il existait un inégal accès entre filles et garçons : 28% de filles contre 72% de garçons. Ce constat est encore plus lourd en ce qui concerne les actions initiées dans le cadre de la politique de la Ville. Cette réalité résulte du fait que les actions proposées aux jeunes visent essentiellement à occuper et à encadrer les garçons pour prévenir les risques de violences. Parce qu’elles ne posent pas de problème aigu, parce que l’espace public dans le quartier et les halls d’immeuble sont occupés par les garçons, parce qu’elles sont discrètes, silencieuses, « circulantes », voire invisibles, alors les filles ne sont pas, jusqu’àlors, une priorité de la politique de la Ville et des politiques publiques.

Éduquer au respect et à l’égalité

Ainsi, si au niveau linguistique et cognitif, le sexe définit deux catégories équivalentes, il en est autrement au niveau des normes socioculturelles de notre société. Ces mêmes catégories sont ordonnées et hiérarchisées dans un rapport dominant-dominé. Alors, comme interroge Marie Durut-Bellat (6), comment construire une image positive de soi-même quand votre groupe d’appartenance est toujours implicitement comparé à un groupe de référence connoté de façon positive ? Il y a nécessité d’agir au niveau des parents et de tous les acteurs éducatifs sur les effets des stéréotypes masculin-féminin afin que mixité rime un jour avec respect et égalité.

Philippe Lebailly


Notes

1. Gaïd Le Maner-Idrissi, Astrid Levêque et Joëlle Massa, « Manifestations précoces de l’identité sexuée », in : L’orientation scolaire et professionnelle, 31, n°4, 2002.

2. Catherine Vidal, « Le cerveau, le sexe et l’idéologie dans les neurosciences », in : L’orientation scolaire et professionnelle, 31, n°4, 2002.

3. Nicole Mosconi, « De l’inégalité des sexes dans l’éducation familiale et scolaire », in : Ville Ecole Intégration, CNDP, n°138, septembre 2004.

4. Pierre Tap et Chantal Zaouche, « Identités sexuées, socialisation et dévelop-pement de la personne », in : Lemel et Roudet, Filles et garçons jusqu’à l’adolescence, socialisation différentielles, L’Harmattan, 1999.

5. Chantal Zaouche-Gaudron et Véronique Rouyer, « L’identité sexuée du jeune enfant : actualisation des modèles théoriques et analyse de la contribution paternelle », in: L’orientation scolaire et professionnelle, 31, n°4, 2002 - et La socialisation des filles et des garçons au sein de la famille : enjeux pour le développement.

6. Marie Duru-Bellat, « Filles et garçons à l’école, approches sociologiques et psycho-sociales », 1ère partie : des scolarités sexuées, reflet de différences d’aptitude, ou de différences d’attitudes ? In : Revue française de pédagogie n°109, 1994 et 2e partie : La construction scolaire des différences entre les sexes, n°110, 1995.

« Ecole de garçons et école de filles » in : Ville Ecole Intégration, CNDP, n°138, sept. 2004.

7. Françoise Vouillot, « Construction et affirmation de l’identité sexuée et sexuelle : éléments d’analyse de la division sexuée de l’orientation », in : L’orientation scolaire et professionnelle, 31, n°4, 2002