|
Origine http://www.cemea.asso.fr/ven517btexte.html
Vers l’Éducation Nouvelle, n° 517 Revue Cmea
La variable sexe a longtemps été ignorée par
la recherche et les travaux effectués en ce domaine étaient
jusqu’à peu de temps exclusivement anglo-saxons. Lorsqu’ils
ont donné lieu à des publications scientifiques, celles-ci
ne sont quasiment pas diffusées et enseignées auprès
des personnels éducatifs et des parents. Nous savons donc
peu de choses du développement spécifique des garçons
et des filles bien que nos pratiques éducatives, professionnelles
ou familiales soient fortement stéréotypées.
Pourtant, des études ont montré que les enfants sont
capables de différencier et d’identifier, dès
les premiers mois, les deux sexes, qu’ils prennent conscience
très tôt de leur propre sexe, qu’à partir
de 18 mois ils manifestent leur adhésion aux normes culturelles
instituées.
Des travaux récents ont permis de mettre en évidence
l’existence, à 24 mois, d’un système de
référence interne relatif aux catégories sociales
de genre (un schéma de genre) qui oriente de façon
différenciée et cohérente les conduites des
filles et des garçons (1). Les enfants sont capables très
tôt de catégoriser des objets selon la dichotomie masculin-féminin
et ils préfèrent les objets culturellement attribués
à leur propre sexe. Une telle précocité dans
l’apparition des conduites sexuées, signifie que les
catégories de sexe font partie des catégories sociales
les plus rapidement perçues et construites par les enfants.
Cette construction de l’identité sexuée se fait
dans un environnement hiérarchisé qui génère
des inégalités entre les filles et les garçons.
Certains tentent d’expliquer les différences d’aptitudes
entre les sexes et justifier de fait les inégalités
entre les hommes et les femmes par des facteurs biologiques. Or,
les études les plus récentes, grâce aux nouvelles
techniques d’imagerie cérébrale, n’ont
permis de constater aucune différence significative entre
les sexes concernant les fonctions cognitives et ont montré
que le langage (activité dite féminine) ou les opérations
en mathématiques (activité prétendue masculine)
mobilisaient des régions des deux hémisphères
du cerveau. Ces résultats scientifiques remettent en cause
la théorie des deux cerveaux qui se voulait expliquer les
différences entre les sexes (2). Quant aux aptitudes spatiales,
plus développées chez les hommes, l’éducation
y est pour beaucoup. Très tôt, les garçons sont
encouragés à pratiquer des jeux collectifs de plein
air qui favorisent l’acquisition des capacités d’orientation
spatiale.
Reproduction du rapport de domination homme-femme
En écho des revendications des mouvements féministes
dans les années soixante, des analyses ont dénoncé
les inégalités entre les hommes et les femmes en ce
qui concerne les places et les rôles sociaux, politiques et
professionnels. Ces recherches ont vu émerger la notion de
genre (masculin-féminin) afin de mettre en évidence
le caractère discriminant et arbitraire des normes attribuées
aux hommes et aux femmes. D’autres études plus récentes,
essentiellement conduites par des femmes chercheuses, se sont intéressées
aux pratiques éducatives et ont montré que les rapports
sociaux de sexe, comme rapports sociaux inégaux, influaient
fortement sur l’éducation des filles et des garçons
(3). Cela passe par des comportements et des mécanismes quotidiens
très fins et le plus souvent à l’insu des adultes.
Si on parle d’égalité des sexes, en réalité
on éduque de façon très différenciée
garçons et filles. Les stéréotypes socioculturels
masculin-féminin attribués aux catégories de
sexe homme-femme ont pour conséquence d’étiqueter
le petit garçon ou la petite fille et de les éduquer
en conséquence. L’examen de plusieurs domaines d’interaction
entre les parents et les enfants a révélé des
différences de comportement en fonction du sexe de l’enfant.
Ceci est particulièrement avéré en ce qui concerne
les jouets. Ceux attribués aux garçons sont bien plus
nombreux et diversifiés ; ils offrent plus de possibilités
d’activités motrices, encouragent davantage la manipulation
et l’invention et sont plus ouverts sur des rôles sociaux
extérieurs à la famille. Les jouets des filles invitent
à l’imitation des activités domestiques et de
soins et offrent moins de possibilités de variation et d’innovation
(4). Les conduites exploratoires, la dépense physique, et
la prise d’autonomie sont davantage renforcées par
les parents pour les garçons ; les filles sont prioritairement
incitées à des activités de proximité
familiale et des jeux de faire-semblant faisant appel à beaucoup
plus d’interactions verbales avec les parents que les jeux
réservés aux garçons qui favorisent un langage
de type plus instrumental. Les parents développent ainsi
des apprentissages différents de la langue aux garçons
et aux filles.
Sur le plan de la communication, dès la naissance, les parents
ont aussi des comportements différenciés. Les stimulations
émotionnelles des parents sont plus variées et intenses
avec les filles ; avec les garçons, les parents ont tendance
à être plus directifs, à montrer l’utilisation
du matériel, à les contrôler physiquement ;
plus tard, ils tolèrent mieux les réactions de colère
des garçons alors qu’ils attendent plus de contrôle
émotionnel de leur part des filles.
Les pères sont particulièrement actifs dans la construction
du sentiment d’appartenir à un sexe et dans le maintien
de la différence et des inégalités des rôles
de sexe (5).
Des pratiques éducatives marquées par des
stéréotypes sexistes
Les comportements appropriés au sexe de l’enfant sont
donc stimulés et renforcés positivement ou négativement
par les parents et les autres agents de socialisation. Il en est
ainsi à l’école où les pratiques enseignantes
participent à la construction des inégalités
entre les sexes. Les élèves reçoivent par le
biais des manuels, des programmes et des interactions avec les enseignants
une quantité d’informations sur les comportements adéquats
à leur sexe. La mixité telle qu’elle est pratiquée
actuellement à l’école, loin d’être
neutre, valorise le genre masculin.
Les différences qualitatives et quantitatives des interactions
entre les enseignants et les élèves en fonction du
sexe de ces derniers s’expliquent par la nature de leurs attentes
et représentations. Les pratiques des enseignants sont également
différenciées en fonction de la connotation féminine
ou masculine des matières.
Cette différenciation des pratiques éducatives doit
nous inviter à regarder avec beaucoup de prudence certaines
réalités. Par exemple, le fait que les filles soient
plus nombreuses à poursuivre des études après
le bac peut laisser penser qu’elles réussissent mieux
que les garçons à l’école ; or, la lecture
des filières d’étude dans lesquelles elles se
retrouvent contredit rapidement cette analyse ; elles sont majoritairement
concentrées dans un nombre restreint de filières,
bien moins nombreuses dans les filières professionnalisantes
et très faiblement présentes dans les filières
les plus prestigieuses.
Les orientations des filles ne résultent pas des résultats
scolaires. La nécessité d’affirmation identitaire
et de conformité d’appartenance à l’une
ou l’autre catégorie de sexe impose ces choix d’orientation.
La connotation masculine de la plupart des filières scientifiques
induit un processus d’auto-sélection plus sévère
de la part des filles pour oser s’orienter vers celles-ci.
Cette réalité a des conséquences dramatiques
et explique pourquoi la division sexuée des filières
professionnelles est tenace. Il est donc urgent d’élaborer
des pratiques d’éducation qui ouvrent un espace de
liberté d’orientation beaucoup plus grand que les choix
imposés actuellement par les normes de sexe. Cette auto-sélection
pratiquée par les filles interroge notre système actuel
d’orientation qui tend à suivre les demandes des jeunes
et des parents.
Grande disparité dans l’accès aux dispositifs
publics
Le groupe de suivi interministériel des Contrats Educatifs
Locaux du 19 juin 2001 constatait que 69 % des contrats 2000 répondaient
à l'objectif principal de permettre l'accès aux activités
du plus grand nombre ; en revanche, si 63 % des jeunes susceptibles
d'être concernés sur un territoire bénéficiaient
en effet de ce dispositif, il existait un inégal accès
entre filles et garçons : 28% de filles contre 72% de garçons.
Ce constat est encore plus lourd en ce qui concerne les actions
initiées dans le cadre de la politique de la Ville. Cette
réalité résulte du fait que les actions proposées
aux jeunes visent essentiellement à occuper et à encadrer
les garçons pour prévenir les risques de violences.
Parce qu’elles ne posent pas de problème aigu, parce
que l’espace public dans le quartier et les halls d’immeuble
sont occupés par les garçons, parce qu’elles
sont discrètes, silencieuses, « circulantes »,
voire invisibles, alors les filles ne sont pas, jusqu’àlors,
une priorité de la politique de la Ville et des politiques
publiques.
Éduquer au respect et à l’égalité
Ainsi, si au niveau linguistique et cognitif, le sexe définit
deux catégories équivalentes, il en est autrement
au niveau des normes socioculturelles de notre société.
Ces mêmes catégories sont ordonnées et hiérarchisées
dans un rapport dominant-dominé. Alors, comme interroge Marie
Durut-Bellat (6), comment construire une image positive de soi-même
quand votre groupe d’appartenance est toujours implicitement
comparé à un groupe de référence connoté
de façon positive ? Il y a nécessité d’agir
au niveau des parents et de tous les acteurs éducatifs sur
les effets des stéréotypes masculin-féminin
afin que mixité rime un jour avec respect et égalité.
Philippe Lebailly
Notes
1. Gaïd Le Maner-Idrissi, Astrid Levêque et Joëlle
Massa, « Manifestations précoces de l’identité
sexuée », in : L’orientation scolaire et professionnelle,
31, n°4, 2002.
2. Catherine Vidal, « Le cerveau, le sexe et l’idéologie
dans les neurosciences », in : L’orientation scolaire
et professionnelle, 31, n°4, 2002.
3. Nicole Mosconi, « De l’inégalité des
sexes dans l’éducation familiale et scolaire »,
in : Ville Ecole Intégration, CNDP, n°138, septembre
2004.
4. Pierre Tap et Chantal Zaouche, « Identités sexuées,
socialisation et dévelop-pement de la personne », in
: Lemel et Roudet, Filles et garçons jusqu’à
l’adolescence, socialisation différentielles, L’Harmattan,
1999.
5. Chantal Zaouche-Gaudron et Véronique Rouyer, «
L’identité sexuée du jeune enfant : actualisation
des modèles théoriques et analyse de la contribution
paternelle », in: L’orientation scolaire et professionnelle,
31, n°4, 2002 - et La socialisation des filles et des garçons
au sein de la famille : enjeux pour le développement.
6. Marie Duru-Bellat, « Filles et garçons à
l’école, approches sociologiques et psycho-sociales
», 1ère partie : des scolarités sexuées,
reflet de différences d’aptitude, ou de différences
d’attitudes ? In : Revue française de pédagogie
n°109, 1994 et 2e partie : La construction scolaire des différences
entre les sexes, n°110, 1995.
« Ecole de garçons et école de filles »
in : Ville Ecole Intégration, CNDP, n°138, sept. 2004.
7. Françoise Vouillot, « Construction et affirmation
de l’identité sexuée et sexuelle : éléments
d’analyse de la division sexuée de l’orientation
», in : L’orientation scolaire et professionnelle, 31,
n°4, 2002
|