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MINDIN : BIENVENUE EN MILIEU INHOSPITALIER ... [1999]
lundi 22 avril 2002

Origine : http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=266

TÉMOIGNAGE : BIENVENUE EN MILIEU INHOSPITALIER ... UN ETABLISSEMENT POUR PERSONNES HANDICAPEES

La Maison Départementale de Mindin (MDM), sur la commune de Saint Brévin, en Loire-Atlantique, est un établissement de la fonction publique territoriale à caractère médico-social. Située à l’estuaire de la Loire, c’est le plus gros employeur de la région du Pays de Retz.

L’établissement est situé à l’entrée de la commune, à proximité d’une décharge et d’un camp pour gens du voyage. En aval, Saint Brévin les Pins, habité en grande partie par les employés de l’hospice, puis Saint Brévin l’Océan, vivant du tourisme. Malgré les 1000 handicapés vivants sur la commune, la circulation est dangereuse et la voirie inadaptée, surtout dans le secteur de Mindin, où par exemple, les trottoirs sont trop étroits pour les fauteuils roulants... Anciennement Lazaret, puis Hospice jusqu’en 1998, la Maison Départementale de Mindin a accueilli jusqu’à 1200 handicapés et employé à peu près autant de personnes. Jusque dans les années 1970, la différentiation entre employés et malades n’était pas très nette, les personnels logeant dans l’établissement avec leurs familles et les handicapés participant au fonctionnement de celui-ci. Beaucoup d’adultes, pourtant gravement handicapés, évoquent encore souvent les enfants dont ils avaient la charge. D’autre part, il semble que les emplois, à Mindin,étaient souvent occupés par ce qu’on appellerait aujourd’hui des "cas sociaux" (alcool). Pour résumer, plusieurs personnes m’ont rapporté, au cours d’une enquête dans la région "Quand tu n’étais pas bon pour travailler à la SNIAS ou aux chantiers, tu pouvais aller travailler là". Cependant, il ressort aussi des témoignages que, malgré cette situation, bien des bonnes volontés ont tenté d’apporter chaleur et humanité dans cet univers difficile.

Il est important aussi de signaler que cet hospice acceptait toute personne, quel que soit son handicap, de la naissance à la mort. Vivaient donc sur ce lieu, en quasi autarcie, des familles d’employés, de la direction, des religieuses (il n’y en a plus aujourd’hui) et des malades mentaux : des personnes souffrant de troubles très légers et d’autres, très lourdement atteintes ou poly-handicapées. Le site s’est progressivement ouvert et le personnel a cessé de résider sur les lieux, mais la plupart habite maintenant dans les environs immédiats. Il reste que ce personnel est composé d’individus très proches : voisins, : parents, conjoints, enfants... Jusque dans les années 1980, le personnel spécialisé était quasi inexistant quelques passages de médecins généralistes ou psychiatres, quelques infirmiers et aides soignants. Difficile de savoir quels ont été les critères retenus pour les postes à responsabilité : chefs de services, surveillants, directeurs... Il court des rumeurs étonnantes sur le sujet. Peu à peu, on a formé du personnel hors site et sur site en ce qui concerne les aides soignants, les aides médico-psychologiques et les moniteurs éducateurs.

"Embauchée comme aide médico-psychologique"

J’ai été embauchée comme aide médico-psychologique en 1992 à la MDM. Quatre psychologues, des éducateurs, du personnel spécialisé travaillaient déjà dans l’établissement, composé d’une trentaine de pavillons. Certains de ces pavillons n’étaient que des taudis délabrés aux grandes salles moisies, mal chauffées et très sales. Ces secteurs ne recevaient aucune visite de l’encadrement, médecins, surveillants et psychologues pénétrant rarement dans ces pavillons et encore, ne s’aventuraient-ils qu’à quelques mètres de l’entrée, ou dans le bureau. Ce qui servait de logement aux handicapés n’était pas visité. Dans ces pavillons vivaient les handicapés les plus lourds : les plus "bas niveaux". Résultat : côté personnel, on fait valoir sa carte syndicale, sa relation avec la hiérarchie, son diplôme... pour être employé dans les "bons services", c’est à dire avec les "meilleurs niveaux".

J’entrai donc le 21 décembre 1992 dans la "salle de vie" du pavillon des Courlis où j’étais affectée. Une vingtaine de jeunes femmes déambulaient dans la pièce ; elles se bousculaient un peu lorsqu’elles se rencontraient, les plus craintives ou les plus mal portantes restaient au sol pour ne pas être renversées. Certaines semblaient vouloir exprimer quelque chose, d’autres se protégeaient le visage de leurs bras dès que quelqu’un s’approchait d’elles. Toutes attendaient les seuls moments satisfaisants de la journée : les repas. Dans l’office, les employés conversaient, jouaient aux mots croisés, ou renouvelaient sans fin les mêmes farces (envoi d’eau dans le cou, chaises mouillées ... ). Il fallait tout de même surveiller l’arrivée improbable d’un éventuel supérieur hiérarchique...

Malgré ce spectacle affligeant et les nombreuses histoires qui se racontaient (personnel venant faire acte de présence le matin et partant à la pêche, ouvrier surpris culotte baissée dans les toilettes avec une malade, dent d’n pensionnaire cassée à coups de poings, malades enfermés dans des sacs à linge sale qu’on faisait tournoyer, coups sur les verges des pensionnaires s’ils avaient une érection sur la chaise percée ... ), j’envisageais de faire mon travail, avec la crainte de ne pas être à la hauteur : on m’avait tant enseigné sur les méthodes éducatives !

Je profitais des pauses interminables pour accompagner les handicapées. Dans ce pavillon, les cas étaient lourds, les femmes ne possédaient pas le langage, la relation passait par les gestes autant que par les mots, qui se voulaient rassurants... Je tentais en particulier de rassurer certaines femmes qui étaient sur la défensive et se repliaient à la moindre approche. Je vidais les seaux hygiéniques et tirais les chasses d’eau, car les lieux étaient très peu visités et entretenus par le personnel. Je pensais en cela être suivie par des collègues. Non seulement ce ne fut pas le cas, mais j’observai des moqueries, puis, lorsque je commençai à exprimer ma désapprobation su le travail (ou le non travail), je dus subir beaucoup de mesquineries : changements d’horaires, pertes d’objets, réflexions en tous genres. Je demandai à la hiérarchie (psychologues, surveillants) de venir constater mes observations. Je dus subir encore plus de réactions de la part de mes collègues. Pourtant, la hiérarchie n’ignorait pas la véracité de mes affirmations, et sentant la situation très tendue, ordonna ma mutation dans un autre service de femmes, nettement moins handicapées.

"En six ans, j’ai travaillé dans six services"

En six ans, j’ai ainsi travaillé dans six services très différents. Dans l’établissement, les personnels ne changent guère plus de 2 ou 3 fois de service dans toute leur carrière. Mais mes transmissions consignées dans les cahiers prévus à cet effet dans chaque service n’ont jamais été supportées par mes collègues. Il faut dire que ces cahiers étaient plutôt vides, montrant le peu de temps passé à s’occuper des handicapés.

J’entrai donc au service des Fauvettes en septembre 1993. J’avais été acceptée pour une formation de monitrice éducatrice à l’Institut du travail social de Tours. Aux Fauvettes, les femmes étaient moins victimes de négligence que de violences physiques (fessées sur des personnes de 40 ans, seaux d’eau jetés, gifles, cheveux tirés,…).

L’institut de formation nous demandant des observations sur notre pratique, je crus pouvoir être entendue et épaulée. Hélas, on me fit comprendre qu’il était anti-professionnel de dévoiler ces pratiques, la formation ayant pour but de développer chez les éducateurs "l’esprit de corps".

Un seul formateur s’émut de mes observations, mais on lui fit comprendre qu’il n’était pas dans son rôle d’aider une élève qui n’entrait pas dans la norme (il faut dire que la MDM fournissait généreusement en élèves cet institut). Au moment de l’examen de validation de ces années de formation, un membre du jury, assistante sociale, me dit que ce que j’écrivais était très grave.

J’estimais en effet que mes observations mentionnaient des faits graves qui auraient dû faire l’objet d’enquêtes. Je me trompais : mes écrits étaient trop graves pour moi, ma validation fut refusée.

Lors de mon affectation, en juin 1994, au service des Colombes, considéré comme une des vitrines de Mindin, je fus retenue au bureau du directeur des ressources humaines de 8h45 à 12h3O. En présence d’une surveillante, le directeur déplora des dysfonctionnements au sein de l’établissement, mais selon lui, il ne pouvait jamais intervenir car les syndicats étaient trop forts. Aux Colombes, un éducateur me présenta les malades comme des "pervers et fachos", qu’il convenait de punir. Personne, parmi le personnel présent, ne contesta. J’envoyai une lettre relatant ces faits au psychiatre et à la psychologue, sans réaction. J’acceptais mal les réprimandes et le mépris envers les malades, et le personnel obtint une fois de plus mon éviction.

Au service des Peupliers était hospitalisé un jeune homme, dont la mère a porté plainte quand elle s’aperçut, un week-end, que le slip de son fils était tâché de sang. Réponse de l’établissement : le jeune l’avait cherché, il avait droit à une vie sexuelle, et s’il n’était pas content, il n’avait qu’à porter plainte lui-même. Les plaintes sont rarissimes envers l’établissement : un grand nombre de handicapés sont placés sous la tutelle de l’établissement lui-même, beaucoup dont pas de famille ou ne la voient pas, les familles préfèrent ne pas se mettre en mauvais termes avec l’établissement (il n’y a pas beaucoup de places ailleurs pour les personnes lourdement handicapées), enfin, la plupart des handicapés ont de grosses difficultés à s’exprimer.

Quant à la liberté, c’est vrai que les plus forts ou les plus malins peuvent se servir sur les plus faibles en cigarettes, argent de poche ou sexe.

"Ebranlée, triste, mais décidée a agir"

Stupéfaite dès mon arrivée à Mindin, je fus ébranlée, triste, mais résolue à ne pas quitter cet établissement sans agir.

Je savais que ce ne serait pas facile. Ce fut extrêmement pénible et difficile, je découvris une organisation soudée et impénétrable. J’informai la Ligue des Droits de l’Homme locale, qui organisa une réunion sur Saint Nazaire en présence de responsables de l’établissement. Il fut établi que ce que j’affirmais était réel. Les syndicats présents eurent une attitude odieuse, sauf le délégué CGT, qui témoigna même de ce qu’il avait vécu. Mais par la suite, la CGT se désolidarisa. Il faut dire que, contrairement à FO ou la CFDT, le délégué CGT est en bas de la hiérarchie, et que ce syndicat est le moins fort dans l’établissement. D’autres syndicalistes m’ont reproché mon manque "d’esprit de classe". Quant à la Ligue des Droits de l’Homme, les membres que je contactais ne sont pas sans relations avec la mairie de Saint Nazaire et on m’y dit finalement qu’il "n’était pas vraiment souhaitable de faire des vagues". J’écrivis aussi à la DASS, qui me menaça, et plusieurs lettres détaillées au Procureur, qui ne donna pas suite.

Au fur et à mesure, la répression se faisait plus lourde : pétition du personnel, réflexions en tous genres, injures, notations catastrophiques (ce qui influe sur l’avancement et la retraite) ; on me laissait parfois seule dans un service au mépris de la sécurité . Bien sûr, je n’ai pas pu tenir.

Mes arrêts maladie étaient de plus en plus fréquents. Aujourd’hui, je suis arrêtée pour "état dépressif réactionnel". J’ai aussi écrit à l’inspecteur de la sécurité sociale, qui a transmis mon courrier à son collègue chargé des établissements médicaux et sociaux, mais d’après ce dernier, seule la DASS peut intervenir pour une enquête sérieuse... Celle-là même qui, non seulement, refuse de consulter les documents que je lui indique (cahiers de transmission, dossiers ... ), mais me demande, en plus, de respecter ce qu’elle appelle "l’obligation de réserve".

Maintenant, l’établissement a bien changé du point de vue des locaux, mais la mentalité reste la même. J’ai envoyé une dernière lettre au délégué CGT, lui demandant l’avis de son syndicat sur le manque et la mauvaise répartition du personnel entre services, et sur les critiques faciles de ce personnel contre les plus bas échelons, mais jamais contre certains "thérapeutes" très bien payés qui ne travaillent jamais dans les services et ne parlent même pas aux résidents. Ce courrier n’eut pas de réponse.

Chantal