|
Origine : http://cnt-ait.info/article.php3?id_article=266
TÉMOIGNAGE : BIENVENUE EN MILIEU INHOSPITALIER ...
UN ETABLISSEMENT POUR PERSONNES HANDICAPEES
La Maison Départementale de Mindin (MDM), sur la commune
de Saint Brévin, en Loire-Atlantique, est un établissement
de la fonction publique territoriale à caractère médico-social.
Située à l’estuaire de la Loire, c’est
le plus gros employeur de la région du Pays de Retz.
L’établissement est situé à l’entrée
de la commune, à proximité d’une décharge
et d’un camp pour gens du voyage. En aval, Saint Brévin
les Pins, habité en grande partie par les employés
de l’hospice, puis Saint Brévin l’Océan,
vivant du tourisme. Malgré les 1000 handicapés vivants
sur la commune, la circulation est dangereuse et la voirie inadaptée,
surtout dans le secteur de Mindin, où par exemple, les trottoirs
sont trop étroits pour les fauteuils roulants... Anciennement
Lazaret, puis Hospice jusqu’en 1998, la Maison Départementale
de Mindin a accueilli jusqu’à 1200 handicapés
et employé à peu près autant de personnes.
Jusque dans les années 1970, la différentiation entre
employés et malades n’était pas très
nette, les personnels logeant dans l’établissement
avec leurs familles et les handicapés participant au fonctionnement
de celui-ci. Beaucoup d’adultes, pourtant gravement handicapés,
évoquent encore souvent les enfants dont ils avaient la charge.
D’autre part, il semble que les emplois, à Mindin,étaient
souvent occupés par ce qu’on appellerait aujourd’hui
des "cas sociaux" (alcool). Pour résumer, plusieurs
personnes m’ont rapporté, au cours d’une enquête
dans la région "Quand tu n’étais pas bon
pour travailler à la SNIAS ou aux chantiers, tu pouvais aller
travailler là". Cependant, il ressort aussi des témoignages
que, malgré cette situation, bien des bonnes volontés
ont tenté d’apporter chaleur et humanité dans
cet univers difficile.
Il est important aussi de signaler que cet hospice acceptait toute
personne, quel que soit son handicap, de la naissance à la
mort. Vivaient donc sur ce lieu, en quasi autarcie, des familles
d’employés, de la direction, des religieuses (il n’y
en a plus aujourd’hui) et des malades mentaux : des personnes
souffrant de troubles très légers et d’autres,
très lourdement atteintes ou poly-handicapées. Le
site s’est progressivement ouvert et le personnel a cessé
de résider sur les lieux, mais la plupart habite maintenant
dans les environs immédiats. Il reste que ce personnel est
composé d’individus très proches : voisins,
: parents, conjoints, enfants... Jusque dans les années 1980,
le personnel spécialisé était quasi inexistant
quelques passages de médecins généralistes
ou psychiatres, quelques infirmiers et aides soignants. Difficile
de savoir quels ont été les critères retenus
pour les postes à responsabilité : chefs de services,
surveillants, directeurs... Il court des rumeurs étonnantes
sur le sujet. Peu à peu, on a formé du personnel hors
site et sur site en ce qui concerne les aides soignants, les aides
médico-psychologiques et les moniteurs éducateurs.
"Embauchée comme aide médico-psychologique"
J’ai été embauchée comme aide médico-psychologique
en 1992 à la MDM. Quatre psychologues, des éducateurs,
du personnel spécialisé travaillaient déjà
dans l’établissement, composé d’une trentaine
de pavillons. Certains de ces pavillons n’étaient que
des taudis délabrés aux grandes salles moisies, mal
chauffées et très sales. Ces secteurs ne recevaient
aucune visite de l’encadrement, médecins, surveillants
et psychologues pénétrant rarement dans ces pavillons
et encore, ne s’aventuraient-ils qu’à quelques
mètres de l’entrée, ou dans le bureau. Ce qui
servait de logement aux handicapés n’était pas
visité. Dans ces pavillons vivaient les handicapés
les plus lourds : les plus "bas niveaux". Résultat
: côté personnel, on fait valoir sa carte syndicale,
sa relation avec la hiérarchie, son diplôme... pour
être employé dans les "bons services", c’est
à dire avec les "meilleurs niveaux".
J’entrai donc le 21 décembre 1992 dans la "salle
de vie" du pavillon des Courlis où j’étais
affectée. Une vingtaine de jeunes femmes déambulaient
dans la pièce ; elles se bousculaient un peu lorsqu’elles
se rencontraient, les plus craintives ou les plus mal portantes
restaient au sol pour ne pas être renversées. Certaines
semblaient vouloir exprimer quelque chose, d’autres se protégeaient
le visage de leurs bras dès que quelqu’un s’approchait
d’elles. Toutes attendaient les seuls moments satisfaisants
de la journée : les repas. Dans l’office, les employés
conversaient, jouaient aux mots croisés, ou renouvelaient
sans fin les mêmes farces (envoi d’eau dans le cou,
chaises mouillées ... ). Il fallait tout de même surveiller
l’arrivée improbable d’un éventuel supérieur
hiérarchique...
Malgré ce spectacle affligeant et les nombreuses histoires
qui se racontaient (personnel venant faire acte de présence
le matin et partant à la pêche, ouvrier surpris culotte
baissée dans les toilettes avec une malade, dent d’n
pensionnaire cassée à coups de poings, malades enfermés
dans des sacs à linge sale qu’on faisait tournoyer,
coups sur les verges des pensionnaires s’ils avaient une érection
sur la chaise percée ... ), j’envisageais de faire
mon travail, avec la crainte de ne pas être à la hauteur
: on m’avait tant enseigné sur les méthodes
éducatives !
Je profitais des pauses interminables pour accompagner les handicapées.
Dans ce pavillon, les cas étaient lourds, les femmes ne possédaient
pas le langage, la relation passait par les gestes autant que par
les mots, qui se voulaient rassurants... Je tentais en particulier
de rassurer certaines femmes qui étaient sur la défensive
et se repliaient à la moindre approche. Je vidais les seaux
hygiéniques et tirais les chasses d’eau, car les lieux
étaient très peu visités et entretenus par
le personnel. Je pensais en cela être suivie par des collègues.
Non seulement ce ne fut pas le cas, mais j’observai des moqueries,
puis, lorsque je commençai à exprimer ma désapprobation
su le travail (ou le non travail), je dus subir beaucoup de mesquineries
: changements d’horaires, pertes d’objets, réflexions
en tous genres. Je demandai à la hiérarchie (psychologues,
surveillants) de venir constater mes observations. Je dus subir
encore plus de réactions de la part de mes collègues.
Pourtant, la hiérarchie n’ignorait pas la véracité
de mes affirmations, et sentant la situation très tendue,
ordonna ma mutation dans un autre service de femmes, nettement moins
handicapées.
"En six ans, j’ai travaillé dans six
services"
En six ans, j’ai ainsi travaillé dans six services
très différents. Dans l’établissement,
les personnels ne changent guère plus de 2 ou 3 fois de service
dans toute leur carrière. Mais mes transmissions consignées
dans les cahiers prévus à cet effet dans chaque service
n’ont jamais été supportées par mes collègues.
Il faut dire que ces cahiers étaient plutôt vides,
montrant le peu de temps passé à s’occuper des
handicapés.
J’entrai donc au service des Fauvettes en septembre 1993.
J’avais été acceptée pour une formation
de monitrice éducatrice à l’Institut du travail
social de Tours. Aux Fauvettes, les femmes étaient moins
victimes de négligence que de violences physiques (fessées
sur des personnes de 40 ans, seaux d’eau jetés, gifles,
cheveux tirés,…).
L’institut de formation nous demandant des observations sur
notre pratique, je crus pouvoir être entendue et épaulée.
Hélas, on me fit comprendre qu’il était anti-professionnel
de dévoiler ces pratiques, la formation ayant pour but de
développer chez les éducateurs "l’esprit
de corps".
Un seul formateur s’émut de mes observations, mais
on lui fit comprendre qu’il n’était pas dans
son rôle d’aider une élève qui n’entrait
pas dans la norme (il faut dire que la MDM fournissait généreusement
en élèves cet institut). Au moment de l’examen
de validation de ces années de formation, un membre du jury,
assistante sociale, me dit que ce que j’écrivais était
très grave.
J’estimais en effet que mes observations mentionnaient des
faits graves qui auraient dû faire l’objet d’enquêtes.
Je me trompais : mes écrits étaient trop graves pour
moi, ma validation fut refusée.
Lors de mon affectation, en juin 1994, au service des Colombes,
considéré comme une des vitrines de Mindin, je fus
retenue au bureau du directeur des ressources humaines de 8h45 à
12h3O. En présence d’une surveillante, le directeur
déplora des dysfonctionnements au sein de l’établissement,
mais selon lui, il ne pouvait jamais intervenir car les syndicats
étaient trop forts. Aux Colombes, un éducateur me
présenta les malades comme des "pervers et fachos",
qu’il convenait de punir. Personne, parmi le personnel présent,
ne contesta. J’envoyai une lettre relatant ces faits au psychiatre
et à la psychologue, sans réaction. J’acceptais
mal les réprimandes et le mépris envers les malades,
et le personnel obtint une fois de plus mon éviction.
Au service des Peupliers était hospitalisé un jeune
homme, dont la mère a porté plainte quand elle s’aperçut,
un week-end, que le slip de son fils était tâché
de sang. Réponse de l’établissement : le jeune
l’avait cherché, il avait droit à une vie sexuelle,
et s’il n’était pas content, il n’avait
qu’à porter plainte lui-même. Les plaintes sont
rarissimes envers l’établissement : un grand nombre
de handicapés sont placés sous la tutelle de l’établissement
lui-même, beaucoup dont pas de famille ou ne la voient pas,
les familles préfèrent ne pas se mettre en mauvais
termes avec l’établissement (il n’y a pas beaucoup
de places ailleurs pour les personnes lourdement handicapées),
enfin, la plupart des handicapés ont de grosses difficultés
à s’exprimer.
Quant à la liberté, c’est vrai que les plus
forts ou les plus malins peuvent se servir sur les plus faibles
en cigarettes, argent de poche ou sexe.
"Ebranlée, triste, mais décidée
a agir"
Stupéfaite dès mon arrivée à Mindin,
je fus ébranlée, triste, mais résolue à
ne pas quitter cet établissement sans agir.
Je savais que ce ne serait pas facile. Ce fut extrêmement
pénible et difficile, je découvris une organisation
soudée et impénétrable. J’informai la
Ligue des Droits de l’Homme locale, qui organisa une réunion
sur Saint Nazaire en présence de responsables de l’établissement.
Il fut établi que ce que j’affirmais était réel.
Les syndicats présents eurent une attitude odieuse, sauf
le délégué CGT, qui témoigna même
de ce qu’il avait vécu. Mais par la suite, la CGT se
désolidarisa. Il faut dire que, contrairement à FO
ou la CFDT, le délégué CGT est en bas de la
hiérarchie, et que ce syndicat est le moins fort dans l’établissement.
D’autres syndicalistes m’ont reproché mon manque
"d’esprit de classe". Quant à la Ligue des
Droits de l’Homme, les membres que je contactais ne sont pas
sans relations avec la mairie de Saint Nazaire et on m’y dit
finalement qu’il "n’était pas vraiment souhaitable
de faire des vagues". J’écrivis aussi à
la DASS, qui me menaça, et plusieurs lettres détaillées
au Procureur, qui ne donna pas suite.
Au fur et à mesure, la répression se faisait plus
lourde : pétition du personnel, réflexions en tous
genres, injures, notations catastrophiques (ce qui influe sur l’avancement
et la retraite) ; on me laissait parfois seule dans un service au
mépris de la sécurité . Bien sûr, je
n’ai pas pu tenir.
Mes arrêts maladie étaient de plus en plus fréquents.
Aujourd’hui, je suis arrêtée pour "état
dépressif réactionnel". J’ai aussi écrit
à l’inspecteur de la sécurité sociale,
qui a transmis mon courrier à son collègue chargé
des établissements médicaux et sociaux, mais d’après
ce dernier, seule la DASS peut intervenir pour une enquête
sérieuse... Celle-là même qui, non seulement,
refuse de consulter les documents que je lui indique (cahiers de
transmission, dossiers ... ), mais me demande, en plus, de respecter
ce qu’elle appelle "l’obligation de réserve".
Maintenant, l’établissement a bien changé du
point de vue des locaux, mais la mentalité reste la même.
J’ai envoyé une dernière lettre au délégué
CGT, lui demandant l’avis de son syndicat sur le manque et
la mauvaise répartition du personnel entre services, et sur
les critiques faciles de ce personnel contre les plus bas échelons,
mais jamais contre certains "thérapeutes" très
bien payés qui ne travaillent jamais dans les services et
ne parlent même pas aux résidents. Ce courrier n’eut
pas de réponse.
Chantal
|