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Envie d'en découdre avec la misère et l'injustice.
Envie de solidarité et envie d'exister par la solidarité.
C'est gratuit, mais on aimerait tant aussi que ce soit gratifiant.
Pour des tas de gens lobotomisés par les media de masse (TF1,
mais aussi le soi-disant "service public" de la télévision
qui court après les chaînes privées), nous apparaissons
parfois comme des bêtes curieuses (voir ces regards étranges,
presque bovins, quand nous manifestons en ville le samedi après-midi)
: va pourtant falloir qu'ils/elles s'habituent.
Pour d'autres, un peu plus conscients des horreurs qui nous entourent,
l'époque est malgré tout à la démerde
individuelle. A l'occasion d'un tract ou d'une prise de position,
ils/elles nous diront que c'est intéressant ce qu'on écrit
ou ce qu'on dit, pour tout de suite partir sur un discours complètement
individualiste du genre "c'est bien mais c'est vain : on ne peut
compter que sur soi".
Distancions-nous, mais de quoi ?
D'ailleurs, je ne sais pas si vous avez remarqué : la plupart
des "intellectuels critiques", forts en version latine
et en géométrie descriptive de la société,
arrivent à la conclusion que l'important est de se "distancier".
(Cf le bouquin à la mode de Corinne Maier, cadre à
EDF "Bonjour paresse, de l'art et de la nécessité
d'en faire le moins possible en entreprise").
Les constats genre "monde diplo" sont sans appel, mais
les propositions sont plates. Au final, toujours une posture hédoniste
(profitons de la vie, point barre) et individualiste (mon nombril,
mon réseau de sociabilité, ma bulle).
Profiter de la vie, pas de problème : nous aussi, on sait
faire. Mais enfin merde : la société du capitalisme
réel est franchement abjecte. Alors, nous avons l'envie impérieuse
de lui rentrer dans le lard. Ce ne sont pas les sujets qui manquent
(l'exploitation économique, le sort réservé
aux peuples du Sud, la Palestine, l'Irak, l'abandon de centaines
de millions d'individus qui meurent de famine et de maladie parce
qu'ils/elles ne sont pas "solvables", les victimes de
la folie religieuse, les "sans" qui survivent comme ils/elles
peuvent dans notre bel occident, etc).
En bref, il y a bien des combats à mener et sûrement
pas de parodies du genre "libération des nains de jardins".
Et la répression de frapper.
Révolté/e/s nous sommes. Comme les armes à
feu ne nous intéressent pas, c'est avec d'autres armes que
nous luttons contre l'injustice. L'arme de la solidarité
et des combats collectifs. Mais même celles-ci ne sont pas
admises par le Pouvoir : c'est encore trop.
Contre la liberté d'expression : allez donc dire que les
pratiques policières sont dignes de Vichy ou faites un bras
d'honneur au passage d'un convoi ministériel… Sarkozy
vous tombe dessus et porte plainte pour outrage.
Contre l'exercice de la solidarité : allez donc résister
contre les forces de l'ordre pour entraver leur action d'expulsion,
la Justice vous condamne comme le fut Charles Hoarau en 2000, militant
syndical marseillais. Non satisfait, le système politico-administrato-sécuritaro-judiciaire
exige qu'il vienne donner son profil génétique (des
fois qu'il radicaliserait son action en devenant un vrai hors-la-loi).
Et les deux militants de Calais dont nous parlions le mois dernier
: "coupables" de solidarité envers les migrants
(avoir hébergé des "clandestins" et servi
de prête-nom pour qu'ils puissent recevoir des mandats) ,
Jean-Claude Lenoir et Charles Frammezelle dit Moustache (du collectif
calaisien C'Sur) ont finalement été condamnés
tout en étant dispensés de peine. Désormais,
Moustache continue à voir les réfugiés et participe
aux distributions alimentaire. "Par contre je n'héberge
plus de réfugiés : une condamnation ça suffit".
Qui pourrait l'en blâmer ?
La répression s'exerce aussi sur le terrain symbolique.
Non content de frapper les militants par des poursuites judiciaires,
il les frappe aussi symboliquement.
Nous sommes loin du mythe entretenu d'une justice apaisée
et apaisante, "qui dit le Droit". De même que la
prison n'est pas seulement une privation de liberté, mais
bien une oppression qui prend la tête.
Donc, non content de "rappeler à l'ordre", la Justice
doit enfoncer le clou par l'humiliation. Héberger des sans-papiers
sans abri serait trop noble et risquerait d'entraîner la sympathie
du public pas toujours si lobotomisé que ça. Il faut
donc pour le Pouvoir dramatiser, mettre en scène ce délit
bénin et le transformer en crime de complicité de
trafic d'humains, ce qui nous transforme en salauds. Rappelons-nous
l'enquête dont fut l'objet le Gasprom au printemps dernier
et la tentation de la justice et de la police de nous charger du
délit de complicité de proxénétisme.
Et l'ASTI d'Orléans, dont l'existence est aujourd'hui menacée,
est accusée publiquement d'être responsable d'une hausse
de l'insécurité dans le département du Loiret.
Et l'humiliation, ça ne s'oublie pas. Moi-même, je
garde un très mauvais souvenir de ce juge moustachu me posant
des questions en rafale, lors de notre procès en septembre
1996. "Bub-bub", ai-je répondu en eskimo, car je
connais aussi cette langue.
Pendant ce temps, les puissants soignent leur image !
Mais ça coince quand des "leaders d'opinion" se
font passer pour de grands humanistes : Chirac faisant le mariole
sur le thème de la fracture sociale en 1995 ou en ce mois
de septembre 2004 paradant aux côtés de Lula, président
brésilien, pour plaider en faveur d'une taxe mondiale contre
la pauvreté. Il y a une tradition française (Mitterrand,
Chirac) de multiplier les discours internationaux généreux,
qui ne mangent pas de pain et qui ne seront jamais suivis d'effets,
les pays riches, dont la France, faisant le contraire de ce qu'ils
prétendent (effet de serre, commerce des armes, soutien à
des régimes dictatoriaux et criminels ou à des filières
terroristes, spoliation des richesses du Sud, etc).
Mais la palme de la démagogie revient au nouveau ministre
de l'intérieur, Dominique de Villepin. Côté
pile, il applique sans état d'âme une politique sarkozienne
très sécuritaire et expéditive concernant les
sans-papiers et demandeurs d'asile. Dans la rivalité sourde
qui oppose Chirac et Sarkozy, de Villepin est chargé par
le premier de démontrer qu'il n'y a pas besoin de Sarkozy
au Ministère de l'Intérieur pour mener une politique
ultra-sécuritaire.
Côté face, monsieur de Villepin se veut ami des arts
et des lettres et sort en 2003 un bouquin salué par la critique
littéraire : "Eloges des voleurs de feu" (édité
chez NRF Gallimard, s'il vous plaît), "témoignage
d'un fou de poésie" : "en tout lieu et en tout
temps, un poète se lèvera pour défier les dieux
et les pouvoirs, pour vivre intensément et faire entendre
le son de la vie" . C'est qu'il a du talent, mon cochon. Amis
sans-papiers, il faudra lui demander la prochaine fois que vous
le verrez : "poète, des papiers !".
Mais revenons à l'essentiel : la rage et les moyens
de l'exprimer !
Donc, nous avons du pain sur la planche : réussir dans nos
entreprises militantes nécessite aussi de bien mettre en
valeurs nos idéaux et expliquer notre démarche. Cette
démarche, pour réussir, est à relier à
celle d'autres mouvements de lutte.
"Il ne suffit pas d'avoir raison sur ce qui ne va pas dans
la société et de savoir pourquoi il en est ainsi.
Même la capacité de diffuser cette analyse sur de vastes
auditoires ne suffit pas. Nos mouvements doivent à tout prix
articuler avec plus de clarté leurs objectifs et leur stratégie
de manière à garder leur mission, leur confiance,
leur identité et leur intégrité devant la critique"
(Michael Albert, militant de la gauche radicale américaine,
"L'élan du changement, stratégies nouvelles pour
transformer la société", écosociété
éditions, 2003).
En pratique, ça donne quoi ? Je ne peux répondre seul
à cette question.
H un miltant de la région nantaise
Fin Septembre 2004
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