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Origine :
http://www.efj.fr/article.php3?id_article=181
Alors que le gouvernement Villepin s’interroge sur les réponses
à apporter au malaise des banlieues, un essai de l’Américain
Mike Davis brosse un portrait peu réjouissant de l’évolution
de Los Angeles post-Rodney King.
Le modèle français ne fait plus rêver, mais
qui veut du cauchemar californien ? Les manifestations musclées
de novembre dernier ont remis en cause trois décennies de
politique de la ville en France. Pourtant, l’essayiste américain
Mike Davis dresse dans « Au-delà de Blade Runner »
un bilan si inquiétant de l’évolution de Los
Angeles après les émeutes de 1992, que la République
en panne d’idées serait bien inspirée de ne
pas céder aux sirènes californiennes.
La Cité des Anges face à ses démons
Chez Homère, les sirènes sont cannibales. Elles dévorent
ceux qui succombent à leur chant. Et à lire Mike Davis,
les sirènes qui ont pour nom peur de l’autre et obsession
sécuritaire ont déchiqueté le vivre ensemble
de Los Angeles depuis 1992. « Est-il vraiment besoin d’expliquer
pourquoi la peur ronge l’âme de Los Angeles ? Seule
la peur de l’impôt progressif chez la classe moyenne
surpasse l’obsession actuelle pour la sécurité
personnelle et l’isolation sociale », écrit Davis.
Chiffres et arguments à l’appui, l’auteur décrypte
les mécanismes d’une triple ségrégation,
spatiale, sociale et ethnique, à l’œuvre dans
la mégapole de la côte Pacifique. Un phénomène
qui s’est installé alors que le Los Angeles Police
Department est devenu au cours des quinze dernières années
bien plus que le garant de l’ordre public, mais un acteur
incontournable de la politique urbaine.
To live and die in LA
Les banlieues les plus riches recourent à des forces de
police privées et se protègent à l’aide
de barrières. Quant à la classe moyenne, elle travaille
de concert avec la police par l’intermédiaire du système
du Neighborhood Watch, ou surveillance du voisinage. Il s’agit
« d’un immense réseau de voisins attentifs »
qui scrutent les comportements suspects et alertent immédiatement
les policiers de patrouille, qu’ils rencontrent régulièrement.
« De Seattle à Londres, le concept (...) a fait des
émules dans des centaines de villes nord-américaines
et européennes », affirme l’auteur.
Reléguées dans des quartiers qui manquent de tout,
calfeutrées derrière leurs fenêtres hérissées
de barreaux en fer, les populations pauvres et immigrées
sont la proie du chômage, des services de l’immigration
et des gangs de rue. Le tout sur fond de crimes racistes perpétrés
par des groupuscules néo-nazis, au point que Mike Davis parle
de « guerre raciale de faible intensité ».
La démocratie vacillante
Les conséquences politiques d’une si vive tension
urbaine sont désastreuses. Pour l’auteur, c’est
le pacte démocratique américain qui vacille sur ses
bases. « L’incapacité des hommes politiques à
prendre en compte, ou même simplement comprendre, la gravité
du malaise des banlieues explique pour beaucoup la rage populiste
qui met en ce moment en péril le statu quo bipartite [entre
Républicains et Démocrates, NdR]. L’Amérique
semble se déliter en son centre moral traditionnel, la périphérie
urbaine », relève Mike Davis.
Ca vous rappelle quelque chose, les présidentielles françaises
de 2002 peut-être... Gageons que d’ici 2007 la société
aura su neutraliser le délitement qui menace aussi la République.
Au-delà de Blade Runner. Los Angeles et l’imaginaire
du désastre. Mike Davis. Editions Allia. 6,10€.
Pour aller plus loin :
Crash. Un film de Paul Haggis. 2005.
Los Angeles. Expostion au Centre Pompidou du 8 mars au 17 juillet
2006.
Article rédigé par Mathieu Mabille
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