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Regards croisés sur la crise des banlieues
Le contre-exemple californien
vendredi 3 mars 2006.

Origine : http://www.efj.fr/article.php3?id_article=181

Alors que le gouvernement Villepin s’interroge sur les réponses à apporter au malaise des banlieues, un essai de l’Américain Mike Davis brosse un portrait peu réjouissant de l’évolution de Los Angeles post-Rodney King.

Le modèle français ne fait plus rêver, mais qui veut du cauchemar californien ? Les manifestations musclées de novembre dernier ont remis en cause trois décennies de politique de la ville en France. Pourtant, l’essayiste américain Mike Davis dresse dans « Au-delà de Blade Runner » un bilan si inquiétant de l’évolution de Los Angeles après les émeutes de 1992, que la République en panne d’idées serait bien inspirée de ne pas céder aux sirènes californiennes.

La Cité des Anges face à ses démons

Chez Homère, les sirènes sont cannibales. Elles dévorent ceux qui succombent à leur chant. Et à lire Mike Davis, les sirènes qui ont pour nom peur de l’autre et obsession sécuritaire ont déchiqueté le vivre ensemble de Los Angeles depuis 1992. « Est-il vraiment besoin d’expliquer pourquoi la peur ronge l’âme de Los Angeles ? Seule la peur de l’impôt progressif chez la classe moyenne surpasse l’obsession actuelle pour la sécurité personnelle et l’isolation sociale », écrit Davis. Chiffres et arguments à l’appui, l’auteur décrypte les mécanismes d’une triple ségrégation, spatiale, sociale et ethnique, à l’œuvre dans la mégapole de la côte Pacifique. Un phénomène qui s’est installé alors que le Los Angeles Police Department est devenu au cours des quinze dernières années bien plus que le garant de l’ordre public, mais un acteur incontournable de la politique urbaine.

To live and die in LA

Les banlieues les plus riches recourent à des forces de police privées et se protègent à l’aide de barrières. Quant à la classe moyenne, elle travaille de concert avec la police par l’intermédiaire du système du Neighborhood Watch, ou surveillance du voisinage. Il s’agit « d’un immense réseau de voisins attentifs » qui scrutent les comportements suspects et alertent immédiatement les policiers de patrouille, qu’ils rencontrent régulièrement. « De Seattle à Londres, le concept (...) a fait des émules dans des centaines de villes nord-américaines et européennes », affirme l’auteur.
Reléguées dans des quartiers qui manquent de tout, calfeutrées derrière leurs fenêtres hérissées de barreaux en fer, les populations pauvres et immigrées sont la proie du chômage, des services de l’immigration et des gangs de rue. Le tout sur fond de crimes racistes perpétrés par des groupuscules néo-nazis, au point que Mike Davis parle de « guerre raciale de faible intensité ».
La démocratie vacillante

Les conséquences politiques d’une si vive tension urbaine sont désastreuses. Pour l’auteur, c’est le pacte démocratique américain qui vacille sur ses bases. « L’incapacité des hommes politiques à prendre en compte, ou même simplement comprendre, la gravité du malaise des banlieues explique pour beaucoup la rage populiste qui met en ce moment en péril le statu quo bipartite [entre Républicains et Démocrates, NdR]. L’Amérique semble se déliter en son centre moral traditionnel, la périphérie urbaine », relève Mike Davis.
Ca vous rappelle quelque chose, les présidentielles françaises de 2002 peut-être... Gageons que d’ici 2007 la société aura su neutraliser le délitement qui menace aussi la République.


Au-delà de Blade Runner. Los Angeles et l’imaginaire du désastre. Mike Davis. Editions Allia. 6,10€.

Pour aller plus loin :
Crash. Un film de Paul Haggis. 2005.
Los Angeles. Expostion au Centre Pompidou du 8 mars au 17 juillet 2006.

Article rédigé par Mathieu Mabille