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Origine http://www.fluctuat.net/imprimer.php3?id_article=2916
Usant d’une prose brillante de chroniqueur, l’américain
Mike Davis réinjecte une bonne dose de réel dans la
chair flasque des essais sociologiques, entremêlant intelligemment,
travail d’investigation,analyse sociologique et données
politiques. Avec « Au-delà de Blade Runner »
l’atypique sociologue repeint le rêve californien en
cauchemar déréalisé.
Sport préféré du pouvoir à LA. ? Le
glissement sémantique permanent. Ce sport consiste en l’abus
de pouvoir du langage. Les règles sont simples : tordre la
rhétorique jusqu’à la vider de sa substance.
Par exemple, « Reconstruire L.A » veut simplement dire
consolider le bunker ». Ce glissement généralisé
permet de lisser les aspérités de la réalité.
De manière plus trivial cela revient à vous passer
gentiment de la vaseline pour mieux vous sodomiser. Mais l’effet
est toujours le même. Violent.
(JPEG) Avec Au-delà de Blade Runner Los Angeles et l’imagination
du désastre, Mike Davis, fait des émeutes de 1992
à Los Angeles (l’affaire Rodney King) le point nodal
de ses analyses d’où partent toute une série
de ramifications éclairantes sur le délitement actuel
de cette ville. Délitement souhaité, voulu, nourri
et alimenté par les différentes strates hiérarchiques
du pouvoir. Et ce, quels que soient les décennies. Pourquoi
? Parce qu’« il n’y a aucun espoir de voir les
investissements publics augmenter dans le but d’améliorer
les conditions sociales... » et qu’il faut donc «
consacrer de plus en plus d’argent public et privé
à la sécurité des personnes ». Au-delà
de Blade Runner reprend la méthode déjà utilisée
dans l’indispensable City Of quartz(1990), à savoir,
une méthode atypique mais ô combien salutaire où
s’entrecroisent, se mêlent, s’interrogent : travail
d’investigation sur le terrain, nombreuses interviews, et
analyses circonstanciées. Pour, au final, présenter
un essai qui tient à la fois des domaines sociologique, urbanistique,
politique et économique.
Le retranchement des classes sociales
La question qui hante Mike Davis est celle du Comment : Comment
se met en place une politique sécuritaire et comment elle
s’entretient ? Pour déplier tout le processus, et entrevoir,
derrière tous ces arcanes entremêlés, l’exclusion
et la répression à l’œuvre, Mike Davis
articule son travail en trois temps.
Premier temps, qui part de l’introduction,où il explique
qu’il faut dépasser l’image « d’une
cité urbaine labyrinthique, grouillante et malodorante »
dont le film Blade Runner serait le héraut, pour se clore
au chapitre six. L’auteur y décrit,avec une cinglante
acuité, la ghettoïsation de certains quartiers et le
retranchement des classes sociales sur elles-mêmes.
Deuxième temps, le temps fort, la question de la déréalisation
de la ville (chapitre 7),titré : « Univers parallèle
». Pour Mike Davis, Los Angeles, ou plutôt son idéalisation,
étant devenue le sujet de la simulation et de la caricature,
elle est source d’enjeux financiers importants où l’industrie
du tourisme culturel, surfant sur le mythe hollywoodien pourtant
bien dégradé, fait tourner à plein régime
« la machinerie de l’irréalité ».
Conséquence immédiate, le réel s’évapore
de plus en plus au profit d’une simulation accrue.
Enfin, troisième temps, les trois derniers chapitres, qui
montrent les conséquences néfastes déjà
à l’oeuvre au milieu de toute cette surenchère
sécuritaire : guerre raciale de faible intensité,
état californien propriétaire du troisième
système pénitentiaire du monde...et, en ligne de mire,
un nombre de construction plus importante de cellules que de salles
de classe.
Comme le demande un historien américain, cité par
Mike Davis, « Sommes-nous arrivés à ce point
de renoncement de la réalité de la ville de Los Angeles
que nous ayons besoin d’un tel niveau de contrôle social
pour tout ce qui se rapproche de l’expérience urbaine
? ». La réponse semble déjà comprise
dans la question.
Sommaire du dossier :
- Los Angeles, naissance d’une capitale artistique(expo)
- Le cinéma made in Los Angeles (cinema)
- Morphosis s’expose à Beaubourg (architecture)
- Mike Davis : précis de décomposition urbaine (essai)
Au-delà de Blade Runner. Los Angeles et l’imagination
du désastre. Traduit de l’anglais par Arnaud Pouillot,
Allia, 150 pp., 6,10 €.
Sébastien Lecordier
P.S. Sur le web - Mike Davis interrogé (en anglais) sur
l’ouragan Katrina (in socialist worker)
http://www.fluctuat.net/imprimer.php3?id_article=2916
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