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Origine : http://www.pourlarepubliquesociale.org/article/articleview/287/1/81/
Au-delà de Blade Runner, Los Angeles et l’imaginaire
du désastre. Je croyais qu’il s’agissait d’un
de ces livres de science-fiction dépeignant le futur apocalyptique
d’une ville soumise au chaos par ceux qui maîtrisent
la technologie. Mais l’objet du livre est bien différent.
En fait, l’auteur propose un éclairage nouveau sur
les évolutions urbaines et les formes de violences qui leur
sont associées : violence symbolique résultant de
l’exclusion et de la stigmatisation des populations des quartiers
populaires mais aussi violences réelles, physiques, subies
et parfois données. Pour lui, l’avenir n’est
peut être qu’une accentuation des logiques déjà
visibles aujourd’hui. Los Angeles est un véritable
laboratoire social et urbanistique. Ses évolutions peuvent
donc préfigurer celles de nos villes occidentales et même
temps, nous incitent à réfléchir sur les politiques
menées en France.
Pouvons-nous réfléchir sur la situation des quartiers
populaires français, après les révoltes urbaines
de novembre 2005, sans avoir une réflexion plus large sur
les évolutions urbaines en général et sur celles
venues des Etats-Unis en particulier ? N’est-on pas en train
d’assister partout au passage de la cosmopolis (ville cosmopolite,
ouverte sur le monde) à la claustropolis (ville repliée
sur elle-même où les populations se regroupent selon
leur appartenance sociale et ethnique) ?
Actuellement, Los Angeles est prise d’une obsession sécuritaire.
Les mesures de surveillance se multiplient, la vidéosurveillance
équipe des quartiers entiers (scanscape), les compagnies
de sécurité envahissent l’espace public, de
véritables milices privées se constituent afin que
les belles personnes se sentent en sécurité. L’obsession
sécuritaire et la peur des pauvres se traduisent dans la
manière d’aménager l’espace. La ghettoïsation
des plus pauvres est donc autant une résultante de cette
obsession sécuritaire qu’un choix politique assumé.
Les plus riches cherchent à se bunkeriser dans des quartiers
de très haute surveillance, fermés sur l’extérieur
(gated communities). Force est donc de constater la destruction
de toute mixité sociale par un cloisonnement des populations,
soit dans des quartiers protégés, soit dans des quartiers
laissés à l’abandon où les gangs assurent
un ordre précaire, instable et violent. Les interactions
entre les formes urbaines et la violence sont donc nombreuses et
complexes. Ce constat posé dès les premières
pages, m’a donc stimulé pour lire la suite.
La dénonciation de la criminalisation de la pauvreté
est indéniablement au cœur de l’ouvrage. Mais
Mike Davis va plus loin. Partons d’un constat simple : les
séries policières diffusées à la télé
comme les médias dominants occultent totalement les problèmes
ethniques et le racisme. Or, les groupuscules néo-nazis pullulent
tout comme leurs crimes qui sont en nette augmentation. Mécanicien
chez Volkswagen, Robinson a été tué en août
1995 par des Skinheads. Il n’y a pas si longtemps, sa mort
aurait pu être qualifiée de lynchage mais aujourd’hui,
l’auteur préfère évoquer une guerre raciale
de faible intensité.
Suite à l’assassinat de Rodney King par des policiers
en 1992, cette guerre s’est radicalisée. Le meurtre
avait été filmé puis diffusé sur les
écrans de télévision. Mais ces insurrections
urbaines ont été guidées par la faim et la
désillusion plus que par la colère suscitée
par l’acquittement des policiers. Crise industrielle, coupes
dans les allocations chômage et la couverture maladie, réduction
du budget des écoles (les maigres ressources disponibles
servent à la fortification des écoles et à
la location de forces de sécurité armée) :
triste tableau de cette autre Amérique, celle que l’on
ne montre pas. Les populations ont alors dévasté les
supermarchés et les commerces du quartier. La réaction
officielle à cette émeute du pain fut la plus grande
opération de « rétablissement de l’ordre
public. Cette criminalisation du social ne surprend plus puisque
précisément cette politique est reprise par le gouvernement
de Sarkozy. Elle pourrait même être le cheval de bataille
d’une candidate socialiste (non déclarée et
non désignée…).
En France, la politique libérale de la ville et le vent
sécuritaire soufflant des Etats-Unis pourraient bien tout
emporter sur son passage. Non, « la crise des banlieues »
n’était un épiphénomène. Pis,
les causes qui ont laissé éclater la violence sont
toujours présentes. La colère des quartiers populaires
doit trouver une expression politique alternative. Ce livre nous
indique les chemins à ne pas suivre.
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