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Origine : http://alternatives-international.net/article76.html
Un bidonville des environs de Buenos Aires est, peut-être,
le lieu au monde qui possède le pire fenshui [1] : il est
édifié « sur un ancien lac, une décharge
et un cimetière et se trouve dans une zone inondable ».
De sorte qu’un habitat de ce type ne peut qu’être
qualifié d’endroit dangereux et potentiellement nuisible
pour la santé. Il en est de même pour un quartier édifié
de façon précaire sur des poteaux en bois plantés
dans les excréments du Rio Pasig, à Manille, ou pour
un bustee [bidonville] de Vijayaanada (Inde), où «
les résidents, assurés que chaque année les
inondations démoliront leur habitation, ont non seulement
peint les numéros de leurs maisons sur les portes mais aussi
sur chacun de leurs meubles ».
Extrait de l’ouvrage à paraître en septembre
2006 Le Pire des mondes possibles [*]
Les occupants de ces endroits échangent leur sécurité
physique et leur santé contre quelques mètres carrés
de terre et une certaine immunité contre l’expulsion.
Ce sont des pionniers conquérant des marais, des lits de
rivières inondables, des versants de volcans, des montagnes
d’immondices, des décharges de produits chimiques et
des extrémités désertiques. Au cours d’une
visite à Dacca, Jerey Seabroke a décrit comment une
petite banlieue - « un refuge pour les gens déplacés
par l’érosion du sol, par des cyclones, par des inondations,
par des famines, ou par le principal créateur d’insécurité,
le développement » - a trouvé une sorte de compromis
faustien dans une saillie rocheuse précaire encastrée
entre une usine toxique et un « lac pollué ».
Précisément à cause de sa condition d’extrême
insalubrité, cet endroit n’offre aucune attraction
et « est à l’abri de la hausse des prix des terrains
de la ville ». Des endroits comme celui-là sont des
niches de pauvreté à l’intérieur de l’espace
urbain, et les gens sans le sou n’ont pas d’autre choix
que d’accepter de vivre dans ces conditions désastreuses.
Les banlieues commencent là où la géologie
devient impossible. Par exemple, les fourmilières de bidonvilles
qui inondent la périphérie de Johannesburg s’élèvent
inexorablement sur une ceinture de sols dolomitiques instables pollués
par des décennies d’excavations minières. Au
moins la moitié de la population non blanche de la région
vit dans des installations construites sur des zones de déchets
toxiques avec des risques élevés d’affaissement.
De la même façon, les sols argileux des collines sur
lesquels sont érigées les favelas de Belo Horizonte
et d’autres villes brésiliennes sont sujettes aux affaissements
et aux glissements de terrain. Les fameuses favelas de Rio de Janeiro
sont construites sur des sols également instables composés
de voûtes et de collines granitiques qui s’écroulent
fréquemment, parfois avec des résultats véritablement
tragiques : 2 000 morts dans des éboulements de décombres
en 1966-1967, 200 en 1988 et 70 à Noël 2001.
Cependant, géologiquement parlant, il n’y a pas d’endroit
sur la terre qui cumule davantage de risques que le sol de Caracas.
Les deux tiers de la population vit dans des quartiers édifiés
sur les versants instables des collines et dans les gorges profondes
qui entourent la Vallée de Caracas, une zone de plus très
active en termes sismiques. Il y a plusieurs années, la végétation
retenait les schistes sableux de l’endroit, mais le défrichement
des broussailles et les constructions précaires ont déstabilisé
les fondements des versants densément peuplés. La
conséquence en a été une augmentation incontrôlable
de ravinements et d’éboulements, qui sont passés
de moins d’un par décennie avant 1950 à la moyenne
actuelle de deux ou plus par mois. Pourtant, l’instabilité
croissante du sol n’a pas fait reculer les colonisateurs [de
ces collines], qui envahissent les saillies les plus précaires
des flancs de coteaux, les côtes par où la pluie s’écoule
ou les embouchures des gorges qui sont régulièrement
inondées.
A la mi-décembre 1999, le nord du Venezuela a été
victime d’une inondation terrible. En quelques jours il est
tombé ce qui tombe habituellement en un an et le sol a été
pratiquement saturé. Pensez qu’à certains endroits
la pluie est vue comme un phénomène « qui a
lieu une fois tous les mille ans ». On estime que les inondations
soudaines et les éboulements ont tué 32 000 personnes
à Caracas et sur toute la côte caribéenne de
l’autre côté des montagnes de l’Avila,
qu’elles ont détruit les maisons de 140 000 habitants
et ont laissé 200 000 autres personnes sans travail. Un prêtre
catholique n’a pas pu s’empêcher de dire qu’il
s’agissait d’un châtiment divin à la récente
élection d’Hugo Chavez, mais le ministre des Affaires
étrangères [de l’époque], José
Vicente Rangel [2], s’est empressé de répondre
« Quel serait le Dieu si terriblement cruel qu’il ourdirait
sa vengeance en s’acharnant contre les plus pauvres ? ».
Les glissements de terrain sont à la région de Caracas
ce que sont les inondations à la région métropolitaine
de Manille. Située dans une plaine inondable semi alluviale
bordée par trois bassins fluviaux et sujette à des
pluies torrentielles, Manille est un bassin d’écoulement
naturel. Après 1898, les autorités coloniales états-uniennes
ont creusé des canaux, dragué des estuaires et construit
des stations de pompage pour contenir les eaux de pluie et protéger
les parties centrales de la ville. Pourtant, les améliorations
des dernières années ont été tristement
submergées par les quantités énormes d’eau
qui détruisent les déversoirs et les estuaires (on
estime que le fond du rio Pasig est situé pratiquement à
quatre mètres sous une couche de déchets) ; par les
affaissements dus à la surexploitation des nappes phréatiques
souterraines ; par la déforestation des bassins de Marikina
et de Montalban ; et pire encore, par la construction incessante
de bidonvilles dans les lieux humides et les marais.
En d’autres termes, la crise du logement a transformé
le caractère et l’ampleur du problème des inondations
: le cinquième le plus pauvre de la population est exposé
à un danger permanent et à la menace de tout perdre.
En novembre 1998, par exemple, les inondations ont endommagé
ou détruit les maisons de 300 000 personnes, et à
un autre moment, le quartier de Tatlon a été submergé
sous six mètres d’eau.
« Le pacte avec le diable ».
Les exemples de Manille et de Caracas illustrent comment la pauvreté
augmente les risques géologiques et climatiques. Les villes
riches édifiées dans des endroits dangereux comme
Los Angeles ou Tokyo peuvent réduire le risque géologique
ou météorologique moyennant des travaux publics colossaux
et une « ingénierie avancée » : stabilisation
de glissements de terrain par du géotextile et des boulons
d’ancrage ; construction de terrasses et terrassement des
versants humides, creusement de puits de drainage et pompages d’eau
des sols saturés ; construction de petites digues et des
collecteurs contre les inondations ; et canalisation des eaux pluviales
par de vastes complexes de canaux et d’égouts en béton.
Les programmes nationaux d’assurances contre les inondations
et les indemnisations mixtes des assurances contre les tremblements
de terre garantissent la réparation et la reconstruction
des logements en cas de dommages massifs.
En revanche, dans le Tiers Monde, où les banlieues manquent
d’eau potable et de canalisations pour les résidus
fécaux, il y a peu de probabilités pour que quiconque
leur vienne en aide par l’exécution de coûteux
travaux publics, et encore moins pour que les désastres soient
couverts par les assurances. Deux chercheurs réputés
soutiennent que la dette externe et l’« ajustement structurel
» [3] qui en résulte favorisent une logique funeste
d’« augmentation de la productivité, de la compétitivité
et de l’efficience en échange de l’augmentation
des conséquences environnementales défavorables, qui
se concrétisent dans la prolifération d’installations
toujours plus précaires et dangereuses ».
Mais en certaines occasions l’intervention des Etats peut
multiplier les risques. En novembre 2001, les districts pauvres
de Bab el Oued, Frais Vallong et Meaux Fraisier, dans la zone ouest
de l’Algérie, ont subi des inondations et des coulées
de boues dévastatrices. Pendant 36 heures il a plu à
verse sur les bidonvilles construits sur les pentes des collines
et les quartiers situés au pied des coteaux environnants
ont été inondés. Plus de 900 personnes sont
mortes. Devant la réponse indolente des autorités,
ce furent les habitants eux-mêmes, en particulier les jeunes,
qui commencèrent les travaux de sauvetage. Au bout de trois
jours, le président Abdelaziz Bouteflika fit acte de présence.
Les résidents en colère lancèrent toutes sortes
de slogans contre le gouvernement. Bouteflika se fit une petite
faveur, à lui-même et à l’Etat en disant
que le désastre avait été la volonté
de Dieu. Et conclut : « Rien ne pouvait l’empêcher
».
Les habitants savaient que c’était absurde. Comme
les ingénieurs l’ont immédiatement signalé,
les demeures de ce versant avaient subi un désastre annoncé
: « Leurs structures étaient très vulnérables
aux orages violents. Dans tout le pays la pluie a beaucoup endommagé
ce type de constructions à cause de leur état de dégradation,
des réparations inadéquates, de leur vieillissement
et de la négligence ». Pour approfondir la question,
il convient de dire qu’une grande partie de la destruction
a été la conséquence directe de la guerre gouvernementale
contre les guérillas islamistes. Pour éliminer les
cachettes des insurgés et gêner leur fuite, les autorités
avaient déboisé les collines qui entourent Bab el
Oued et avaient scellé les égouts. A cause des drainages
bouchés, les eaux de pluie n’avaient plus d’issue.
En plus, les autorités corrompues avaient concédé
des permis de construire pour des logements de mauvaise qualité
dans les lits des fleuves, enrichissant ainsi les entrepreneurs
individuels aux dépens de la santé de la population.
Encore plus que les glissements de terrain et les inondations,
les tremblements de terre sont un indicateur précis de la
crise du logement urbain. Bien que certains tremblements de terre
d’intensité élevée affectent des édifices
élevés - comme dans la ville de Mexico en 1985 - la
destruction sismique coïncide généralement avec
une précision étonnante avec les constructions résidentielles
en briques, en pisé ou en ciment de mauvaise qualité,
et cette coïncidence augmente quand les logements sont érigés
sur des pentes instables et sur des sols propices à la dégradation.
La construction de logements informels est un pacte avec le diable
dont la clause la plus subtile est le risque sismique. Geoffrey
Payne insiste sur le fait que « si c’est bien le relâchement
de l’exigence dans le respect des normes et des standards
dans la planification urbaine durant des années qui a permis
aux pauvres de Turquie un accès relativement aisé
à des terrains et aux services dans les villes, il n’en
est pas moins sûr que cette attitude appliquée aux
régulations sur la construction a causé un nombre
élevé de décès et une destruction généralisée
au cours des tremblements de terre de 1999 ».
Au cours du XXe siècle, les tremblements de terre ont détruit
plus de 100 millions de maisons, la majeure partie dans des banlieues,
dans des secteurs de blocs résidentiels et dans des petites
villes pauvres de la campagne. La majorité de la population
urbaine dans le monde étant concentrée sur et autour
des abords des plaques tectoniques actives, en particulier sur les
littoraux des océans Indien et Pacifique, des millions de
personnes sont sérieusement menacées aussi bien par
les tremblements de terre, les volcans et les tsunamis, que par
les vents violents et les typhons. S’il est bien certain que
les tremblements de terre et les tsunamis survenus à Sumatra
en 2004 peuvent être qualifiés d’insolite, il
est également presque certain que de nombreux autres se produiront
au cours du siècle prochain. Les gecekondus [4] d’Istanbul,
par exemple, sont une cible parfaite pour les séismes qui
se propagent fatalement vers l’ouest par la « crémaillère
» du système de failles mobiles du nord de l’Anatolie.
De la même façon, les autorités de Lima prédisent
qu’au moins 100 000 structures d’habitation - la majorité
d’entre elles dans les taudis et les quartiers pauvres - s’écrouleront
irrémédiablement quand aura lieu le grand séisme
attendu pour la prochaine génération. Dans ces villes,
le risque sismique est distribué d’une façon
si inégale que certains géographes radicaux ont adopté
le terme de « tremblement de classe » pour désigner
le modèle biaisé qui gouverne la destruction passée
et à venir.
« Nuages mortels et cercueils volants »
Si les risques naturels augmentent avec la pauvreté urbaine,
des risques entièrement nouveaux et artificiels sont créés
par l’interaction entre la pauvreté, les industries
toxiques, le chaos de la circulation et l’effondrement des
infrastructures. Dans les villes pauvres, tous les principes classiques
de l’urbanisme ont été violés, y compris
la préservation d’espaces ouverts et la séparation
entre les zones destinées aux usages potentiellement toxiques
et les zones résidentielles.
Dans son livre sur les villes pauvres du Sud, Jeremy Seabrook raconte
la marche inexorable vers le désastre de Klong Toey, un quartier
pauvre du port de Bangkok emprisonné entre des docks, des
entreprises chimiques et des autoroutes. En 1989, une explosion
chimique a empoisonné des centaines de résidents,
deux ans plus tard, un magasin de produits chimiques a sauté,
privant 5 500 personnes de maison ; nombre de ces personnes mourront
de mystérieuses maladies. Le feu a ravagé 63 maisons
en 1992, 460 logements en 1993 (l’année où a
eu lieu une autre explosion) et plusieurs centaines en 1994. Des
milliers d’autres quartiers périphériques, y
compris dans des pays riches, ont des histoires semblables à
celle de Klong Toey. Ils sont victimes du « syndrome de la
décharge » : la concentration dans une même zone
d’activités industrielles toxiques comme la métallurgie,
la teinture, le polissage, l’émaillage, le recyclage
des piles, le moulage, la réparation des véhicules,
la fabrication de produits chimiques et tout ce que les classes
moyennes n’accepteraient jamais dans leurs quartiers.
Le monde ne se rend compte de ce que la combinaison de pauvreté
et d’industries toxiques peut impliquer de conséquences
fatales que quand il se produit une explosion qui détruit
des milliers de vies humaines. 1984 a été l’annus
horribilis. En février, un oléoduc a explosé
à Cubatao, dans la « vallée de la pollution
» de São Paulo, faisant périr par le feu 500
personnes d’une favela contiguë. Huit mois plus tard,
une usine de gaz liquide de Pemex dans la colonie de San Juanico
à Mexico a explosé, provoquant une déflagration
comparable à celle d’une bombe atomique, tuant plus
de 2 000 habitants sans le sou (le nombre exact de victimes n’a
jamais pu être établi).
A peine trois semaines après l’ « holocauste
» de Mexico, une usine de l’Union Carbide à Bhopal,
la capitale du Madhya Pradesh [Inde], a libéré son
tristement célèbre nuage mortel d’isocyanate
de méthyle ; selon un rapport de 2004 d’Amnesty International,
entre 7 000 et 10 000 personnes ont péri immédiatement,
et dans les années suivantes, 15 000 autres sont mortes de
maladies dues au nuage toxique. Les victimes étaient les
plus pauvres d’entre les pauvres, majoritairement musulmanes.
L’usine d’emballage de pesticides fut construite dans
un endroit où des gens étaient déjà
installés illégalement. A mesure que l’usine
s’agrandit et commença à produire des pesticides
de plus en plus nocifs, les bidonvilles ont fleuri tout autour.
Avant de voir leurs enfants mourir dans les rues, les pauvres qui
vivaient dans ce quartier périphérique hyper dégradé
ne savaient rien de ce qui était produit dans l’usine,
ni sur le risque apocalyptique de l’isocyanate de méthyle.
Par contre, les habitants des quartiers pauvres sont parfaitement
conscients des risques qu’entraîne la circulation sauvage
qui bouche les rues de la majeure partie des villes du Tiers Monde.
L’extension incontrôlée de l’urbanisation
sans l’investissement social correspondant en transports publics
ou en autoroutes a transformé la circulation en catastrophe
sanitaire. En 1980, le nombre de véhicules du Tiers Monde
représentait 18% du parc automobile mondial ; pour 2020,
on calcule que la moitié des 1 300 millions de voitures,
camions et autobus - ajoutés à quelques centaines
de millions de motocyclettes - circuleront dans les rues et les
ruelles des pays les plus pauvres.
L’explosion du parc automobile est guidée par de puissantes
forces qui sapent l’égalité. La politique de
transports de la majorité des villes est un cercle vicieux
dans lequel la détérioration de la qualité
du transport public favorise l’usage du véhicule privé,
et vice versa. Il en résulte un véritable carnage.
Plus d’un million de personnes - dont les deux tiers de piétons,
cyclistes et passagers - meurent chaque année d’accidents
de la circulation dans le Tiers Monde. Un chercheur de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) a informé que « les
personnes qui dans leur vie n’ont jamais possédé
de voiture courent un grave danger ». Sont particulièrement
dangereux les minibus et les petits vans collectifs, qui très
souvent circulent sans autorisation et aucune sorte d’entretien.
A Lagos [Nigeria], les autobus sont appelés dangos et molue,
« cercueils volants » et « morgues ambulantes
». Le rythme de tortue de la circulation dans la majeure partie
des villes pauvres ne semble pas réduire sa capacité
mortifère. Bien qu’au Caire les voitures et les autobus
se traînent à des vitesses moyennes inférieures
à 10 kilomètres heure, la capitale égyptienne
présente encore des indices de sinistres annuels de huit
morts et 60 blessés pour 1 000 automobiles. A Lagos, où
un habitant moyen passe le temps incroyable de trois heures [par
jour] piégé dans un embouteillage insupportable, les
passagers et les conducteurs des autobus perdent souvent les pédales.
En fait, il y a tellement de conducteurs qui montent sur les trottoirs
ou qui circulent à contresens que le ministère de
la Circulation les oblige à subir des tests psychiatriques
ou à démontrer qu’ils n’ont pas d’antécédents
pénaux. Pendant ce temps, à New Delhi, le journal
Hindoustan Times critiquait récemment l’attitude des
conducteurs de la classe moyenne qui prenaient rarement la peine
de s’arrêter après avoir renversé des
mendiants en guenilles ou des enfants pauvres.
L’OMS estime que le coût économique global des
morts et des blessés sur la voie publique équivaut
« pratiquement au double du montant total des aides au développement
reçues des pays riches ». En réalité,
l’OMS considère la circulation comme l’un des
pires dangers que les habitants pauvres des villes aient à
affronter, et prévoit qu’elle sera la principale cause
de décès en 2020. Malheureusement, la Chine, où
les voitures prennent le pouvoir dans les rues sur les piétons
et les cyclistes, sera en tête : rien que durant les cinq
premiers mois de 2003, presque un quart de millions de Chinois ont
été tués ou victimes de blessures graves dans
des accidents de circulation en ville.
Naturellement, la motorisation rampante aggrave l’épouvantable
pollution environnementale des villes du Tiers Monde. Des myriades
de vieilles voitures, d’autobus délabrés et
de camions comptant des dizaines d’années asphyxient
les zones urbaines avec leurs gaz de combustion létaux, tandis
que les moteurs polluants à deux temps des petites voitures
émettent dix fois plus de particules polluantes que les voitures
neuves. Selon une étude récente, l’air pollué
est l’une des premières causes de mortalité
dans les mégapoles à la croissance incontrôlée
comme la ville de Mexico (300 jours de brouillard nocif par an),
São Paulo, New Delhi et Pékin. Respirer l’air
de Bombay équivaut à fumer deux paquets et demi de
cigarettes par jour, et le Centre pour la science et l’environnement
de New Delhi constate que les villes d’Inde « sont devenues
des chambres à gaz mortelles ».
Les experts en santé publique nous racontent que les pauvres
des villes du Tiers Monde supportent une « double dose »
de maladie : d’un côté, les maladies infectieuses
mortelles générées par les pollutions urbaines,
et de l’autre, le stress. Avec une quantité estimée
d’un milliard de personnes habitant dans les banlieues pauvres
sur toute la planète (on s’attend à ce que ce
chiffre soit multiplié par deux en 2030), la pauvreté
urbaine crée en elle-même de nouveaux environnements
épidémiologiques et ouvre la voie à des fléaux
comme le VIH-Sida et la grippe aviaire. Beaucoup plus encore qu’à
l’époque de Marx et de Dickens, les quartiers pauvres
périphériques constituent aujourd’hui le problème
sanitaire et environnemental global par excellence. Et ils sont
en plus le défi le plus important à la solidarité
humaine.
Mike Davis
NOTES :
[1] [NDLR] Dans la sagesse traditionnelle chinoise, il s’agit
d’un système de lois qui gouvernent la disposition
et l’orientation spatiale en relation avec les flux d’énergie,
et dont les effets favorables ou défavorables sont pris en
compte dans la localisation et la conception des constructions.
[2] [NDLR] Actuel vice-président de la République
bolivarienne du Venezuela.
[3] [NDLR] Politique économique imposée par le FMI
en contrepartie de l’octroi de nouveaux prêts ou de
l’échelonnement d’anciens prêts.
[4] [NDLR] Quartiers « construits la nuit » sans permis,
sur des terrains publics ou classés inconstructibles ; pas
exactement des bidonvilles mais d’immenses villages de maisons
en dur accumulées sans plan d’ensemble et sans infrastructures,
lieux de solidarités familiales et de voisinage, de l’effervescence
diffuse du commerce parallèle et de l’économie
informelle.
[*] Mike Davis, Le Pire des mondes possibles . De l’explosion
urbaine au bidonville global (traduit de l’anglais [Etats-Unis]
par Jacques Mailhos), Éditions La Découverte, Paris,
septembre 2006.
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