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Origine http://biosoc.univ-paris1.fr/recherche/mvtsoc/crendu101.htm
Voici un ouvrage qui s'inscrit dans des débats très
actuels, tels que la mondialisation et l'histoire du climat. Mais
en même temps un ouvrage qui ne néglige ni la profondeur
historique ni le débat politique, ce dernier tournant essentiellement
autour du colonialisme et du libéralisme économique
et de leurs méfaits. Certains de ces méfaits sont
bien connus, tels que les déséquilibres économiques
induits par le système d'exploitation colonial, d'autres
sont plus méconnus tels que les famines et les fortes mortalités
liées à ce système.
Mike Davis nous propose des éléments passionnants
sur l'histoire du climat aux XIX° et XX° siècles,
et notamment sur la grande sécheresse qui a frappé
plusieurs régions du globe dans les années 1876-1878.
Les observations rapportées concernent notamment la Chine,
l'Inde et le Brésil, plus ponctuellement le continent africain.
Les chiffres sont parfois imprécis, parfois douteux et peut-être
entachés d'exagérations, et l'auteur oublie, semble-t-il,
de critiquer ces données. Il n'en reste pas moins que la
mortalité liée à cet épisode de sécheresse
a du atteindre localement des niveaux très élevés.
Mike Davis a réuni dans cet ouvrage des descriptions et des
témoignages écrits forts, accompagnés d'une
iconographie sugestive. On retrouve derrière ces catastrophes
climatiques du XIX° siècle une vedette médiatique
de notre début de XXI° siècle ; El Nino. Suit
une description du phénomène et une chronologie des
apparitions d'El Nino et de sa compagne, La Nina, qui sévit
en alternance. Mike Davis se livre à une compilation permettant
de retracer les principales variations climatiques et nous propose
une observation à l'échelle historique des sécheresses
et des inondations. De la fin du XVIII° siècle à
nos jours il recense 24 perturbations climatiques majeures et observe
que l'amplitude des variations d'El Nino / La Nina tend à
s'accroître, surtout en Asie. Ces perturbations tendent également
à devenir plus fréquentes, les dernières étant
celles de 1972/1973, 1982/1983 et 1997/1998. Les sécheresses
de 1982, 1972 et 1965 se classent parmi les 5 plus fortes observés
sur une période de deux siècles. Mike Davis prend
le contrepied d'Emmanuel Leroy-Ladurie en affirmant que le climat
est un facteur important de l'évolution historique. El Nino,
par son impact dans un contexte de pauvreté rurale, est la
cause première des grandes famines qui ont fappé la
Chine ou le Brésil au XIX° siècle, et plus récemment
le Sahel dans les années 1970.
En permanence Mike Davis établit des parallèles entre
ces perturbations climatiques et les systèmes économiques
et politiques, au premier rang desquels l'exploitation économique
de type colonial. Quel rôle la puissance coloniale, notamment
l'Angleterre dans sa relation avec les Indes, joue-t-elle dans la
survenue des catastrophes économiques que connaissent les
pays dominés ? Assez classiquement, Mike Davis souligne la
détérioration massive des termes de l'échange
économique entre les continents lors de l'intégration
de millions d'agriculteurs des tropiques au marché mondial
à la fin du XIX° siècle. Les prélèvements
fiscaux excessifs et de la réorientation de la production
agricole vers des denrées d'exportation au détriment
des cultures vivrières ont également eu un impact
non négligeable. Les puissances coloniales auraient ainsi
aggravé les conséquences des perturbations climatiques.
Telle est une des grandes théories de cet ouvrage : tenter
de démontrer que l'impérialisme et le libéralisme
économique se sont conjugués avec les effets des perturbations
climatiques pour aggraver les déséquilibres et la
misère dans les colonies. Mike Davis développe ainsi
une critique de la mondialisation économique qui se met en
place au XIX° siècle sous l'hégémonie de
quelques puissances coloniales. Un tel argumentaire induit forcément
la question de la responsabilité et de la volonté.
Qui est le principal responsable des mortalités et du sous-développement
économique qui ont frappé et frappent encore le Tiers-Monde
: les accidents climatiques ou l'impérialisme ? Les puissances
coloniales ont-elles été conscientes des conséquences
catastrophiques de leur politique sur les populations dominées
et ont-elles sciemment persévéré dans cette
voie ? Pour Mike Davis, la réponse est claire et il s'agit
là d'un " holocauste " dont la politique menée
par les empires coloniaux est directement la cause.
" Holocauste " ou " Génocide " ? L'éditeur
français, de manière un peu raccoleuse peut-être,
a modifié le titre de l'ouvrage et utilisé le terme
génocide dont l'emploi est pour le moins discutable. Le titre
original de l'ouvrage est Late victorian holocausts. El Nino famines
and the making of the Third World. Ceci explique que l'on trouve
au début de l'ouvrage une discussion, bien trop rapide d'ailleurs,
du concept d'holocauste et de son emploi dans l'ouvrage. Une même
réflexion sur l'emploi du terme génocide aurait été
indispensable.
Guy Brunet
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