"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Mike DAVIS, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales.
Aux origines du sous-développement, Paris, La Découverte, 2003, 479 pages.
Note de lecture

Origine http://biosoc.univ-paris1.fr/recherche/mvtsoc/crendu101.htm

Voici un ouvrage qui s'inscrit dans des débats très actuels, tels que la mondialisation et l'histoire du climat. Mais en même temps un ouvrage qui ne néglige ni la profondeur historique ni le débat politique, ce dernier tournant essentiellement autour du colonialisme et du libéralisme économique et de leurs méfaits. Certains de ces méfaits sont bien connus, tels que les déséquilibres économiques induits par le système d'exploitation colonial, d'autres sont plus méconnus tels que les famines et les fortes mortalités liées à ce système.

Mike Davis nous propose des éléments passionnants sur l'histoire du climat aux XIX° et XX° siècles, et notamment sur la grande sécheresse qui a frappé plusieurs régions du globe dans les années 1876-1878. Les observations rapportées concernent notamment la Chine, l'Inde et le Brésil, plus ponctuellement le continent africain. Les chiffres sont parfois imprécis, parfois douteux et peut-être entachés d'exagérations, et l'auteur oublie, semble-t-il, de critiquer ces données. Il n'en reste pas moins que la mortalité liée à cet épisode de sécheresse a du atteindre localement des niveaux très élevés. Mike Davis a réuni dans cet ouvrage des descriptions et des témoignages écrits forts, accompagnés d'une iconographie sugestive. On retrouve derrière ces catastrophes climatiques du XIX° siècle une vedette médiatique de notre début de XXI° siècle ; El Nino. Suit une description du phénomène et une chronologie des apparitions d'El Nino et de sa compagne, La Nina, qui sévit en alternance. Mike Davis se livre à une compilation permettant de retracer les principales variations climatiques et nous propose une observation à l'échelle historique des sécheresses et des inondations. De la fin du XVIII° siècle à nos jours il recense 24 perturbations climatiques majeures et observe que l'amplitude des variations d'El Nino / La Nina tend à s'accroître, surtout en Asie. Ces perturbations tendent également à devenir plus fréquentes, les dernières étant celles de 1972/1973, 1982/1983 et 1997/1998. Les sécheresses de 1982, 1972 et 1965 se classent parmi les 5 plus fortes observés sur une période de deux siècles. Mike Davis prend le contrepied d'Emmanuel Leroy-Ladurie en affirmant que le climat est un facteur important de l'évolution historique. El Nino, par son impact dans un contexte de pauvreté rurale, est la cause première des grandes famines qui ont fappé la Chine ou le Brésil au XIX° siècle, et plus récemment le Sahel dans les années 1970.

En permanence Mike Davis établit des parallèles entre ces perturbations climatiques et les systèmes économiques et politiques, au premier rang desquels l'exploitation économique de type colonial. Quel rôle la puissance coloniale, notamment l'Angleterre dans sa relation avec les Indes, joue-t-elle dans la survenue des catastrophes économiques que connaissent les pays dominés ? Assez classiquement, Mike Davis souligne la détérioration massive des termes de l'échange économique entre les continents lors de l'intégration de millions d'agriculteurs des tropiques au marché mondial à la fin du XIX° siècle. Les prélèvements fiscaux excessifs et de la réorientation de la production agricole vers des denrées d'exportation au détriment des cultures vivrières ont également eu un impact non négligeable. Les puissances coloniales auraient ainsi aggravé les conséquences des perturbations climatiques. Telle est une des grandes théories de cet ouvrage : tenter de démontrer que l'impérialisme et le libéralisme économique se sont conjugués avec les effets des perturbations climatiques pour aggraver les déséquilibres et la misère dans les colonies. Mike Davis développe ainsi une critique de la mondialisation économique qui se met en place au XIX° siècle sous l'hégémonie de quelques puissances coloniales. Un tel argumentaire induit forcément la question de la responsabilité et de la volonté. Qui est le principal responsable des mortalités et du sous-développement économique qui ont frappé et frappent encore le Tiers-Monde : les accidents climatiques ou l'impérialisme ? Les puissances coloniales ont-elles été conscientes des conséquences catastrophiques de leur politique sur les populations dominées et ont-elles sciemment persévéré dans cette voie ? Pour Mike Davis, la réponse est claire et il s'agit là d'un " holocauste " dont la politique menée par les empires coloniaux est directement la cause.

" Holocauste " ou " Génocide " ? L'éditeur français, de manière un peu raccoleuse peut-être, a modifié le titre de l'ouvrage et utilisé le terme génocide dont l'emploi est pour le moins discutable. Le titre original de l'ouvrage est Late victorian holocausts. El Nino famines and the making of the Third World. Ceci explique que l'on trouve au début de l'ouvrage une discussion, bien trop rapide d'ailleurs, du concept d'holocauste et de son emploi dans l'ouvrage. Une même réflexion sur l'emploi du terme génocide aurait été indispensable.

Guy Brunet