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Origine : http://www.lautresite.com/new/lejour2/200304/11_p06.asp
"La semaine précédant l'émeute avait
été particulièrement chaude pour la saison.
La nuit venue, les gens s'attardaient sur leurs terrasses et sur
les trottoirs, discutant des derniers ennuis qui leur étaient
tombés dessus. Dans ce quartier (MacArthur est le Spanish
Harlem de Los Angeles), plus peuplé que le cœur de Manhattan
et plus dangereux que les bas-fonds de Detroit, on compte davantage
de membres des gangs ou de camés accrochés au crack
que d'électeurs et la gente est experte dans l'art d'éviter
tous les désastres...
Il régnait pourtant une atmosphère de détresse
inhabituelle. Trop de gens ont perdu leur travail : manœuvres,
conducteurs de bus, ouvriers ou coupeurs dans les ateliers de confection
- des jobs à 5,25 dollars (30 francs) de l'heure. En deux
années de récession, le chômage a triplé
dans les quartiers d'immigrés de Los Angeles. À Noël,
plus de vingt mille femmes et enfants, principalement des Latino-Américains,
avaient fait la queue toute la nuit dans le froid pour obtenir une
dinde et une couverture offertes par des œuvres de charité.
Un autre baromètre de la détresse ambiante est le
nombre sans cesse grandissant de colonies de compañeros sans
abri installés sur les flancs désolés de Crown
Hill, voire au bord de la rivière de L.A. dont l'eau polluée
sert à se laver et à faire la cuisine. (...)
L'émeute est survenue comme une fabuleuse occasion de redistribution.
Les gens ont d'abord été choqués par la violence,
puis hypnotisés par les images télévisées
des foules multiraciales de South central s'emparant de montagnes
d'alléchantes marchandises, sans que la police intervienne.
Le jour suivant, le jeudi 30 avril, les autorités ont commis
deux maladresses : fermer les écoles et donc jeter les gamins
dans la rue ; annoncer ensuite que la Garde nationale était
en route pour aider à imposer un couvre-feu du crépuscule
à l'aube. Des milliers de gens ont interprété
cette annonce comme un ultime appel à participer à
la redistribution générale des biens. Les pillages
se sont répandus comme une traînée de poudre
à travers Hollywood, Mid-Wilshire et MacArthur Park, de même
que dans certains quartiers d'Echo Park, Van Nuys et Huntington
Park.
Alors même que les incendiaires causaient partout de terrifiantes
destructions, les foules qui pillaient étaient entraînées
par une évidente morale de l'économie. Comme me l'a
expliqué une femme entre deux âges : " Le vol
est un péché, mais ça, c'est comme un grand
jeu télévisé où tout le public est gagnant.
" Contrairement aux pillards d'Hollywood (dont certains circulaient
sur des skateboards), qui ont volé le bustier de Madonna
et des petites culottes fendues chez Fréderick's, les masses
de MacArthur Park se sont plus prosaïquement fournies en biens
de première nécessité comme des couches ou
des aérosols anticafards.
" Mike Davis,
"Contrôle urbain, l'écologie de la peur".
Ab irato, 1998.
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