"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Eloge du fragile
Miguel Benasayag

Miguel Benasayag présentera son dernier ouvrage, La fragilité (La Découverte), le 19 avril 2004, à 19 h, à la maison de l’Amérique latine (217, bd Saint-Germain, 75007 Paris). Une occasion de le retrouver et de lui manifester notre soutien (après qu'il ai été viré de France Culture par Laure Adler quand il expliqué que le gouvernement appliquait déjà le programme du Front National).

http://www.place-publique.fr/article600.html


Pourquoi un tel sentiment d’impuissance étreint-il notre époque ? Après des siècles d’une modernité qui nous avait promis la pensée adéquate pour comprendre le monde et les outils techniques pour le transformer, pourquoi sommes-nous devenus les spectateurs passifs d’une histoire qui paraît nous échapper, témoins d’« un horizon obscur et clos, impossible à déchiffrer ? » Pour Miguel Benasayag, le problème vient des séparations créées par la modernité : entre la pensée et l’agir, entre le rêve et la pratique, entre le monde et l’individu... Pour les dépasser, il propose deux chemins. Celui de la philosophie qui dénonce les illusions du libre-arbitre : nous nous croyons libres du fait que nous ignorons nos chaînes, expliquait Spinoza. Et celui des récentes découvertes en neurophysiologie, telles celles du Chilien Francisco Varela qui nous montre que la réalité n’existe pas indépendamment des perceptions que nous en avons. Autrement dit, il n’y a pas de savoir dissocié de l’action.

Construire une pensée de l’agir : voilà la motivation de Benasayag. Depuis plusieurs mois, chaque matin vers 8h30 sur France Culture, il distillait des mots pour nous éveiller, nous réveiller. Le voilà privé d’antenne. Licencié vendredi dernier par la direction de la station, qui lui reproche sa lecture du monde trop « engagée ». Une décision qui a ému ceux qu’il côtoie depuis des années dans ses engagements, tels Droit au logement ou le Syndicat de la magistrature.

Miguel Benasayag aime citer l’Italien Antonio Gramsci : « L’ancien monde a déjà disparu, le nouveau monde n’est pas encore là, et dans cet entre-deux les monstres apparaissent ». Ces monstres, en Argentine, il ne les a que trop connus. Emprisonné, torturé, il a vu mourir des proches. C’est aussi ce qui l’aide à comprendre et à accepter cette idée, chère à Gilles Deleuze, que « la vie n’est pas quelque chose de personnel ». La phrase dérange. A l’ère du narcissisme généralisé, ne revendiquons pas nous-même d’être une sorte de quartier général autour duquel le monde s’organiserait ? Pourtant, dans des situations qui mettent en jeu l’amour, l’art, la science ou ce que Benasayag appelle la « politique libertaire » - le souci de lutter contre l’injustice sans tomber dans les jeux de pouvoir -, nous faisons l’expérience sensible d’appartenir à un tout qui dépasse notre « petit moi ».

Quittons la posture de l’ingénieur, « qui conçoit un modèle et tente de l’appliquer au monde », pour devenir des êtres conscients de leur fragilité. Ainsi l’abandon de la toute-puissance peut nous délivrer de la tristesse impuissante. Au lieu de nous projeter dans l’avenir, habitons d’abord le présent, petit mot dont on oublie trop souvent qu’il signifie à la fois « maintenant » et « cadeau ».

La fragilité, par Miguel Benasayag (La Découverte, 17 E). On peut aussi relire Parcours, autobiographie sous forme d’entretiens (Calmann-Lévy, 2001).

Philippe Merlant
Chronique parue dans La Vie, du 24 mars 2004.
www.lavie.presse.fr

A lire, les réactions de plusieurs associations et personnalités des mouvements sociaux, sur le site du réseau IPAM (Initiative Pour un Autre Monde) :
http://www.reseau-ipam.org/article.php3 ?id_article=196