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Métamodélisation
et inframodélisation
Par David gé Bartoli (présenté dans le cadre du colloque Fictions du modèle 1, le 17 mai 2008 à l'Université de Nantes). Dans le cadre de ce Colloque international, qui a pour problématique les Fictions du modèle, il s'agira d'entamer un vaste chantier de réflexion afin de développer un projet d'inframodélisation, à partir du radical inframince -jet- . Et ceci dans la perspective d'ouvrir un nouvel horizon de pensée : l'infraphysique. «La science de former des hypothèses, des noms, des modèles, se libère des théories préconçues et de l'idole de la simplicité» (Paul Valéry). Alors qu'un modèle est, en ses définitions, «ce qui doit être produit par imitation», «ce qui est propre à être imité», en tant qu'il est une représentation simplifiée d'un système faisant partie du monde réel, soit par un schéma simplifié et symbolique, soit par une structure rendue visible par des graphes ou de la littérature, permettant par exemple de fournir un modèle mathématique à un ordinateur, la science qui aurait pour intention «de former des hypothèses, des noms, des modèles», s'offrirait la possibilité de se libérer «des théories préconçues et de l'idole de la simplicité», selon les propres termes de Valéry. Ce qui résulte d'une telle vision, c'est qu'une science ne peut se libérer d'une théorie préconçue, faisant office de modèle, et à partir de laquelle il faudrait se conformer pour l'imiter dans et hors de son champs de compétence, que dans la formulation d'autres hypothèses, d'autres modèles, quitte à ne pas respecter la norme que produit tout modèle. Les modèles sont le résultat d'une construction, ils résultent d'un processus de modélisation qui consiste à extraire les caractéristiques abstraites générales du domaine du problème afin d'obtenir un modèle du domaine. En tant que tels ils ont pour but d'orienter l'action, de la rendre plus efficace en lui offrant un cadre et des principes sur lesquels agir. Or au moment même où elle se propose d'orienter l'action, elle détermine un mode d'être au monde : la schématisation qu'elle opère de l'existant a pour contre-coup une forme de conservatisme et de résistance à toute nouveauté qui risquerait de mettre en défaut le modèle et le système de représentation qui lui est lié. Le concept de métamodélisation a été envisagé pour répondre à ce problème et créer des modes et méthodes de modélisation qui rendent possible l'intégration de nouvelles données. Notre question sera alors, si la métamodélisation peut en effet prendre en compte, dans la réévaluation de ses modèles, l'apport de nouvelles données, d'éléments inattendus, imprévus, est-elle en mesure de répondre à la question irréductible de la différance (avec un a), de l'altérité radicale ? N'est-ce pas à cette difficulté à accueillir l'étranger comme altérité, comme mode d'être autre, dépassant la notion de différence culturelle, que l'Occident n'a cessé de se confronter, et qui a abouti, au 20ème siècle, aux pires atrocités, à de monstrueuses barbaries ? Et l'impensable, la Shoah, eut lieu, qui reste notre impensée. Com-prendre l'étranger, ce serait, selon Derrida (De l'hospitalité), accueillir, avec une hospitalité sans réserve, ce qu'il y a d'autre en lui. Ce serait le prendre avec ce qu'il est. Dans ce sens, comprendre l'autre, l'accueillir, ce n'est justement pas l'intégrer ou le désintégrer. C'est à la nécessité de retrouver des cadres d'action, des moyens de s'orienter et de reconstruire le monde, que Norbert Wiener invente, après le désastre de la seconde guerre mondiale, la science cybernétique. Avec son ouvrage Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine, publié en 1948, Wiener propose une nouvelle vision du monde, dans laquelle l'information et la communication deviennent des éléments fondamentaux. Selon Philippe Breton, traumatisé par l'implication des scientifiques dans les tragédies d'Hiroshima et Auschwitz, Wiener se transforme en apôtre d'une nouvelle religion laïque : L'utopie de la communication (éd. La Découverte, Paris, 1995). Le projet cybernétique semble répondre à cette urgence : le risque d'anéantissement de notre planète. L'impensable a eu lieu, et il revient aux survivants, à l'ensemble de l'Humanité, de réapprendre à vivre, à vivre collectivement. La question que se pose Wiener est la suivante : comment faire face à ce qu'il identifie comme un mouvement naturel de l'Univers : l'entropie, concept issu de la thermodynamique qui désigne le degré de désordre d'un système ? L'Univers serait animé par une tendance irréversible le poussant au désordre, c'est-à-dire à la déliaison radicale de ses éléments. C'est avec les concepts d'information et de rétroaction que Wiener répondra à cette question et qu'il inventera la science cybernétique comme science des systèmes. L'enjeu consiste à reconstruire du lien entre les éléments, à faire système contre l'entropie, et cela par la circulation de l'information et la capacité des éléments du système à interagir entre eux via l'échange d'informations. Cette théorie va elle-même se construire sur la base de modèles préexistants : la physique, la biologie et l'informatique (naissante). Or sa visée politique, ouvertement affichée par Norbert Wiener, implique de réduire, sinon annihiler, la frontière qui a jusqu'alors séparé les sciences dures des sciences humaines, c'est-à-dire d'appliquer sur des dimensions très différentes de l'existence humaine et de son mode d'être au monde un même schéma de modélisation. C'est à ce problème que tentera de répondre Félix Guattari à travers sa proposition de «Métamodélisation schizoanalytique». Dans les années 80-90, Félix Guattari propose une métamodélisation qui se distingue, selon lui, d'une modélisation, en cela «qu'elle dispose de termes aménageant des ouvertures possibles sur le virtuel et la processualité créative» (Chaosmose, éd. Galilée, 1992, p. 52). La «métamodélisation schizoanalytique» est formulée dans ses ouvrages intitulés Chaosmose et Cartographies schizoanalytiques ainsi que dans certains de ses textes dont «Schizoanalyses». Dans ce texte, justement, Guattari nous dit que la schizoanalyse a vocation «de devenir une discipline de lecture des “autres systèmes” de modélisation. Pas à titre de modèle général : mais comme instrument de déchiffrement des pragmatiques de modélisation dans divers domaines.» Ailleurs, dans Chaosmose, il précise qu'il est essentiel «de rendre compte de la façon dont les divers systèmes de modélisation existants (religieux, métaphysiques, scientifiques, psychanalytiques, animistes, névrotiques…) abordent, en la contournant toujours plus ou moins, la problématique de l'énonciation sui-référentielle. La schizoanalyse n'optera donc pas pour une modélisation à l'exclusion d'une autre.» (p. 88) Et c'est dans ce même ouvrage, au chapitre 3 intitulé «métamodélisation schizoanalytique», que Guattari explique ce qui l'a poussé à proposer une nouvelle modélisation, plus complexe, partant du constat suivant : «La psychanalyse est en crise ; elle s'enlise dans une pratique routinière et des conceptions figées. De son côté le mouvement social est dans l'impasse en raison de la faillite des régimes communistes et de la conversion des socio-démocrates au libéralisme. D'un côté comme de l'autre, la subjectivité individuelle et collective est en manque de modélisation.» (Chaosmose, p. 85) Guattari propose une configuration originale dans son travail de modélisation en agrégeant des éléments de la théorie du Chaos et de la théorie des Fractales, de la théorie marxiste de Production et de celle de la machine initiée par la Cybernétique, avec «l'inconscient Schizo» tiré de ses observations des psychotiques dans le cadre de son travail à la Clinique de La Borde. Toujours d'actualité dans les années 2000, cette question de la subjectivité individuelle et collective est d'autant plus cruciale que nous sommes ancrés dans l'ère de la mondialisation économique, du capitalisme ultra-libéral avec sa captation du désir généralisée (déjà nommé par Guattari sous les termes de Capitalisme Mondial Intégré), de la biopolitique et de sa gestion du vivant, des technologies numériques de réseau et de virtualisation, de la société de contrôle (avec ses puces électroniques, ses caméras de surveillance, ses cartes magnétiques, ses mises sur écoute, sa couverture satellitaire…). Comment sortir de cette vision du monde où la transparence de nos actions et de nos modes d'agissement est une obligation ? Obligation technique via ces technologies de pouvoir et obligation éthique via l'écologie politique des corps et des esprits qui règne actuellement dans nos pays démocratiques, nous obligeant à répondre de tout nos faits et gestes, à une responsabilisation de nos comportements publics et privés : il s'agit d'instituer subrepticement, sans en avoir l'air, une domestication généralisée des comportements physiques et psychiques à travers une logique moraliste de l'écologie capitaliste. Pouvoir de l'éco-, de l'oïkos (en grec), de la «domus» (en latin), de la mise en demeure et de la domestication, pour une nouvelle gouvernance du monde. «Gouverner la maison monde» est le nouveau paradigme de la politique capitaliste occidentale. Nous sommes loin de l'écosophie espérée par Guattari, qui devait rendre sécant Les trois écologies (titre de l'un de ses ouvrages), que sont l'écologie environnementale, l'écologie sociale et l'écologie existentielle et ce, dans une approche éthico-esthétique, avec son processus de subjectivation mutant et d'innovations sociales. Aussi, allant à l'encontre d'une transparence des rapports humains souhaitée politiquement et de la transparence d'une planète radiographiée par une foule de satellites qui la surplombe ou auscultée par des machines optiques très puissantes qui scrutent l'infiniment petit, nous proposons une inframodélisation, un en-deçà de la norme désignée par l'élément principal, à savoir la représentation d'un système, dont la modélisation spécifirait les règles de fonctionnement et la structure, et qui aurait pour vocation une efficace directe sur le réel. L'inframodélisation initie une infraphysique, qui n'est ni de l'ordre de la métaphysique, ni du ressort de la phénoménologie, ni bien sûr de la physique ou de la micro-physique. La réalité qu'elle ouvre se situe dans l'inframince du réel, dans une atopie intersticielle, à même et en-deçà du réel. Tout en s'inspirant très librement de théories spéculatives et expérimentales de chercheurs et scientifiques dans le domaine des particules élémentaires et de cosmologies post-einsteiniennes, telles la théorie des cordes, la théorie des branes et des multivers, nous accorderons une place essentielle à la notion d'«inframince» de l'artiste et philosophe Marcel Duchamp ainsi qu'à l'idée de «souveraineté» défendue par Bataille et problématisée par Derrida dans L'écriture et la différence. 1_ La modélisation cybernétique de Wiener : une vision mécaniste portée sur la complexité des systèmes d'organisationLa cybernétique est une modélisation de l'échange, par l'étude de l'information et des principes d'interaction. Elle peut ainsi être définie comme la science des systèmes autorégulés qui ne s'intéresse pas aux composantes, mais à leurs interactions, où seul est pris en compte leur comportement global. Elle est aussi définie comme science du contrôle. Cette science est constituée par l'ensemble des théories sur les processus de commande et de communication et leur régulation chez l'être vivant, dans les machines et dans les systèmes sociologiques et économiques. Elle a pour objet principal l'étude des interactions entre «systèmes gouvernants» (ou systèmes de contrôle) et «systèmes gouvernés» (ou systèmes opérationnels), régis par des processus de rétro-action (de feedback). D'où le terme «cybernétique» qui provient du mot grec «kubernesis», et qui signifie au sens figuré l'action de diriger, de gouverner. La question politique et sociale est donc au coeur du projet cybernétique tel que l'envisage Wiener. L'enjeu étant la gouvernance d'une organisation complexe. En effet, dans Cybernetics (1948) puis dans The Human Use of Human Beings (1950),Wiener propose une sociologie cybernétique afin de répondre aux exigences de son temps, cristallisés autour de la Guerre froide, appelée aussi «l'équilibre de la terreur» : il s'agit de la Big Science initiée par les Etats-Unis avec le projet Manhattan (demandant des investissements financiers et techniques colossaux, qui conduisit à la construction de la bombe atomique) et du maccarthysme (chasse aux sorcières anti-communistes qui divise le pays et l'organise selon des méthodes autoritaires). Dans ce contexte, la question essentielle est alors la suivante : quelle forme pourrait prendre une pratique scientifique qui soit non seulement progressiste quant à ses finalités, mais aussi fondamentalement démocratique dans ses modes d'organisation ? En réponse à cette question Wiener proposa de convertir les propriétés techniques du traitement de l'information en propriétés des organisations sociales, les valeurs techniques en valeurs politiques. La cybernétique a pour modèle les sciences de l'ingénieur et la biologie : elle étudie la machine et ses systèmes sous l'angle d'une organisation complexe tel qu'un organisme vivant. Ce qui lui permet d'introduire le concept de feedback, de rétro-action, comme étant une interaction machinique et organique, capable de changement. Et ainsi d'opérer un parallèle entre une machine capable de comportement d'apprentissage, pouvant faire face aux contingences d'un environnement changeant, et une organisation constituée d'acteurs sociaux soumis à différents rapports de force, intérieurs et extérieurs, susceptibles de la faire évoluer à tout moment. Dans la philosophie de Wiener, les artefacts possèdent des propriétés politiques, tel que la bombe atomique, mais la politique elle-même peut s'analyser comme un vaste artefact. La société est à la fois organisme et machine cybernétique puisque celle-ci, à l'instar de toute organisation, a besoin pour se maintenir de récolter, échanger et transformer de l'information. Cette vision, sous un angle plus critique auquel Wiener est attaché, a pour corollaire de montrer en quoi les propriétés cybernétiques de l'information servent à révéler l'organisation des pouvoirs au sein de la structure sociale et les différentes formes de domination. Wiener mit en garde quiconque voulait appliquer à la lettre les propositions théoriques mécanistes de la cybernétique au sein des sciences sociales, telles que la sociologie ou l'anthropologie, repoussant l'idée formulée par Mead et Bateson que la cybernétique pouvait avoir des «effets thérapeutiques» quant aux maux de la société. La modélisation cybernétique, qui intègre la capacité d'évolution de systèmes complexes, se prête à la métamodélisation, telle qu'elle est actuellement utilisée dans la représentation des logiciels. Alors qu'avec un modèle du domaine nous étions à un premier niveau d'abstraction, comme représentation d'un système faisant partie du monde réel, le métamodèle s'obtient en appliquant une nouvelle fois ce processus d'abstraction sur le modèle lui-même, possédant ses propres règles de construction. Et dans cette logique d'abstraction supérieure, il existe, à des fins de standardisation de la métamodélisation, le méta-métamodèle MOF (Meta-Object Facility), qui est une structure générale d'intégration pour tous les métamodèles, fournissant un langage pour les définir. Telles des poupées russes emboîtées les unes sur les autres, le principe de la métamodélisation est une construction intégratrice qui renouvelle son degré d'abstraction par étagement successif, selon une vision très hiérarchisée, et dans une perspective d'objectivation du réel. A cela Guattari oppose une «métamodélisation schizoanalytique», qui tient compte du processus de subjectivation, plus créative, dont il dit qu'«elle a vocation (selon des dispositifs, des procédures et des références renouvelées et ouvertes au changement) à engendrer une subjectivité échappant aux modélisations adaptatives et susceptibles de s'agencer aux singularités et aux mutations de notre époque». (Chaosmose, pp. 148-149) Tout en s'appuyant sur la théorie cybernétique, Guattari fait basculer le point d'appui du processus de modélisation : le concept même de machine est repensé à l'aune de la question de la subjectivité et de l'inconscient, plus particulièrement de la subjectivité schizophrénique, en tant qu'elle intègre la question de la différence entendue comme processus de différenciation. 2_ La métamodélisation schizoanalytique de Guattari : une vision machinique portée sur la complexité des objets écosophiquesAvant d'exposer plus en détail ce qu'entend Guattari par «métamodélisation schizoanalytique», il nous faut revenir sur les décentrements qu'il opère autour «de la production de la subjectivité» et de «l'hétérogenèse machinique». Le premier décentrement concerne la question du sujet, lui préférant celle de la subjectivité. Il écrit: «Le sujet, traditionnellement, a été conçu comme essence ultime de l'individuation, comme pure appréhension pré-reflexive, vide, du monde, comme foyer de la sensibilité, de l'expressivité, unificateur des états de conscience. Avec la subjectivité on mettra plutôt l'accent sur l'instance fondatrice de l'intentionnalité. Il s'agit de prendre le rapport entre le sujet et l'objet par le milieu et de faire passer au premier plan l'instance exprimante.» Aussi s'avise-t-il à donner une définition provisoire de la subjectivité : «l'ensemble des conditions qui rendent possible que des instances individuelles et/ou collectives soient en position d'émerger comme Territoire existentiel sui-référentiel, en adjacence ou en rapport de délimitation avec une altérité elle-même subjective.» (Chaosmose, p. 21) Il précise que, selon le contexte, la subjectivité s'individue, c'est-à-dire qu'une personne se positionne dans des rapports d'altérité régis par des usages codifiés (familiaux ou juridiques, par exemple), et que dans d'autres conditions, la subjectivité se fait collective, dans une multiplicité qui se déploie au-delà de l'individu, vers le socius, et vers un en-deçà, du côté d'intensités pré-verbales, relevant d'une logique des affects. «Les conditions de production esquissées dans cette redéfinition impliquent donc conjointement des instances humaines inter-subjectives manifestées par le langage, des instances suggestives ou identificatoires relevant de l'éthologie, des interactions institutionnelles de différentes natures, des dispositifs machiniques, tels que ceux qui ont recours à l'assistance par ordinateur, des Univers de références incorporels tels que ceux relatifs à la musique et aux arts plastiques.» Et Guattari d'ajouter : «Cette part non humaine pré-personnelle de la subjectivité est essentielle puisque c'est à partir d'elle que peut se développer son hétérogenèse.» (Chaosmose, p. 22) Aussi, Guattari associera-t-il la notion marxiste de Production à la subjectivité, à laquelle il greffe la notion de machine, chère à la Cybernétique. Mais à la différence de la Cybernétique, qui applique un même modèle sur des domaines de réalité très différents, Guattari tente d'agencer ensemble des modèles hétérogènes pour composer sa métamodélisation. Pourquoi un tel agencement ? Revenons un instant à son engagement au sein de la clinique de La Borde, où il a travaillé, et où est pratiquée la Psychothérapie institutionnelle sous la direction de Jean Oury, son fondateur. Là, il est confronté à la psychose, et plus particulièrement à la schizophrénie, à partir de laquelle il forgera sa métamodélisation. «Depuis longtemps, écrit-il, j'ai renoncé au dualisme Conscient-Inconscient des topiques freudiennes […]. J'ai opté pour un Inconscient superposant de multiples strates de subjectivations, strates hétérogènes, d'extension et de consistance variables. Inconscient donc plus «schizo», libéré des carcans familialistes, plus tourné vers des praxis actuelles que vers des fixations et des régressions sur le passé. Inconscient de Flux et de machines abstraites plus qu'Inconscient de structure et de langage» (Chaosmose, p.26). Il en conclut que «la fracture schizo est la voie royale d'accès à la fractalité émergente de l'Inconscient» (p. 93) Alors que l'appareil psychique freudien est modélisé d'après une topique ternaire, tout d'abord en termes de Conscient, pré-Conscient et Inconscient, et ensuite en termes de Moi, Surmoi et Ca, mettant en avant une stratification du psychisme, selon que certaines données, informations, ou désirs sont tenus dans, à proximité ou hors de la conscience, ce qui induit alors le travail analytique de remonter aux sources des conflits, tournés autour de la sexualité dans la première topique, autour des pulsions de vie et de mort dans la seconde topique, Guattari opte pour un Inconscient qui se produit à même le réel, dans un élan vitaliste, et qui machine selon des agencements, offrant une multiplicité de devenir, de lignes de fuite, aussi appelé rhizome. Guattari fait la part belle à la processualité avec son concept de «production de subjectivité» et à la transversalité d'après une reconstruction du concept de machine. Aussi parle-t-il avec Deleuze de «machines désirantes». Il faut comprendre le concept de «machine» et celui d' «agencement machinique» comme relevant du fonctionnement d'une serrure qui s'ouvre avec une clé, et ce avec deux éléments qui peuvent être hétérogènes et transversales. Machines concrètes et machines abstraites composent un ensemble que Guattari appelle «agencement machinique». Dans ce cadre conceptuel la machine a un caractère de proto-subjectivité, tout comme la subjectivité a un caractère proto-machinique, il y a comme une interopérabilité transvarsaliste opérée par l'agencement machinique. Maintenant que nous avons dressé une cartographie conceptuelle autour des décentrements opérés par Guattari concernant la subjectivité et la machine, nous nous proposons de dévoiler ce qu'il entend par «métamodélisation schizoanalytique». Voici ce qu'écrit Guattari dans le chapitre qu'il lui consacre dans Chaosmose : «Derrière la diversité des étants, aucun socle ontologique univoque n'est donné mais un plan d'interfaces machiniques. L'être cristallise à travers une infinité d'agencements énonciatifs associant des composantes discursives actualisées (Flux matériels et signalétiques, Phylums machiniques) à des composantes virtuelles non discursives (Univers incorporels et Territoires existentiels). Ainsi les points de vue singuliers sur l'être, avec leur précarité, leurs incertitudes et leurs aspects créateurs priment sur la fixité des structures propres aux visions universalistes. Pour établir un pont intensif entre ces foncteurs actuels et virtuels nous serons amenés à postuler l'existence d'un chaos déterministe animé de vitesses infinies.» Le croisement matriciel de ce qu'il nomme ailleurs «objets écosophiques» se réalise selon un trans-agencement de ces quatre foncteurs. (Cf : fig 1) Fig 1: L'agencement des quatre foncteurs ontologiques Expression Contenu actuel foyers énonciatifs virtuels (discursif) (non discursif) _possible_ Φ ( Phylum machinique ) U (Univers) = discursivité machinique = complexité incorporelle _ réel _ F (Flux) T (Territoires) = discursivité = incarnation chaosmique énergético-signalétique «Les foncteurs F [Flux], Φ [Phylum machinique], T [Territoires], U [Univers] ont pour tâche de conférer un statut conceptuel diagrammatique (cartographie pragmatique) aux foyers énonciatifs virtuels englués dans l'Expression manifeste. Leur concaténation matricielle doit préserver, autant que faire se peut, leur hétérogénéité radicale, laquelle ne peut être présentée à travers un abord phénoménologique discursif.» Le souhait de Guattari est de «parvenir à cartographier les configurations de subjectivité, de désir, d'énergie pulsionnelle et les divers modalités de discours et de conscience s'y rapportant». Et de préciser que «les entités relevant de ces quatres domaines n'auront pas d'identité permanente» car «elles seront appelés à changer d'état et de statut en fonction de leur agencement d'ensemble. En d'autres termes, elles ne relèveront pas d'une topique fixe et c'est à leurs systèmes de transformation que sera impartie la tâche de 'gérer' leur modélisation». Ce qu'il appelle ailleurs «une métamodélisation des rapports trans-agencement» (in texte «Les schizoanalyses»). Au-delà de nos réticences quant à ses emprunts à la Cybernétique concernant les effets de feedback et son modèle systémique, à sa vision par trop vitaliste et biologisante qui évacue l'altérité radicale de la mort puisqu'elle est intégrée dans sa machine de production, et une trop grande volonté de faire système (ce qui lui donne un caractère globalisant, métamodélisant justement, on pourrait dire aussi métaphysique), nous pensons que son approche spéculative et ses perspectives critique et éthique sont encore d'actualités et que la part de création que comporte une telle philosophie mérite d'être poursuivie. «Il existe un choix éthique en faveur de la richesse du possible», écrit Guattari dans Chaosmose ; et c'est bien de cette «richesse du possible», que la notion d'«inframince» de Marcel Duchamp contient, que nous avons conçu l'inframodélisation. 3_ L'inframodélisation : une vision inframince portée par la perplexité radicale «-jet-»L'«inframince», Duchamp en avait une intuition, maintes fois formulée, mais toujours de façon parcellaire, lacunaire, souvent énigmatique. C'est dans l'ouvrage intitulé Notes qu'ont été rassemblé les différentes variantes de ce terme. Parmi les différentes définitions nous pouvons y lire celles-ci : «Le possible est infra mince. La possibilité de plusieurs tubes de couleur de devenir un Seurat est 'l'explication' concrète du possible comme infra mince. Le possible impliquant le devenir - le passage de l'un à l'autre a lieu dans l'infra mince.» Il y aurait donc un lieu, l'infra mince, à travers lequel s'effectuerait le passage du possible au devenir. Un lieu comme seuil ontologique. Un lieu où s'effectuerait un saut qualitatif entre les modes d'être, entre le possible et le devenir. Ailleurs, on y lit : «les infra-minces (sur une seule dimension) ?? les deux autres normales». L'infra-mince serait pluriel et pris dans une seule dimension. Cette intuition se retrouve curieusement dans des théories spéculatives défendues par des éminents chercheurs et scientifiques dans le domaine de la physique théorique. En effet, la théorie des cordes, formulée en 1968 par Gabriele Veneziano, postule justement l'existence de cordes, des filaments possédant une longueur extrêmement petite (de l'ordre de 10 puissance -34 mètres), mais sans aucune épaisseur, qui seraient les constituants ultimes de la matière, donnant naissance aux particules élémentaires (tels le photon, le neutrino, le graviton ou le quark…) par d'infimes battements. A sa suite, en 1995, Edward Witten, de l'Université de Princeton, développe la «théorie M» qui devait unifiait 5 versions dérivées de la théorie initiale des cordes. D'après la «théorie M» notre Univers serait constitué de dix dimensions et d'une onzième, gigantesque qui serait située non pas dans notre Univers, mais à l'extérieur. Qui plus est, notre univers côtoierait d'autres univers parralèles, appelés membranes (ou branes), comportant chacun entre zéro et dix dimensions. Nous serions d'une certaine façon dans une brane-Univers parmi d'autres mais qui nous serait pas accessible. Gabriele Veneziano pense lui que «contrairement à toutes les autres particules élémentaires, qui sont des cordes ouvertes dont les extrémités 's'accrochent' à notre brane, les gravitons sont des cordes fermées sur elles-mêmes, donc plus libre de 'fuir' dans d'autres univers.» (in la revue Ciel et espace, mai 2006) Nous serions dans un monde Multivers fait de branes-Univers, au niveau macro, et d'infimes cordes, au niveau micro, permettant d'unifier les théories antagonistes d'Einstein à propos des champs gravitationnels et des champs électriques, la première ayant débouché sur la relativité générale rebaptisée relativité restreinte, la seconde sur la mécanique quantique. Au moment même où les théories einsteiniennes se divulguaient auprès d'un public plus large que celui des scientifiques et dont la principale influence fut l'invention de la quatrième dimension, l'espace-temps, Duchamp préféra penser la question de l'espace et de sa perception selon l'explication de Poincaré «des continus à n-dimensions par la coupure à n-1 dimensions», à partir de quoi il déduit la quatrième voire une cinquième dimension selon le principe de l'ombre portée : en fait, il faudrait penser que la troisième dimension ne serait que l'ombre portée sur notre espace d'une quatrième dimension et ainsi de suite, reconduisant la logique qu'à une ligne succède un plan, à un plan un volume ; la quatrième dimension serait le continu des objets tridimensionnels. De cette vision Duchamp propose une distinction entre «apparence et apparition» : l'apparition serait le moule d'où provient l'apparence, la perception ordinaire. Il écrit : «L'apparence de cet objet sera l'ensemble des données sensorielles usuelles permettant d'avoir une perception ordinaire de cet objet […] Son apparition en est le moule. […] ce moule de la forme n'est pas lui-même un objet, il est l'image à n-1 dimensions des points essentiels de cet objet à n dimensions. L'apparence à 3 dim. de l'apparition à 2 dim. qui en est le moule (formel)». (in Duchamp du signe, pp. 120-121) A partir de l'explication de Poincaré, Duchamp reconfigure l'espace, vers des dimensions supérieurs, supra-perceptives (avec les 4ème et 5ème dimensions) mais aussi vers des dimensions infra-perceptives, en plaçant l'apparition dans un rapport n-1 à l'apparence perceptive ordinaire. Cette reconfiguration de l'espace s'accordera avec une reconfiguration du temps. «En essayant, écrit-il, de mettre 1 surface plane à fleur d'une autre surface place on passe par des moments inframinces» (in Notes, p. 36). Et Duchamp de vouloir, dans cette perspective, «chercher à discuter sur la durée plastique», précisant : «Je veux dire temps en espace». Ce qu'il entend par là c'est «chercher un temps à 2 dim., 3 dim., etc». Et plus loin de nous dire que «ces écarts de temps sont en durée à 2 ou 3 dim. (voir développement spécial du cadran vu de profil […]). Il s'agit d'«une pendule vue de profil de sorte que le temps disparaisse, mais qui accepte l'idée de temps autre que linéaire» (Duchanp du signe, pp. 109, 130, 140-141) Pour Duchamp, le temps serait multidimensionnel, comme l'espace, et se développant selon des «moments inframinces», c'est-à-dire hors de nos facultés de perception, que nul instrument optique ne pourra dévoiler ; en effet, le passage «inframince» est justement un écart ontologique, comme rappelé dans le passage du possible au devenir. C'est donc à partir des conceptions de Duchamp que nous ouvrons un nouvel horizon de pensée : l'infraphysique. Et ce nouvel horizon se propose de penser la «perplexité», revisitant ainsi la perplexité telle quelle fut envisagée à la Renaissance : cette notion recueille les fruits d'un héritage savant, tant juridique que théologique. Pour les juristes, le terme de «perplexitas» désigne la situation particulièrement délicate où deux lois s'opposent l'une à l'autre, sans espoir de conciliation. Cette inacceptable antinomie réclame des méthodes de résolution originales (renvoi sine die, recours au hasard, mise en place d'une fictio legis, etc.) qui trouvent un écho direct chez des auteurs comme Rabelais et Montaigne. Penser en terme de perplexité, et non en terme de complexité, telle qu'elle trouve une résolution dans la métamodélisation, c'est penser à recourir à des solutions originales, à des «Fictions du modèle», qui, sans s'en tenir à l'efficace de son action, à sa performativité, n'en développe pas moins une problématique, ce qui fait problème. Et ce qui fait problème, ce qui nous questionne, ce qui fait question, ne s'apparente pas aux problèmes que l'on rencontre dans les mathémathiques et dans les sciences dures, où ils doivent être résolus. La «théorie M» de Witten, désirant concilier les théories antagonistes d'Einstein, en est le plus parfait exemple. Et penser la perplexité, les tensions et forces que cela occasionne, cela en passe par la proposition d'une inframodélisation portée par le radical inframince : -jet-. -jet- (ou -ject-) est radical dans le sens de radicalité ; en tant qu'infra-, le radical -jet- est en-deçà de toute ontologie constituée, c'est un seuil. On pourrait dire un seuil de perplexité. -jet- est un seuil ontologique, ce en quoi la notion de -jet- est radicale ; à travers elle, tout bascule, tout prend forme : elle est l'inframince, le passage atopique qui fait passer du possible au devenir, par et autour de quoi s'agrège une prise de consistance ontologique. -jet- n'est pas une entité : ni substance, ni particule circonscrite et autonome, -jet- n'a pas de consistance ontologique en soi ; il faut concevoir -jet- comme étant au seuil de, le seuil, l'indéterminé par excellence, le secret absolu. -jet- n'est pas en soi déterminé dans sa forme, son être-au-monde, il n'est pas «pré-objectal». -jet- n'est pas en soi quelque chose, -jet- a lieu, donne un devenir atypique aux grès de rencontres, des champs de forces traversés d'où peut advenir une consistance ontologique de fonctions variées : au radical -jet- peut prendre contact un affixe. Dans cette prise de contact, un acte de pensée a lieu, qui donne sens. -jet- donne sens. C'est par l'atopie du seuil de consistance ontologique du radical -jet- que le sens a lieu, qu'il y a du sens, que ça donne du sens au monde, à même le monde, dans l'instant souverain du surgissement du monde. Le monde se fait par et dans l'instant, instant atemporel, où -jet- se fait jaillissement-à-même-le-monde : jet-du-monde (du sens au monde et non dans le monde : le monde, pensé ici, n'étant pas un objet de la physique ou de la métaphysique comme sujet d'étude, comme lieu d'action, le monde n'ayant pas d'en-soi, substance fondamentale de l'Etre, son soubassement.) Maldiney, dans Penser l'homme et la folie, dit du «jet» qu'il est l'événement. Alors que le radical -jet- donne sens, son jaillissement-à-même-le monde dans l'instant atemporel du prendre contact donne du sens au monde lorsque s'agrège un ou des affixes, ou lorsqu'il se fixe comme pur devenir, ainsi que l'envisage Maldiney. Ainsi du suffixe «é» a lieu le «jeté», dont Heidegger se sert dans le concept de «l'être-jeté» ; du suffixe «ée» advient la «jetée», titre d'un film de Chris Marker ; ou du suffixe verbal «er» se profil le «jeter», l'advenir et le devenir. Quant aux préfixes, nous en avons d'utilisés chez Deleuze et Guattari, dans la conclusion de Qu'est-ce que la philosophie ?, où figurent l' «é-jet», l' «in-jet» et le «superjet», ce dernier terme étant une extension du concept de sujet chez Whitehead qu'il nomme précisément «sujet-superjet» ; Daniel Payot, dans Anachronies de l'oeuvre d'art, parle lui de «pro-jet» lorsqu'il pense l'oeuvre comme promesse. Et lorsqu'au radical -jet- s'adjoignent un préfixe et un suffixe nous retrouvons la question du «subjectile» développée par Derrida dans son texte «forcener le subjectile» à propos de l'oeuvre graphique d'Artaud ; mais aussi la question de l' «interjection» en linguistique, de l' «abjection» telle que l'envisage Julia Kristeva dans son ouvrage Pouvoirs de l'horreur – essai sur l'abjection, de la «projection» dans le cadre psychanalytique, de la déjection comme constituant anthropologique fondamental, que ce soit dans l'expression «là où ça sent la merde, ça sent l'homme» d'Artaud ou dans le «merdRe» chez Alfred Jarry dans Ubu. Faisons cas à présent de deux termes qui ont une longue et lourde histoire philosophique, et qui ont pour radical «-jet» auquel est attaché le préfixe «ob-» et le préfixe «su-» : il s'agit de «objet» et de «sujet». Objet et sujet : Après la distinction métaphysique classique opérée par les philosophes, avec sa cristallisation cartésienne et sa vision duelle entre Corps et Esprit, et jusqu'au milieu du XXème siècle, chez Heidegger avec la distinction Etre et étant, après la fusion guattarienne de l'objet-sujet opérée dans le processus de subjectivation machinique qui ne substantifie plus d'un côté l'objet, de l'autre le sujet, nous n'accordons, pour notre part, à aucune notion le primat d'une qualification ontologique, fut-ce t-elle d'ordre processuelle ou mutante comme la subjectivation. En effet, comme nous venons de l'esquisser, et comme nous nous donnerons ultérieurement pour tâche d'en offrir une plus ample expression, le radical -jet- donne sens sans qu'il soit lui-même porteur de sens, porteur d'une qualification ontologique. Le radical inframince -jet- est en-deçà d'une ontologie, il en est son seuil, sa limite, sa radicalité négative. L'inframodélisation se fera à l'aide de schémas et d'une abondante littérature. Elle sera à l'image du radical -jet-, abondant, débordant. Elle sera dépense. Elle fournira la «dépensée». L'infraphysique a pour vocation de «dépenser» la métaphysique traditionnelle, clôturée par Heidegger, de la super-physique immanentiste de la Cybernétique, et de la métaphysique des immanences de Deleuze et Guattari. «Dé-penser», comme dépense des pensées de la différence, comme radical inframince, en d'autres termes : c'est aller à l'impossible, au souverain. Dé-penser, travailler à «la dépensée», c'est répondre à Heidegger (qui prédit la fin de la philosophie dont l'enjeu, dit-il, a toujours était métaphysique), et c'est répondre de Heidegger (celui qui n'a pas répondu de ses affinités responsables avec le nazisme). Dépenser Heidegger, c'est le pousser dans ses réserves. Comme le fait Derrida dans De l'esprit. C'est répondre, au fond, à sa question, sans la résoudre : «Une pensée, qui ne pourrait être ni métaphysique, ni science ?» Proposer une pensée de la «dé-mesure», de l'altérité, plutôt qu'une pensée démesurée qui admet la clôture, le sol, la terre et le sang mêlés. L'infraphysique fait place à l'atopie de la pensée. Elle pense le jaillissement dans l'instant au sens Bataillien, c'est-à-dire comme souveraineté qui dépasse la raison. Ce qu'il y a en creux dans cette atopie et dans cet instant, c'est l'impossible, c'est la souveraineté, qui, en tant que telle creuse la différence ; une différence qui ne soit pas discernabilité, ainsi que la dicte la raison, le logos. Creuser dans le sens d'aller à la mine et de miner les discours, parce que «la souveraineté est ingrate», dit Derrida. Et d'écrire en ce sens : «la différence entre Hegel et Bataille est la différence entre ces deux différences. On peut ainsi lever l'équivoque qui pourrait peser sur les concepts de communication, de continuum ou d'instant. Ces concepts qui semblent s'identifier comme accomplissement de la présence, accusent et aiguisent l'incision de la différence. “Un principe fondamental est exprimé comme il suit : la 'communication' ne peut avoir lieu d'un être plein et intact à l'autre : elle veut des êtres ayant l'être en eux-mêmes mis en jeu, placé à la limite de la mort, du néant” (Sur Nietzsche). Et l'instant - mode temporel de l'opération souveraine - n'est pas un point de présence pleine et inentamée : il se glisse et se dérobe aux deux présences ; il est la différence comme dérobement affirmatif de la présence. Il ne se donne pas, il se vole, s'emporte lui-même dans un mouvement qui est à la fois d'effraction violente et de fuite évanouissante.» La souveraineté est ce qui suspend la communication, ce qui met en doute la performativité d'une action, ce qui est là où on ne l'attend pas. La souveraineté questionne. Mais il nous faut creuser la question, aller à la mine, risquer l'incision : l'inframince. Et c'est par un infra que nous nous ouvrons un nouvel horizon de pensée, une note de bas de page qui figure dans Métaphysique et politique chez Kant et Fichte de Alexis Philonenko : «Dans l'Etat platonicien les gardiens sont armés : ils possèdent des lances et des épées. D'où vient le métal sans lequel ces armes ne sauraient être forgées ? On ne le retrouvera certainement pas dans le cercle des artisans en général dont parle Platon (les tisserands, les cordonniers). Il faut qu'il y ait des mineurs, des hommes, qui, non seulement travaillent dans la Caverne, mais dans le sous-sol de la Caverne. Et que et qui sont-ils selon Platon ? Nous n'en savons rien. Kant parle des mines. Mais il en dit très peu de chose. Il ne médite nullement cette opération, non pas métaphysique, mais infraphysique, qui conduit l'homme, guidé, on ne sait par quel instinct, à s'enfoncer dans le coeur de la Terre, où il sait, mais par quel miracle ? qu'il se trouve quelque chose de précieux. Il y aurait une belle thèse d'infraphysique à rédiger sur l'homme et la mine.» |