"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Tierce personne
Une psychanalyste et une sociologue publient un essai sur la relation mère-fille :
jamais deux sans trois ?

Origine : http://humanite.presse.fr/journal/2002-02-13/2002-02-13-28820

Caroline Eliachef, psychanalyste, et Nathalie Heinich, sociologue, dans leur ouvrage Mères-filles, une relation à trois (1) inventorient les relations " problématiques " qui peuvent s’instaurer entre mère et fille. Ce sujet, qui touche aussi à la construction de l’identité féminine, n’avait suscité jusqu’ici que peu de réflexions. S’identifier à sa mère et s’en différencier, en étant du même sexe, voilà le problème complexe auquel s’affronte la fille pour devenir " soi ". Ni statistiques, ni cas cliniques, c’est à travers des fictions (films, romans) et en se référant (y compris pour les questionner) à un large éventail de chercheurs, psychanalystes ou sociologues, qu’elles démontrent la spécificité - souvent " ravageuse " - du lien mère-fille. Pour Caroline Eliachef et Nathalie Heinich, c’est l’évolution de la condition féminine - la contraception, les techniques de procréation assistée (la mère pouvant devenir mère sans connaître le géniteur), l’indépendance économique des femmes, leur investissement professionnel - qui a favorisé, avec le déclin de l’autorité paternelle, le sentiment de toute-puissance chez les mères. Aussi plaident-elles pour " quelque chose " entre " l’obéissance aveugle à un père tout puissant " (... ) et la " toute puissance des mères en l’absence d’un tiers ".

Leur étude est menée autour de trois axes. Le premier axe décrit les deux principales " positions " adoptées par les mères. Dans un cas, la mère est centrée sur sa fille, à l’exclusion du reste, pas de place pour le père (tiers), elle apparaît comme une " bonne mère ", la culpabilité est du côté de la fille. Dans l’autre cas, la mère est centrée sur un objet extérieur à la maternité (époux, amant ou travail), la fille est exclue et n’a pas de place, elle apparaît comme une " mauvaise mère ", la culpabilité est de son côté. Ces positions peuvent coexister ou alterner en fonction des âges de la vie. Le deuxième axe examine " l’objectivité du comportement de la mère et la subjectivité du vécu de la fille " du point de vue des sentiments de supériorité ou infériorité, jalousie, défaillance (mère injuste, mère dépressive, mère " fille de leur fille "...), absence ou encore maltraitance. Le troisième axe enfin étudie les étapes de la vie d’une fille dans sa relation à sa mère : devenir femme (le choix de l’objet d’amour), devenir mère (la question de la transmission)... Les filles, comme les mères, " sont traversées par des forces inconscientes, qui rendent leur marge de manouvre étroite - bien que pas inexistante " et pour elles, la question du comment importe plus que celle du pourquoi.

Caroline Eliachef et Nathalie Heinich sont ainsi amenées à revenir sur les définitions de l’inceste. • l’inceste " classique " (abus sexuel du père vis-à-vis de sa fille) et à " l’inceste du deuxième type " (l’amant de la mère étant également l’amant de la fille) défini par Françoise Héritier, elles ajoutent un " inceste platonique ", entre apparentés, sans passage à l’acte, résultat d’une relation fusionnelle entre mère-fille, par l’exclusion du tiers (le père) et confondant les places généalogiques. Leur point commun, c’est celui de l’espace : il y a toujours " trois personnes mais seulement deux places ". Les auteurs remarquent que si la fonction indispensable du tiers peut " s’incarner dans d’autres instances " que celles du père et ne pas être confondue avec " ses incarnations circonstancielles " (père autoritaire), la question se pose aujourd’hui de savoir si le tiers peut être du même sexe. Certains lecteurs regretteront que l’évolution de la fonction du père soit peu ou pas questionnée par les auteurs alors qu’elles insistent tout au long de leur ouvrage sur l’inéluctabilité d’une relation à trois. Un tiers " séparateur, différentiateur, évitant la confusion des identités, médiateur et empêchant l’emprise de la mère sur la fille et inversement ", c’est le jeu " du semblable et de l’autre " qui est ici mis en évidence.

Louise Cimolai

(1) Mères-filles, une relation à trois, par Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich. Albin Michel. 420 pages, 21,90 euros.