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LA CRISE DES GÉNÉRATIONS
Etude sociopsychanalytique - Gérard Mendel - Petite bibliothèque Payot 1969
(…. CONCLUSION)


LES DEUX NATURES, LA POLITIQUE ET LES VALEURS

Nous voudrions terminer cet Essai par quelques considérations de Politique générale, de politique au sens étymologique définissant. la place de l'individu dans la cité, les rapports de l'homme avec la société. Cette politique, qui en l'état d'analphabétisme où le citoyen est tenu par l'État apparaît à l'heure actuelle soit comme le lieu où exercer les tendances subjectives les plus irrationnelles, soit comme l'occasion de réflexe de défense afin de protéger des intérêts à court terme... A entendre discuter de politique, il semble au psychologue qu'il se trouve devant une sorte de vaste test projectif, d'une grande tache d'encre de Rorscharch, et qu'à propos des mêmes formes les fantasmes inconscients les plus différents se trouvent projetés sans guère de contrôle de la raison.

On peut admirer la prodigieuse vitalité qui se manifeste dans la nature - la Nature « naturelle ». Profitant de la moindre circonstance favorable, la vie - qu'il s'agisse d'un brin d'herbe ou d'une espèce animale - se propage, colonise, lutte et jusqu'à la limite s'essaiera à durer opiniâtrement. Les lois « naturelles » qui président à son développement sont fort simples : le seul absolu c'est la vie, il n'existe de droit que celui du plus fort et seule la survie de l'espèce est importante, l'individu n'existant que comme moyen pour cette fin.

Telles sont ce que l'on pourrait nommer les « valeurs de nature ».

On peut également admirer le prodigieux développement de la technologie qui va, le mois prochain, connaître un spectaculaire aboutissement, tout provisoire et vite dépassé, avec les premiers pas que l'homme fera sur la lune. Les lois qui président le développement de cette nouvelle nature sont connues : le principe d'efficacité et de rendement est la seule « valeur technologique », l'homme, entant qu'individu aussi bien qu'en tant qu'espèce, étant un moyen au service de cette fin.

Il convient encore de noter que, comme nous en avons défendu la thèse dans le présent Essai, l'homme vit inconsciemment de, la même manière la puissance de la nature « naturelle » et celle de la nouvelle nature technologique. Dans la mesure où il est moyen et non pas fin, où il est soumis à une toute-puissance s'exerçant arbitrairement envers lui, dans la mesure où il se sent impuissant, dépossédé d'une possibilité de contrôle et de maîtrise, il éprouve les puissances naturelles comme la répétition de la puissance absolue de la Mère de sa toute-première enfance, telle que l'image en est restée inscrite dans son Inconscient. Ce n'est pas l'un des moindres paradoxes de la situation présente que la Science, née avec l'intériorisation de l'image paternelle, ait abouti à une pouvoir quasi-autonome de la technologie travaillant à détruire l'image paternelle, c'est-à-dire travaillant à détruire le médiateur néo-formé à partir du Néolithique et interposé entre le Moi et les imagos maternelles archaïques.

Ainsi les « valeurs de nature », qu'elles soient celles de la nature « naturelle » ou de la nouvelle nature technologique, s'opposent-elles en leur essence aux Valeurs, c'est-à-dire au développement: de l'humain dans l'espèce animale humaine : au droit, à la Justice, à la raison, à la vérité, à la beauté. Quand nous aurons ajouté que nous avons conclu dans le présent Essai la présence en l'homme, à côté d'une nature biologique et d’une culture néo-formée, d'une « nature humaine ), spécifique, invariable, autonome, indépendante, en son essence, de tout élément socio-historique, on comprendra que pour nous l'homme se définit au mieux par le jeu antagoniste de ces « valeurs de nature » et des Valeurs. Et quand nous aurons encore dit que c'est dans l'accomplissement des Valeurs que l'homme peut réparer efficacement les effets des blessures narcissiques fondamentales humaines car c'est seulement dans cet accomplissement, conforme à ]'Idéal du Moi et dont il tire fierté, que son Moi suffisamment renforcé pourra résister à l'arbitraire et à la toute-puissance des imagos maternelles archaïques, parvenir à corriger activement les effets des frustrations et se révèle être donc le moins agressif, nous aurons résumé notre pensée.

Ajoutons encore, pour bien montrer comment les « valeurs de nature » s'opposent aux Valeurs et, laissées libres d'agir, tendent à les détruire, que le nazisme peut au mieux se définir, ainsi que nous l'avons montré dans La Révolte contre le Père, comme le triomphe de ces « valeurs de nature ». Mais aussi l'homme nazi est-il un être narcissiquement frustré - quant aux formes de maturation les plus élaborées du Narcissisme : Idéal du Moi et Valeurs - et, par là, un être au plus haut point agressif.

Le problème à l'heure actuelle, devant l'accroissement de la force technologique qui tend à utiliser l'homme et à lui imposer son idéal technologique, est de tendre à renforcer en en l'homme, au niveau collectif des Institutions socio-culturelles, une contre-force capable de résister et de lutter, non pas afin de détruire la technique, mais afin de la mettre au service de l'homme, comme autrefois la nature « naturelle » fut utilisée par l'homme.

Pour résoudre ce problème, il n'est pas d'autre moyen que de s'adresser au vieil allié de l'homme et qui ne l'a jamais trahi - à la Science. Qui ne l'a jamais trahi, car c'est la science appliquée et non pas la recherche fondamentale qui est cause de l'asservissement et du conditionnement progressif de l'homme. C'est parce que l'homme n'a pas su mieux poser les options et les choix importants, qu'il n'a pas su diriger la puissance de la science, c'est parce qu'il laisse l'Outil lui échapper des mains, que le problème existe de manière si aiguë à l'heure actuelle. La science appliquée peut aussi bien être dirigée vers la lutte contre la faim et la surpopulation dans le monde, vers une information libre largement répandue, vers la recherche des causes du cancer ou des maladies vasculaires - ou bien se développer d'elle-même, par le jeu des concurrences entre grands États vers le surarmement atomique ou la course à l'espace. Encore une fois, il n'est pas exact de prétendre qu'il suffit de laisser la technique se développer librement pour que, parallèlement, la libération de l’homme progresse.

La contre-force dont nous venons de parler à l'instant est précisément celle qui permettrait à l'homme de reprendre, tant qu'il en est encore temps, le contrôle de la force technologique (1).

Donc, un seul moyen reste utilisable pour aider cette contre-force à se développer : la science, qui seule permet de définir chacun des éléments intervenant dans ce problème, et de préciser les facteurs d'aliénation à l'intérieur et à l'extérieur de l'homme. Notre Essai se veut, autant qu'il est possible dans un domaine encore en friche, dans un voyage d'exploration sur des terrae incognitae, comme fidèle à la démarche de la méthode scientifique.

Nous avons vu que le recours aux solutions traditionnelles était inefficace. Vouloir recourir à un Père social équivaut à donner le pouvoir politique aux « valeurs de nature » : le nazisme, c'est sous l'apparence d'un Führer, liberté pleine laissée aux forces asservissant ou détruisant l'humain, c'est, sous l’apparence d'un Père les traits d'une Mère archaïque. Pourquoi cela ? C'est que le Père social est mort ou à l'agonie, et que les valeurs ayant cours dans les sociétés modernes sont celles de « nature », de la nouvelle nature technologique.

Que le Père social soit mort - ou soit en train de mourir de sa belle mort, alors que le père familial de par l'éclatement de la famille, du fait des conditions de vie au sein de la société technologique, est lui aussi bien mal en point - les déclarations des hommes politiques contemporains nous en persuaderaient s'il en était encore besoin.

Précisons d'abord par une image quelle est la figure actuelle du Père social. On sait que dans certaines classes d'avant-garde, aux États-Unis en particulier, les enfants, des écouteurs aux oreilles, dialoguent avec un ordinateur qui corrige leurs réponses. Ce robot-ordinateur est pour l'Inconscient une imago parentale peu différenciée et par là avant tout maternelle dans la mesure où la première imago est maternelle et dans la mesure où c'est d'elle que l'image paternelle doit se différencier. Bien des caractéristiques de l'ordinateur évoquent la relation maternelle archaïque (l’absence de forme précise, etc.). Disons pour fixer les choses que le Père social actuel, c'est-à-dire l'esprit de la société, l'esprit des Institutions socio-culturelles, l'idéal social, le Pouvoir social seraient au mieux figurés par un ordinateur poursuivant ses propres fins et sur lequel on aurait dessiné les traits d'un homme. Parler de Père social actuellement est un leurre, alors que le Pouvoir est vécu comme le fantasme d'une Mère archaïque toute-puissante qui a châtré le Père, c'est-à-dire qui a mutilé les Valeurs. Le Père social est un Père châtré, impuissant. On comprend dès lors que tout personnage paternel qui se présente comme voulant incarner le Pouvoir social tend nécessairement à faire évoluer les Institutions vers des formes d'autoritarisme et de fascisme. Il ne peut qu'incarner l'esprit de la société, lequel tend à perpétuer un idéal technologique a-humain et à instaurer la règle de la nouvelle nature technologique. Sous l'apparence des structures patriarcales, et cela à tous les niveaux, c'est la Mère archaïque qui tire les fils. Que l'on comprenne bien notre pensée: ce n'est évidemment pas la Mère archaïque, c'est la puissance technologique. Mais cette dernière est vécue inconsciemment comme une Mère archaïque (société de consommation : Mère « bonne », société aliénante: Mère « Mauvaise ». En tous cas, le sujet est et doit rester un enfant). Et c'est par rapport à ce vécu inconscient de la Mère archaïque que l'homme, individuellement et collectivement, réagira. Mais prêtons l'oreille aux déclarations des hommes politiques contemporains.

Ce qu'on appelle la Droite met en avant : la défense de la monnaie, la nécessité d'économies, d'investissements productifs, de modernisations, de rentabilité, d'expansion, la stabilité politique, un pouvoir fort.

Ce qu'on appelle la Gauche met en avant: la nécessité d'industrialisation et de nationalisation. Nationaliser, c'est confier à l'État le soin de gérer un certain nombre d'entreprises privées, c'est donc fortifier le pouvoir de l'État.

Dans les deux cas, l'idéal politique est celui d'un pouvoir fort à visée technologique.

Dans la mesure où le problème est placé uniquement sur le plan technologique, il va de soi que, par le jeu de la concurrence internationale, la course en avant vers une technicité de plus en plus développée ne pourra que se développer. Mais elle nécessite que soient sacrifiés non pas le pain - les machines doivent bien être entretenues - mais les loisirs, les investissements non orientés vers la modernisation de l'Outil (espaces verts, hôpitaux, habitations agréables, etc.). C'est en raison de cet horizon mécaniquement technique, de cette mobilisation permanente de toute l'énergie dans un travail dont la rentabilité concurrentielle est le seul critère, de cet idéal d'un homme qui ne serait que machine: efficace, travailleur, respectueux - en raison, en somme, de l'écrasement de l'humain sous la Machine et de l’infantilisation politique obligatoire (2), que les sociétés modernes, incomparablement plus « vivables » à de nombreux points de vue que toutes celles qui les ont précédées, sont si foncièrement insatisfaisantes pour les individus qui les composent. La publicité joue là un rôle mystifiant néfaste: elle prend appui sur la frustration narcissique et politique ambiante pour chercher à persuader les citoyens réduits à la fonction de simples consommateurs que s'ils ne sont pas contents et heureux c'est parce qu'ils n'ont pas encore telle voiture ou telle marque de rasoir électrique et qu'ils cesseront de se sentir frustrés une fois qu'ils les posséderont. Alors que s'ils se sentent frustrés, c'est parce qu'on ne les laisse pas devenir des adultes sociaux. Il y a beaucoup de vrai dans le slogan : « Dodo-Métro-Boulot ». La Mère sociale toute-puissante vous endort sous ses dons et ses techniques tranquillisantes (la T. V. française est une nourrice qui chante des berceuses), dans les instants où elle ne vous impose pas de travailler comme une machine. Mais si la réussite humaine consistait à devenir un adulte et non pas à rester un petit enfant impuissant devant sa Mère ?

Autrement dit, toutes les déclarations des hommes politiques, à quelque bord qu'ils appartiennent, sauf rares exceptions, vont dans le même sens d'un renforcement du pouvoir politique de l'État et d'un développement technologique. C'est là ce que nous voulons dire quand nous parlons de « puissance autonome de la technologie » : les politiciens ne font que prêter leur voix et leurs concours au développement de cette puissance. Dans ce sens, il n'est plus guère possible de parler de « gauche » ou de « droite » : ce clivage ne correspond plus à grand chose de précis et devrait être remplacé par une distinction entre « technocrates étatiques » et « défenseurs de l'humain » (3).

Et l'on peut penser que c'est par l'effet d'une sorte de tragique ironie que l'on a pu voir les forces libérales ou de gauche préconiser depuis quelques décennies des mesures qui tendent toutes au renforcement de l'État: les nationalisations, par exemple, ou le monopole de l'État sur l'information. Alors qu'elles auraient dû multiplier leurs efforts pour renforcer, préalablement ou à tout le moins en même temps, les libertés dites « formelles » et le pouvoir politique des individus face à cet État qui, dans toute société moderne, est devenu une force en soi, l'expression même de l'Idéal technologique. Que l'industrie automobile reste une entreprise privée fonctionnant politiquement à titre de lobby est de bien moindre importance que la main-mise sur la Télévision par l'État, anesthésiant et paralysant toute possibilité de prise de conscience par les individus. Un homme privé de l'information est comparable à un système nerveux dans lequel on aurait anesthésié l'appareil sensitif et conservé l'appareil moteur: à l'aide de stimulations appropriées, on peut lui faire accomplir à peu près tous les actes que l'on veut. Et l'échec sur le plan humain de tous les régimes socialistes vient sans doute de la disparition face à cet État de toute force antagoniste. Aussi bien sur le plan physiologique que sur le plan psychique il convient de rappeler que le modèle de tout fonctionnement viable est celui d'un jeu de forces antagonistes. « Tout pouvoir est mauvais si on le laisse faire », écrivait déjà Alain.

Ne donner comme seul but à la société que l'élévation du niveau de vie - c'est là le maître-mot des hommes politiques qu'ils soient « de gauche » ou de «droite » - ne peut que mener à la réduction de l'homme à l'état de Robot, couvert de prothèses artificielles, mais frustré quant à l'essentiel, donc mécontent, donc agressif, destructeur et asocial.

Il est absurde de prétendre qu'il suffit de laisser la technique se développer pour que l'homme devienne plus libre. Si on laisse la technique se développer sans lui fixer des objectifs humains, la Terre deviendra une planète de sous-hommes conditionnés, d'esclaves aux frustrations endormies par de super-tranquillisants et stupéfiants, travaillant à fabriquer de colossales fusées qui, emplies d'ordinateurs, voyageront dans l'espace. Alors l'espèce humaine que la Nature « Naturelle» n'avait pas pu contraindre à garder sa place au sein des autres espèces aura enfin été réduite à l'état animal - une termitière - par une nouvelle nature, la technologie, née précisément des mains de l'homme. L'aventure humaine avec ses particularités se sera alors achevée.

Les deux objectifs souhaitables pour une société ne peuvent être, inséparablement, que le bien-être de ses membres et l'accession de ceux-ci à un statut d'adultes sociaux, de citoyens.

Bien-être qui conjugue l'élévation du niveau de vie, la préservation de l'environnement naturel, le développement des équipements collectifs (hôpitaux, espaces verts, écoles, transports, etc.) (4), et la volonté de favoriser la mise en forme de modes de vie adaptés aux besoins humains (5).

Accession des individus à l'état d'adultes sociaux, les deux catalyseurs de cette libération et de cette maturation étant la co-éducation au sein de l'institution scolaire (prolongée par des possibilités d'éducation permanente), et une information libre, c'est-à-dire aujourd'hui une Télévision libre.

Alors seulement, une nouvelle fois, à partir de difficultés dramatiques - et la crise des générations est l'une d'entre elles - un élan conduirait l'homme à avancer un peu plus loin encore sur le chemin du plus humain. L'homme, cet animal différent de tous les autres parce qu'il est inévitablement en état de conflit permanent avec lui-même ; l'homme, cet animal qui a dû s'inventer homme pour survivre.

L'homme en tant qu'être humain ne durera qu'autant que cette invention se poursuivra. Ce que nous croyons deviner à présent c'est qu'il deviendra peut-être inutile de réprimer son besoin de liberté (répression qui jusqu'à présent s'est toujours révélée partiellement inefficace puisqu'en dépit de tant d'horreurs (6) et au travers de tant de luttes à peu près oubliées ont été arrachées à l'oppression, à l'ignorance et au sadisme les quelques libertés politiques que nous avons reçues en héritage) dans la mesure où l'on saura endormir artificiellement les éléments de conflit humain spécifique et geler à leur source l'angoisse et l'agressivité spécifiques de l'animal-homme (7). Par là, annulant ce qui a rendu nécessaire l'invention de l'humain et des Valeurs, l'homme serait devenu capable de rendre l'espèce humaine à l'animalité dont elle était sortie voici quelques dizaines de milliers d'années. Ce serait bien alors cette fin de l'homme que nous annoncent les nihilistes contemporains. Elle n'est peut-être pas inéluctable. Mais elle semble être devenue possible, grâce aux progrès de la science appliquée.

Si nous avons semblé critiquer bien des aspects de la révolte adolescente, c'est en raison du rôle irremplaçable qu'elle devrait être amenée à jouer. Et nous voudrions ainsi conclure cet Essai: l'énergie, l'élan, le dynamisme, la générosité nécessaires pour alimenter la seule contre-force capable de s'opposer à la technocratie, résident dans la jeunesse. Mais, aussi, il dépend des adultes que cette contre-force, capable du meilleur ou bien du pire, ce sera selon, soit dirigée vers le progrès et non vers la destruction.

Rappelons notre classification des « contestataires » en trois grands groupes. Tout d'abord, les « novateurs », les « révoltés au nom du père », qui désirent travailler à une modification de la société en préservant les Valeurs et en gardant ce qui peut et doit être conservé de l'héritage socio-culturel. Ensuite les « archaïsants » - tels les hippies - profondément régressés et utopistes, croyant à la bonté originelle de l'homme et que seule la société est « une fleur carnivore ». Et, enfin, les fascistes, qu'il s'agisse de totalitarisme étatique, de technocratie ou de nihilisme idéologique.

Mais bien souvent, sinon le plus souvent, les eaux de ces trois courants - le désir de novation, la tentation archaïsante et le vertige nihiliste - se mêlent chez le même adolescent. Le véritable problème de notre époque, c'est d'éviter que les adolescents déçus, trompés, glissent vers le fascisme vers lequel, en l'absence de contre-force, tend tout naturellement la société technologique.

Vouloir condamner, réprimer systématiquement la révolte étudiante, vouloir la faire passer sous les fourches caudines d'une autorité qui aujourd'hui ne repose plus ou très peu, sauf exceptions, sur les Valeurs, d'une Autorité qui en de nombreux domaines ne peut plus apparaître comme respectable, d'une Autorité fondée sur la force seule, se poser en juge et en mentor de la seule jeunesse, alors que le monde adulte autour de nous offre le spectacle de la progressive dégradation des valeurs et des libertés politiques et la perspective d'un suicide atomique - c'est jouer le jeu de la technocratie et du nihilisme contre l'humain. Ce ne sont quand même pas les adolescents d'aujourd'hui qui sont responsables de Katyn, d'Auschwitz, ou d'Hiroshima!

A l'opposé, chercher à flatter ou à séduire les adolescents, leur laisser supposer qu'il leur suffira d'obéir à leur seule inspiration, fût-elle généreuse, pour construire un monde un peu meilleur, c'est vouloir leur échec et l'échec tout court.

L'appui des adultes aux adolescents (et, par eux, à la société future) ne peut s'exercer, répétons-le encore une fois, que dans le cadre de la co-éducation et par la revendication d'une information libre. Ceux qui refuseront l'une et l'autre sont ceux qui hier refusaient la liberté de la Presse, le droit syndical d'association et le suffrage universel.

Juin 1969
(et, pour la 2e édition, pâques 1970.)


(1) Elle se trouve donc à l'opposé des tentatives faites, et justement dénoncées par Marcuse, pour adapter l'homme à l'univers technologique. Cette contre-force tend au contraire à limiter la puissance des forces technologiques et à les adapter à des fins qui sont celles du développement de l’humain, des Valeurs, au sein de l'espèce animale humaine. A l’heure actuelle, l'Idéal technologique mobilise des êtres humains dans une véritable guerre économique. La concurrence - qui joue au sein de cette « Nouvelle Nature » le rôle d'une sélection naturelle - indéfiniment prolongée oblige à des investissements de plus en plus coûteux dans des Machines dites compétitives. La seule limite est celle de la frustration humaine, de la frustration de l'humain en l'homme, source d’explosions d'agressivité collective que le Fascisme, quelle qu'en soit la forme a pour fonction de canaliser et d'orienter.

(2) Nous voulons dire par là que l'esprit de la société exige que les individus restent politiquement des enfants. Les sociétés néo-technologiques à moins que préexiste une solide tradition démocratique, ne peuvent accepter une information libre. La Russie a occupé la Tchécoslovaquie essentiellement parce qu'elle ne pouvait pas y tolérer la liberté de l'information. Le Gaullisme lui aussi a été intransigeant sur ce point. Mais la question se posera de plus en plus de savoir si une élection peut être dite libre dans un pays où l'information télévisée ne serait pas libre depuis au moins plusieurs mois, et si en cas de conditionnement psychologique par la T. V. le résultat d'une élection doit être considérée comme juridiquement légal ou non.

(3) Appartiennent à la première catégorie ceux qui pensent que la fonction de l'école étant seulement l'acquisition de connaissances, veulent une école mieux organisée, plus efficace, et rien de plus que ce progrès technique. Appartiennent à la seconde catégorie ceux qui pensent que la fonction de l'école est l'apprentissage de la liberté plus l'acquisition des connaissances, et qui exigent donc que progrès de l'humain et progrès technique aillent de pair.

(4) Préservation de l'environnement naturel et développement des équipement collectifs : c'est-à-dire la mise au service des hommes et de la nature et de la nouvelle nature technologique. Il ne s'agit ni d'adapter l'homme à la nature on à la technique, mais de chercher à adapter la nature et la technique à l'homme.

(5) Bien des questions restent en suspens. Et par exemple: la démocratie économique passe-t-elle obligatoirement par le socialisme ou bien celui-ci n'est-il qu'une mystification, une illusion néo-scientiste masquant cette réalité que serait l'imposition de la puissance technologique à l'homme, et le fameux sens de l'histoire n'étant alors que la réussite progressive de cette imposition. De toutes manières le point capital actuellement, c'est le développement de la démocratie politique (en régression partout). L'expérience des diverses formes de socialisme depuis quelques décennies montre que si celui-ci veut échapper à la fatalité qui veut que là où il s'installe la démocratie politique meurt, il doit s'accompagner d'un renforcement de la démocratie politique dès le début. Mais peut-être la fatalité que nous venons d'évoquer est-elle inhérente au socialisme dans la mesure où celui-ci renforçant l'État ne renforce pas pour autant une contre-force capable d'équilibrer la puissance de l'État. La liberté ne peut survivre sans doute que grâce au jeu des antagonismes. A propos de l'U.R.S.S. : « Non seulement ils [les bureaucrates] ne peuvent rien inventer de neuf, mais ils considèrent en général toute idée nouvelle comme une atteinte à leurs droits ( ... ) Naturellement le seul but d'un tel régime, tout au moins dans sa politique intérieure, doit être l'auto-conservation ( ... ) Il [le régime] veut seulement que tout soit comme avant: que les autorités soient reconnues, que l'intelligentsia se taise, que le système ne soit pas ébranlé par des réformes dangereuses et inattendues (...) Son but : que les choses restent comme elles étaient. » Andrei Amalrik, L'Union soviétique survivra-t-elle en 1984 (Fayard). Il est peut-être inévitable que dans tout régime socialiste le mouvement dialectique évolutif se trouve bloqué, même si - ô paradoxe ! - ce régime se recommande du matérialisme historique (Marx) et du matérialisme dialectique (Engels). Disons, sans pouvoir y insister ici, que la pensée de Proudhon, plus que celle de Marx, nous paraîtrait en accord avec les thèses freudiennes de conflit irréductible qui, dans la Métapsychologie, s'expriment par le point de vue dynamique. A propos de Proudhon, cf. le travail fondamental de Jean Bancal : « Proudhon : une pratique de l'autogestion, les apports critiques ». Autogestion, no 7, pp. 143-160.

(6)[La note 6 a disparue lors des diverses manipulations techniques de ce texte ]

(7) Dont deux livres récents, Le Premier Cercle de Soljenytsine et L'OEuvre au Noir de Marguerite Yourcenar, nous font partager la réalité vécue ou retrouvée.

(8) Les médications psychotropes et peut-être les interventions biologiques devenant les alliées de la puissance technologique.


Le lien d'origine : http://perso.guetali.fr/castjpau/Resscom/Mendel.htm