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Mémoire de philosophie Mai 2008
La postmodernité
De la critique du sujet moderne à l’effacement du sujet



Université de Nantes
UFR Lettres et Langages
Département de Philosophie

La postmodernité
De la critique du sujet moderne à l’effacement du sujet

Mémoire de Master 1 de Philosophie
Présenté par Philippe Coutant
Sous la direction de M. Jean-Claude Pinson
Professeur associé M. Renaud Barbaras
année 2007-2008

Ce mémoire a été refusé en Mai 2008.


 

Un second mémoire a été présenté en Septembre 2008. Il a été soutenu et validé.

Subjectivité et postmodernité, Éléments de recherche

Il est disponible sur demande : 1libertaire (at) free.fr

ou via l'adresse postale : Philippe Coutant C/O Bellamy 17 17 Rue Paul Bellamy 44000 Nantes


Liminaire

La question de la postmodernité est devenue un objet de recherche en philosophie, parce que les réponses antérieures sont en difficulté. Il s’agit de penser notre temps à l’aide de concepts et modèles plus appropriés à la situation. En connaître les limites n’empêche pas de penser et de croiser les approches pour réfléchir à notre condition humaine à l’aube de ce nouveau millénaire.

La question du sujet est un des enjeux principaux de l’étude de la définition de la postmodernité.

Nous commencerons par nous interroger sur la qualification de la définition de la postmodernité. Il s’agit de savoir si la notion de paradigme paradoxal est recevable.

Notre parcours philosophique débutera avec les critiques faites au sujet moderne par les philosophes du soupçon : Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud et Karl Marx. Le début du chemin sera conventionnel, il est maintenant intégré au sens commun philosophique.

Nous aborderons ensuite par comparaison et contraste le concept de raison, puis, celui de démocratie, de l’universalité et de la science. Au passage nous rencontrerons la question du tournant linguistique et celle du structuralisme.

L’étape suivante sera celle de l’examen de diverses expressions de la postmodernité. L’architecture ouvre une brèche. La philosophie de Jean-François Lyotard posera une borne, qui marque la césure.

D’autres philosophes, qui ne se revendiquaient pas de la postmodernité, ont continué l’œuvre postmoderne. Nous passerons chez Jacques Derrida, qui nous a légué la déconstruction. Nous aborderons les rivages de la notion de pouvoir avec Michel Foucault et nous rencontrerons ensuite l’immanence du multiple avec Gilles Deleuze.

Ce parcours reste classique, le chemin est déjà balisé. Il devient moins conventionnel, quand nous passons la frontière de la sociologie. L’accélération dans le contenu des analyses semble aller de pair avec la rapidité des mutations de la société. Dans ce cadre, le premier territoire conceptuel étudié sera celui de la sociologie dionysiaque de Michel Maffesoli. Le second espace présenté sera celui de Luc Boltanski et Eve Chiapello à propos du nouvel esprit de capitalisme. Notre visite du domaine sociologique passera ensuite par la rencontre avec Zygmunt Bauman et de son analyse du coût humain de la mondialisation.

La notion de sujet est devenue celle de l’individu pour les sociologues. En quittant le domaine de la sociologie, nous aurons constaté que l’individu postmoderne est en difficulté. Ce qui nous incite à aller voir du côté de la subjectivité pour connaître l’avis des spécialistes de la psyché.

Le passage dans les parcs et jardins de la psychologie nous confrontera aux nouveaux symptômes de l’être postmoderne. Les pathologies fourmillent et les psychanalystes sont contraints à émettre de nouvelles hypothèses. Ils se demandent même s’il reste encore des parcelles de sujet dans la postmodernité.

Le rythme du parcours conceptuel va en s’accélérant. Il commencera avec Julia Kristeva, puis avec Alain Ehrenberg, il rencontrera ensuite Jean-Pierre Lebrun, Charles Melman et Gérard Pommier. Il se terminera avec Dany-Robert Dufour et Félix Guattari, qui nous proposent des passerelles avec le champ philosophique. La question de l’effacement du sujet est alors posée. Pour ces spécialistes de l’âme, il s’agit bien d’un nouveau malaise dans la civilisation.

Un passage par la sphère politique complétera le parcours de cette analyse des mutations du sujet. La question étant de savoir si le champ politique contient encore du sujet.

L’effacement du sujet dans la postmodernité est alors un constat de crise. La possibilité du sujet est mise en doute conceptuellement et pratiquement, elle nous pose, pour terminer, la question du « devenir humain ».


I / La question de la définition de la postmodernité

A / La notion de paradigme

Ce concept a été développé par Thomas Kuhn en 1962. ( ) Il s’agit des changements dans l’histoire des sciences, de l’évolution des théories. Le paradigme est un modèle théorique de pensée, qui oriente la réflexion et la recherche scientifique. Pour cet auteur, l’histoire de la science est discontinue. Il parle de révolution scientifique. Il différencie le paradigme lié à la théorie de la gravitation universelle de Newton de celui qui est attaché à la théorie de la relativité d’Einstein et à la théorie de la physique quantique.

Pour Thomas Kuhn, un paradigme entraîne une vision du monde quasi complète. Il contient des présupposés fondateurs. Il encadre les questions qui peuvent être posées et celles qui méritent d’être approfondies. Il définit les approches qui sont considérées légitimes pour répondre aux questions et ensuite qui comptent comme une réponse valable.

C’est un environnement mental, un mixte composé de présupposés philosophiques et de modèles théoriques. C’est un univers de pensée, qui est lié au langage. Le paradigme peut se définir comme ce que l’on montre à titre d’exemple, ce à quoi l’on se réfère, ce qui exemplifie une règle et peut donc servir de modèle.

Une autre façon de décrire cette notion est de dire qu’elle est la base de la manière de percevoir, de penser, de juger et d’agir, qui est associée à une vision particulière de la réalité. On peut parler d’un paradigme d’une civilisation : c’est une manière spécifique de se représenter, de se percevoir. Il contient une vision de la nature et de la réalité, une façon de voir le monde et l’existence.

Le paradigme désigne une modélisation qualitative des choses. Cette notion est employée en partie comme synonyme de modèle. C’est une façon d’interpréter. On peut dire que le paradigme opère comme des lunettes invisibles. ( )

La notion de paradigme permet de différencier la modernité et la postmodernité comme deux ensembles ayant chacun leurs caractéristiques, même si la frontière n’est pas toujours très nette. Ce paradigme paradoxal a le mérite de rendre visible la postmodernité.

B / Un paradoxe

Du point de vue étymologique, le mot paradoxe signifie « opposé au sens commun » , c’est le contraire d’orthodoxe : « conforme aux opinions ». Aujourd’hui, le concept de paradoxe est employé dans un sens plus restrictif, celui de contradiction, sens qui est devenu l’usage courant du terme.

Un paradoxe est donc un énoncé qui contient, ou semble contenir, une contradiction, ou un raisonnement qui, bien que sans faille apparente, aboutit à une absurdité logique, ou encore, à une situation qui contredit l’intuition commune.

Le mot paradoxe, au sens large, désigne une proposition contraire à la logique ou au sens commun.

C / Un paradigme paradoxal

La notion de postmodernité est appréhendée ici sous deux angles en même temps. En premier lieu, celui d’être un paradigme qui s’oppose au paradigme moderne et ensuite celui d’être aussi un paradoxe, c’est-à-dire contenant des contradictions et qui heurte les représentations habituelles.

Un paradigme, parce que la postmodernité forme une entité identifiable, un ensemble reconnaissable, qu’il s’agit bien d’un univers de pensée spécifique.

Paradoxal, parce que ce paradigme est ouvert et marqué par l’incomplétude. Il est impossible à unifier, il est toujours en devenir, parce qu’il essaie de définir un phénomène complexe où la multiplicité est la règle. Paradoxal également, parce qu’il contient des tendances contradictoires. Les phénomènes ne sont pas toujours univoques, parfois ils peuvent être positifs et négatifs en même temps suivant le point de vue d’où on parle.

La définition de la postmodernité s’opère par une voie relative et relationnelle, une mise en évidence différentielle par rapport à la modernité. Nous opérons par comparaison et par focalisation sur le contraste.

Nous nous trouvons dans la même situation que les physiciens du début du XXe siècle, qui se sont rendu compte qu’ils intervenaient sur les phénomènes qu’ils étaient en train d’étudier, c’est-à-dire sur l’infiniment petit. Nous sommes parties intégrantes de la postmodernité. Notre prise de position intervient dans ce que nous étudions. En essayant de définir la postmodernité, nous devenons forcément un peu postmodernes, parce que le fait même d’en parler fait exister la postmodernité et nous classe parmi les postmodernes, même si nous ne souhaitons pas porter cette étiquette.

Il y a bien un aspect performatif à parler de la postmodernité. Lyotard a fait exister la postmodernité en l’analysant, c’est encore le cas de Jameson aujourd’hui. ( ) Jameson est soupçonné de complaisance à l’égard de la postmodernité parce qu’il étudie le lien entre l’histoire de la culture et l’évolution du capitalisme. La notion de postmodernité est également employée de façon idéologique, sous la forme de la critique ou du refus. Apurer la définition de la postmodernité est l’objectif de ce travail. De notre point de vue, il n’y a pas à se positionner pour ou contre la postmodernité, c’est un état de fait.

L’aspect paradoxal de la postmodernité est lié à une caractéristique importante de ce concept. Ce n’est pas un phénomène fermé. C’est une notion complexe, ouverte, incomplète et toujours en changement, si bien qu’elle est parfois difficile à circonscrire.

L’incomplétude est d’abord liée à notre condition humaine, temporaire et limitée, c’est-à-dire celle des mortels liés au langage. C’est un élément de notre situation, un argument de fait, une donnée anthropologique.

Ensuite, sur le plan théorique, Kurt Gödel a démontré que l’incomplétude était fondamentale pour le domaine mathématique. Il me semble que la philosophie doit tenir compte de cet apport. Jean-Paul Delahaye résume l’enjeu de ces théorèmes ainsi :

« L’histoire des mathématiques et des théorèmes de Gödel montre que nous ne pourrons jamais être certains de la non-contradiction des théories que nous utilisons. Que nous soyons des machines ou pas ne change rien : les théories mathématiques comme les théories physiques ne proposent pas des certitudes, mais des instruments qui fonctionnent plus ou moins bien, plus ou moins longtemps et qu’il faut ajuster ou changer de temps en temps. Peut-être réussira-t-on un jour à démontrer que nous ne sommes pas des machines, mais cela ne se fera pas sans l’invocation des théorèmes d’incomplétude de Gödel ! »

Du point de vue des mathématiques il estime qu’il faut :

« Vivre avec les contradictions. ».( ) [note de fin a]

Une autre présentation des théorèmes de Gödel expose l’enjeu du débat de cette façon :

« 1 / Il existe des formules dont on ne peut ni démontrer qu’elles sont vraies, ni qu’elles sont fausses ;

2 / On ne peut pas savoir a priori si une formule est démontrable. Pire, le deuxième point se prouve « en construisant une formule qui affirme qu’elle est elle-même non démontrable ».

C’est ce que M. Lascar [professeur de mathématiques et directeur de recherche au CNRS] compare au paradoxe d’Epiménide le Crétois qui prétendait que tous les crétois étaient des menteurs. À la différence qu’ici, ce n’est pas le langage humain, avec toutes ses nuances, ses interprétations qui est utilisé, mais le langage mathématique, autrement appelé logique. Ces résultats ont été démontrés par Gödel dans les années 30 et 50. On les appelle les théorèmes d’incomplétude de Gödel. Ils prouvent que toute théorie mathématique est soit incomplète, soit incohérente. Ils remettent en question des certitudes bien établies. Ainsi les maths ne forment pas un tout cohérent, il faut faire des choix (est-ce loin du pari de Pascal ?). » (…)

« La contradiction touche aussi la logique … Et alors, où est le problème ? Est-ce si décourageant de penser que les maths puissent se contredire ? Que le vrai ET le faux sont relatifs ? Que l’on peut répondre oui ET non à une même question ? Non, ce n’est pas décourageant, c’est exaltant au contraire, c’est la preuve qu’il n’y a pas de vérité absolue … ». ( )

Le côté paradoxal de la postmodernité est confirmé par l’accueil réservé à cette notion. Le sens commun ne voit pas l’utilité du concept de postmodernité, puisque nous sommes encore dans la suite de la modernité. Beaucoup de gens veulent être modernes, notamment en possédant les derniers objets proposés par la technoscience ou en accédant à la culture moderne. La modernité est maintenant comme enchâssée dans la postmodernité. Pour marquer leur différence, des artistes se sont revendiqués ouvertement postmodernes. La dévalorisation de l’art postmoderne a été très forte et existe encore très souvent aujourd’hui, en particulier de la part du public non initié. Il s’agit d’une étiquette qui n’est pas toujours facile à porter. Tout cela correspond bien à une partie de la définition de ce paradoxe.

Malgré le côté paradoxal de la postmodernité, la notion de paradigme est utile, parce qu’elle esquisse un modèle pour comprendre. Nous savons que l’unification est impossible, mais nous essayons tout de même d’unifier un certain nombre de données pour définir les contours de ce phénomène.

Chaque approche théorique poussée à sa limite montre ses faiblesses et se révèle insatisfaisante. Ce constat justifie le caractère multiple des composantes de ce paradigme paradoxal.

Un des principaux mérites du concept de postmodernité, c’est de constater que le paradigme moderne ne fonctionne plus. Ensuite, il nous permet de réfléchir aux raisons qui expliquent cette évolution.

Jean-François Lyotard a lui-même posé le problème ainsi en montrant les limites du paradigme moderne et en parlant de « la condition postmoderne » en 1979.( ) Dès le départ, cet auteur se réfère à une nouvelle condition humaine. Nous assumons la filiation et la continuité de cette approche.

Ce paradigme paradoxal est une tentative de cohérence pour rendre compte des incohérences de notre environnement contemporain.

Nous postulons que nous sommes dans une crise de civilisation très profonde. L’incohérence est partout, la crise du sens est devenue une banalité. Nous pensons que l’enjeu de cette incohérence est le devenir humain. Nous sommes d’accord avec Gunther Anders, qui affirme et démontre que l’homme travaille à son obsolescence. ( ) Daglind Sonolet considère cet auteur comme un phénoménologue de la technique. ( ) Gunther Anders s’interroge sur l’origine des catastrophes du XXe siècle. Il existe bien un déséquilibre entre la capacité d’invention, qui caractérise l’humain et son incapacité chronique à se représenter et assumer les conséquences de ses œuvres.

La civilisation occidentale n’a pas pu empêcher la Shoah. Au contraire, ce génocide a bien eu lieu dans la continuité de notre civilisation moderne.

« Adorno définira la Shoah comme l’expression « d’une barbarie qui s’inscrit dans le principe même de la civilisation ». Dans Éros et civilisation (1954), Marcuse écrira, quant à lui, que « les camps de concentration, les exterminations de masse, les guerres mondiales et les bombes atomiques ne sont pas une « rechute dans la barbarie » , mais les résultats effrénés des conquêtes modernes de la technique et de la domination ».

(…) Les philosophes de l’école de Francfort ont lancé une mise en garde sévère. Le totalitarisme est né au sein de la civilisation elle-même, il en est le fils. Cette civilisation demeure la nôtre et nous vivons toujours dans un monde dans lequel Auschwitz reste possible, même si c’est sous d’autres formes ou avec d’autres cibles. »

De l’occultation à la commémoration, Enzo Traverso ( )

La question de vivre et penser après cette catastrophe demeure. La mort industrielle a démontré son efficacité dans les camps nazis, par les bombardements de Dresde, par les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. La parole des victimes de la Shoah est toujours vivante heureusement, mais celle des habitants de Dresde, de Hiroshima et de Nagasaki a été étouffée.

Paul Celan se pose la question d’écrire après Auschwitz et de fait, contredit Adorno, puisque, à la fois témoin et victime du nazisme, il écrit une poésie liée aux cendres de l’anéantissement. Celan force l’impossible pour continuer l’humain sans rien occulter ni oublier de cette rupture.

Pour nous, la postmodernité est un autre nom de la crise de civilisation ouverte par la Shoah. Les drames humains ont continué et la liste est longue. Le progrès a créé le nucléaire, a détruit la nature et a fait beaucoup de victimes humaines, il continue d’ailleurs.

L’espoir d’émancipation porté par la voie communiste s’est transformé en son contraire, il a produit le goulag de la barbarie stalinienne. Le marxisme autoritaire a échoué, lui aussi.

Notre point de départ est celui de l’héritage de l’histoire de la pensée de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle. Assumer ce leg nous amène à vivre une sorte de deuil théorique. La prise en compte des débats antérieurs revient à avancer au travers de réseaux conceptuels multiples. Nous partons de la situation actuelle en philosophie, c’est-à-dire de l’impossibilité d’unifier et de fonder ainsi que de la critique radicale de la métaphysique. Le tournant linguistique, la critique de l’ethnocentrisme, l’échec de l’esprit de système, l’option généalogique sont devenus partie intégrante de notre environnement philosophique. La notion d’incertitude ne concerne plus seulement les physiciens des particules, elle nous accompagne inexorablement.

C’est pour toutes ces raisons que la notion de paradigme paradoxal s’impose malgré les difficultés inhérentes à cette notion.


Chapitre I

Comparaison et contraste

La postmodernité est une sorte de mot valise, qui lie le préfixe « post » au concept de modernité. C’est une période qui vient après la modernité. Pourtant, il est difficile de dater le passage de la modernité à la postmodernité. Pour beaucoup de gens, la modernité continue encore à fonctionner. Pour ce qui nous concerne, la postmodernité c’est notre temps, elle vient en continuité et en rupture avec la modernité.

Nous proposons d’opérer par comparaison et par contraste. La définition a un aspect négatif qui montre les oppositions entre la période moderne et la postmodernité. La postmodernité est un concept relatif et relationnel.

I / Le sujet

Le premier point de comparaison concerne le sujet conscient, rationnel et volontaire de la modernité. La base de la postmodernité est plutôt l’individu surfant de façon émotive au gré des mouvements d’opinions.

Pour la modernité, il existe un sujet conscient, rationnel, autonome, et universel. Un sujet qui est cohérent, connaissable et stable. Aucune condition ou différence physique n’affecte la manière d’être et de faire du sujet.

La déconstruction du sujet moderne s’est opérée de multiples manières. Les philosophes du soupçon ont amorcé la critique. Nous commencerons avec Nietzsche.

Nietzsche refuse la philosophie du sujet :

« Le sujet : c’est la terminologie dont use notre croyance à l’unité sous-jacente aux moments de notre plus haut sentiment de réalité : nous concevons cette croyance comme l’effet d’une seule cause ; nous croyons à notre croyance, à ce point que nous imaginons de toutes pièces, à cause d’elle, la ‘vérité’, la ‘réalité’, la ‘substantialité’. - Le ‘sujet’ : c’est la fiction d’après laquelle beaucoup d’états semblables, en nous, seraient l’effet d’un même substrat ; mais c’est nous qui avons créé ‘l’identité’ de ces états ; le fait, ce n’est pas leur identité, mais c’est que nous les ramenons à l’identité, que nous les arrangeons. (Il conviendrait plutôt d’en nier l’identité) ». ( )

Il ne croit pas au moi :

« Rien n’est plus illusoire que ce « monde interne » que nous observons à l’aide de ce fameux « sens interne ». ( )

Le moi est un leurre ; Nietzsche critique l’attribution de la pensée au sujet, ce qui ne va pas de soi :

« Dans ce célèbre cogito il y a : 1° quelque chose pense ; 2° je crois que c’est moi qui pense ; 3° mais en admettant même que ce deuxième point soit incertain, étant matière de croyance, le premier point : quelque chose pense, contient également une croyance, celle que « penser » soit une activité à laquelle il faille imaginer un sujet, ne fût-ce que « quelque chose » ; et l’ergo sum ne signifie rien de plus [...] Faisons donc abstraction de ce « quelque chose » problématique et disons cogitatur, pour constater un état de fait sans y mêler d’articles de foi ... » ( )

Nietzsche refuse le primat de la conscience et voit l’origine du langage dans la vie du corps. Il démonte l’anthropocentrisme du fonctionnement humain. En ce sens, il est un précurseur de la postmodernité.

Kant avait montré que l’on ne pouvait pas démontrer l’existence de Dieu par l’usage de la raison. Il définit les limites de la raison pure. Il argumente en démontrant que l’existence de Dieu ne peut pas être déduite de son seul concept. Il réduit les arguments qui veulent démontrer l’existence de Dieu, au seul argument ontologique. Celui-ci déduit du concept de Dieu qu’il existe. Il n’est donc pas valide, il est hors du champ de la connaissance. La métaphysique, qui fait de Dieu un objet, est une illusion. Dieu, la liberté de la volonté et l’immortalité de l’âme ne sont pas du domaine de la connaissance, mais ce sont des postulats nécessaires à la raison pratique. Ce sont des exigences rationnelles pour la morale. Pour Kant, l’existence de Dieu n’est pas une nécessité théorique. Il postule l’existence de Dieu pour la seule raison pratique.

Nietzsche va plus loin, il annonce la mort de Dieu. Il affirme la puissance de vie contre la métaphysique et la morale religieuse, morale et religion défendues par Kant, notamment. Cette morale religieuse doit être compatible avec les normes de la raison, mais une fois cette limite admise, la morale religieuse est légitime et valide pour Kant.

Pour Nietzsche au contraire, les énoncés moraux sont en fait l’expression des intérêts dominants. Nietzsche pense que toute morale est au service des intérêts subjectifs et des motivations extra morales. La morale est au service de ceux qui la professent. Nietzsche attribue la morale du faible au ressentiment. Ce ressentiment est celui des faibles. Il s’agit d’une opposition entre la « morale du fort » et la « morale du faible » . Mais, ces termes ne s’opposent pas selon des modalités sociopolitiques ou idéologiques. Le sujet nietzschéen se confronte à deux philosophies différentes. Le fort n’est pas celui qui écrase le faible, mais celui qui aspire à réaliser son plein accomplissement en tant qu’homme. Le faible agit comme s’il se donnait comme objectif de se refuser à lui-même cet accomplissement, d’où son ressentiment.

D’un point de vue vitaliste, Nietzsche commence la déconstruction du sujet conscient, libre et volontaire. Il nous parle de la généalogie de la morale, il nous incite à vivre et à penser par-delà le bien et le mal. Il propose une philosophie de la liberté dans le monde assez fermé de l’époque. Il attaque la conscience servile de ceux qui vivent en troupeau. On peut comprendre l’apport de Nietzsche comme un énoncé postmoderne « devient ce que tu es ! » . Cette injonction est la base du « développement personnel » , un courant très présent dans la postmodernité. Cette voie promet une plus-value narcissique et du sens là où le ciel est vide. Nietzsche, lui, se battait contre le poids du ciel trop étouffant et peuplé d’êtres bloquant la puissance de vie des humains.

Marx sera, lui aussi, très critique vis-à-vis du sujet moderne.

La pensée de Marx est en continuité avec la pensée moderne, notamment sur le rôle du progrès et de la science, sur la visée d’émancipation, mais il introduit aussi une rupture.

Il commence par constater que l’histoire humaine est l’histoire de la lutte de classe. Pour lui, il n’y a pas de nature humaine, mais une ou plutôt des conditions humaines. Un se divise en deux : la société est une unité qui contient au moins deux classes : la bourgeoisie et le prolétariat. Le sujet n’existe pas hors des conditions de vie des hommes. Les idées des hommes sont marquées par l’idéologie. Idéologie, qui est une mystification, une fausse conscience au service de la domination capitaliste. Pour lutter contre l’exploitation de l’homme par l’homme, les prolétaires doivent rompre avec la pensée dominante et acquérir la conscience révolutionnaire et s’organiser collectivement. De classe en soi, le prolétariat doit devenir classe pour soi.

Le sujet des philosophes modernes est le sujet de la bourgeoisie, la classe qui capte la plus-value issue du travail non payé des ouvriers. La liberté est formelle et limitée par les conditions d’existence de la classe sociale à laquelle on appartient. Proclamer l’existence d’un sujet libre et conscient est un leurre idéologique qui empêche les prolétaires de s’organiser et de lutter pour changer la société.

Pour Marx, la notion de sujet doit être indexée à celle du mode de production. La marchandise contient un rapport social, un rapport entre les hommes.

« … la forme valeur et le rapport de valeur des produits du travail n’ont absolument rien à faire avec leur nature physique. C’est seulement un rapport social déterminé des hommes entre eux qui revêt ici pour eux la forme fantastique d’un rapport des choses entre elles. Pour trouver une analogie à ce phénomène, il faut la chercher dans la région nuageuse du monde religieux. » ( )

La critique de Marx vise bien ce qui rend obscur la vision du fonctionnement social. Le sujet est un sujet de classe. Il est important de savoir comment est organisée la vie sociale pour comprendre la situation humaine. Qui domine qui et comment, qui exploite qui et comment, sont des questions qui restent valables encore aujourd’hui. Politiquement le marxisme a échoué. Le socialisme réel a montré que le changement social par la prise du pouvoir d’État pouvait produire une société totalitaire. Mais, l’analyse de Marx qui a mis en évidence la plus-value reste valide. Le capitalisme postmoderne fonctionne toujours avec la domination et l’exploitation que Marx avait dénoncées. L’évolution de ce mode de production est conjoint de l’évolution vers la postmodernité. L’étude de la postmodernité est aussi l’étude du capitalisme contemporain.

La troisième critique du sujet moderne viendra de Freud et de la psychanalyse.

Freud introduit une conception nouvelle de l’inconscient. On savait que certains phénomènes échappaient à la conscience. L’inconscient qu’introduit Freud n’est pas simplement ce qui ne relève pas de la conscience. Pour Freud, l’inconscient contient un certain nombre de données, d’informations, de désirs tenus hors de la conscience. Mais, il montre que l’inconscient c’est aussi l’ensemble des processus qui empêchent certaines données d’arriver à la conscience et permettent à d’autres d’y accéder, il s’agit du refoulement, du principe de réalité, du principe de plaisir et de la pulsion de mort. Ainsi, Freud fait de l’inconscient l’explication de la plupart des phénomènes conscients eux-mêmes. Non seulement l’inconscient nous échappe, mais en plus, il détermine ce que nous croyons être conscient, rationnel et volontaire.

Freud n’hésite pas à parler de blessure narcissique à propos de l’approche psychanalytique. Il constatait que l’humanité avait déjà subi deux blessures narcissiques du fait de la recherche scientifique. Copernic et Galilée ont montré que la terre n’est pas au centre de l’univers, que l’humanité terrestre n’est qu’une petite parcelle de l’univers. D’autre part, Darwin montre que l’humanité est une branche du règne animal, ce qui rend problématique l’hypothèse de notre supériorité. Freud pensait que la psychanalyse allait apporter un troisième tourment à l’humanité en montrant que l’homme n’est pas véritablement maître de ses actes.

De surcroît, Freud attribue une origine sexuelle aux troubles du sujet. Il développe une théorie de la sexualité infantile. Il interprète nos rêves comme les développements de nos désirs. Dans la perspective théorique freudienne, le symbole est un moyen pour le désir de se voiler en se dévoilant, de ne pas se laisser entendre en s’exprimant et en se déplaçant. C’est un mécanisme de défense de la conscience. Le déplacement psychique est à l’origine du fonctionnement de la métaphore et de la métonymie, deux phénomènes étudiés par Lacan.

Freud développe une théorie de la culture et du malaise dans la civilisation. Pour fonctionner, la collectivité humaine doit limiter les désirs de ses membres. Elle oriente la réalisation des désirs par la sublimation vers des buts valorisés par la civilisation, sans quoi l’égoïsme universel amènerait le chaos. La culture nous offre des compensations pour supporter les contraintes et les sacrifices au travers des œuvres collectives, en nous offrant de quoi nous divertir et nous valoriser. Le collectif prime sur l’individu. La limitation de jouissance est une nécessité collective. Dans la postmodernité, les données du problème semblent avoir changé. L’injonction de jouissance prend le pas sur le collectif, ce qui ne va pas sans créer beaucoup de difficultés.

Nous devons noter que la psychanalyse est une théorie du sujet, mais aussi une pratique clinique. Elles ne peuvent pas être séparées l’une de l’autre. Comme pour Nietzsche et Marx, la critique du sujet moderne chez Freud s’accompagne d’une mise en acte de ces idées sur le sujet. Nietzsche propose une voie esthétique pour réaliser la volonté de puissance, Marx milite pour changer les rapports sociaux par l’action politique et Freud met en œuvre une thérapie pour aider les humains à surmonter leurs difficultés. Ces trois approches critiques sont indexées à une pratique, une praxis aurait dit Marx.

La suite de notre propos impose une remarque de méthode au sujet de Wittgenstein et de Lévi-Strauss. Wittgenstein a été l’un des auteurs sur lequel le tournant linguistique s’est construit. Étant donné la période à laquelle il a écrit son œuvre, il n’est pas possible de le classer parmi les auteurs postmodernes. Lévi-Strauss n’était pas postmoderne, lui non plus. Il en va différemment des thèmes de la déconstruction, du droit à la différence, de la critique de l’ethnocentrisme, du phallogocentrisme et des études sur le genre comme sexe social. Toutes ces approches ont contribué à remettre en cause la notion de sujet telle qu’elle avait été définie par la modernité, mais la période de leur apparition les inclut parmi les démarches postmodernes. Le tournant linguistique et le structuralisme sont des théories charnières. Ces deux approches conceptuelles sont devenues des points d’appui de la postmodernité, ce qu’elles n’étaient pas au moment de leur apparition, ceci explique pourquoi ces thèmes sont abordés ici. Ceci est un aspect du paradigme paradoxal lié à la postmodernité. Nous reviendrons ultérieurement sur les autres approches strictement postmodernes.

D’autre part, ces deux approches théoriques donnent une place importante au langage. Ce thème est une des composantes principales de la postmodernité. Un des principes fondateurs du mouvement postmoderne est basé sur la déconstruction et la relativisation. Selon cette conception, la vérité est toujours relative aux différentes positions et aux schémas intellectuels préexistants. Le monde, le système social et l’identité sociale ne sont pas donnés d’emblée, ils sont construits par le langage. Le mouvement postmoderne revendiquait la critique des processus d’illusion, et la mise en évidence de la nature socialement construite de nos institutions.

La critique du sujet moderne sera donc également développée par le courant structuraliste.

Le structuralisme suppose l’exil du sujet ou que l’homme soit « agi » ou « parlé » par un système. Le structuralisme voue ses recherches à trouver les structures sociales inconscientes, qui régissent l’humanité en affirmant que celles-ci sont organisées logiquement.

Le structuralisme dissocie énoncé et énonciation. Ce sont des énoncés dont il s’agit de rendre compte, et non de la situation de communication ou de l’intention de l’émetteur. La langue devient un fait social et n’est plus appréhendée comme étant un organisme vivant. La critique structuraliste conteste tout empire du sujet, sous sa forme rationnelle ou transcendantale, cartésienne ou phénoménologique, en lui substituant le primat du langage. Cette nouvelle conception du langage a favorisé une nouvelle conception du sujet, désormais pensé comme assujetti au langage ou à la structure. Il a été la base d’une nouvelle critique, en particulier au niveau littéraire, dénonçant l’intention ou l’intentionnalité, refusant de considérer l’auteur comme une instance présidant au sens.

Le structuralisme est à la fois une théorie et une méthode d’analyse qui considère un ensemble de faits comme une structure. Cette structure est un système, un ensemble solidaire, dont les composants sont liés par un rapport d’interdépendance. Ce courant de pensée est issu de la linguistique de Saussure. ( ) Il traite les faits humains comme des éléments symboliques d’un ensemble qui peut être identifié ou déchiffré. Cet ensemble est nommé structure.

Le structuralisme est une position en sciences humaines, qui évacue les contenus subjectifs, les significations, que les humains attribuent aux événements, pour arriver à une description objective des structures. En linguistique, par exemple, le sens ne se définit pas par le rapport entre le mot et la chose, mais dans la relation dans un système de signes, à la fois comme contenu : le signifié ; et comme contenant : le signifiant. On peut voir le structuralisme comme une combinatoire, qui opère sans égard par rapport à l’histoire. La structure n’a pas de contenu distinct, elle est le contenu même, si on l’appréhende dans son organisation logique, qui est alors une propriété du réel. Par exemple, Lévi-Strauss a appliqué le structuralisme à l’analyse des mythes. Il estime que l’intelligence humaine est une pensée logique au niveau du sensible, qui utilise des catégories empiriques, comme le cru et le cuit, qui deviennent des outils conceptuels pour dégager des catégories abstraites. La vérité du mythe consiste

« en rapports logiques dépourvus de contenu ou plutôt dont les propriétés invariantes épuisent leur valeur opératoire, puisque des rapports comparables peuvent s’établir entre les éléments d’un grand nombre de contenus différents » . (cité par Jean Lacroix dans un article intitulé Le structuralisme de Claude Lévi-Strauss) ( ).

Selon le structuralisme, il existe une objectivité et une structure des mythes. Lévi-Strauss ne cherche pas à montrer comment les humains pensent les mythes, mais « comment les mythes pensent dans les hommes et à leur insu » . On constate donc que le structuralisme établit le primat de la structure sur l’événement ou le phénomène. L’événement social ou psychique n’a pas en lui-même sa signification, il renvoie nécessairement à une globalité. Par voie de conséquence, c’est l’idée même d’intériorité qui est contestée. Le structuralisme pense où l’organisation fait système, sans que le sujet humain en soit conscient.

Les approches structuralistes sont différentes selon les domaines et les auteurs. La structure prend le pas sur toutes les approches. De ce point de vue, les processus sociaux se déploient dans le cadre de structures fondamentales qui, très souvent, restent inconscientes pour les humains. Le structuralisme est également une méthode qui a pour domaine d’application tous les phénomènes qui ont un caractère de système. Dans ces systèmes, aucun élément ne peut être modifié ou supprimé sans que cela n’entraîne une modification de l’ensemble. La démarche structuraliste consiste à expliquer les phénomènes à partir de la place qu’ils occupent au sein même du système dans lequel ils sont inclus, suivant des lois d’association ou de dissociation. Le structuralisme a une approche « synchronique » , où la coexistence des divers éléments au sein d’un même ensemble, et ce au même moment, peut fournir l’intelligibilité des phénomènes étudiés. Cette démarche s’opposait à l’approche « diachronique » basée sur l’étude de l’histoire, sur la genèse de chaque partie prise séparément. Cette approche s’opposait au marxisme comme analyse fonctionnant à partir de l’étude de l’histoire.

Une autre approche tend à disqualifier le sujet : le tournant linguistique.

Le tournant linguistique est une démarche, qui considère que toute recherche théorique doit s’intéresser principalement au langage ou au discours et ce du point de vue logique. Il se traduit par un privilège accordé au langage dans l’examen des problèmes philosophiques, autant que dans l’analyse du statut de la philosophie elle-même. Cet aspect de la philosophie est donc centré sur la question des règles en répudiant toute approche faisant appel au sujet.

Le tournant linguistique amène naturellement à faire porter l’accent sur les jugements analytiques de la grammaire philosophique. Rorty, par exemple, propose d’abandonner les problèmes philosophiques afin de se tourner vers l’analyse du langage pour faire apparaître de nouveaux problèmes. Voici un extrait de ses positions :

« À l’instar des philosophes dits « post-modernes » et des pragmatiques auxquels je m’associe, on peut tenir pour négligeable les questions traditionnelles de la métaphysique et de l’épistémologie, parce qu’elles n’ont aucune utilité sociale... James considérait que « le vrai est simplement ce qui est bon en matière de croyances » ... La distinction philosophique entre justification et vérité ne me semble pas avoir de conséquences pratiques. Et c’est la raison pour laquelle les pragmatistes jugent que ce n’est pas la peine d’y réfléchir » . ( )

Le linguistic turn est une démarche philosophique, qui considère que toute recherche philosophique doit d’abord s’intéresser au langage et au discours, qui deviennent donc les principaux objets d’étude. Cela est justifié épistémologiquement étant donné que l’on travaille sur des textes et que la réalité analysée n’est accessible que par la médiation du langage. Dans cette optique, la philosophie n’appréhende en fait que la représentation discursive de la réalité.

Selon ce courant, loin d’être le discours surplombant tous les autres, la philosophie est un effet de langage comme tous les autres discours, dont la vérité des performances n’est jamais vraie ou fausse en soi, mais résulte du consensus qu’elle entraîne dans une conjoncture intellectuelle donnée. La notion de convention revient sur le devant de la scène philosophique. La philosophie doit abandonner l’illusion d’atteindre l’objectivité universelle.

Le tournant linguistique prône une analyse formelle qui permet de présenter, par exemple, le droit comme un véritable phénomène linguistique et d’envisager de subsumer les normes liées aux règles de langage. Il place le langage et son étude, au centre des préoccupations en exigeant qu’il soit l’objet de toutes les recherches. On peut considérer que tout est ramené sous la coupe des sciences du langage. L’idée de validité formelle indépendante des contenus devient centrale.

La définition logicienne de la notion d’interprétation insiste sur le fait qu’un énoncé intervient dans un contexte précis. Le tournant linguistique promeut le langage comme instance objective, il maintient la psychologie à distance de la logique, la subjectivité loin du logique. L’évacuation du sujet s’opère parce que toute la dimension temporelle de l’appréhension subjective de la signification s’évanouit et toute référence au classique temps subjectif disparaît.

La langue est vue comme un système. Dans ce système, les textes et les mots qu’il contient constituent des données objectives sur lesquelles il est possible d’appliquer des méthodes scientifiques. On peut citer deux méthodes utilisées par l’approche liée au linguistic turn : la sémantique différentielle et la sémantique distributionnelle. Il s’agit de l’étude des occurrences dans deux des méthodes utilisées par ce courant. La terminologie relève de fait des sciences du langage.( ) Les débats sur le sujet ne sont plus à l’ordre du jour.

II / La raison

Le sujet moderne n’est pas séparable de la raison. Le sujet de la modernité se connaît lui-même et connaît le monde au travers de la raison. La rationalité permet d’accéder à l’objectivité. Le mode de connaissance mis en œuvre par le sujet rationnel, c’est la science. C’est elle qui peut fournir des vérités universelles sur le monde, indépendamment du sujet. Le savoir produit par la science est considéré comme la vérité. Pour la modernité, l’articulation entre le savoir et la vérité conduira l’humanité vers le progrès. Les hommes et la société sont perfectibles. Les institutions humaines et les pratiques peuvent être analysées par la raison et être améliorées.

La raison est le juge ultime du vrai, elle permet de savoir ce qui est juste, ce qui est bon et par voie de conséquence ce qui est légal, légitime et moral. La liberté consiste à obéir aux lois, qui sont conformes aux savoirs découverts par la raison.

La science est donc le paradigme de toutes les formes de savoir. La science est neutre et objective. Les scientifiques, ceux qui développent ce savoir avec leurs capacités rationnelles, doivent être libres de suivre les lois de la raison et ne pas être motivés par d’autres préoccupations, comme la recherche de la richesse ou du pouvoir.

Le langage, comme mode d’expression utilisé pour créer et diffuser le savoir, est rationnel. De ce point de vue, le langage est transparent, il représente le monde.

Une des caractéristiques centrales de la modernité est bien la référence à la raison. La raison est vue comme une totalité transcendante. La modernité trouve sa spécificité et sa légitimité dans cette autoaffirmation de la raison. En tant que concept philosophique, la modernité est le projet d’imposer cette norme rationnelle à la société.

La modernité apparaît dans ses principes comme un mélange articulant de façon harmonieuse la raison critique, la valorisation du sujet rationnel, la mise en avant de sa liberté et sa responsabilité. Le souci du progrès social est lié à deux facteurs :

- Les avancées de la science et de la technique ;

- le développement de la démocratie.

La modernité est la poursuite de l’idéal développé par les philosophes des Lumières. C’est la lutte contre l’arbitraire de l’autorité, le combat contre les préjugés et contre les contingences de la tradition avec l’aide de la raison. La modernité, c’est vouloir donner à la raison la légitimité en politique, dans la culture et au niveau symbolique. Il s’agit de remplacer la divinité ou la tradition des anciens par une autorité venant de l’homme lui-même, à condition qu’il soit guidé par des principes universalisables et qu’il ne soit pas assujetti à ses penchants passionnels ou à ses intérêts. Fondée sur la raison, la modernité veut établir des mécanismes de contrôle afin que le sensible ou la violence ne gouverne pas les actions humaines.

La pensée moderne trouve de nouveaux fondements dans ses valeurs d’efficacité technique ou instrumentale et de liberté. Elle valorise les pouvoirs de notre raison. La pensée moderne va trouver en elle-même les nouveaux fondements métaphysiques qu’elle recherche. Cela signifie qu’on attribue à la subjectivité un rôle fondamental dans le processus de la connaissance. Autrement dit, la vérité ne correspond plus ni à une révélation divine ou mystique, ni à une croyance très ancienne. Dans la période moderne, on admet comme vérité uniquement ce qui peut faire l’objet d’un examen critique par la raison, après une démonstration strictement rationnelle. Le concept de modernité philosophique désigne cette manière de penser ainsi que la hiérarchie de valeur qui en découle. On peut donc dire de cette époque qu’elle est l’ère de la raison triomphante. Descartes avait fixé le programme :

« … nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » ( )

L’autonomie de la raison constitue le trait saillant de la pensée moderne.

À l’inverse, la postmodernité semble être le règne du sensible, de l’émotion et de la doxa.

L’éloge de la raison sensible est le titre d’un livre de Michel Maffesoli. La présentation de l’éditeur est significative :

« L’éloge de la Raison sensible est un véritable traité de déchiffrement du monde contemporain qui, aux raisons de la Raison raisonnante, oppose les intuitions et les fulgurances de la Raison sensible. Une manière d’approcher le réel dans sa complexité fluide, de dresser une topographie de l’aléa et de l’incertain, de suivre les lignes de fusion et d’effervescence du social, et de percevoir la rumeur assourdie des redistributions de la vie collective. Livre de méthode, l’éloge de la Raison sensible pourra aussi se lire comme le nouveau bréviaire de l’esprit du temps. » .( )

Michel Maffesoli a beaucoup écrit sur la postmodernité, c’est devenu sa spécialité. [note de fin b] Il observe et décrit le réel postmoderne sans le critiquer. Il a une posture typique des intellectuels postmodernes. Le philosophe moderne était un intellectuel législateur. L’intellectuel postmoderne accompagne et interprète. L’analyse de Bauman à ce sujet me paraît justifiée. Il parle même de décadence des intellectuels sur ce point. ( )

L’émotion est réhabilitée :

« Le quotidien et ses rituels, les émotions et passions collectives, symbolisées par l’hédonisme de Dionysos, l’importance du corps en spectacle et de la jouissance contemplative, la reviviscence du nomadisme contemporain, voilà tout ce qui fait cortège au tribalisme postmoderne. » ( )

La doxa est une valeur très prisée dans la postmodernité, que ce soit pour vendre des objets ou pour exercer le pouvoir. Les sondages d’opinion la mesurent régulièrement. Selon les variations de ce baromètre, les discours politiques évoluent. La notion de communication est corollaire de cet aspect de la postmodernité. La communication, dans la période postmoderne, ne veut pas dire échange et discussion en raison, mais présentation et diffusion de masse sous le meilleur angle possible. Sans être excessif, il est possible de considérer cette communication comme une variante de la publicité.

Nous ne sommes plus dans l’idéal moderne. Mais, nous ne sommes pas revenus à une période antérieure à la modernité. Il s’agit bien d’une nouvelle époque.


III / La démocratie

Le concept de démocratie était important pour la modernité. Dans le contexte postmoderne, la notion de démocratie ne fait pas débat. Elle est mise en œuvre et la philosophie n’aborde pas ce sujet en tant que tel. Personne ne semble vouloir revenir en arrière. Ce qui peut faire débat, c’est le fait qu’elle est limitée. Par exemple, toutes les personnes qui vivent en France n’ont pas le droit de vote. La citoyenneté politique est liée à la nationalité, donc qui n’a pas la nationalité française n’est pas un citoyen à part entière.

Il existe un autre point de discussion sur la démocratie dans le cadre de la postmodernité, il s’agit de savoir si notre démocratie n’est pas un peu formelle et trop liée aux médias. La crise du sens, la perte des repères sont très vite associées à l’analyse de la démocratie postmoderne. Ces éléments sont marqués d’un certain pessimisme. L’élan des Lumières a perdu sa force en se réalisant.

D’autre part, la question politique est abordée de façon plus complexe. Il ne s’agit plus de s’opposer à des modes de gouvernement non démocratiques, mais de penser la crise de la démocratie. Par exemple, l’analyse de Toni Négri montre que la postmodernité est caractérisée par l’interpénétration de l’économie, de la politique, du social et de la culture. C’est pour cette raison, que le concept de biopolitique est jugé pertinent. ( ) La nature du pouvoir a changé et la démocratie avec. Négri utilise la notion de « biopouvoir » pour qualifier la domination postmoderne et le concept de « biopolitique » pour parler des résistances de la multitude à ce biopouvoir. ( )

Les analyses liées à la postmodernité se consacrent à la compréhension du pouvoir, à son fonctionnement, ses relais. Le caractère démocratique est questionné au travers d’autres concepts comme celui de biopolitique, celui de l’ethnocentrisme ou celui du genre. Les questions se sont déplacées pour aller au-delà de la forme autoritaire ou non des institutions politiques. Par exemple, Michel Foucault intitule un de ses livres Surveiller et punir. Il montre comment la punition est passée des châtiments corporels à l’encadrement des comportements, à la morale, au contrôle des esprits. ( ) Sa généalogie le conduit à étudier le dispositif du panoptique de Bentham.

Derrière la façade démocratique, Foucault met en évidence la surveillance. Il développe une théorie sur la « microphysique du pouvoir » . Le pouvoir devient un système relationnel. Bentham était un moderne, un utilitariste, qui visait le bonheur du plus grand nombre. Foucault montre que le dispositif panoptique est devenu un modèle pour l’école, l’usine, l’armée. Ces analyses aboutiront à la notion de « société de surveillance » .


IV / L’universalité

Pour la modernité, le concept d’universalité est fortement lié à la raison. La raison est partagée par tous les êtres humains. La raison peut s’élever au-dessus des situations particulières pour ne retenir que ce qui est fondé en raison. La raison pouvait servir de point d’appui au progrès et conduire au bonheur de l’humanité. L’universel et la raison pouvaient penser réaliser le vrai, le bien, le beau pour tous les humains. L’éducation a un rôle fondamental, c’est par l’éducation que les humains peuvent accéder à l’universalité et se penser dans l’unité du genre humain par-delà leurs particularités.

Les critiques de la postmodernité voient cette universalité comme une utopie, un idéal qui cache l’ethnocentrisme et le colonialisme impérialiste.

Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a fait voler en éclats l’universalisme occidental. Louis Sala-Molins rappelle que l’esclavage était contemporain des Lumières et que le Code Noir était un texte « moderne » ( ) :

« Il faut mettre en évidence que la référence des Lumières, du point de vue de l’anthropologie, est Buffon, qui établit une hiérarchie des races en plaçant les Blancs en haut et les Noirs en bas. » ( )

Dans ce code les esclaves sont assimilés à des biens mobiliers.

« Le Code entérine l’esclave comme une personne de non-droit, voire très souvent comme un objet. Par exemple, l’article 44 déclare « les esclaves être meubles. » (au sens notarial du terme)

L’article 44 :

« Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d’aînesse, n’être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire… » ( )

Sala Molins fait remarquer que les Lumières sont en contradiction avec leurs propres présupposés :

« Ce schéma est en radicale contradiction avec le soubassement épistémologique des philosophes des Lumières. » ( )

Face à l’universalisme ethnocentré, la postmodernité propose un relativisme culturel pour reconnaître qu’aucune culture n’est supérieure à une autre. C’est la notion de « différence » , qui a été mise en avant. L’argument relativiste remarque que notre jugement sur une autre culture est émis depuis notre propre culture, depuis notre vision du monde particulière. Admettre la relativité des cultures et des productions humaines n’implique pas obligatoirement de devenir totalement relativiste, en particulier sur le plan moral. La question du relativisme est un débat récurrent dans la postmodernité, c’est l’un des enjeux de ce travail.

C’est le passage du constat de la relativité des cultures au relativisme comme idéologie qui est source de difficultés. L’idéologie relativiste défend l’idée qu’il n’y a pas de vérité et s’appuie sur la difficulté à établir la vérité dans le champ qui étudie les comportements humains et la culture humaine. Les critiques sur le caractère absolu de la vérité conduisent à admettre que nous devons accepter de n’avoir accès qu’à des vérités relatives. L’idéologie relativiste s’appuie également sur le tournant linguistique et le structuralisme, entre autres. Dans le champ des sciences humaines, diverses théories et études montrent facilement le poids du langage dans nos productions culturelles et l’importance du caractère conventionnel de celles-ci. La conclusion qui en a été tirée, dans le cadre du relativisme, c’est qu’il n’y aurait que des faits linguistiques et jamais de vérité au sens où on l’annonçait auparavant, en particulier dans les sciences de la nature.

Le débat sur l’universalité demande de nuancer l’argumentation. L’universalité étant entendue dans le sens où il est possible de penser une validité générale pour tous les humains. Il faut alors préciser pourquoi nous refusons le relativisme et nous défendons la relativité. Le relativisme est donc un ensemble de théories, qui refusent l’absolu et la supériorité d’une vérité par rapport à une autre. La première forme très connue du relativisme a été celle des sophistes grecs, qui ont mis en évidence la relativité des coutumes et des lois ainsi que leur aspect conventionnel. Le relativisme absolu, qui a pris la forme du scepticisme radical, a été rejeté parce qu’il outrepasse les limites de la raison. En s’affirmant, il nie le principe de raison, qui lui permet d’énoncer le doute radical. Il utilise la certitude pour nier toute possibilité de certitude. Actuellement, la forme la plus répandue du relativisme est celle qui énonce que « tout se vaut ! » . La relativité, quant à elle, admet que le relatif existe. La relativité existe dans l’histoire humaine et entre les cultures, mais ceci n’implique pas d’accepter l’absence de valeurs universelles pour l’humanité comme la liberté, l’égalité et la justice ou la solidarité. Valeurs, qui n’existent que si des humains ou des groupes d’humains essaient de les mettre en œuvre. C’est un choix, une décision qui s’appuie sur l’histoire humaine, qui n’a pas de fondement transcendant. Le combat contre le relativisme a surtout été mené historiquement au nom de la transcendance de la vérité. C’était un discours qui acceptait la hiérarchie des êtres et essayait de la fonder par la métaphysique. Ici, l’universalité est de l’ordre du postulat.

Aujourd’hui le relativisme admet les résultats de l’histoire de la philosophie, qui reconnaît l’impossibilité à démontrer le fondement en raison. Le relativisme se sert de cet acquis pour dire que, l’absolu n’existant pas, l’état de fait peut continuer. Le relativisme postmoderne est encore une fois un relativisme ethnocentré et socialement marqué. C’est une théorie qui permet aux dominants de continuer à justifier leur domination. Ce relativisme se sert du relativisme culturel pour nier toute référence à l’universalisme, il se pare de la critique de l’ethnocentrisme pour maintenir, par l’utilisation de la différence, une hiérarchie fondée sur la culture. Il n’est relativiste qu’en apparence, car il juge par rapport à son propre centre de valeur, qu’il considère implicitement comme supérieur.

Cette nouvelle version du droit du plus fort ne peut s’affirmer ouvertement, alors elle passe par le relativisme et la culture. Il y a donc eu un renversement dans la justification de la hiérarchie, nous sommes passés de la nature à la culture, de la métaphysique au relativisme postmoderne. De notre point de vue, avec la relativité nous pouvons penser un rapport entre l’universel et la singularité des situations, entre l’unité humaine et sa diversité. Je pense qu’un auteur comme Eduardo Colombo synthétise bien cette problématique et ses enjeux :

« On ne peut pas affirmer que « les valeurs » sont universelles, mais nous pouvons dire que certaines valeurs doivent être postulées comme universelles et d’autres reconnues comme relatives à des situations historiques ou locales particulières (…)

« Quand on a perdu toute garantie métaphysique, lorsqu’on a accepté l’auto-référence généralisée du socio-historique, la pensée est obligée de travailler avec la tension constante qui s’établit entre l’unité et la diversité. La pensée critique, libérée de l’hétéro-référence, est une conquête fondamentale de l’humanité toute entière, même si cette conquête a eu lieu à un moment donné de l’histoire européenne et à partir d’une formidable lutte contre le pouvoir politico-religieux. L’absence de certitudes fondamentales (le relativisme radical), exige une vision universaliste qui ne peut être affirmée sans expliciter les valeurs qui soutiennent cette vison. C’est alors qu’au lieu de croire dans un fondement sacré des valeurs, l’homme doit affronter l’idée qu’il est le créateur de ses valeurs et accepter la tâche inconfortable de maintenir l’esprit critique sur ces valeurs mêmes. » ( )

Reconnaître que l’humanité est multiple est un des éléments de base de la postmodernité. Le débat sur le relativisme a, entre autres, des incidences pour la philosophie politique. Il s’agit soit de maintenir un état de fait inégal, injuste et injustifiable, soit de pouvoir penser la possibilité de l’égalité et de la justice.


V / La science

Pour la modernité, la science est le modèle de la connaissance. Ce sont la science et la technique, qui sont la base du progrès. L’efficience et la maîtrise s’appuient d’abord sur un modèle mécaniste.

Dans le cadre de la postmodernité, le concept de technoscience est plus pertinent, la recherche est orientée vers le développement technique. Il est devenu difficile de séparer les deux domaines. Un des modèles postmodernes est celui des ordinateurs et du réseau. Il est appréhendé comme un ensemble computationnel et connexionniste. Dans ce cadre, le vivant et les relations humaines sont envisagés sous l’angle de systèmes d’informations. Une des sources de ce modèle est la cybernétique.

« La cybernétique est une science du contrôle des systèmes, vivants ou non-vivants, fondée en 1948 par le mathématicien américain Norbert Wiener. Notre monde est intégralement constitué de systèmes, vivants ou non-vivants, imbriqués et en interaction. Peuvent ainsi être considérés comme des « systèmes » : une société, une économie, un réseau d’ordinateurs, une machine, une entreprise, une cellule, un organisme, un cerveau, un individu, un écosystème... » ( )

L’adjectif computationnel est conçu à partir du terme anglais de traitement par ordinateur, le « computer » :

« Le traitement computationnel est une opération qui est effectuée sur des symboles, c’est-à-dire sur des éléments qui représentent ce à quoi ils correspondent. La notion en jeu ici est la représentation, ou l’intentionnalité, terme du philosophe pour la qualité de ce qui est à propos de quelque chose » (Varela 1996). [note de fin c]

Pas de computation sans représentation : « L’hypothèse cognitiviste prétend que la seule façon de rendre compte de l’intelligence et de l’intentionnalité est de postuler que la cognition consiste à agir sur la base de représentations qui ont une réalité physique sous forme de code symbolique dans un cerveau ou une machine » (Varela 1996). ( )

L’approche connexionniste est un développement du modèle computationnel pour essayer d’en dépasser les limites.

« L’approche connexionniste utilise une stratégie qui consiste à construire un système cognitif en partant de composants simples susceptibles de se relier entre eux par des connexions. L’idée de base est que pour résoudre des problèmes, la pensée humaine ne procède pas par une suite de déductions logiques ; c’est de l’interaction entre micro-unités d’information qu’émerge une solution. » ( )

Un des objectifs est de comprendre le fonctionnement du cerveau. Nous sommes à la fois dans la continuité du projet moderne et dans des modélisations, qui ont rompu avec le mécanisme de la modernité. La complexité des phénomènes étudiés impose de nouvelles hypothèses.

Le modèle connexionniste est aussi une façon de voir et de développer les liens entre les humains. Exister avec et par le réseau est devenu un mode d’être de la postmodernité. C’est ce qu’explique Raphael Josset du Groupe de Recherche sur la Technique et le Quotidien de l’université de la Sorbonne dans son article Hardcore : vers une socio-anthropologie de l’underground postmoderne :

« La structure en réseau est le type d’agrégation sociale caractéristique de la socialité postmoderne. Elle renvoie à la métaphore dionysiaque de la confusion : les choses, les gens, les représentations se répondent par un mécanisme de proximité. Ces éléments se contaminent de proche en proche créant la réalité sociale, où par une suite de chevauchements, d’entrecroisements multiples, se constitue un réseau des réseaux. Un espace où tout cela se conjugue, se multiplie et se démultiplie formant des figures kaléidoscopiques aux contours changeants et diversifiés » .

(…) « Contre les systèmes centrés à communication hiérarchique et liaisons préétablies, le Rhizome est un système acentré, non hiérarchique et non signifant, sans Général, sans mémoire organisatrice ou automate central, uniquement défini par une circulation d’états. » ( )

Nous sommes donc une nouvelle fois dans l’intrication entre les différents domaines de la société postmoderne. La technoscience, la culture et le social n’ont pas de frontières étanches. Les influences fonctionnent dans tous les sens. La philosophie politique utilise la notion de biopolitique pour analyser cette politique qui prend la vie, toute la vie.


Chapitre II

De quelques expressions de la postmodernité dans l’art et dans les sciences humaines : philosophie, sociologie et psychologie.

I / La postmodernité en architecture

Les premières références à la postmodernité ou au postmodernisme viennent de l’architecture. L’architecte anglais Charles Jenks publie son livre Le langage de l’architecture postmoderne en 1979. Dès la première phrase, il annonce :

« L’architecture moderne est morte à Saint Louis, Missouri, le 15 juillet 1972, à 15 heures 32 » . ( )

Cet événement est symboliquement important. En effet, c’est ce jour-là et à cette heure précise qu’un grand ensemble d’habitations fut détruit par implosion. Près de cinq cent mille mètres carrés de logements sociaux avaient été construits pour loger des Américains pauvres. De plus, cet ensemble avait été primé en 1951 par le Congrès international d’architecture moderne. Pruitt-Igoe a été dessiné en 1951 par l’architecte nippo-américain Minoru Yamasaki, sa construction s’est achevée en 1956. Il était constitué de 33 immeubles de onze étages et comportait 2870 logements. Il avait été édifié, selon les strictes règles transmises par les théories fonctionnalistes de la modernité, comme beaucoup d’autres de par le monde.

Le postmodernisme en architecture ne veut plus appliquer les principes de Le Corbusier ou du Bauhaus. C’est une rupture avec l’académisme moderniste qui le précède. L’architecture refuse le seul fonctionnalisme, le postmodernisme souhaite pouvoir faire des reprises du passé. Ce courant esthétique a le goût des citations. L’un des exemples en France d’architecte postmoderne est Ricardo Bofill. Celui-ci assume son postmodernisme. Des exemples de ses réalisations architecturales sont publiés sur la page internet que l’encyclopédie Wikipedia lui consacre. ( )

L’architecture postmoderne est éclectique, hybride, elle utilise les compromis, elle est parfois étrange ou ambiguë, choquante voire provocatrice, quelquefois conventionnelle et redondante. Elle cherche l’originalité et la fantaisie, elle refuse les formes pures, logiques, nécessaires, articulées, impersonnelles, simples et rationnelles.

Ces premiers pas, revendiqués et assumés ouvertement par le postmodernisme, ne se reconnaissent plus dans les avant-gardes. Le mouvement des avant-gardes se présentait toujours comme le dernier moment du progrès ou le nec plus ultra de la critique. C’était un combat incessant pour se renouveler, pour inventer de nouvelles formes et de nouveaux contenus. Mais, la foi en un progrès dans l’art ne fonctionne plus très bien. L’art prend en compte l’échec de la modernité. Celui-ci pouvait viser la consolation par l’accès à de bonnes formes, par des présentations nouvelles. La notion de représentation est en crise, ce constat ne fait plus débat.

La consommation prend le dessus sur la promesse d’émancipation. La culture de masse accepte le kitsch. Dans ce cadre, la jouissance est à l’ordre du jour. L’œuvre postmoderne doit trouver son public quel que soit son niveau de culture, elle doit séduire. Cette option est l’inverse de la vision moderne, où l’œuvre vise le sublime. Pour la modernité, le public est invité à s’élever au niveau de l’œuvre d’art. Dans la postmodernité, les productions culturelles descendent vers le public. L’exemple du pop art est symptomatique, il est en phase avec la consommation de masse, dont il reprend les emblèmes.

L’art, dans la postmodernité, ne serait possible que parce qu’il est séparé d’une réalité irreprésentable, c’est la thèse défendue par Jean-François. Lyotard. L’insoutenable légèreté de l’être postmoderne serait une réponse à l’insupportable spectacle de la mort de la modernité. Gianni Vattimo dans son livre de 1980 sur La fin de la modernité parle des différentes formes que prend la mort de l’art :

« Comme utopie de la réintégration, comme esthétisation de la culture de masse, comme suicide et silence de l’art authentique. »

Il analyse ainsi le passage à la postmodernité :

« La fin de la modernité n’est pas une fin d’achèvement, mais une fin de rémission dont on attend convalescence et rétablissement. Elle survient lorsque l’utopie se démarque elle-même et non lorsqu’elle échoue, lorsque l’art de la culture de masse devient kitsch, lorsque le sentiment de désespoir sur l’humaine condition aboutit au silence » . ( )

Dans cette perspective, les œuvres d’art auront toujours quelque chose d’inachevé. On retrouve ici l’incomplétude du paradigme paradoxal. La particularité l’emporte sur l’universel. Les différences cohabitent sans idéal d’unité ou de fraternité. Le patchwork et la mosaïque sont devenus des formes banales. L’expérimentation, la parcellisation, l’éclectisme, la parodie sont la règle. L’art éphémère, la performance, qui ne durent que le temps de leurs réalisations, sont postmodernes. Comme l’œuvre ne parle plus par elle-même, elle est souvent accompagnée d’une parole pour expliquer le travail de l’artiste.

Jean-François Lyotard parle du postmoderne comme du degré zéro de la culture générale contemporaine :

« On écoute du reggae, on regarde du western, on mange du McDonald à midi et la cuisine locale le soir, on se parfume parisien à Tokyo, on s’habille rétro à Hong Kong, la connaissance est matière à jeux télévisés. En se faisant kitsch, l’art flatte le désordre qui règne dans le « goût » de l’amateur. L’artiste, le galeriste, le critique et le public se complaisent dans le n’importe quoi, l’heure est au relâchement. » ( )

Ce jugement de 1982 est sévère. Nous le prenons comme un jugement de tendance sur l’orientation générale liée à la société postmoderne. Il existe des formes d’art, des œuvres qui échappent à ce constat. L’art reste toujours un lieu de vérité pour certains des artistes ou écrivains et le public n’est pas toujours englué dans la médiocrité et la consommation. La postmodernité est aussi synonyme d’ouverture et permet de fait à ces artistes de s’exprimer, même s’ils ne sont pas connus du grand public et ne sont pas célébrés par les médias.

Lyotard complète son analyse en remarquant que le règne du « n’importe quoi » est celui de l’argent. ( ) Selon cette approche, la postmodernité est liée à la société postindustrielle. La postmodernité est le résultat de la modernité : accélération du temps, contraction de l’espace, revendication de la liberté individuelle, entre autres. Ce qui conduit à analyser le postmodernisme comme une expression artistique du capitalisme tardif. C’est la thèse de Fredric Jameson. Cette nouvelle étape du développement du capitalisme est celle de l’informatique, de la technologie, du numérique, de l’hédonisme, de l’individualisme, du ludique, de la télévision. La culture et le savoir sont des marchandises banalisées. Il existe un mélange commercial entre l’image et la culture de masse, les parcs d’attraction, la publicité, les médias.

Fredric Jameson établit une correspondance entre l’art postmoderne et ce qu’il nomme le capitalisme tardif. Alex Allinicos dans son article Postmodernisme : un diagnostic critique explique ainsi la démarche de cet auteur :

« …. Jameson utilise le travail d’Andy Warhol, en particulier, pour isoler ce qu’il considère comme les traits particuliers de l’art postmoderne – « une absence de profondeur (depthlessness) nouvelle » , « la disparition de l’affect » , la fragmentation du sujet humain, la réduction du passé à une source inépuisable de pastiches, comme dans la vogue récurrente des styles rétro et de ce qu’il appelle « le film de la nostalgie » , une expérience schizophrénique du monde dans lequel « la perception vive de la différence radicale » remplace tout sens de relations unificatrices, « une étrange et nouvelle extase hallucinatoire » face à un « bond quantique sans précédent dans l’aliénation de la vie quotidienne dans la ville » .

Jameson proclame que c’est là l’art caractéristique d’une phase particulière du développement capitaliste. Le capitalisme, assure-t-il, est passé par trois phases majeures depuis qu’il est devenu le système socio-économique dominant à la fin du dix-huitième siècle. À chacune de ces étapes a correspondu un genre d’art particulier. Le premier stade du capitalisme classique, compétitif, avait comme contrepartie culturelle le réalisme des grands romanciers du dix-neuvième siècle comme Balzac, Dickens et Tolstoï. La deuxième phase, le capitalisme monopoliste, a donné naissance au mouvement moderniste du début du vingtième siècle – Picasso, Joyce et Le Corbusier. Au début des années 1960 nous sommes entrés dans l’ère que Jameson appelle « le capitalisme tardif ou multinational ou de consommation » , qui est caractérisé, entre autres, par la pénétration du marché dans tous les aspects de la vie sociale, …

… La forme la plus pure du capital à être apparue jusque-là, une expansion prodigieuse du capital dans des régions jusqu’alors fermées aux marchandises. Ce capitalisme plus pur de notre époque élimine ainsi les enclaves d’organisation précapitaliste qu’il avait tolérées et exploitées jusque-là sous forme tributaire. On est tenté de parler de ce point de vue d’une pénétration et d’une colonisation de la Nature et de l’Inconscient nouvelles et historiquement originales ; c’est-à-dire la destruction de l’agriculture précapitaliste du tiers-monde par la Révolution Verte, et l’ascension des médias et de l’industrie de la publicité.

La connexion que voit Jameson entre cette nouvelle phase du développement capitaliste et l’art postmoderne est peut-être la mieux exprimée par le biais du concept de « distance critique » . L’art qu’il associe avec les stades primitifs du capitalisme était sans aucun doute un élément de la société bourgeoise, mais dirigé de façon à préserver une distance entre la production culturelle et le système capitaliste. Ainsi, les réalistes cherchaient à pénétrer au-delà des apparences de la vie quotidienne pour parvenir à une vision globale de la société ; les modernistes, quant à eux, vouaient un culte à l’œuvre d’art elle-même, célébrant sa séparation d’avec la normalité bourgeoise. L’art postmoderne, lui, est caractérisé par le fait que « la distance en général (y compris la ‘distance critique’ en particulier) a été très précisément abolie » , un développement qui correspond à la façon dont « l’expansion prodigieuse du capital multinational finit par pénétrer et coloniser ces enclaves précapitalistes elles-mêmes (la Nature et l’Inconscient) qui fournissaient des positions extra-territoriales et archimédiennes au service de l’efficacité critique » . L’art postmoderne, dérivé, sans profondeur, vide d’émotion, reflète un monde social dans lequel tout est devenu marchandise. Jameson trouve ainsi un « moment de vérité » dans le concept de Postmodernisme, dans la mesure où il évoque

« ce nouvel espace global original, extraordinairement démoralisant et déprimant, du capitalisme tardif » . ( ) ( )

Cette analyse est assez pessimiste, mais elle nous semble lucide sur notre situation où la marchandise et le spectacle prennent toute la vie. La crise de civilisation, qui est notre présupposé de départ, est bien celle du développement du capitalisme contemporain.


II / La postmodernité en philosophie

La philosophie a pris en compte la postmodernité d’une manière explicite et d’une façon plus silencieuse. La question a été ouvertement posée par Lyotard en 1979. Nous aborderons ensuite la déconstruction de Derrida, le pouvoir selon Foucault, la multiplicité dans l’immanence de Deleuze.

A / Jean-François Lyotard théoricien de la rupture

En 1979 paraît le livre de Lyotard La condition postmoderne. D’emblée ce livre énonce :

« Cette étude a pour objet la condition du savoir dans les sociétés les plus développées. On a décidé de la nommer « postmoderne » . Le mot est en usage sur le continent américain, sous la plume de sociologues et de critiques. » ( )

L’introduction explique l’intention :

« Le texte qui suit est un récit de circonstance. C’est un Rapport sur le savoir dans les sociétés les plus développées qui a été proposé au Conseil des Universités auprès du gouvernement du Québec, à la demande de son président » . ( )

Il s’agit d’un écrit de commande. Lyotard refuse la qualification d’expert pour assumer sa place de philosophe. La forme « rapport » n’est pas habituelle en philosophie. Pourtant, son ouvrage est bien un livre de philosophie. Ce n’est pas la première fois qu’un philosophe se soumet à la contrainte d’une commande. Rousseau en 1750 a participé au concours proposé par l’Académie de Dijon. Il obtiendra le premier prix pour son Discours sur les sciences et les arts. Lyotard, lui, n’a pas obtenu de prix, sa célébrité est liée à la césure qu’il introduit entre la modernité et la postmodernité dans son Rapport sur le savoir. Ce texte est structuré de façon classique : le champ, le problème, la méthode, puis il aborde les domaines de la nature du lien social, de la pragmatique et de la fonction des savoirs narratifs et scientifiques, le problème de l’enseignement et de la recherche puis la question de la légitimation.

Lyotard, dès l’introduction, situe son propos dans le cadre des « jeux de langage » . Il propose immédiatement une définition du concept « postmoderne » :

« En simplifiant à l’extrême, on tient pour « postmoderne » l’incrédulité à l’égard des métarécits. » ( )

Nous avons déjà plusieurs éléments clés de son approche :

- La situation spatio-temporelle :

§ Les pays les plus développés et le contexte américain ;

- Les jeux de langage ;

- Les métarécits ;

- La crédulité et l’incrédulité dans ces récits ;

- La légitimation de la science par la philosophie.

Il pense que :

« La science est d’origine en conflit avec les récits. À l’aune de ses propres critères, la plupart de ceux-ci se révèlent des fables. Mais, pour autant qu’elle ne se réduit pas à énoncer des régularités utiles et qu’elle cherche le vrai, elle se doit de légitimer ses règles du jeu. C’est ainsi qu’elle tient sur son propre statut un discours de légitimation, qui s’est appelé philosophie. » ( )

Le cadre est épistémologique, son analyse prend en compte l’évolution de la société. Son premier chapitre s’intitule : « Le champ : le savoir dans les sociétés informatisées. » La société « entre dans l’âge dit postindustrielle et les cultures dans l’âge dit postmoderne » . ( )

Le rôle de la science et le développement des techniques sont importants dans cette transformation. Le changement technologique a une influence importante sur la recherche et la transmission des connaissances. Une certaine logique est commune à la génétique, la cybernétique, l’informatique, et à la prolifération des moyens de communications. L’information devient une marchandise. La valeur d’usage du savoir diminue. Le lien entre le savoir et le pouvoir est central dans la nouvelle époque :

« La question du savoir à l’âge informatique est plus que jamais la question du gouvernement » . ( )

Le lien entre le savoir et le pouvoir on le trouve également chez Michel Foucault. Pour Lyotard, la question de la légitimation du savoir se pose. La modernité technique est déconnectée du progrès social. Le lien social devient affaire de « jeux de langage » . L’interrogation sur la légitimation du savoir soulève la question de savoir comment prouver la preuve et qui décide des conditions du vrai. Lyotard constate que les règles de vérité dans la science sont immanentes au jeu scientifique lui-même. Ces règles ne peuvent pas être établies ailleurs qu’au sein du débat scientifique lui-même. Il n’y a pas d’autres preuves que les règles sont bonnes, si ce n’est qu’elles font consensus pour les experts. Dans le fond, cela s’appuie sur un paradigme. Il existe un lien entre le savoir scientifique et la classe qui organise l’État : la bourgeoisie. La validation, la légitimation sont appuyées sur le récit humaniste des Lumières. Ce métarécit contient une promesse d’émancipation collective et individuelle.

Il soutient que l’hégémonie de la rationalité cybernétique et la pragmatique du savoir scientifique ont mis à mal la crédibilité des « grands récits » . Il prend acte de la fin des théories messianiques exprimées dans le discours émancipateur de la classe ouvrière ou dans la philosophie des Lumières. Pour lui, cette disparition va de pair avec le déclin des grandes catégories sociales porteuses de ces idéaux qu’étaient les Ètats-nations, les partis politiques, les institutions et les traditions historiques.

La perte de légitimité est liée à l’histoire de nos sociétés.

« Auschwitz est le crime qui ouvre la postmodernité » ( )

(…) « Auschwitz » peut être pris comme un nom paradigmatique pour « l’inachèvement » tragique de la modernité. » ( )

La modernité et la technoscience n’ont pas tenu leurs promesses, elles ont produit beaucoup d’horreurs pendant les deux guerres mondiales, elles ont accouché de deux totalitarismes : le nazisme et le stalinisme. Les promesses d’émancipation ont fait faillite. Lyotard met en cause les récits qui fondaient et légitimaient la modernité. Il insiste sur la différence entre la modernité et la postmodernité. Il synthétise les critiques faites au développement du capitalisme et celles qui sont portées contre le « socialisme réel » . Il écrit son livre à un moment où il a rejeté le marxisme et la psychanalyse. Il va alors travailler sur les « jeux de langages » et sur Le différend, titre de son livre de 1983.

La rupture effectuée par Lyotard est un travail sur les présupposés de la modernité, ce qu’il nomme les « métarécits » . Il argumente en étudiant les transformations du capitalisme :

« Quand le pouvoir s’appelle le capital et non le parti, la solution « transavantgardiste » ou « postmoderne » au sens de Jenks s’avère mieux adaptée que la solution antimoderne » . ( )

Sa philosophie est une mise en évidence des implicites de la modernité. Le développement de la science change de base avec les mutations du capitalisme. Dans la période postmoderne, c’est le désir de richesse qui pousse la visée de savoir. La puissance est l’objet du désir du maître. Le vrai c’est ce qui est efficace. Les questions de Lyotard sont un plaidoyer pour un humanisme reconstruit. La postmodernité est une nouvelle époque du capitalisme, et ce capitalisme est inhumain. La marchandisation lui paraît un horizon mental très prégnant. Il est un des premiers à mettre en évidence les présupposés du capitalisme postmoderne : le pragmatisme, la marchandisation, la désacralisation généralisée, l’éclectisme, la centralité du langage, le délitement du lien social, etc.

La démarche de Lyotard a un côté paradoxal. Son point de vue et ses arguments sont critiques, mais en même temps, il fait exister la postmodernité en la nommant. Sa parole a eu un aspect performatif. Il est devenu celui qui défend la postmodernité en l’étudiant. Il est classé comme l’un des premiers philosophes postmodernes. Son nom est devenu comme une borne qui signale un avant et un après.

Lyotard appuie son analyse sur les jeux de langage, notion qu’il reprend de Ludwig Wittgenstein. Il distingue différents types d’énoncés : dénotatifs, performatifs, prescriptifs… Énoncés que l’on retrouve dans les différents jeux de langage. Chaque catégorie d’énoncé est déterminée par des règles, qui définissent leurs domaines et leurs usages. Ces règles n’existent pas en elles-mêmes, elles sont l’objet d’un consensus. Elles sont le résultat d’une construction sociale. Pour Lyotard, il apparaît donc que les grands récits ne sont rien d’autre qu’une forme particulière de discours. L’erreur est de leur donner une valeur métaphysique. Il est possible de résumer cette approche et ce qui en sera retenu ainsi : notre vision du monde, nos représentations sont des constructions sociales et linguistiques, qui renvoient à un contexte social de perception. Cette relativité des jeux de langage est un point central de l’analyse postmoderne.

Très souvent, la postmodernité est associée à la relativisation ou est synonyme de relativisme. Les analyses de Lyotard ont contribué à cette définition. Sa posture était à la fois critique et participante. Non seulement il fait exister la postmodernité par son travail philosophique, mais il a été lui-même un acteur de l’art postmoderne. Il a organisé l’exposition « Les Immatériaux » en 1985 au Centre Georges Pompidou à Paris. Le philosophe est descendu de sa chaire, il est à la fois théoricien et praticien de la postmodernité. Nous pouvons y déceler une réminiscence de la praxis marxiste. D’autre part, le contexte postmoderne est inclusif, c’est de l’ordre du constat.


B / La déconstruction de Jacques Derrida

Ce philosophe a inventé des concepts : la trace, la différance, la dissémination, le logocentrisme, le spectre, … L’idée la plus connue de Derrida est la déconstruction. Il n’aimait pas les définitions. Il pensait que la signification d’un texte est le résultat de la différence entre les mots employés et non pas de la référence aux choses qu’ils représentent. Il a proposé d’utiliser le mot « différance » qui combinait la « différence » et le participe présent du verbe « différer » : « différant » . Cette différance a un rôle actif qui travaille en creux les mots qu’elle met en relation. Il refusait le structuralisme, mais la déconstruction a été souvent comprise comme utilisant la recherche des significations obtenues en décomposant la structure du langage. La déconstruction est un mouvement producteur de « différance » . Les concepts sont créés par leur façon de différer. Il refuse la notion de transcendance et celle de vérité première. Les concepts ne sont jamais pleinement eux-mêmes, d’où la notion de « trace » .

Derrida voulait déconstruire la métaphysique occidentale, qui s’était construite et fondée sur l’être et sur sa détermination comme présence. La déconstruction cherche à mettre au jour les présupposés qui lui sont liés et les apories qu’elle produit. Il veut aller au-delà des articulations binaires : phénomène – essence, intelligibilité – sensibilité, réalité – apparence, culture – nature, vérité – erreur, authenticité – artifice, écriture – parole, etc. Il faut éviter de hiérarchiser, il est plus fécond de contextualiser, l’important c’est la textualité. La déconstruction n’est ni une méthode, ni un système philosophique, elle se situe du côté d’une pratique, une pratique du texte. Pour lui, il n’y a pas de « hors-texte » , il faut mettre au jour ce qui sédimente l’événement de langage :

« Je ne peux donc pas expliquer ce qu’est la déconstruction, pour moi, sans recontextualiser les choses. » ( )

Il explique que le mot « déconstruction » a une double origine, qu’il existait avant lui, mais qu’il n’était pas très utilisé :

« Il m’a d’abord servi à traduire des mots, l’un venait de Heidegger, qui parlait de « destruction » , l’autre venait de Freud, qui parlait de « dissociation » . Mais très vite, naturellement, j’ai essayé de marquer en quoi, le même mot, ce que j’appelais déconstruction, n’était pas simplement heideggerien ni freudien. J’ai consacré pas mal de travaux à marquer à la fois une certaine dette à l’égard de Freud, de Heidegger, et une certaine inflexion de ce que j’ai appelé déconstruction. » ( )

Il proteste contre son assimilation et au structuralisme et au tournant linguistique :

« J’ai commencé par contester l’autorité de la linguistique et du langage et du logocentrisme.

(…) C’est un contre-sens incorrigible, apparemment. » ( )

Jacques Derrida constate le contre-sens. Il nous indique également la base sur laquelle va se développer ce contre-sens : le logocentrisme. Le logocentrisme a évolué vers la notion de « phallocentrisme » , puis vers celle de « phallologocentrisme » . C’est en travaillant sur le système métaphysique qu’il propose de le considérer comme un logocentrisme. La centralité du logos dans la philosophie le conduit ensuite à considérer la métaphysique comme le logos de l’homme occidental, d’où la notion de « phallogocentrisme » . Ce terme sera repris par Luce Iragaray qui va théoriser un différentialisme féministe. Ce concept va devenir une sorte d’étendard féministe, en particulier aux États-Unis. Le thème de la différence est important dans l’étude de la généalogie de la postmodernité et la discussion sur les enjeux de sa définition.

Nous nous trouvons donc avec deux approches : celle de Derrida lui-même et celle qui s’est développée à partir de sa démarche. Il essaie d’expliquer sa position ainsi :

« Si je voulais donner une description économique, elliptique de la déconstruction, je dirais que c’est une pensée de l’origine et des limites de la question qu’est-ce que ?..., la question qui domine toute l’histoire de la philosophie. Chaque fois que l’on essaie de penser la possibilité du qu’est-ce que ?.., de poser une question sur cette forme de question, ou de s’interroger sur la nécessité de ce langage dans une certaine langue, une certaine tradition, etc., ce qu’on fait à ce moment-là ne se prête que jusqu’à un certain point à la question « qu’est-ce que ? » .

C’est ça, la différence de la déconstruction. Elle est en effet une interrogation sur tout ce qui est plus qu’une interrogation. C’est pour ça que j’hésite tout le temps à me servir de ce mot-là. Elle porte sur tout ce que la question « qu’est-ce que ? » a commandé dans l’histoire de l’Occident et de la philosophie occidentale, c’est-à-dire pratiquement tout, de Platon à Heidegger. De ce point de vue, en effet, on n’a plus tout à fait le droit de lui demander de répondre à la question « qu’est-ce que tu es ? » , « qu’est-ce que c’est ? » sous une forme courante. »

En 2001, Antoine Spire lui demande si « au fond, déconstruire, c’est philosopher ? » . ( ) Jacques Derrida avait déjà essayé de préciser sa pensée en 1992 presque dix ans auparavant :

« … la déconstruction, l’expérience déconstructive se place entre la clôture et la fin, dans la réaffirmation du philosophique, mais comme ouverture d’une question sur la philosophie elle-même. De ce point de vue, la déconstruction n’est pas simplement une philosophie, ni un ensemble de thèses, ni même la question de l’Être, au sens heideggérien. D’une certaine manière, elle n’est rien. Elle ne peut pas être une discipline ou une méthode. Souvent, on la présente comme une méthode, ou on la transforme en une méthode, avec un ensemble de règles, de procédures qu’on peut enseigner, etc.

Ce n’est pas une technique, avec des normes ou des procédures. Bien entendu, il peut y avoir des régularités dans les manières de poser un certain type de questions de style déconstructif. De ce point de vue, je crois que cela peut donner lieu à enseignement, cela peut avoir des effets de discipline, etc. Mais, en son principe même, la déconstruction n’est pas une méthode. » ( ).

Pourtant, malgré les protestations de Derrida, la déconstruction est devenue une attitude méthodologique. L’origine de ce devenir est certainement liée à la méfiance vis-à-vis de la vérité développée par sa démarche philosophique :

« Le scepticisme déclaré et souvent réitéré de Derrida à l’égard du concept de vérité a certainement contribué à entourer ses écrits d’une aura sulfureuse, tout autant que la violence implicite du terme « déconstruction » . Certes, cette méfiance à l’égard du langage a rendu le déconstructeur particulièrement habile à dépister dans certains discours les traces d’un « logocentrisme » , d’une « parole pleine » , au moyen de laquelle l’énonciateur chercherait à s’imposer comme le détenteur de la Vérité. Mais ce relativisme a aussi ouvert la porte à toutes les dérives. En faisant un axiome de l’itérabilité du texte, « structure de répétition [qui] ne se laisse pas dominer par la valeur de vérité » , Derrida débouche sur des affirmations lourdes de conséquences, notamment en ce qui a trait à la responsabilité du scripteur … » ( )

La posture liée à la déconstruction insiste maintenant sur les opérations de construction de la réalité. Elle s’interroge sur les présupposés et les implications, sur « la vérité » des connaissances produites par le discours dit « objectif » . L’attitude déconstructiviste interroge les représentations et des « visions du monde » . La question de la construction historique des instruments d’appréhension de la réalité, de leur légitimité, et de leur justification est posée. Il s’agit alors de mettre au jour les processus de réification, d’idéologisation, de rationalisation, de méconnaissance, de reconstruction discursive. Nous retrouvons les « jeux de langage » et la méfiance à l’égard des constructions sociales déjà rencontrés dans le sillage de Jean-François Lyotard. La déconstruction est devenue synonyme d’attitude critique vis-à-vis des énoncés qui justifient la domination sous toutes ses formes. Maintenant, nous rencontrons la déconstruction partout. Le contre-sens incorrigible dénoncé par Derrida, créateur du concept, est massif dans la postmodernité. Derrida a gagné et perdu en même temps, ce qui est typiquement postmoderne. La déconstruction a été adoptée par la société, mais entre-temps elle a changé de sens.

La notion de « différence » , est un thème très présent chez Derrida, la différence est devenue une des bases de la postmodernité. Le droit à la différence est une demande banale aujourd’hui. La fragmentation sociale qui en résulte est une caractéristique de notre période postmoderne.

Derrida ne voulait pas devenir un intellectuel législateur, il ne l’a pas été. Il échappe en partie au modèle de Bauman, qui décrit les théoriciens modernes comme des législateurs et les postmodernes comme des interprètes. ( ) Derrida a bien été un interprète, il travaillait sur le texte. Mais, il n’était pas dans une posture d’accompagnement. Son engagement théorique et pratique sur le thème de l’hospitalité est clair, il en fera un livre De l’hospitalité. ( )

« Derrida insiste sur l’éthique comme relation à l’autre par excellence qui mêle visage et hospitalité … » ( )

Il énonce :

« … Il n’y a pas de culture ni de lien social sans un principe d’hospitalité. » ( )

Il affirme cet engagement dans un contexte relativiste, où la xénophobie institutionnelle est la norme. Cette prise de position est une critique politique et non un accompagnement de ce qui apparaît.


C / Michel Foucault et le pouvoir

Au cours du développement de sa philosophie, Foucault commence par définir la notion « d’épistémè » . Ce concept, dans son contenu, ressemble à celui de paradigme employé par Thomas Kuhn. Il s’agit de voir comment historiquement l’ensemble des connaissances d’une époque construit un discours qui fonde les normes d’une société. Il emploiera le terme l’ordre du discours, ce sera le titre d’un de ses ouvrages en 1970. ( )

Pour Foucault il existe un lien entre la construction du savoir et le pouvoir. Le discours sur l’homme est récent dans l’histoire du savoir. L’homme apparaît comme concept au XIXe siècle.

« L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. » ( )

Foucault propose de faire l’archéologie du savoir. Son étude a un aspect généalogique, le lien avec Nietzsche est assumé. Il s’agit de détruire les illusions philosophiques. Foucault n’utilise pas les catégories classiques de la philosophie. Il définit le pouvoir comme une relation. Le rapport de force passe par la maîtrise du savoir, qui s’est constitué historiquement. Plus de référence aux facultés de l’homme et à la raison. Dans son livre Surveiller et punir, paru en 1975 ( ), il étudie le pouvoir comme un dispositif, un agencement. Il appuie sa démonstration sur les travaux de Bentham, qui a inventé la notion de « panoptique » .

« Foucault voyait dans le « panoptique » de Bentham, construction pénitentiaire destinée à opérer une surveillance constante des prisonniers, « la formule même du gouvernement libéral » . ( )

Ce dispositif permet de voir sans être vu. C’est une forme de thérapie sociale, un contrôle et un formatage. La notion d’orthopédie est employée dans la quatrième de couverture du livre Surveiller et punir. ( ) Il montre également que nous sommes passés du contrôle des corps au contrôle des esprits. La surveillance des comportements :

« … Dans plusieurs de ses ouvrages, notamment Surveiller et punir, et La volonté de savoir, sa relecture du « pouvoir » laisse à penser, voire nous en propose une interprétation assez étonnante, et peu banale. Tout d’abord, Michel Foucault étudie le pouvoir sur le plan des processus mineurs qui cernent et investissent le corps. Quatre investissements du corps par le pouvoir sont décrits dans Surveiller et punir : premier investissement comme morceau d’espace ; deuxième comme noyau de comportements ; troisième comme durée interne, et dernier comme somme de forces. Contre toute attente, il ne s’agit donc plus, comme on le ferait un peu trop précipitamment, d’étudier la question du pouvoir sous l’angle de grandes interrogations autour de la genèse de l’État ou les droits de la nature. À la lecture de Foucault, on réalise que tout le travail du pouvoir pour discipliner ses sujets s’opère autour d’une très fine technique politique des corps : il s’agit de rendre docile, de discipliner les individus sans que ces derniers naturellement, ne s’en aperçoivent. On comprend alors que le niveau d’analyse requis par Foucault n’est autre qu’une « microphysique » du pouvoir. » ( )

Le pouvoir dans cette microphysique peut s’exercer de haut en bas de la pyramide sociale. Le contremaître, le surveillant de prison exercent du pouvoir. Il s’agit pour Foucault d’analyser les méthodes de domination. Il modifie la grille d’analyse classique sur le pouvoir, il n’est plus question de définir la nature du pouvoir, de chercher les sources du pouvoir ou sa légitimité. Il écrira en préface du livre de Deleuze et Guattari L’anti-œdipe une Introduction à la vie non fasciste. ( ) Il propose ceci :

« Ne tombez pas amoureux du pouvoir. » ( )

La production de soi est traversée par un souci éthique. Sa philosophie ne peut pas se séparer de la vie. Il développera les notions de « biopolitique » et de « biopouvoir » . Le biopouvoir est l’action de la domination pour faire fonctionner la société à son avantage. C’est à la fois un socle de connaissance et des dispositifs. La biopolitique est ce qui permet aux sujets de viser la liberté et l’éthique :

« Foucault interroge le pouvoir, ses dispositifs et ses pratiques, non plus à partir d’une théorie de l’obéissance et de ses formes de légitimation, mais à partir de la « liberté » et de la « capacité de transformation » que tout « jeu de pouvoir » implique. La nouvelle ontologie que l’introduction de la « vie dans l’histoire » affirme, permet à Foucault de « faire valoir la liberté du sujet » dans la constitution du rapport à soi et dans la constitution du rapport aux autres, ce qui est, pour lui, la « matière même de l’éthique. » ( )

Cette politique, qui prend la vie, c’est un autre nom de ce que nous nommons « postmodernité » . La réponse philosophique ne peut être séparée des choix de vie pour Foucault. Il refuse la position de l’intellectuel moderne, qui se voit comme un législateur, mais aussi celle qui accompagne les changements dans la société sans prendre position. Il définit une nouvelle catégorie qu’il nomme « l’intellectuel spécifique » :

« Pendant longtemps, l’intellectuel dit « de gauche » a pris la parole et s’est vu reconnaître le droit de parler en tant que maître de vérité et de justice. On l’écoutait, ou il prétendait se faire écouter comme représentant de l’universel. Être intellectuel, c’était être un peu la conscience de tous. ... Il y a bien des années qu’on ne demande plus à l’intellectuel de jouer ce rôle. ... Les intellectuels ont pris l’habitude de travailler non pas dans l’universel, l’exemplaire, le juste-et-le-vrai-pour-tous, mais dans des secteurs déterminés, en des points précis où les situaient, soit leurs conditions de travail, soit leurs conditions de vie (le logement, l’hôpital, l’asile, le laboratoire, l’université, les rapports familiaux ou sexuels). Ils y ont gagné à coup sûr une conscience beaucoup plus concrète et immédiate des luttes. Et ils ont rencontré là des problèmes qui étaient spécifiques, non universels, différents souvent de ceux du prolétariat ou des masses. Et cependant, ils s’en sont rapprochés, je crois pour deux raisons : parce qu’il s’agissait de luttes réelles, matérielles, quotidiennes, et parce qu’ils rencontraient souvent, mais dans une autre forme, le même adversaire que le prolétariat, la paysannerie ou les masses (les multinationales, l’appareil judiciaire et policier, la spéculation immobilière) ; c’est ce que j’appellerais l’intellectuel spécifique par opposition à l’intellectuel universel. » (Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard, Paris, 2001) ( )

Il s’agit de :

« … Parler à partir de la place qu’on occupe et non à la place des autres. » ( )

L’intellectuel ne doit plus confisquer le pouvoir de parler, mais essayer de créer une rupture pour que la parole des sans-voix s’exprime de temps en temps. S’il parle, il le fait depuis la place de ceux qui n’ont pas la parole d’habitude. Foucault s’engage et le rend public, par exemple dans le GIP (Groupe d’information sur les prisons). ( ) La critique de l’universel permet de recomposer une nouvelle posture intellectuelle et éthique.

La question de savoir si Foucault a été postmoderne reste en suspens. Il a refusé l’étiquette. Sa philosophie a déplacé les analyses sur le pouvoir. Il a cherché à montrer que chaque époque produisait un discours dominant et cohérent. Cet ordre du discours énonce la vérité sur le monde et impose ses normes. Sa conception du pouvoir comme relation et comme dispositif est devenue un lieu commun au sein des sciences humaines. Il a commencé par critiquer les abus du sociologisme et du psychologisme. Il a parlé de « la mort de l’homme » , et aujourd’hui l’analyse du discours et des normes, le repérage des micro-pouvoirs a été intégré aux sciences humaines. On peut dire que les idées novatrices de Foucault font maintenant partie de la boîte à outils critique postmoderne :

« Le terme de « boîte à outils » est employé dans un entretien entre Deleuze et Foucault en 1972, où ils sont là assez d’accord : le rôle d’une théorie n’est pas de fournir un cadre englobant, ou une base totalisante, de discours unifié aux luttes sociales. C’est bien sûr une réaction contre le marxisme et la lecture althussérienne du marxisme. Le rôle de la théorie est d’être en morceaux, pour que ces morceaux de théorie fonctionnent avec des morceaux de luttes ou de pratiques militantes. Car, selon Foucault, il n’y a pas d’un côté la théorie et de l’autre la pratique : la pratique dans les sociétés modernes est largement informée de réflexions, d’outils théoriques ou scientifiques. C’est le premier sens de l’idée de « boîte à outils » . Son deuxième sens est que l’intellectuel ne sait pas forcément à quoi vont servir les outils qu’il fabrique. Je crois que la métaphore de l’outil, c’est aussi une manière de dire qu’il n’y a pas forcément un seul sens à donner aux analyses, ni un bon et un mauvais usage des concepts élaborés par Foucault. C’est une manière de justifier la pluralité des lectures des textes. » ( )

D’autre part, Michel Foucault est aujourd’hui considéré comme l’un des fondateurs des études sur le genre :

« Une fois le sexe devenu tout aussi culturel que le genre, la sexualité devient aux yeux des chercheurs l’objet d’une nouvelle réflexion. L’influence du philosophe français Michel Foucault (particulièrement dans la décennie 80 durant laquelle ses œuvres ont été traduites aux États-Unis) est ici primordiale. Le genre est ainsi articulé au pouvoir et à sa « mise en discours » puis relié à l’analyse de la sexualité et de ses normes. » ( )

Les concepts de « biopouvoir » et de « biopolitique » sont couramment utilisés aujourd’hui par des auteurs qui revendiquent leur appartenance à la postmodernité. Toni Negri, par exemple, cite Foucault comme une référence majeure :

« La dernière référence majeure de L’Empire enfin, est Michel Foucault et son concept de société disciplinaire dans laquelle « la maîtrise sociale est construite à travers un réseau ramifié de dispositifs ou d’appareils qui produisent et régissent coutumes, habitudes et pratiques productives » via une série d’institutions : la prison, l’usine, l’asile, l’hôpital, l’université, l’école, etc. » ( )

En se diffusant largement, les idées de Foucault sont devenues partie intégrantes de la postmodernité. Si Foucault n’était pas postmoderne, la postérité de ses idées l’est. Michel Foucault, comme Jacques Derrida, est maintenant un auteur postmoderne. La vulgarisation et la dissémination des textes et des thèses ont inclu ces deux auteurs dans la postmodernité.


D / Le multiple de l’immanence de Gilles Deleuze

Dans son dernier texte, publié de façon posthume, Gilles Deleuze énonce une thèse :

« La philosophie est la théorie des multiplicités » ( )

Il a commencé son œuvre par un travail de philosophie classique. Il commente de grands auteurs comme Hume, Bergson, Liebniz, Nietzsche et Spinoza. Sa recherche sur l’ontologie concerne le réel et sa production. Le caractère ontologique de sa philosophie n’est pas purement spéculatif, c’est une base pour sa compréhension de la littérature, la politique, et l’art. Un peu plus tard il parlera de champ social. Gilles Deleuze tisse une ontologie du concret, de l’action et de l’événement. C’est une sagesse mêlée d’une passion pour la nouveauté. Son approche théorique peut se lire comme une injonction à changer, un appui pour le devenir autre, une visée éthique. Eric Alliez qualifie sa démarche d’ontologie du virtuel. ( ).

Deleuze s’appuie sur Bergson pour sa thèse sur les multiplicités et pour l’appréhension de la durée. Il développe cette approche dans un cours de 1970 intitulé Théorie des multiplicités chez Bergson. ( ) Il ne reprend pas le côté spirituel de Bergson :

« Gilles Deleuze fait preuve d’une forte volonté de couper de la philosophie bergsonienne toute tendance spirituelle débouchant de temps en temps, selon l’interprète, dans une dimension religieuse, de barrer la route à un Dieu créateur transcendant pour submerger et consolider la pensée dans l’immanence et dans le transcendantal empirique. Pour Deleuze, la Durée s’assimile à l’immanence, et par là au travail de différentiation propre aussi à l’Elan vital qui est ainsi épuré de toute la grandiloquence d’un déchaînement vital débordant ; quant à la Mémoire, elle est mise du côté de l’Etre. Les notions de Durée, de Mémoire et d’Elan vital sont ainsi en parfaite corrélation avec la notion d’Intuition puisque c’est elle qui est la pièce maîtresse dans le dévoilement des autres notions et dans l’explicitation de leurs fonctions » . ( )

Notre culture, marquée par la science, a tendance à lier espace et durée. À la suite de Bergson, Deleuze conçoit la durée sous l’angle de la vie.

« L’élan vital est comme la durée, il n’est ni un ni multiple, il est un type de multiplicité » . ( ) Il utilisera Bergson pour la notion d’intuition et ensuite pour la formalisation de l’image mouvement et de l’image temps et ses propositions sur le cinéma au début des années 1980. ( )

L’intuition bergsonienne n’est pas liée à des catégories abstraites comme l’un, l’être, le multiple ou le non-être. Cette façon de concevoir l’intuition concerne les conditions de production des choses, point par point et concrètement. Cette manière de voir refuse les notions philosophiques négatives : le néant, le possible, l’absence. Pour Deleuze, ce sont des fictions qui nient la vision différentielle du monde. Elles ne permettent pas de penser l’acte de création, les sources de nouveauté et de différence. En utilisant ces concepts, on s’appuie sur une différence basée sur une opposition et un dehors. La différence, pour Deleuze, est interne au monde, elle est un processus, une différenciation virtuelle ou réelle actualisée.

Gilles Deleuze, en reprenant Bergson et en le réinterprétant, pense la durée comme étant le réel, elle est plus qu’un état de conscience. La durée reste une méthode pour appréhender le réel et devient ontologie. Il s’agit de comprendre le processus de production de l’être. Nous sommes dans une philosophie qui s’intéresse aux processus plus qu’aux choses elles-mêmes. L’analyse est dynamique, elle met en évidence l’interaction et les rythmes. Dans ce cadre, le statut de l’intuition change, elle devient méthode. Dans une présentation de la philosophie de Deleuze, un commentateur reconnaît que ce concept peut poser problème :

« Ce que Bergson a appelé d’un mot qui a prêté à tant de confusions : intuition. Intuition, en tant qu’elle s’attache à déterminer les conditions de l’expérience réelle … » .( )

Cet interprète insiste sur la différence comme être. Il rappelle le mot même de Deleuze :

« L’être est la différence même de la chose » . ( )

La vie est différence, quand elle n’est pas matérielle, elle est virtuelle. Le « devenir infini de la philosophie » ( ) est adossé à l’immanence. Le plan d’immanence est défini ainsi :

« Le plan d’immanence n’est pas un concept, ni le concept de tous les concepts. ... Les concepts sont comme les vagues multiples qui montent et qui s’abaissent, mais le plan d’immanence est la vague unique qui les enroule et les déroule. ... Le concept est le commencement de la philosophie, mais le plan en est l’instauration. … Le plan d’immanence est comme une coupe du chaos, et agit comme un crible. Ce qui caractérise le chaos, en effet, c’est moins l’absence de déterminations que la vitesse infinie avec laquelle elles s’ébauchent et s’évanouissent » . ( )

Deleuze utilise des notions nouvelles et inhabituelles en philosophie : vitesse, intensité, lignes de fuite, ritournelle, vagues, agencements, chaosmos, corps sans organes, pour parler des phénomènes qu’il étudie. La ritournelle, par exemple :

« En un sens général, on appelle ritournelle tout ensemble de matières d’expression qui trace un territoire, et qui se développe en motifs territoriaux, en paysages territoriaux (il y a des ritournelles motrices, gestuelles, optiques, etc.) » ( )

La ritournelle est une modalité du temps liée au territoire et à la déterritorialisation. Elle fabrique du temps. Comme la ritournelle, la déterritorialisation concerne le monde artistique et le champ social et politique. Pour Deleuze et Guattari, la question de la déterritorialisation est liée au fonctionnement même du capitalisme :

« Le décodage et la déterritorialisation des flux définit le processus même du capitalisme, c’est-à-dire son essence, sa tendance et sa limite externe. » ( )

Le capitalisme déterritorialise pour mieux générer des flux de capital. Il s’agit de remplacer l’objet, les mœurs ou le processus territorialisé par un autre et ainsi le faire rentrer dans l’économie marchande généralisée. La loi de la valeur quantifie et universalise. Les machines désirantes sont captées et intégrées au processus de marchandisation mondiale.

Chez Deleuze et Guattari, le désir est défini comme production selon la perspective vitaliste propre à ces deux auteurs :

« La proposition célèbre, « le désir est machine » ( ), revêt une double portée polémique :

1) elle récuse l’idée psychanalytique selon laquelle le rêve serait la « voie royale » vers l’inconscient ;

2) elle concurrence plus qu’elle ne rejoint le marxisme, en soulevant à son tour le problème de la production de l’existence et en posant que « le désir fait partie de l’infrastructure » ( ) - le modèle de l’inconscient-usine se substitue à celui de l’inconscient-théâtre. » ( )

Pour libérer les flux du désir, Deleuze et Guattari proposent de créer de nouveaux agencements en trouvant des lignes de fuite. Le modèle du rhizome est associé au nomadisme.

« … le rhizome, en différant sans cesse l’origine, nous donne à penser une identité plurielle qui se veut au contraire, pensée de la trace, pensée nomade. Enfin, dans ce dispositif propre à Deleuze, le Pli est un autre opérateur d’altérité qui vient déstabiliser la linéarité de l’Histoire selon Hegel, en y inscrivant, répétition et discontinuité. » ( )

La schizo-analyse est une entreprise critique pour :

« … analyser la nature spécifique des investissements libidinaux de l’économique et du politique ; et montrer par là comment le désir peut être déterminé à désirer sa propre répression dans le sujet qui désire. » ( )

Dans ce cadre, le « schizo » témoigne qu’une autre histoire, un autre monde, un autre fonctionnement du désir sont possibles :

« L’éloge du désir comme investissement social, la proclamation de son appartenance à l’infrastructure, non aux superstructures, de son indépendance foncière, de sa résistance, non au partage, non à la communication, mais aux identifications forcées, en particulier à l’œdipianisation, qui est soupçon du père contre le fils avant d’être rivalité, puis résignation du fils à l’égard du père ;

l’éloge d’un « machinalisme » , qui repense toute production, celle des appétits, celle du travail, celle des rapports humains, celle des activités de l’esprit, en termes naturalistes ou en termes d’économie, de cybernétique, d’informatique ;

l’éloge de la « différence » , de la multiplicité intensive qui conditionne l’éclosion de la personnalité (mieux, son éclatement créateur) et qui défend de l’unifier (par ukase de logicien ou par réduction à des modèles jugés conformes) ;

l’éloge de la folie, c’est-à-dire une dérive mentale qui suit de trop près et qui reproduit trop bien la dérive générale des groupes en folie ou d’une marginalité qui s’expulse elle-même de la société quand la société muselle le désir ;

l’éloge d’une politique qui subordonne la machine sociale aux machines singulières, qui coupe court non seulement au règne des maîtres, mais à l’enfance du chef, tout cela est un heureux complément au marxisme, voire une correction (dont Spinoza et Nietzsche sont en partie les inspirateurs). » ( )

Face à la puissance du capitalisme et sa macropolitique, Deleuze propose d’expérimenter une micropolitique des intensités. La forme « parti » , consubstantielle à la notion d’avant-garde, est rejetée comme l’est la théorie du sujet de la philosophie classique. Dans le contexte des sociétés de contrôle, la différence vise la création. Elle fait passer du virtuel à l’actuel. La critique permet de se débarrasser des mystifications, qui empoisonnent la vie comme la morale. La morale utilise des critères transcendants extérieurs à la vie : le bien, le mal. Au contraire, l’éthique deleuzienne s’appuie sur les différences immanentes des modes de vie. Elle évite de tomber dans le jugement, qui emploie des catégories abstraites, elle préfère mettre à jour une typologie des modes d’existences par l’explication des intensités et des rythmes. Le projet devient celui d’une norme de vie pour accomplir sa propre puissance et refuser le pouvoir comme modalité asymétrique. La philosophie de Deleuze encourage alors les possibilités de création pour vivre autrement. Pour lui, être de gauche est une affaire de perception :

« La gauche, c’est l’ensemble des processus de devenir minoritaires. Donc, je peux dire, à la lettre : la majorité c’est personne, la minorité c’est tout le monde. C’est ça, être de gauche : savoir que la minorité, c’est tout le monde. Et que c’est là que se passent les phénomènes de devenir. » ( )

Deleuze propose la même approche sur la communication :

« Nous ne souffrons pas d’incommunication, mais au contraire de toutes les forces qui nous obligent à nous exprimer quand nous n’avons pas grand-chose à dire. … les forces de répression n’empêchent (plus) les gens de s’exprimer, elles les forcent à s’exprimer. … créer n’est pas communiquer, c’est résister. » ( )

Le devenir humain différent passe par la minorité et la création. La question posée par la philosophie de Gilles Deleuze n’est plus celle « que dois-je faire ?» , mais plutôt celle de savoir « de quoi suis-je capable ? » . Deleuze écrit une philosophie de la puissance. Il se situe dans la continuité de Spinoza. L’immanence et ses multiples sont inséparables de l’éthique chez Deleuze comme chez Spinoza.

Gilles Deleuze a produit sa philosophie dans la postmodernité et pour la postmodernité. Pour lui, la philosophie est système, une philosophie de la création selon Arnaud Bouaniche.( ) Il s’agit de créer hors des clichés et de l’opinion. Une sorte de défi protestataire jamais épuisé pour Eric Alliez, une « biophilosophie » .( ) Un écho à la biopolitique de Foucault.

Il nous reste à poser la question de savoir si Gilles Deleuze est un philosophe postmoderne. Il n’a pas employé le terme pour lui-même. Pourtant, il participe de l’ambiance intellectuelle, qui a remis en cause la raison et la possibilité d’appréhender la réalité objectivement :

« Le second grand axe de développement du Postmodernisme a été la cristallisation d’un courant philosophique distinct caractérisé par son élaboration d’une critique globale de la raison. On trouvait à son centre un groupe de philosophes français, dont les plus importants – Gilles Deleuze, Jacques Derrida et Michel Foucault – s’étaient distingués dans les années 1960. Malgré les substantielles différences les opposant, tous, en grande partie sous l’influence de Nietzsche, ont construit certaines propositions – que ce que nous appelons réalité est, de façon inhérente, fragmentaire, hétérogène et pluriel ; que la pensée humaine est incapable de parvenir à rendre compte objectivement de la nature de cette « réalité » ; et que ce que la philosophie moderne occidentale avait conçu comme le sujet de la pensée, le moi individuel, n’est rien d’autre qu’un amas incohérent de pulsions et de désirs. » ( )

Il n’est ni législateur ni interprète, il échappe aux catégories de Zygmunt Bauman ( ). Le succès de la pensée de Deleuze est indéniable. Il a conquis les surfeurs, de nombreux artistes, beaucoup de militants politiques, des étudiants en philosophie et quelques professeurs. Il nous paraît légitime de le considérer comme un théoricien de la postmodernité, puisqu’il nous propose une boîte à outils pour notre temps, un temps où nous sommes dans les flux, où le nomadisme devient un mode de vie banal, où l’intensité est une valeur centrale. La réception de son œuvre témoigne de cela :

« Une fois que l’on a commencé, on ne peut plus s’en dépêtrer. Effectivement Gilles Deleuze a su nous parler. Et son message, si important, ne doit surtout pas rester aux mains des universitaires, des analystes et exégètes de tous poils : il doit revenir à ceux à qui il est destiné : non pas les gauchistes ou les politiques mais tous ceux qui veulent se sortir du système : de tous les systèmes qui se reproduisent : état, famille et capitalisme. Ces machines interviennent dans tous les domaines de la vie. Gilles Deleuze et son copain Félix Guattari ont collecté des centaines d’expériences de personnes venant de tous les univers, de tous les domaines d’activités qui ont réussi à produire des choses magnifiques, parce que sorties du/des système-s : capables de parler un autre langage, d’utiliser d’autres codes. » ( )

Jean-François Lyotard, Jacques Derrida, Michel Foucault, Gilles Deleuze et Félix Guattari proposent, chacun à leur façon, une philosophie pour aujourd’hui. Il s’agit d’un processus postmoderne, ces philosophies ne sont pas univoques. Nous retrouvons l’aspect paradoxal de la postmodernité. Ces théories peuvent être utilisées de façon opposée :

- Soit pour aller dans le sens du système pour justifier qu’il n’y a pas de valeur supérieure à une autre et que l’on ne peut pas juger en fonction du bien et du mal a priori ;

- Soit par des opposants au capitalisme postmoderne.

D’un côté, la confusion relativiste, pour qui « tout se vaut ! » , hormis la différence des places ; de l’autre, la création, l’invention d’une philosophie qui n’est plus au service du discours du maître. Le ciel est vide et nous n’avons plus de garanties. La notion de « devenir » peut permettre de trouver un trait commun à ces philosophies. Le progrès était un mythe, l’avenir ne peut pas fonder l’espérance, il nous reste à inventer notre devenir, individuellement et collectivement sans transcendance ni messianisme.


III / La postmodernité en sociologie

A / La postmodernité dionysiaque de Michel Maffesoli.

Nous avons déjà rencontré cet auteur avec sa critique de la raison et son éloge de la raison sensible. ( ) En continuité avec cette première rencontre, nous allons maintenant aborder sa sociologie. Selon ses propres termes :

« …si une définition, provisoire de la postmodernité devait être donnée, ce pourrait être : « la synergie de phénomènes archaïques et du développement technologique » .

C’est ainsi que, pour reprendre les grands thèmes explicatifs de la modernité : État-nation, institution, système idéologique, on peut constater, pour ce qui concerne la postmodernité, le retour au local, l’importance de la tribu et le bricolage mythologique » ( )

Pour Maffesoli le local, la fragmentation institutionnelle, le bricolage mythologique, la fusion, le tribalisme, l’importance de l’image et l’émergence de valeurs archaïques sont les points clés de la postmodernité.

Le local, parce que Maffesoli remarque :

« … le retour en force, dans les divers discours sociaux, de termes tels que “pays”, “territoire”, “espace”, toutes choses renvoyant à un sentiment d’appartenance renforcé, au partage émotionnel. »

La fragmentation institutionnelle, parce que

« … les diverses institutions sociales, devenues de plus en plus abstraites et désincarnées, ne semblent plus en prise avec l’exigence réaffirmée de proximité. »

« … les diverses institutions ne sont plus ni contestées ni défendues. »

Le bricolage mythologique, parce que

« Chaque territoire, réel ou symbolique, sécrète en quelque sorte son mode de représentation et sa pratique langagière.»

Il faut se demander :

« … si la véritable efficace n’est pas à chercher du côté des mythes tribaux et de leur aspect existentiel.»

La fusion, le tribalisme, parce que :

« …le terme d’individu, ai-je dit, ne semble plus de mise.»

« …il semble que l’Individu, l’Histoire et la Raison laissent, peu ou prou, la place à la fusion affectuelle s’incarnant au présent autour d’images communielles. »

« …émergence d’un néotribalisme postmoderne reposant sur le, toujours et à nouveau, besoin de solidarité et de protection caractérisant tout ensemble social. Dans les jungles de pierre que sont les mégapoles contemporaines, la tribu joue le rôle qui était le sien dans la jungle stricto sensu. »

« Peut-être faudrait-il parler, pour la postmodernité d’une personne (persona) jouant des rôles divers au sein des tribus auxquelles elle adhère. L’identité se fragilise. Les identifications multiples, par contre, se multiplient. »

L’importance de l’image :

« Dernier point, enfin, du substrat épistémologique postmoderne, c’est l’importance que va prendre l’image dans la constitution du sujet et dans celle de la société.

« Image publicitaire, image télévisuelle, image virtuelle. Rien n’est indemne. “Image de marque” intellectuelle, religieuse, politique, industrielle, etc., tout et toutes choses doivent se donner à voir, se mettre en spectacle. »

L’émergence de valeurs archaïques, parce que

« L’époque est, peut-être, plus attentive à l’impermanence des choses les plus établies. Ce qui est certain, c’est que l’émergence de valeurs archaïques, que l’on avait cru - totalement - dépassées, doit nous rendre attentif au fait que si les civilisations sont mortelles, la vie, quant à elle, curieusement, perdure. Ainsi, en n’accordant pas à ce terme un statut conceptuel par trop rigide, la postmodernité naissante nous rappelle que la modernité fut une “postmédiévalité”, c’est-à-dire qu’elle permit une nouvelle composition de l’être-ensemble.

Devenir spiralesque du monde ! Quand cesse l’évidence d’une idée sur laquelle s’était fondée une civilisation donnée, une autre constellation prend naissance, intégrant certains éléments de ce qui a été, et redonnant vie à certains autres qui avaient été déniés. » ( )

Il estime que :

« Ce n’est plus la raison, c’est le partage du sentiment qui prévaut. » ( )

« Après deux siècles de modernisation, de rationalisation de l’existence, de désanchantement du monde, maintenant que le mythe d’un progrès infini est quelque peu saturé, celui du tourbillonnement dionysiaque mérite attention. Imaginaire, plaisir, désir, fête, rêve redeviennent les maîtres mots de la révolte silencieuse de l’individu. » ( )

Michel Maffesoli assume ouvertement son appartenance à la postmodernité.

Ses descriptions sont exactes, ce qu’il observe c’est bien notre société. Par contre, au niveau de l’argumentation ses thèses font débat. Son analyse sur le tribalisme est surprenante. Il pense que l’individualisme est en perte de vitesse, parce qu’il existe des néo-tribus dans le monde postmoderne. Il note bien que ces rassemblements sont éphémères et basés sur l’émotion. L’observation de notre réalité sociale lui donne raison sur ce point. Mais, au niveau de l’explication, il nous semble que nous devons inverser sa proposition théorique. Les tribus n’existent que parce que l’individualisme est la base de la postmodernité. Le néotribalisme est lié à l’individualisme et à l’existentiel contemporain. Quand l’événement se termine, une fois la tribu dissoute, l’individu reprend ses droits. Les deux domaines ne s’opposent pas, les tribus postmodernes supposent l’individu, elles ne le détruisent pas. Ces tribus forment des archipels à durée limitée et l’individu peut être membre de plusieurs tribus selon les moments. L’existence de ces tribus est liée à des domaines de vie et des événements. Elles sont bien différentes des tribus anciennes, où l’individu tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existait pas. Michel Maffesoli prend l’effet pour la cause.

Maffesoli parle de subversion postmoderne pour les nouveaux modes d’être. Il valorise les tentatives des humains dans le cadre contemporain, mais il accepte le cadre, il ne le conteste pas. Il accompagne et interprète. Sa position correspond bien au modèle de Bauman sur les intellectuels postmodernes. Effectivement, Maffesoli se refuse à être un législateur. Mais, quand il permet à l’astrologue Élizabeth Teissier de devenir docteur en sociologie, il participe au processus de confusion propre à la postmodernité en France.

Maffesoli parle également du réenchantement du monde. Lors d’une rencontre avec le MEDEF, il félicite les patrons français :

« Je suis heureux de voir le MEDEF se saisir du thème du réenchantement du monde pour son université d’été. » ( )

Pour lui, il ne faut pas regretter les temps anciens, il convient :

« ...de penser avec rigueur la nouvelle éthique que cela ne manque pas d’impulser. En son sens strict « ethos » comme lieu d’habitation, demeure que l’on partage avec d’autres. Ciment structurant. Amour de ce monde-ci. Désintérêt pour les arrières-mondes possibles. Un situationisme généralisé en quelque sorte. »

Ensuite, dans le même texte, il définit sa position ainsi :

« … une pensée en prise sur l’existence, qui loin de la routine universitaire ou de l’affairement du bavardage médiatique sait reconnaître dans le paradoxe le nouveau paradigme de notre temps. Laissons là les certitudes compassées du bourgeoisisme finissant. La thématique du tragique est le vigoureux appel à penser le réenchantement du monde. » ( )

Le réenchantement du monde et le tragique n’ont pas le même goût pour tout le monde. Sans tendre l’oreille, il est possible d’entendre parler du chômage, de « précarisation généralisée » , de « travailleurs pauvres » , et des « mal-logés » . ou de « sans-papiers » Ces données, bien présentes dans notre société, ne rentrent pas dans le paradigme sociologique de Michel Maffesoli.


B / Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello

En 1999, paraît le livre intitulé Le nouvel esprit du capitalisme. ( ) Le titre de cet ouvrage fait écho au livre de Max Weber L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme paru en 1904 et en 1905 en Allemagne et traduit en français en 1964. Le thème central du livre est celui de l’intégration des critiques dans les mutations du capitalisme.

Selon ces auteurs, il existe deux types de critiques, la critique sociale et la critique artiste :

- Le capitalisme est source de misère et d’inégalités ;

- Le capitalisme est source d’opportunisme et d’égoïsme, destructeurs de liens sociaux et des solidarités communautaires ;

- Le capitalisme est source de désenchantement et d’inauthenticité ;

- Le capitalisme est source d’oppression, en tant qu’il s’oppose à la liberté, à l’autonomie et à la créativité des êtres humains.

La critique sociale a plutôt été portée par les syndicats et les courants politiques comme le socialisme et le communisme. Quant à la critique artiste, elle est rattachée à la révolte de Mai 1968 et aux diverses avant-gardes artistiques. Mais, il peut être difficile de séparer les deux, parce que les courants radicaux, dont les anarchistes, critiquent le capitalisme des deux points de vue à la fois, c’est-à-dire qu’ils luttent en même temps contre l’exploitation économique, la domination et l’oppression et leurs conséquences.

Eve Chiapello et Luc Boltanski, pour comprendre le nouvel esprit du capitalisme, sont partis d’une analyse du discours managérial, pas du discours économique ou libéral. Ils proposent une modélisation des types d’autorité liés à l’entreprise :

- L’autorité familiale, patriarcale et marchande, Elle est issue du modèle domestique, qui est remis en cause dès les années cinquante du vingtième siècle.

- L’autorité de type rationnelle et industrielle, ce modèle est porté par les ingénieurs, les cadres des années soixante qui parlaient déjà de projet. C’était une façon de donner de l’autonomie aux cadres en gardant le contrôle sur les finalités. C’était un pouvoir basé officiellement sur la rationalité technique et scientifique.

- L’autorité contemporaine du monde « connexionniste » , où les leaders sont hyper-mobiles, capable de gérer des équipes composites, de mobiliser les émotions, de travailler en réseau, etc... Un monde où la communication, la rapidité, la souplesse, la réactivité sont la règle.

Ils emploient la notion de « cité » pour nommer ces trois types de fonctionnement social et de commandement. La description faite des « grands » , ce que le sens commun nomme « les chefs » , dans la cité nommée « cité par projet » est intéressante au regard de l’étude de la postmodernité. Nous nous apercevons vite qu’il s’agit d’une description du monde postmoderne : transversalité, réseaux, connexions, autonomie, ouverture d’esprit, tolérance, souplesse mentale, enthousiasme, motivation, inventivité, modèles ouverts, gestion de la multiplicité, importance des émotions, etc.

Le contrôle mental et l’individualisation sont devenus des éléments importants pour la domination capitaliste. La prise en compte des critiques du pouvoir, issues des années soixante-dix du siècle dernier, a permis de transformer le contrôle extérieur sur les personnes salariées en un auto-contrôle avec les notions de projets et d’objectifs. On diminue les pyramides hiérarchiques et on transfère l’évaluation aux salariés eux-mêmes, on y gagne en coûts et en performances.

L’implication subjective est au centre des nouvelles modalités de pouvoir. La différence entre travail et non-travail s’estompe, les activités associatives ou de loisirs peuvent être un atout important pour les cadres. Il faut être capable de rebondir, d’avoir le sens de l’humanité et du feeling pour diriger. Il faut être capable de tirer parti de tout et ce dans toutes les situations. Le « tout se vaut ! » , hormis la différence des places, est le présupposé général de cette idéologie. Nomadisme, adaptabilité sont des concepts parfaitement intégrés au système managérial.

Ce livre montre comment le capitalisme a su intégrer ce que Chiapello et Boltanski appelent « la critique artiste » , comment il y a eu un transfert de compétence du gauchisme au management après les années soixante-huit, comment la critique du pouvoir que l’on trouve chez Foucault, Deleuze et Guattari a été utilisée pour mettre en œuvre une nouvelle façon de dominer. D’autre part, cette démarche permet de penser le changement en sociologie de façon originale.

Chiapello et Boltanski décrivent également toutes sortes d’attaques contre le droit du travail, contre les protections sociales et comment s’opère une séparation du salariat entre les emplois stables et la galaxie précaire. Ce livre essaie d’expliquer comment le rapport de force s’est transformé à l’initiative du capitalisme lui-même. Les auteurs notent, à juste titre, qu’il n’y a pas de volonté centralisée dans le capitalisme, qu’il s’agit, dans la mutation étudiée ici, d’un ensemble de micro-déplacements. L’observation est juste, mais la conclusion peut engendrer discussion, puisqu’elle refuse de parler de la responsabilité du système. Nous maintenons que ce qui unit l’ensemble du système, c’est encore et toujours la nécessité de faire du profit et la reproduction du système lui-même. Ce système reste un ensemble organisé autour de la domination et de l’exploitation, celles-ci prenant maintenant des formes multiples.

Cette évolution accentue la pression sur les salariés, les managers transfèrent sur leurs épaules le facteur risque. Christophe Dejours a observé ce phénomène dans son livre Souffrance en France. ( )

La notion d’autonomie présentée par le management est biaisée, elle passe sous silence le rapport inégal entre les parties concernées. Ce faisant, la domination, le rapport de violence réelle et symbolique lié au salariat est occulté.

Ce livre nous explique comment le système capitaliste est capable de produire les conditions de possibilité de sa survie et de son renforcement. Ce système est capable de tout récupérer ou presque, ce qui fragilise les oppositions et les condamne très souvent à l’impuissance.

Nous pouvons conclure que ce nouvel esprit du capitalisme est l’esprit de la postmodernité. Luc Boltanski et Eve Chiapello n’emploient pas ce terme, pourtant leurs descriptions et leurs analyses ne parlent que de cela.


C / Le coût thumain de la mondialisation selon Zygmunt Bauman

Zygmunt Bauman est un sociologue polonais. Il est né à Poznam en Pologne en 1925, il enseigne à l’université anglaise de Leeds. Il a enseigné la philosophie et sociologie à l’Université de Varsovie. Il a combattu contre le nazisme dans les rangs de l’armée russe. Il a été contraint de quitter la Pologne communiste en 1968 lors des persécutions antisémites. Il a rejoint l’université de Leeds en 1973. ( )

Son œuvre n’est pas très connue en France. Il parle ouvertement de la postmodernité qu’il qualifie de « vie liquide » . Cette métaphore lui permet d’opposer la modernité considérée comme « solide » à notre époque postmoderne.

« Alors que l’ambition de la modernité solide était de remodeler l’éphémère en durable, le chaos en ordre, l’art de vivre dans une modernité liquide consiste surtout à nager en sûreté dans des raz-de-marée que l’on ne peut maîtriser. » ( )

Les liens humains sont fragiles et dans une situation de constants changements. L’individu post-moderne se trouve dans une situation difficile et périlleuse. D’un côté, il est obligé d’agir sans formule disciplinaire pour orienter son action ; de l’autre il est plongé dans une logique et dans un vécu déresponsabilisant. Le lien de causalité est perçu comme diffus, voire complètement dissous. L’individu, plongé dans la « vie liquide » , est à la fois libre de ce qui pesait auparavant sur sa conscience et prisonnier d’une sorte de présent perpétuel et d’un réel assez insaisissable dans un décor dont il ne perçoit pas vraiment la continuité. Il est plongé dans une certaine irréalité du temps confronté à des rencontres aléatoires. La recherche d’une authenticité est en partie mythique. La vie est ressentie comme n’ayant ni but ni destination. Le monde postmoderne est composé de fragments disparates, dont notre raison hésitante a beaucoup de mal à trouver la cohérence d’ensemble. Pour l’individu, c’est à la fois un fléau et une chance, car le jugement éthique autrefois confisqué par des grands systèmes de régulation morale lui revient aujourd’hui en propre. L’incertitude fait partie de la postmodernité, nous ne pouvons pas trancher facilement, les phénomènes ne sont pas univoques, ils peuvent être en même temps positifs et négatifs, ce qui est paradoxal.

Le pivot de l’analyse de Bauman c’est la séparation entre le pouvoir et la politique. La politique est locale, territorialisée ; le pouvoir réel est celui des grands groupes financiers et industriels et ce pouvoir s’exerce loin des États. La politique est toujours territoriale, et de ce fait elle a toujours un temps de retard sur l’économie fluide. En quelques années, les forces dominantes, qui détiennent l’argent et le pouvoir d’organiser le monde dans leur intérêt, ont trouvé d’autres stratégies, plus légères, moins contraignantes. Les États-nations sont en voie d’affaiblissement rapide, ils ne sont plus les moteurs du progrès social, et nous ne reviendrons pas en arrière.

Zygmunt Bauman pense que l’économie s’est arrachée des contingences liées au principe de gravité. Il s’interroge sur la validité des politiques de lutte contre le chômage quand les multinationales délocalisent massivement. Pour lui, nous sommes dans un désordre mondial. Il pense que la mondialisation s’impose à nous beaucoup plus que nous la choisissons. Il estime que l’universalité des Lumières contenait un projet pour l’humanité, alors que la mondialisation ne contient pas ce type de projet, ce qui provoque une crise sur le sens et crée le climat d’incertitude que nous connaissons actuellement. ( )

Bauman analyse le déclin des États et leur multiplication selon la même causalité. Les États sont expropriés de leur force d’intervention économique, ils ne conservent que les forces de répression, ils sont devenus des appareils de sécurité pour les méga-entreprises. L’État n’a plus le droit ni la possibilité de toucher à la sphère économique. En 2000, les échanges financiers étaient de l’ordre de 1 300 milliards de dollars par jour, soit 50 fois le volume des transactions commerciales journalières de l’époque, et presque autant que le montant des réserves des banques nationales, qui étaient de 1 500 milliards de dollars à ce moment-là. Selon des chiffres de 2002, la tendance est la même :

« On appelle globalisation financière la constitution d’un marché mondial des capitaux, c’est le processus le plus avancé. Les flux les plus importants en valeur, les plus rapides, les plus fluides et les plus constants concernent les capitaux. Chaque jour le volume des transactions sur le marché des changes est plus que 60 fois supérieur au volume journalier du commerce mondial. Cette circulation est caractérisée par une unité de lieu : les bourses sont connectées par de puissants réseaux informatiques et de télécommunication et une unité de temps, le décalage horaire qui les sépare permettant que le système ne s’arrête jamais, une bourse ouvrant avant que l’autre ne ferme. » ( )

Un internaute expliquait en octobre 2007 comment gagner de l’argent via Internet et il note ceci :

« Le Forex (ou Foreign Exchange Market) est le marché des devises. C’est en fait le plus gros marché financier au monde avec un volume journalier de 1 900 milliards de dollars échangés. J’ai bien dit journalier. Par comparaison, le marché du New York Stock Exchange (NYSE) était de 9 600 milliards de dollars pour l’année 2003 » . ( )

En conséquence, l’État n’a plus la force de faire face à la spéculation financière. Il poursuit son analyse en disant qu’il n’y a pas de contradiction entre extra-territorialité du capital financier et la faiblesse croissante des États, ce sont deux faces du même problème. L’union se fait sur la libre circulation de l’information et des capitaux : l’État faible est une condition pour que se reproduise l’économie liée au capital financier. Dans ce cadre, il estime que la notion même de politique est problématique.

Cette analyse du rôle pénal des États est assez proche de celle de Loic Wacquant. Celui-ci parle des prisons de la misère et des choix de société qui ont choisi de punir les pauvres. ( )

Pour Zygmunt Bauman, en particulier dans son livre sur Le coût humain de la mondialisation, nous sommes bel et bien pris dans une stratégie de la différentiation. Il met en rapport la fin des espaces publics de discussion, qui permettaient l’échange et la mise au point de normes collectives, avec la généralisation des nouvelles agoras : les centres commerciaux. Il est évident que le pouvoir mondialisé cherche à contrôler l’espace. La modernité avait eu à faire avec l’ennemi externe, ici nous sommes dans une lutte contre l’ennemi intérieur. La survie dans les mégalopoles implique une séparation - exclusion. Cette séparation permet d’éviter le contact avec le différent social, de ne pas avoir à se confronter aux pauvres et d’être engagé dans un processus amour - haine tel celui qui existait au XIXe siècle entre les classes sociales.

Ce constat est du même ordre que celui qui note un changement radical dans la façon de faire la guerre. La technologie actuelle permet de tuer l’ennemi sans le rencontrer ni le voir physiquement. La guerre a été souvent assimilée à un jeu vidéo, les soldats ne voient pas forcément les morts qu’ils ont tués au cours des combats.

Zygmunt Bauman revient sur la notion de panoptikon employée par Michel Foucault. Il explique que le panoptique était une machine de guerre contre la différence, contre la liberté de choix et contre la diversité. Le passage de la modernité à la postmodernité c’est le passage de la surveillance conçue pour que les humains ne quittent pas un certain espace, à une surveillance qui contrôle les accès et la solvabilité. L’interdit postmoderne ne concerne plus la fuite, mais l’interdiction d’entrer. Il analyse le développement des systèmes informatiques comme ce qui permet la mobilité à une certaine catégorie de population et oblige les autres à la fixité. L’emploi de la coercition n’est plus nécessaire au sens où le spectacle du monde différencie ceux qui regardent : les pauvres et ceux qui font le spectacle : l’élite mondialisée, les célébrités people. Il synthétise cela en disant que les locaux regardent les mondiaux. Les pauvres sont nourris avec le spectacle des riches. Le constat est confirmé par les chiffres concernants le temps passé à regarder la télévision. Les statistiques concernant le temps passé devant la télévision montrent que ce spectacle fonctionne bien : les humains regardent la télévision en moyenne 3 h par jour, soit 1095 heures par an ou 45 jours sur un an.

Dans ce livre sur le coût humain de la mondialisation, il continue sa démarche en rappelant l’analyse de la domination développée par Michel Crozier. ( ) La stratégie consiste à permettre à la domination d’avoir autant de marge de manœuvre que possible, autant de liberté d’action que possible et de limiter au maximum la liberté de décision pour les dominés. Il s’agit d’un processus avec deux faces complémentaires. Pour lui, une nouvelle distribution de la souveraineté a eu lieu, sa base technologique c’est la révolution de la technologie de la vitesse. Côté face, il existe une concentration du capital sous toutes ses formes, une concentration de la décision, une concentration de la liberté d’action et de déplacement pour certaines personnes ; côté pile, il y a le reste de la population qui est atomisé, qui n’a pas de pouvoir de décision et ne peut se déplacer ni agir. Il y a d’un côté, à la fin des années 90 du siècle dernier, environ 358 milliardaires, qui possèdent autant que 2 300 millions d’humains de l’autre. Nous retrouvons ici, de façon accentuée, le chiffre de 20% de la population mondiale qui possède 80% des richesses mondiales. La mondialisation est bien la possibilité de s’enrichir pour un petit nombre de personnes et plus des deux tiers de l’humanité qui sont marginalisés. Avant cette mondialisation, on pouvait voir que les riches avaient besoin des pauvres pour devenir riches, il existait un lien entre les pauvres et les riches, une certaine dépendance, aujourd’hui les riches n’ont plus besoin des pauvres pour être riches. Il note trois thèses qui recouvrent idéologiquement ce phénomène.

1/ Les pauvres sont décrits comme responsables de leur destin, c’est de leur responsabilité s’ils sont pauvres ;

2 / La pauvreté est toujours présentée sous l’angle de la faim et de la misère, le reste est caché, oublié : les conditions de vie, le travail local, la production des pays pauvres ne sont pas montrés. Il s’agit de couper le lien entre la pauvreté et la destruction du travail local par la mondialisation. Le lien entre les riches mondiaux et les pauvres locaux n’est jamais analysé, ni visible.

3 / Il y a systématiquement une connotation entre la violence et ces pays. Le thème du danger est immédiatement associé à ces contrées, le besoin de forteresse est ainsi présenté pour se protéger de leur violence. L’association entre cette pauvreté et la violence est perpétuellement faite, un amalgame qui attise le sentiment d’insécurité lié au Sud. Les révoltes sociales sont immédiatement vues sous l’angle de la délinquance ou du conflit ethnique. Une évidence s’impose toujours, il faut bloquer le mouvement des autres, des populations potentiellement dangereuses.

Bauman continue son développement en expliquant que la pauvreté n’est plus un symptôme de la maladie du capitalisme, mais au contraire un signe de sa bonne santé. Ce constat l’amène à voir comment le système a besoin des consommateurs. Il faut toujours et sans arrêt mobiliser le consommateur. Il se demande si l’on doit consommer pour vivre ou si l’on doit vivre pour consommer sans se soucier d’autre chose. Il pense que l’on ne peut plus séparer la vie de la consommation. Cette consommation est un piège parce qu’elle satisfait tout tout de suite, mais en même temps cette satisfaction est immédiatement terminée, il faut toujours recommencer. La satisfaction est le malheur du consommateur et le capitalisme nous installe dans une perpétuelle tentation et la dépendance. Nous alternons consommation et insatisfaction pour le plus grand bien du capitalisme. Pour lui, la consommation implique le mouvement permanent.

Ces analyses peuvent être mises en lien avec celles de Bernard Stiegler, qui montrent que le désir est capté par l’idéologie de la consommation pour faire vendre et réaliser la plus-value. ( )

Bauman note que la différence entre le haut et le bas de la société c’est la mobilité, il emploie la notion d’apartheid, il ne va pas jusqu’à la notion « l’apartheid social » , mais il n’en est pas loin. L’accès à la mobilité mondiale est le lieu de la différence. Il remarque que les plus libres sont sans-papiers parce qu’ils n’en ont pas besoin. Il y a bien deux mondes, un monde où les individus sont surbookés, où le temps manque toujours, et un autre monde où l’on a trop de temps, où le temps est vide, un temps où il ne se passe rien. Il reprend les analyses qui estiment que le rapport au monde est devenu un rapport esthétique, un rapport où le vécu est primordial, où la sensation, l’émotion est importante, le monde est « savouré » . La société actuelle nous laisse toujours insatisfaits pour mieux se perpétuer. Ce qui compte maintenant, quand on pense aux riches, ce n’est pas ce que l’on doit faire ou ce qui a été fait, mais ce que l’on pourrait faire.

La séparation spatiale est bien une mise à l’écart. Au XIXe siècle l’emploi du panoptique visait à fabriquer des travailleurs disciplinés, soumis, la réhabilitation était l’objectif à atteindre. L’éthique du travail était à la base de ces procédures. Aujourd’hui, Bauman estime que la prison est devenue une alternative à l’embauche, l’éthique du travail n’est plus à l’ordre du jour. Il s’agit plutôt de désapprendre le travail ou d’apprendre celui qui est toujours flexible, temporaire, sous-payé. L’exclusion et l’immobilité ne peuvent plus se séparer. La punition est de plus en plus employée, elle existe pour faire face à la menace sociale, à l’ennemi intérieur. Le nombre de personnes condamnées, emprisonnées augmente sans cesse.

L’angoisse dûe à l’incertitude est focalisée sur l’insécurité. L’État est devenu un commissariat géant. Il dit que le vol qui est puni n’est jamais ou très rarement celui du « haut » , mais presque toujours celui du « bas » . Les crimes et l’insécurité ne peuvent pas être reliés à la véritable cause du phénomène, qui crée l’incertitude existentielle, cause qui réside dans cette différentiation entre l’élite mondialisée et hyper mobile et le reste du monde bloqué dans le local. Le crime réprimé, c’est celui des classes inférieures, ce qui révèle que la criminalisation des pauvres est à l’œuvre.

Le monde tend vers une dualité extrême : une mobilité très rapide pour le haut, la possibilité de s’enrichir toujours plus pour quelques-uns, la participation au spectacle du monde et la prison pour le bas, le temps vide, l’immobilité forcée, la position de spectateur du monde et l’angoisse existentielle sans moyens de comprendre ce qui se déploie et dans lequel nous sommes inclus. En bas, c’est la précarité qui règne avec le caractère jetable et interchangeable des individus. L’exclusion est souvent au rendez-vous. Nous retrouvons ici la notion de « salarié Kleenex » employée lors de diverses luttes sociales de notre temps.

Dans un article publié par le journal Libération en 2003, Zygmunt Bauman évoque Une planète pleine et sans espace. ( ) Il se situe dans la continuité de ses travaux antérieurs sur les phénomènes de ghettoïsation à l’œuvre dans le monde postmoderne.

« Commençons par le processus de remplissage de la planète : notre planète est aujourd’hui pleine. Il ne s’agit pas là d’un constat de géographie physique ni même humaine. C’est une proposition sociologique. En termes d’espace physique et d’extension de la cohabitation humaine, la planète est tout sauf pleine. Dire que la planète est pleine, c’est simplement dire qu’il n’y a plus d’espace sans maître, de no man’s lands, de territoires qui peuvent être traités comme vides de toute présence humaine, parce qu’ils sont dépourvus d’administration souveraine, et donc ouverts à la colonisation et au peuplement. Pendant une grande partie de l’histoire moderne, ces territoires, aujourd’hui absents pour l’essentiel, ont joué un rôle crucial, le rôle de décharges pour les rebuts et les déchets humains produits en quantités toujours plus grandes dans les parties du monde touchées par le processus de « modernisation » .

La production de déchets humains, ou plus exactement d’humains superflus et gaspillés, est un élément inévitable de la modernité, de cette condition sociale qui se caractérise par une modernisation perpétuelle et compulsive, obsessionnelle et addictive. La production de gaspillage est un effet indissociable de la construction de l’ordre (car chaque type d’ordre prive certaines parties de la population existante de sa place légitime, les définissant comme « inutiles » , « incompétentes » , « inadaptables » ou « indésirables » ) et du progrès économique qui ne peut se perpétuer sans une dévalorisation des modes qui permettaient jadis, mais plus aujourd’hui, de « gagner sa vie » privant ainsi ceux qui les pratiquent de moyens de subsistance. » ( )

Le terme « apartheid » est donc justifié. Dans le cadre urbain des grandes métropoles, les inégalités sont particulièrement frappantes, chaque grande ville a tendance à devenir le lieu d’une séparation entre deux ghettos, le « ghetto volontaire » et surprotégé des puissants et le « ghetto involontaire » des démunis. Les premiers possèdent du pouvoir, mais le plus souvent un pouvoir aveugle qui se joue sur une autre scène, internationale, tandis que les seconds sont proprement « démunis » de toute capacité d’agir sur leur sort.

Cette façon de parler des « déchets humains » à propos des individus rejetés par le capitalisme, parce qu’ils sont devenus inutiles, peut paraître exagérée et provocatrice. Nous sommes confrontés de nouveau au paradoxe de la postmodernité. D’un côté, il est possible de recevoir cette analyse depuis un point de vue fascisant, qui se servirait de cette argumentation pour éliminer ou parquer les « indésirables » . Dans le même ordre d’idée, on peut également utiliser cette analyse depuis un point de vue technocratique cynique et en conclure qu’il faut surveiller, encadrer ces « inutiles » , qu’il faut simplement limiter l’assistanat et gérer le problème sans états d’âme. D’un autre côté, il est possible de questionner l’organisation de la société capitaliste pour essayer de changer cette structure sociale, qui produit des être humains « en trop » , « superflus » . L’égalité et la justice trouvant là une raison supplémentaire de ne pas accepter la situation actuelle. Bauman se place toujours dans le champ de la critique sociale, puisqu’il note avec regret la tendance actuelle à « rechercher des solutions personnelles à des problèmes d’origine sociale » . Si la cause des difficultés est sociale, le changement doit être social. Son livre sur les intellectuels est une critique de la décadence des intellectuels. Un libraire en résume le propos :

« Pour les philosophes, les idées étaient le monde. La société postmoderne a fait du monde un marché au sein duquel les individus se sentent protégés des peurs extérieures et du vide social. Elle a liquidé les intellectuels au bénéfice d’une bulle financière artificielle. » ( )

Georges Friedman parlait du travail en miettes en 1956. ( ) Bauman évoque la vie en miettes pour décrire la postmodernité en 2003. ( ) La sociologie de Zygmunt Bauman nous transmet des analyses pessimistes, sans doute est-ce le prix de la lucidité. Il n’est pas question de réenchantement du monde chez Bauman. Eve Chiapello et Luc Boltanski nous ont expliqué comment les capitalistes et le management ont intégré la critique artiste pour se renforcer. Bauman constate les effets du processus dans la postmodernité, un des résultats de son travail est le suivant : « Il y a des humains en trop ! » .

Il n’est donc pas étonnant de constater qu’il existe au Nord comme au Sud des humains vivant dans des statuts sociaux très dégradés, à la limite de l’humanité. La position de « paria » s’est étendue de l’Inde à toute la planète. En elle-même, cette observation contient la question de savoir ce qu’être humain veut dire.


IV / L’écho des divans, la postmodernité en psychologie

Au sein de la psychanalyse, il existe des débats sur notre période et ses évolutions. Un des premiers auteurs à soulever la question du changement dans l’ordre des symptômes est Julia Kristeva. Elle n’emploie pas le terme « postmodernité » , son livre a pour titre : Les nouvelles maladies de l’âme. Il paraît en 1993. ( ) Ce livre est le résultat d’une expérience d’analyste sur quinze années environ. Ce qui situe les débuts de la postmodernité à la fin des années soixante-dix du XXe siècle. Ceci correspond à l’apparition du concept pour nommer la nouvelle période. Les artistes en parlent les premiers, presque aussitôt suivis par un philosophe : Lyotard. Des sociologues abordent le sujet à la fin des années quatre-vingt, soit dix ans après et des psychanalystes constatent les effet psychiques environ cinq ans plus tard.

Ces nouvelles pathologies se caractérisent par un mode de fonctionnement psychique, qui privilégie l’agir et les somatisations. Kristeva parle des maladies de l’humain de plus en plus soumis au paraître. L’individu postmoderne perd son âme en consommant des images, des marchandises et du sexe. Voici comment Kristeva et son éditeur présentent l’ouvrage :

« La pratique psychanalytique récente découvre de « nouveaux patients » . Au-delà des apparences classiques, hystérie ou névrose obsessionnelle, les blessures narcissiques, les risques de psychose, les symptômes psychosomatiques montrent tous une particulière difficulté à se représenter. L’espace psychique, cette chambre obscure de notre identité, où se réfléchissent à la fois le mal de vivre, la joie et la liberté de l’homme occidental, est-il en train de disparaître ? Cet ensemble d’études pose une question alarmante qui révèle non seulement une urgence thérapeutique, mais aussi un problème de civilisation. » ( )

Lors d’une conférence, elle explique sa position :

« Il existe une modernité de la psychanalyse : Freud n’a pas tout dit, et les êtres humains de cette fin du XXe siècle présentent des malaises qui, sans être tout à fait surprenants (on en a connu certaines versions dans le passé) prennent des formes nouvelles. Je les appelle « nouvelles maladies de l’âme » . Il s’agit d’états psychiques que les psychanalystes du passé n’ont pas nécessairement repérés, ou qui se sont manifestés nouvellement dans le monde contemporain. »

Ces « nouvelles maladies de l’âme » apparaissent dans un contexte que vous connaissez : le destin moderne de la famille entraîne moins de disponibilités des deux parents et un affaiblissement de la fonction protectrice ou légiférante du père. La dislocation des liens s’aggrave en raison « des difficultés matérielles, du chômage, des migrations, etc. » ( )

Julia Kristeva définit trois périodes dans l’histoire de la psychanalyse : la période freudienne avec les trois topiques, le ça, le moi et le surmoi ; la seconde période avec Lacan et l’inconscient structuré comme un langage. La troisième période étant celle qu’elle aborde avec les nouvelles maladies de l’âme.

« Nous nous rendons compte, quand nous écoutons nos patients, que cette représentation psychique est de plus en plus mise en échec, que les nouveaux patients ont du mal, non seulement à dire, mais à trouver des représentations, fussent-elles pré-verbales, sensorielles ou imagées, à leurs crises, à leurs malaises, à leurs conflits. Leur demande d’analyse se situe au niveau de cette plainte-là. De telle manière que par moment, en écoutant cette plainte, j’ai le sentiment que quelque chose de ce que notre Occident a élaboré sous le terme d’intimité, ou de for intérieur, cette camera oscura de notre vie psychique, est mis en danger. L’espace psychique, l’espace de représentation est menacé. » ( )

Dans ce cadre, les pathologies narcissiques sont nombreuses. Pressés par le stress, impatients de gagner et de dépenser, de jouir et de mourir, les hommes et les femmes d’aujourd’hui font l’économie de la représentation de leur existence, ce que la psychanalyse nomme vie psychique. Il n’est donc pas étonnant de rencontrer des personnes perturbées psychologiquement dans notre postmodernité marquée par la ruine des systèmes symboliques. Les sujets ont souvent la sensation de vivre dans un grand vide stérile sans âme où règne l’indifférence.

La question de l’évolution des symptômes est soulevée, de façon différente, par un sociologue : Alain Ehrenberg. Il publie successivement trois livres qui forment une suite. Il s’agit d’une vaste enquête sur l’individualisme contemporain, le changement des normes régissant vie publique et vie privée : Le culte de la performance en 1991, L’individu incertain en 1995, La fatigue d’être soi en 1998. Ehrenberg s’interroge sur le lien qui peut exister entre la société et le mal-être de l’individu contemporain : la dépression. À partir de l’étude des travaux de psychiatres, de psychanalystes, de sociologues, de médecins, de psychologues, etc. Ehrenberg analyse l’état psychique de l’individu dans la société actuelle. Il s’agit de savoir si les mutations de la société ont une influence sur le psychisme individuel. Cet auteur n’utilise pas la notion de postmodernité. Mais, il étudie bien les conséquences d’une mutation sociale. Ehrenberg propose de voir la dépression comme une pathologie du changement et non comme le résultat de la misère économique et sociale.

« Une nouvelle espèce de patients va apparaître dans le milieu psychiatrique : les états-limites. Sans conflit psychique interne, sans réelle angoisse, ils sont « chroniquement vides » et surtout « prisonniers de leur humeur » . Cet état déficitaire est une pathologie de l’identité ; l’individu a du mal à s’identifier. On appelle cela une pathologie « narcissique » ; les états-limites ont une vision de leur Moi trop idéale pour se concrétiser, ils vivent ainsi dans un manque, un vide, une attente passive sans conflit. Si la névrose est une maladie liée à la loi, à la culpabilité, au conflit, la dépression au contraire est fondamentalement associée à un déficit, à une insuffisance. Le conflit qui règne au sein de tout être névrosé pourrait être un soutien de taille, un moteur pour le dépressif qui manque de tout. Pour pallier ce vide, de plus en plus de dépressifs recourent à la drogue, pour se donner une contenance contre ce vide omniprésent, ou pour fuir simplement leur dépression. Observant ce manque de conflictualité au sein de la dépression, Ehrenberg constate alors que le débat est passé à un autre niveau : de l’angoisse d’être soi, c’est maintenant la fatigue d’être soi qui prime. » ( )

Freud a étudié les pathologies liées à l’interdit touchant la sexualité qu’il nomme névroses. Le mot psychose étant réservé aux affections les plus graves. Les définitions classiques de ces maladies font partie du cursus scolaire. Un cours pour les étudiants en kinésithérapie nous propose de façon classique et un peu datée à la façon de Freud ces définitions au chapitre psychopathologie :

« Névrose : affection psychogène où les symptômes sont l’expression symbolique d’un conflit psychique trouvant ses racines dans l’histoire infantile du sujet et constituant des compromis entre le désir et la défense.

Psychose : perturbation primaire de la relation libidinale à la réalité que la théorie psychanalytique voit comme le dénominateur commun des psychoses, la plupart des symptômes manifestes (constructions délirantes) étant des tentatives secondaires de restauration du lien objectales.

Perversion : déviation par rapport à l’acte sexuel normal (coït visant à obtenir l’orgasme par pénétration génitale avec une personne du sexe opposé) c’est-à-dire quand l’orgasme est obtenu avec d’autres objets sexuels (pédophilie, nécrophilie) ou par d’autres zones corporelles (anales) ou quand il est subordonné de façon impérieuse à certaines conditions extrinsèques (fétichisme, travestisme, voyeur, sadisme, masochisme…) » ( ) *

Parmi les psychoses, il existe la schizophrénie, la paranoïa, la psychose maniaco-dépressive et son rythme cyclothymique. Pour la psychanalyse, la psychose est liée, selon la théorie lacanienne, à la forclusion du père, c’est-à-dire à un défaut de symbolisation :

« Le terme de forclusion est au centre de la théorie lacanienne des psychoses. Il marque le rejet du signifiant fondamental, pierre angulaire sur laquelle se construit l’appareil psychique du sujet non psychotique. Le père en tant que symbole, “le Nom-du-Père”, constitue ce signifiant fondamental qui permet l’accès au stade symbolique. La mère exerce un rôle privilégié dans la transmission à son enfant de ce premier symbole qu’est la fonction paternelle. L’exclusion de cette représentation précipite le développement d’un fonctionnement psychotique, marqué par le défaut de symbolisation. Exclu du fonctionnement symbolique, le sujet psychotique se réfugie dans le réel et dans l’imaginaire, prélude aux hallucinations et au délire. C’est dans son article « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » que Jacques Lacan étaye sa théorie de la forclusion et affirme que « ce qui a été forclos dans le symbolique apparaît dans le réel » . La castration apparaît alors non plus comme une représentation symbolique mais comme une menace réelle. » ( )

Les états-limites ou border-line sont définis comme un état clinique frontière entre la névrose et la psychose. La proximité de la psychose est un des éléments constitutifs de la définition.

« L’état-limite est désormais considéré comme une entité clinique autonome. Bien que ce trouble ait une réalité incontestable, on a vainement tenté d’en donner une définition consensuelle satisfaisante. Ces états constitueraient 30 % des consultations psychiatriques. Le groupement sémiologique n’est ni névrotique ni psychotique : il passe d’un mécanisme à l’autre. Des épisodes psychotiques temporaires peuvent surgir au cours de l’évolution. Les états-limites ont été apparentés tour à tour aux préschizophrénies, aux schizophrénies incipiens, aux déséquilibres et aux névroses atypiques, aux cas classiquement dénommées schizomanies, aux maladies du caractère ou même aux comportements pervers.

Le DSM-3 nous dit ceci :

Personnalité limite (borderline) : Mode général d’instabilité de l’humeur, des relations interpersonnelles et de l’image de soi-même, apparaissant au début de l’âge adulte.

Le DSM requiert au moins cinq des manifestations suivantes :

1 / instabilité et excès ;

2 / impulsivité ;

3 / instabilité affective ;

4 / colères intenses et inadéquates ;

5 / menaces suicidaires ;

6 /trouble de l’identité ;

7 / sentiment permanent de vide ou d’ennui ;

8 / efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés. » ( )

La fréquence de la dépression et des états-limites est une donnée nouvelle pour la psychologie. Certains psychanalystes proposent des hypothèses pour comprendre l’évolution des symptômes. C’est le cas d’Hélène Richard, une analyste québécoise, qui s’exprime dans la revue de psychanalyse Filigranes. Son article a pour titre Une psychanalyse postmoderne :

« La culture ambiante est intériorisée par l’individu à travers le filtre de sa subjectivité, de son histoire personnelle. De la même façon, la psychanalyse, en tant qu’institution, est traversée par la culture dont font partie ses membres et ne peut prétendre à un regard extérieur sur les phénomènes sociétaux. Elle essaie cependant d’en comprendre le sens. » ( )

Sa description de la période postmoderne reprend les éléments transmis par la sociologie :

* La consommation de masse :

* L’essor des techno-sciences ;

* La fin des grandes vérités : émergence d’un nouveau type d’individualité ;

* Pensée de l’errance et attitude pragmatique face au savoir ;

* Déstabilisation du moi ;

* Le néotribalisme ;

* L’essor des neurosciences et des médicaments. ( )

Elle aborde les troubles du sujet en reprenant le travail d’Yves Boisvert sur la dictature de l’individu qui :

« … accapare toutes les choses désubstantialisées, qui l’entourent et leur donne le sens qui lui convient.

« Dans la postmodernité, le sujet se fait donc l’inventeur de ses propres objets, objets qui ne durent que le temps de la pulsion et qui s’évanouissent par la suite. C’est ainsi que le postmodernisme réussit à conjurer le nihilisme. » ( )

En Europe, des psychanalystes arrivent également à la même conclusion. C’est le cas de Jean-Pierre Lebrun, qui a écrit un livre nommé Un monde sans limite, essai pour une clinique psychanalytique du social. ( ) Il existe d’autres psychnalystes, qui travaillent sur ce thème. Par exemple, l’Ecole psychanalytique de Bretagne organise un groupe d’étude, animé par Jeanine Pirard-Le Poupon, sur la clinique du lien social : De l’indécidable dans la clinique aujourd’hui.

« Dépressions, addictions, errances, impostures pathologiques, folies meurtrières, témoignent des modalités contemporaines du malaise dans la civilisation, où le désir en panne s’alimente davantage de l’égarement que de la culpabilité. Cette actualité nous invite à questionner le champ de la clinique traditionnellement réparti entre névrose et psychose, selon qu’est inscrit ou pas le signifiant phallique. Comment formaliser cet indécidable à quoi l’expérience aujourd’hui nous confronte, autrement qu’en termes fourre-tout « d’états-limites » : la « perversion ordinaire » , la « psychose ordinaire » sont des réponses construites que l’on tentera de discuter. » ( )

Jean-Pierre Lebrun parle d’un « monde sans limites » . Il analyse les pathologies psychiques humaines et sociales de notre temps comme étant engendrées par l’idéologie qui traverse notre société. Une idéologie qui conduit progressivement à exclure la notion de limites. Il emploie la notion de « discours de la science » pour parler de l’idéologie contemporaine, qui énonce que « tout est possible ! » immédiatement.

Les figures d’autorité sont délégitimées. L’autorité symbolique ne peut plus fonder la reconnaissance de la différence des places entre les générations. Le capitalisme propose un idéal de jouissance à la différence des sociétés antérieures, qui, en instituant l’humain, transmettait une limitation du désir. L’entrée dans la vie pour les humains passe par le langage et par la rencontre avec l’interdit transmis par le tiers paternel. L’interdit de l’inceste se conjugue avec l’ambiguïté du langage. Le langage rate toujours un peu la chose, il va de pair avec l’impossible fusion avec la mère. On passe toujours par les mots des autres, à commencer ceux de notre mère. La psychanalyse estime que le « non » qui interdit est aussi un « oui » au désir. La figure du père, ou de la personne qui en tient lieu, montre comment le désir est vivable. Le tiers a deux faces, une face qui interdit et l’autre qui le rend possible. Lacan a parlé de « métaphore paternelle » , pour expliquer que la place du père était ce qui permettait l’accès à la symbolisation par l’intermédiaire du langage. Ce qui explique que, quand il y a forclusion, la symbolisation ne fonctionne pas très bien.

Lebrun constate que chaque société dans l’histoire humaine a organisé la transmission de l’interdit de l’inceste, qu’il différencie de l’œdipe qui, lui, n’est pas universel. Il pense que le désir ne peut pas servir le lien social si le sujet ne pense qu’à sa satisfaction. Il parle de Mutation du lien social ( ), mutation qui atteint les possibilités d’énonciation du sujet, puisque le sujet a du mal à subjectiver et à symboliser sa situation. Si le désir ne supporte pas l’attente ni l’interdit, il est impossible d’avoir un temps pour l’examen de ce désir ni de supporter que tous les désirs ne soient pas réalisables. Si la jouissance doit être « toute » , l’être-ensemble des humains devient problématique.

Freud avait déjà expliqué que la civilisation humaine fonctionnait en appui sur cette limitation de jouissance :

« C’est ce « non à la jouissance » que déclinent les civilisations, les sociétés et dont les familles se font le relais. Le processus descendant de transmission du niveau le plus radicalement anthropologique jusque dans l’espace social et familial et qui aboutit à la naissance d’un sujet, n’est autre que ce que l’on nomme éducation. « L’éducation, souligne Freud dans sa première conférence de 1917, c’est le sacrifice de la pulsion. » L’éducation est une des déclinaisons de l’appareil civilisateur de la culture. Chaque sujet est introduit, contraint et forcé, à ce mode de traitement par ces éducateurs naturels que sont les parents. La dialectique père/mère opère une mise en tension entre la puissance de vie et le pouvoir du langage qui permet à chaque petit d’homme de cheminer de la pulsion au désir. Le désir naissant de cet empêchement de base que je nomme traitement. Les formes de traitement de la pulsion sont donc transmises dans l’espace familial, qui les tire de l’espace social, du vivier des représentations, valeurs, idéologies qui constituent le fond de scène sur lequel évolue une génération. Ensuite tout sujet, assujetti, à cette loi d’airain, va produire ses propres modes de traitement. Il va intégrer le non à la jouissance. » ( )

Charles Melman estime, lui, qu’une « nouvelle économie psychique » a remplacé l’économie psychique décrite et théorisée par Freud et Lacan. Son livre L’homme sans gravité, jouir à tout prix fait référence au titre du livre de Musil L’homme sans qualités, mais il est aussi question de façon métaphorique de la gravité au sens de Newton. L’autorité antérieure à la postmodernité était verticale et donnait la gravité psychique à l’humain, le tenait debout. La postmodernité en délégitimant les figures d’autorité fait devenir le monde comme horizontal et l’homme se retrouve maintenant sans gravité.

« L’homme occidental de ce début de siècle apparaît « sans boussole, sans lest » , affranchi du refoulement, moins citoyen que consommateur, un « homme sans gravité » , produit d’une société libérale aujourd’hui triomphante, qui semble n’avoir plus le choix : il est en quelque sorte sommé de jouir » . ( )

Charles Melman parle donc d’une nouvelle économie psychique pour caractériser cet état de « congruence entre une économie libérale débridée et une subjectivité qui se croit libérée de toute dette envers les générations précédentes » . Le sujet actuel semble pouvoir faire l’économie de son passé. Il s’agit d’une mutation qui le fait passer d’une économie psychique organisée par le refoulement, donc de la névrose, à une économie organisée par l’exhibition de la jouissance et qui promeut la perversion, une perversion en forme de norme sociale.

« Notre rapport au monde n’est plus marqué par le manque, mais par le surplus de présence, par l’accent mis sur la possession de l’objet. Pour les névrosés, tous les objets se détachent sur fond d’absence, mais les pervers, quant à eux se trouvent pris dans un mécanisme, où ce qui organise la jouissance est la saisie de ce qui normalement échappe. « La grande philosophie morale d’aujourd’hui est que chaque être humain devrait trouver de quoi le satisfaire pleinement » . Les jouissances sont fabriquées, artificielles et font partie des produits de cette nouvelle économie psychique. » ( )

Une présentation de son livre résume son approche :

« Charles Melman se demande à juste titre où mène cette nouvelle économie psychique, si l’inconscient freudien existe encore, si le sexe ne sera pas éliminé en étant ramené au rang des jouissances ordinaires, si la différence sexuelle ne disparaîtra pas au profit de l’androgyne, si le transfert est encore possible. Mais cet état de gavage du sujet comme dans un état gravidique qui le fœtalise ne pourrait-il pas conduire aussi à un processus de rejet, d’apoptose de tout ce qui fait placenta-objets de jouissance imbibant, ne pourrait-il pas finir par faire jaillir le « non, je n’ai plus faim de ça, mais de rien, de désynchronisation, de processus de rejet immunitaire et de pourrissement de ces enveloppes qui veulent mon bien-être au point de me faire courir un risque mortel si je m’éternise » ? La métaphore paternelle ne pourrait-elle pas s’imposer au sein-même de ce gavage totalitaire au visage de l’économie libérale et de la science ? Cette nouvelle économie psychique est-elle si pessimiste ? Il pourrait peut-être suffire que quelques sujets plus vifs que d’autres crient « non ! » et se constituent comme de nouveaux paradigmes. Cette nouvelle économie psychique pourrait susciter une sorte d’anorexie psychique faisant boule-de-neige ? » ( )

Un autre psychanalyste s’est intéressé à la postmodernité : Gérard Pommier. Il a publié un livre sur Les corps angéliques de la postmodernité. Il emploie ouvertement le concept.

« On saute à l’élastique, on s’épuise avec l’aérobic…

Dans ce monde de plus en plus virtuel, nos corps sont contraints de se transformer en machines à fuir le vide ambiant. Ils ont perdu leur chair, leur érotisme, leur « sexuation » , et des ailes d’anges se sont mises à nous pousser dans le dos.

Cet angélisme se manifeste de multiples façons : l’engouement pour la biologie supposée nous rendre immortels et nous dire toute la vérité sur notre être ; la chute dans la dépression, faute de désirs ; le tatouage ; etc.

D’un côté, on se relaxe, on s’offre aux doigts du kinésithérapeute pour oublier ses tensions ; de l’autre, on se perce le cuir, on se grave la peau, ou on devient anorexique, boulimique, pour se marquer, se faire remarquer. Et pour se faire souffrir, afin de retrouver des sensations qui nous appartiennent en propre !

État des lieux du corps moderne, cet essai frappe par l’originalité de sa thèse : pour se maintenir vivant, un corps doit être soutenu par des discours et des idéaux politiques, sociaux ; par des projets et des croyances rassurantes, capables d’offrir des images plaisantes de l’avenir. Privé de rêves, le corps se fige ! Comment recommencer à rêver ? D’abord en réalisant que l’humanité est plus belle et plus forte que les anges, et qu’elle ne saurait se réduire à un tas de corps « chosifiés » , broyables à merci par le capitalisme libéral et le scientisme effréné ! » ( )

Gérard Pommier qualifie le corps postmoderne de corps émietté, de corps autiste. La postmodernité veut se dispenser d’idéal, il n’y a plus de lendemains qui chantent. Les rêves sont télévisés, technicisés. Le corps est grand comme le monde et tout est absorbé par le réseau. L’idéologie des sciences sature l’horizon, la fin des idéologies de progrès nous dit que l’état actuel ne changera plus jamais. Le monde postmoderne ne nous demande aucun acte de foi, il nous impose un renoncement à la liberté. Les humains sont devenus marchandises. Le corps est génétique, il est possible d’en isoler les composantes et la pureté hygiéniste nous impose ses lois. Il envisage la postmodernité comme une immense régression, où il est agréable de s’annuler comme sujet tout en étant porté par la croyance autarcique. La science veille à notre bien-être au nom d’un idéal de pureté. Pommier nous rappelle que l’existence humaine n’est que lutte et déchirement. La postmodernité évacue cette donnée de base de l’humanité.

Comme le dit un article du psychanalyste Jack Bensimon : La souffrance n’est pas une maladie ... Elle fait partie de la vie. ( ) La postmodernité voudrait nous faire croire le contraire. Ce qui est devenu difficile dans la postmodernité, c’est le désir que peut soutenir le sujet et la possibilité de la rencontre. Pour Pommier, l’humain carbure à l’idéal et les malaises humains de notre temps sont à mettre en rapport avec notre société qui refuse l’idéal. Si les addictions se développent, si la frénésie de consommation est devenue massive, selon cet auteur, l’explication vient du défaut d’idéal. Les produits, toxiques ou non, viennent prendre la place des idéaux, ils aident le sujet à surmonter la difficulté du rapport à l’autre, à se supporter lui-même et à combler la béance entre le corps physique et la psyché. Le sujet humain doit toujours faire un effort de subjectivation pour supporter la rencontre, pour verbaliser son existence, ses désirs, pour calmer ses angoisses. ( ) La dépendance à la marchandise et au spectacle est bel et bien citée comme une des caractéristiques du capitalisme postmoderne.

Ce courant de la psychanalyse n’est pas très optimiste sur notre situation, mais leurs arguments, étayés sur la pratique clinique, justifient cette inquiétude. Ils ont été rejoints par le philosophe Dany-Robert Dufour, qui a écrit, en particulier, L’art de réduire les têtes, paru en 2003. ( )

« Après l’enfer du nazisme et la terreur du communisme, il est possible qu’une nouvelle catastrophe se profile à l’horizon. Cette fois, c’est le néo-libéralisme qui veut fabriquer à son tour un « homme nouveau » . Tous les changements en cours, aussi bien dans l’économie marchande que dans l’économie politique, l’économie symbolique ou l’économie psychique, en témoignent. Le sujet critique de Kant et le sujet névrotique de Freud nous ont fourni à eux deux la matrice du sujet de la modernité. La mort de ce sujet est déjà programmée par la grande mutation du capitalisme contemporain. Déchu de sa faculté de jugement, poussé à jouir sans entrave, cessant de se référer à toute valeur absolue ou transcendantale, le nouvel « homme nouveau » est en train d’apparaître au fur et à mesure que l’on entre dans l’ère du « capitalisme total » sur la planète. C’est cette véritable mutation anthropologique, et les conséquences pour le moins problématiques sur la vie des hommes qu’elle implique, autrement dit ce que l’auteur appelle « l’art de réduire les têtes » , qu’analyse cet ouvrage. L’auteur traite ainsi, en philosophe, des questions pratiques auxquelles sont confrontés aujourd’hui les sociologues, les psychanalystes ou les spécialistes de l’éducation. En s’interrogeant très concrètement sur l’avenir des jeunes générations aux prises avec de nouvelles façons de consommer, de s’informer, de s’éduquer, de travailler ou, plus généralement, de vivre avec les autres. » ( )

La mutation anthropologique, dont parle Dufour, est un résultat de l’évolution du capitalisme. Son analyse peut se lire sous l’angle biopolitique. Dufour est en phase avec le constat de Toni Negri : le capitalisme postmoderne prend toute la vie. Dufour pense que le capitalisme mange l’homme et qu’après la consommation des corps dans le travail, la guerre et le sport, nous sommes arrivés à la consommation des esprits, d’où le titre sur la réduction des têtes. Dufour développe la thèse suivante : l’échange marchand tend à désymboliser le monde. Le capitalisme cherche à détruire l’excès de sens, qui accompagne les produits ou les choses que les humains s’échangent entre eux. La valeur d’échange tend à évacuer la valeur d’usage, la valeur symbolique et l’inscription socio-culturelle qui accompagnent les objets. Seule compte la valeur monétaire. On retrouve ici la déterritorialisation de Deleuze et Guattari. Le capitalisme postmoderne ne tolère plus aucune entrave à la circulation des marchandises. Ceci a des conséquences sur l’usage du langage et la place du discours dans les échanges entre les humains.

Ce nouvel âge du capitalisme, selon Dany-Robert Dufour, détruit le sujet à plusieurs niveaux. Le sujet critique de Kant est en difficulté, parce que la raison critique est dévalorisée au profit des émotions, des images. Kant avait défini le sujet critique comme un sujet utilisant le pouvoir de l’esprit pour organiser, classer, discriminer, hiérarchiser, organiser, évaluer, juger, argumenter. Il rappelle que pour ce philosophe, ce qui n’a pas de prix est justement ce qui est concerné par la notion de dignité. Cette dignité ne peut être remplacée, elle n’a « pas de prix » et « pas d’équivalent » , elle se réfère seulement à l’autonomie de la volonté. Elle s’oppose à tout ce qui a un prix. C’est pourquoi le sujet critique ne convient pas à l’échange marchand, c’est même tout le contraire qui est requis dans les incitations à consommer dans le marketing et la publicité pour les marchandises et le spectacle. Le système nous promet une plus-value narcissique, si on achète tel ou tel produit, notre qualité variant avec notre capacité monétaire. Plus le prix est élevé, plus on existe, du moins c’est ce que le système essaie de nous faire croire.

Le second sujet attaqué par le capitalisme est le sujet freudien. Ce sujet est marqué par l’inconscient. Le sujet, théorisé par Freud, est un sujet névrosé, sa névrose varie en fonction du grand sujet de sa culture d’origine. Le névrosé est confronté à la dette symbolique. Pour énoncer sa parole, il emprunte les mots à l’instance symbolique. Cette dette est une dette impossible à payer. Le sujet critique des Lumières et le sujet freudien sont les mêmes.

Dany-Robert Dufour appuie son argumentation sur la notion de « grand sujet » . ( ) Pour lui, l’histoire nous montre que le sujet est soumis à des grandes figures, la soumission du sujet est liée à la figure de l’Autre ou des Autres, qu’il nomme les grands sujets.

Le premier, c’est la phusis grecque. Le sujet est soumis à la nature et à ses forces. Ce sont des dieux immanents, qui déterminent des événements dans lesquels je suis pris. Le sujet est soumis à des forces que l’on ne comprend pas, et qui, de plus, sont contradictoires. La condition de l’humain grec est celle du tragique. Pour essayer d’y voir clair, il faut consulter l’Oracle, comme l’a fait Œdipe. Il faut interpréter et la figure d’Œdipe est typique. Il respecte la parole de l’oracle, il fuit ses parents (adoptifs) pour éviter les grands malheurs annoncés, puis, il tue son père et épouse sa mère, et, par-là même, réalise l’oracle.

Ensuite, le sujet est soumis au dieu des monothéismes. Ce dieu-là est lointain, il est transcendant, unique dans chaque religion. Cela correspond à l’invention de la subjectivité, à l’intériorité. Augustin parle du maître intérieur. Il y a une délibération en chacun de nous. Ce dialogue intérieur est celui des Confessions d’Augustin. Ce dialogue avec soi, on le trouve également chez Montaigne. Il est présent chez Rousseau. Les monothéismes sont accompagnés de constructions politiques et de formes culturelles et symboliques. L’une d’entre elles est le Roi. C’est un grand sujet. La monarchie, c’est le commandement d’un seul. Le Roi-Soleil illustre bien ce moment historique, autour de lui il y a des astres plus ou moins proches. Le Roi est une figure à part, c’est ce qu’a bien montré Kantorowicz, cité par Dany-Robert Dufour, avec la thèse des deux corps du Roi : il y a un corps mortel et un corps symbolique, qui est permanent et sacralisé.

Plus tard, nous arrive un nouveau grand sujet : le Peuple. Il apparaît comme grand sujet suite à la révolution française et aux autres révolutions, qui ont eu lieu en Europe. La difficulté avec le Peuple, c’est qu’on ne peut pas l’incarner. Se pose alors la question de la représentation et de fait une bureaucratie s’installe. Saint-Just s’en rend compte assez vite. L’esthétique cherche une figuration possible au travers du romantisme. La démocratie et la raison deviennent les nouvelles références.

Ultérieurement, la figure du prolétariat s’impose et il s’agit d’être un sujet au service de la classe ouvrière. Ceci a capté les aspirations d’une partie de la jeunesse des années soixante-dix. D’un point de vue historique, les figures des grands sujets sont au centre de la culture de chaque époque. C’est décisif dans les créations culturelles que sont les systèmes symboliques humains.

Pour Dufour, il convient d’ajouter à la mort programmée du sujet critique kantien et du sujet névrotique freudien un troisième avis de décès, celui du sujet marxien. Dans l’économie capitaliste actuelle, le travail n’est plus seulement ce sur quoi repose la production de la valeur. Le capital n’est plus essentiellement constitué de la plus-value issue du travail non payé dans le processus d’exploitation des prolétaires. Le capital se déploie et se développe de plus en plus sur des activités à haute valeur ajoutée : recherche, génie génétique, Internet, information, médias... Dans ces activités, la part du travail salarié peu ou moyennement qualifié est parfois extrêmement faible. Cet auteur, ajoute que le capital prospère désormais sur la gestion des finances dans des mouvements spéculatifs de grande ampleur. La part de l’économie réelle décroît à mesure que le capital financier se développe. Cette évolution fonctionne avec des nouveaux mécanismes financiers et de nouveaux outils de gestion du capitalisme. Il s’est créé une économie virtuelle, souvent appelée « économie casino » , qui essaie de créer énormément d’argent avec presque rien, en vendant très cher ce qui n’existe pas encore, n’existe plus ou n’existe pas du tout. Les risques sont connus et les crises financières se succèdent les unes après les autres. ( ) La valeur travail a donc tendance à diminuer de part les délocalisations et le fonctionnement du capital financier. Le travail est déprécié, il ne vaut presque rien dans les pays du « Sud » , même s’il est fondamental dans la production capitaliste mondiale. Le sujet « marxien » existait par le travail. L’engagement syndical et politique donnait une valeur aux sujets prolétaires et aux salariés qui luttaient aux côtés des ouvriers. Aujourd’hui, nous sommes plutôt des prolétaires de la consommation. André Gorz parle à ce sujet de La production du consommateur:

« La consommation, notamment via la publicité, produit littéralement l’imaginaire collectif, sature le réservoir des affects et de « l’expérience » de la vie moderne, affects et « expérience » qui pourront être capitalisés, mobilisés, réinvestis par la « petite entreprise humaine » dans le travail. La consommation, trouvant sa source dans des désirs illimités, n’a donc pas seulement fonction d’ordre et de contrôle social et politique, de ligne de brouillage des luttes d’émancipation et contre les inégalités, mais bien aussi de relais dans l’ordre de la mobilisation totale de l’individu. Elle n’est pas l’autre de la modernité ou son prolongement, elle est la modernité, la vérité de l’individu moderne. » ( )

Le sujet marxien, tel que le nomme Dufour, tend lui aussi à disparaître. Il était lié à la classe ouvrière et avait un aspect collectif. La classe ouvrière devait devenir une « classe pour soi » par la lutte syndicale et politique pour changer la société. L’individualisme postmoderne disqualifie cette façon de concevoir le sujet, à la fois sur le plan personnel et sur le plan collectif. Jamais l’individu postmoderne ne s’annihile dans le collectif, tribal ou non. Le modèle du sujet marxien est devenu obsolète.

Dufour pense que le capitalisme produit les sujets dont il a besoin et nous plonge dans une indifférenciation, où la différence entre les générations et la différence entre les sexes s’estompent. Les difficultés du sujet postmoderne sont liées à la désymbolisation opérée par la mutation anthropologique en cours.

L’enjeu de ces analyses en philosophie est celui de la possibilité même du sujet. Ce constat rejoint l’analyse de Félix Guattari dans son livre sur Les trois écologies. ( ) En 1989, celui-ci décline la notion d’écologie sous trois formes :

- L’écologie environnementale comme rapport à la nature, le sens le plus courant et quasi exclusif du terme ;

- L’écologie sociale comme rapport à la société et comme rapports des groupes sociaux entre eux ;

- L’écologie existentielle comme rapport à soi-même et aux autres.

L’écologie existentielle concerne la subjectivité dont parlent les psychanalystes. Félix Guattari était psychanalyste et philosophe. Il a écrit plusieurs livres avec Gilles Deleuze. L’existentiel est devenu un enjeu important dans le contexte de la postmodernité.

Les individus sont les parties sérielles de la société. Les sujets sont un effet de la subjectivation. Il n’y a pas identité entre l’individu et le sujet. Que le sujet soit philosophique, psychologique, politique, amoureux ou esthétique, il est un résultat d’une démarche personnelle unique dans tous les cas. La singularité du sujet peut se fondre dans la masse, mais isoler la partie indivisible de la masse ne suffit pas à trouver le sujet. C’est lui-même qui se trouve ou pas. C’est un processus en partie inconscient, qui demande une mise à distance vis-à-vis de l’immédiateté, qui nécessite un travail personnel et un engagement.

Dans ce cadre, la notion de vérité est différente de la vérité proposée par la science. Ici, pas d’hypothèses, pas de vérification, pas d’objectivité ni de reproductabilité. La vérité du sujet n’est jamais définitive, elle est liée au désir, elle peut faire souffrir, sa rationalité, si elle est recherchée, vient après-coup parfois. Cette vérité est une énonciation imprévisible, c’est un mixte entre notre imaginaire, la sphère symbolique et le réel. C’est cette possibilité de subjectivation que la postmodernité capitaliste met à mal. La lutte pour exister ne porte plus seulement sur les besoins humains de base, elle inclut maintenant l’existentiel au sens psychique. C’est d’autant plus difficile d’exister de façon originale que nous vivons dans une société de masse, qui tend à uniformiser les comportements.

Les difficultés du sujet sont importantes. Très souvent, il existe une dissonnance entre l’activité sociale et les désirs subjectifs. Dans cette situation, l’existentiel souffre et c’est banal. D’un côté, nous avons, comme le dit Dufour, une injonction de jouissance, et de l’autre, une autorité qui ne parle plus parce que le ciel est vide. La transcendance a été disqualifiée. L’autorité n’a pas disparu, elle se croit simplement dispensée de parler du sens de la vie et de proposer un idéal aux humains. En conséquence, la crise du sens au niveau collectif perturbe la subjectivité au niveau personnel. Un des enjeux de la définition de la postmodernité est donc bien le « devenir sujet » des humains. La psychanalyse le confirme, puisqu’elle constate que la possibilité d’existence du sujet est devenue un élément clinique de la situation contemporaine.


V / La postmodernité en politique

La fin des idéologies n’en était pas une, l’idéologie continue de fonctionner. L’idéologie est indispensable à la domination politique et économique pour se donner une bonne image, elle est également nécessaire aux personnes dominées afin de supporter la domination et l’exploitation. La fin des idéologies était la fin des idéaux de changement de la société. Les grands desseins ont disparu, il ne reste que la gestion. La gestion s’appuie sur les experts et le discours de la science. La gestion est technique. Aux questions soulevées en politique, elle répond par des dispositifs techniques, des procédures, des lignes de crédit ou des produits. La gestion évacue le contenu politique des luttes des sujets individuels et collectifs. Dans ce cadre, chaque question a une réponse, la délibération collective n’a plus de place. Le bien commun, la volonté générale ne sont plus l’objet de débats. La question de la légitimité des lois est réduite à la légalité. Au mieux, cela se traduit par le respect des procédures législatives, mais souvent ce sont des décrets et des circulaires qui énoncent les règles à respecter. Ces mesures sont appuyées sur un réseau d’évidences énoncées dans les médias.

Cette mutation de la politique, qui remplace les discussions sur l’être ensemble par la gestion technique, est conjointe de la captation du débat public par les médias. La domination a pris un tour mental. La maîtrise de la langue est devenue un enjeu pour le maintien et la reproduction du capitalisme. Eric Hazan a appelé cela la LQR, la langue de la cinquième République, Lingua Quintæ Respublicae en latin en référence à la LTI - Lingua Tertii Imperii - de Victor Klemperer sur la langue du IIIe Reich.

Les nazis ont inventé des mots pour servir leur propagande ( ). Il y a eu une langue nazie. Ils ont gagné aussi par la langue en changeant la valeur des mots, en transformant la langue allemande en moyen de domination. Klemperer a mis en évidence les possibilités d’asservir une langue, et donc la pensée elle-même. La maîtrise de la langue a permis la manipulation des masses. Eric Hazan démontre qu’il y a une langue du pouvoir, issue de la politique, de la publicité, de l’expertise économique et du journalisme. Une langue, qui se propage dans tous les domaines pour endormir le peuple, le rendre indifférent aux injustices et aux inégalités. Une langue, qui gomme toute velléité de rébellion et s’emploie à maintenir l’ordre. Une langue, qui sert le consensus au profit de la domination capitaliste actuelle. Il situe la naissance de cette langue aux alentours des années 60 du XXe siècle, elle se déploie massivement dans les années 80 - 90 de la fin du vingtième siècle.

Eric Hazan étudie la modification du sens des mots, le changement de la valeur des concepts et leur fréquence. Il n’y a pas de volonté centralisée, pas de décision dans ces transformations. Il situe l’origine de cette langue principalement chez les économistes, les publicitaires, les politiciens et les journalistes. C’est une sorte de lissage, un vernis sémantique pour cacher les réalités derrière des abstractions, une syntaxe privée d’articulations logiques, une utilisation d’hyperboles et d’euphémismes. L’hyperbole amplifie et l’euphémisme atténue et adoucit. Ici, la recherche de l’efficacité se fait aux dépens de la vraisemblance. Le message implicite est porté par la langue, les mots sont vidés de leur sens premier. Le discours peut n’avoir aucun sens, pourvu qu’il atteigne le but fixé : masquer le réel, entretenir le consensus. Sa critique rejoint celle de François Brune, qui dénonce la publicité comme l’idéologie de notre temps. ( )

Hazan s’interroge sur les raisons du succès de cette langue. Il note que le contexte est celui de la concentration des médias aux mains de grands financiers, de grands patrons marchands d’armes ou entrepreneurs de travaux publics, les rois du béton et du goudron. Il relève également l’intérêt de toute une partie de la population : politiciens, journalistes, cadres, universitaires, fonctionnaires, etc. à voir se maintenir l’ordre sous-jacent à la LQR, l’ordre inégal et injuste du capitalisme contemporain. Il constate le caractère performatif de cette langue : l’énonciation de la phrase est l’exécution d’une action. Plus cette langue est parlée, plus les valeurs qu’elle défend ont tendance à se réaliser. Il est presque impossible de l’utiliser sans être imprégné du message.

Eric Hazan fait œuvre de déconstruction en étudiant le résultat de cette LQR, en regardant les mots employés, les tournures de phrase, les procédés rhétoriques. Il remarque l’usage massif des euphémismes et se demande quelle est la fonction de l’euphémisme. Sa réponse : la LQR vise le consensus. Elle ne concerne pas les rares cyniques, qui s’expriment publiquement. C’est le langage commun qui est en cause. La LQR a fait disparaître les pauvres, qui sont devenus des « familles modestes » . Il n’y a plus d’oppresseurs ni d’exploiteurs parce qu’il n’y a plus d’opprimés ni d’exploités.

Les procédés de l’euphémisme ? Contournement, évitement, substitution, atténuation. Avec les euphémismes, il est possible de cacher une réalité, contourner un non-dit. Par exemple, le concept de « partenaires sociaux » remplace ceux de patrons, chefs d’entreprises, de bourgeois. Ils sont alliés dans une lutte contre les salariés, mais, avec ce terme, les deux parties sont mises sur le même plan. Les dominants sont ainsi débarrassés de toutes visées agressives.

Eric Hazan note que de nombreux anglicismes sont utilisés, par exemple, la gouvernance. Au passage, la domination d’une classe sur d’autres classes a disparu. La LQR emploie la notion de catégorie sociale, plus neutre et apparemment plus objective. La gouvernance est fonctionnelle, elle positive, elle cherche des solutions à nos problèmes et nous maintient dans l’idée qu’il s’agit d’une question de gestion technique, où les experts savent ce qui est bon pour le peuple.

La LQR masque la réalité. Il faut assez fréquemment camoufler les contresens ou cacher le vide derrière les mots employés. C’est le cas du mot « réforme » , qui recouvre en réalité une remise en cause d’avantages acquis, un recul social. Cela peut concerner aussi la mise à la trappe d’une réforme antérieure, qui gêne un peu la gestion ultra libérale du capitalisme.

Le terme crise est très souvent présent dans les discours politiciens ou médiatiques. Pourtant, il est question de problèmes chroniques, qui durent depuis longtemps et dont les origines sont liées au fonctionnement même du capitalisme actuel. L’emploi du mot crise laisse supposer un mal bref et aigu, dont la résolution peut être rapide, notamment dans le domaine médical.

La croissance est un mot magique, très important politiquement. Elle est scientifique et appuyée sur analyses chiffrées, mais ces données sont incontrôlables. La croissance est censée résoudre tous nos maux. Pas de questions sur le type de croissance, ni pour qui et pourquoi il faudrait croître. Autre exemple, les « hauts » conseils, qui servent à rendre respectables les chiffres sacrés.

Le préfixe « post » donne l’illusion du mouvement, d’une évolution vers le progrès, alors que les problèmes demeurent. Ce suffixe efface le passé dérangeant. La colonisation évolue vers le post-colonial, l’ère industrielle et la lutte de la classe ouvrière tendent à disparaître au profit du règne du tertiaire, des services, du post-industriel.

Un autre ressort de la LQR est l’amplification rhétorique, l’hyperbole. Il faut utiliser des mots porteurs d’un sens très fort, pour dramatiser la situation. Pour les critiques d’art, l’emphase est régulière. Eric Hazan note également que la présence du vocabulaire militaire s’accentue : feuille de route, mobilisation, intervention sur zone, fenêtre de tir, prise en otage des usagers, « la situation est sous contrôle » , etc.

L’auteur se pose la question de savoir si nous ne sommes pas face à un renversement de la dénégation freudienne. La dénégation freudienne existe lorsque nous refoulons ce que nous avons en nous, ce qui nous pose problème, la violence par exemple, ou des désirs inavouables. Pour la LQR, la dénégation c’est se prévaloir de ce qu’on n’a pas. Par exemple, il est question de la transparence, des élites, de la diversité, du dialogue social, de la concertation, etc. de toutes ces choses positives que l’on aimerait bien voir exister. Nos dominants affirment la solidarité haut et fort, mais sans aucun acte.

La LQR utilise l’essorage sémantique. Certains mots perdent leur sens initial pour être dévalués, devenir creux, sans consistances. Il en est ainsi du vocabulaire de la révolution française avec « république » , « démocratie » , « droits de l’homme » . Le mot « social » est devenu une coquille vide. Idem pour la « modernité » . C’est, selon le moment, un idéal inaccessible aux barbares non occidentaux, ou un repoussoir à combattre au nom des valeurs perdues. Par contre, la notion de modernisation fait fureur en tant que processus présenté comme inéluctable et allant toujours dans le sens du progrès.

La LQR c’est une ambiance, c’est l’esprit du temps, un bain mental. Par exemple, la « société civile » est opposée à l’État. Par définition, c’est tout ce qui n’est pas la société politique. La société civile est généralement récupérée et glorifiée comme un partenaire de la vie politique. Les liens sont biaisés par la dépendance financière et politique des ONG vis-à-vis des États. Les ONG finissent par faire le travail des États, l’image de contre-pouvoir qu’elles ont d’elles-mêmes et qu’elles diffusent est un leurre.

Les valeurs universelles ? Autre exemple de renversement de la dénégation freudienne : liberté, égalité, fraternité, terre d’accueil, etc. De grands mots pour masquer une réalité historique et quotidienne bien plus sombre : apartheid social, exclusions en tout genre, xénophobie d’État, racisme ordinaire, discriminations, violences policières, expulsions,...

Les nobles sentiments sont survalorisés pour les classes dominantes. Les élites dirigeantes sont « fermes et décidées » , ceci pour notre bien. Le paternalisme fonctionne bien, il existe des ministres délégués aux défavorisés. La parole politique pratique une alternance d’indignation face aux actes criminels inqualifiables et d’écoute bienveillante des populations malheureuses, mais incapables de se prendre en main.

La LQR a intégré très rapidement une sémantique antiterroriste. Après le 11 septembre 2001, le concept « arabo musulman » est apparu. Il est maintenant banal, même s’il fait un amalgame entre une région géographique et une religion. Le mot islamiste est devenu un épouvantail. Les notions de « quartier sensible » , de « jeune issu de l’immigration » ou de « maghrébin » sont presque toujours connotées de façon négative comme sources de problèmes.

La LQR utilise aussi l’effroi et la violence. Cette langue vise l’uniformité et l’aplatissement, mais il existe un domaine, où elle se permet les pires dérapages. C’est le cas, lorsqu’il s’agit de défendre l’Occident face aux peuples barbares. Le discours de la haine et de l’élimination s’exprime alors librement. Mais, si vous critiquez les USA, vous faites de l’antiaméricanisme primaire.

La fonction essentielle de cette langue, c’est d’effacer la division sociale. Eric Hazan constate que la LQR sert à censurer tout ce qui s’oppose au capitalisme contemporain, nommé ici néolibéralisme. C’est pour cette raison, que l’évitement des mots du litige est central dans cette novlangue. Après la chute de l’URSS, il y a disparition des mots liés à la lutte de classes et au communisme en général. La LQR parle de couche sociale ou milieu au lieu de classe sociale. Le mot « élites » est bien pratique, la domination disparaît.

En permanence, il faut recoller les morceaux. C’est une œuvre politique, il faut absolument empêcher la division en expliquant à ceux qui pensent différemment, qu’ils sont dans l’erreur, et convaincre les citoyens qu’ils sont liés par une certaine unité. Les mots « ensemble » , « solidarité » , « proximité » sont fréquemment employés par les élus, qui vont sur le « terrain » . Il faut affirmer que cela existe pour qu’on puisse y croire. Le tabou de la LQR, c’est la guerre civile. Ce que les critiques sociales et politiques nommaient la lutte de classe.

La LQR recourt à l’éthique pour valoriser ce qui est inacceptable. Les vices du système capitalistes sont attribués au manque de « vertu » , de « transparence » de certains acteurs. Ceci permet de désigner des « responsables » . Ce procédé est particulièrement flagrant dans le monde du capitalisme financier. Ce faisant, la LQR essaie d’entretenir du mythe de la cité unie mise en danger par quelques éléments, qui feraient n’importe quoi. Pourtant, le capitalisme financier est une activité fortement marquée par le parasitisme, elle a des conséquences sociales destructrices, cette évidence doit être dissimulée. ( )

Eric Hazan emploie souvent des métaphores médicales pour parler de la LQR : contamination, anesthésie, antibiotique de la pensée, nettoyage de la conscience, parasitisme mental, endormir, hypnotiser, etc. Cette méthode sonne juste, puisqu’il s’agit de notre être, il nous faut faire un effort pour rester éveillés. L’ensemble langagier de la LQR est une façon de présenter les choses, où les réponses précèdent les questions.

Si la LQR contient des trésors d’euphémismes, c’est pour contourner, nier, occulter la domination. Il faut maintenir un rideau de fumée, invisibiliser, gérer l’opinion publique pour soumettre et convaincre la masse. C’est une arme efficace dans le maintien du statu quo, pour la domestication des esprits. C’est un ensemble de technologies mentales, qui agit sur notre manière de nous comporter pour que rien ne change : consommer, voter, penser en conformité, se distraire, accepter, choisir ce mode de vie, le désirer. Si ça va mal, c’est de notre responsabilité. Nous sommes passés des pauvres aux exclus, de la justice sociale à la charité spectacle.

L’origine est idéologique, la fonction est idéologique, la LQR est un stratagème de la pensée capitaliste actuelle. Dans le combat politique, il s’agit de reformuler les problèmes, de choisir les termes, d’opérer des glissements sémantiques, d’avoir de l’influence sur les termes mêmes du débat public. Il faut cadrer les discussions possibles et empêcher les autres. La LQR est la langue de la domination, une langue de domination.

Eric Hazan nous propose aujourd’hui de développer notre méfiance, de décoder, de déconstruire, de décaper notre langage. Son livre est comme une leçon de liberté pour retrouver la saveur de la langue. Il s’agit bien d’une lutte pour les mots, d’un combat contre la domination mentale. La lutte pour la maîtrise du contenu symbolique de notre environnement culturel s’est amplifiée avec les médias de masse. La nouvelle droite, le Grece et le Club de l’Horloge en particulier ( ), ont réussi à imposer le racisme différentialiste et à relooker le racisme, à le rendre acceptable par tout le monde ou presque. La LQR c’est la suite de cette entreprise. Le capitalisme évolue et l’ambiance mentale le suit, c’est un mélange de cynisme et de relativisme culturel, une lutte de classe pour le contenu du langage. Nous retrouvons les jeux de langage du début de notre analyse.

Ce livre continue l’œuvre de Jean-Pierre Le Goff sur Les illusions du management ( ) et la « langue caoutchouc » . Il va dans le même sens que Luc Boltanski et Eve Chiapello dans leur livre sur Le nouvel esprit du capitalisme. Eric Hazan apporte de l’eau au moulin de Dany-Robert Dufour. Celui-ci dans son livre L’art de réduire les têtes parle de la postmodernité comme d’une époque qui occulte la question de l’autorité. Il n’y aurait plus de maîtres, parce qu’il n’y a plus de transcendance valide et légitime. Mais, les maîtres et le capitalisme sont toujours là, même si c’est au prix du désarroi du sujet. La LQR décrite par Hazan est bien la langue des maîtres postmodernes.

Nous sommes donc dans une biopolitique qui prend toute la vie. La domination est devenue une domination mentale qui passe par les mots et les médias. La démocratie est devenue médiatique. Dans le même temps, la démocratie a évolué, elle est maintenant une lutte pour les places. Il est question de « classe politique » et d’offre électorale, comme pour les produits de consommation. Dans ce cadre, le relativisme va de pair avec le cynisme, l’individualisme est la règle. La crise du progrès, c’est la crise des formes collectives antérieures qu’étaient les partis, les syndicats et les associations d’éducation populaire.

La gestion fonctionne sur deux plans, au niveau économique d’une part, elle encourage le capitalisme le plus libéral qui soit, c’est-à-dire le capital financier ; au niveau social d’autre part, elle gère le développement séparé avec le sécuritaire. Il s’agit là de surveiller les révoltes potentielles et ensuite de les réprimer. Ce constat est fidèle à l’observation de Bauman sur la puissance capitaliste qui s’est émancipée de la politique toujours territorialisée.

La politique des temps postmodernes se présente comme une politique sans sujet. Les images, les experts, la maîtrise de l’opinion essaient d’étouffer la possibilité du sujet politique. Ceci est une tendance, car malgré ces dispositifs, le sujet est présent de temps en temps, sur le plan personnel ou sur le plan collectif. Sa présence apparaît toujours de façon provisoire en pointillé. La machine médiatique, qui porte la parole idéologique, tente de le recouvrir et de le réduire au silence très vite en l’absorbant.

Si le sujet politique est présent, c’est souvent par effraction, de façon imprévisible. Ce sujet peut espérer un peu de consistance, lorsqu’il pose une question de fond sur les contradictions de notre société. L’exemple du débat sur l’euthanasie est significatif. Le cas désespéré de certaines personnes perturbe régulièrement les termes de la discussion. Mais, il reste dans le registre de l’émotion. Personne ne pose le problème du contenu de la conception idéologique, qui préside au refus de l’euthanasie. Il s’agit de savoir si la personne, justement comme sujet, a le droit de disposer de son corps, y compris et jusque dans la mort. La conception dominante dans notre pays est celle qui énonce que les êtres humains ne s’appartiennent pas. L’influence chrétienne est encore fortement présente de façon inconsciente. Quand la culture est comprise comme un ensemble qui s’appuie sur la religion, ce qui est la position d’une partie importante de la classe politique française, il n’y a pas lieu de s’étonner que le débat sur l’euthanasie soit bloqué et reste très délicat à mener.

Dans le cadre de la postmodernité, il existe plusieurs écueils pour le sujet politique, quand il réussit à s’imposer :

- La position de victime, qui l’intègre au système du calcul des droits. Cette position protestataire citoyenne le conduit à l’intégration à la machine spectaculaire avec un nouveau rôle, un nouveau statut ;

- La position de refus radical et de combat, qui transforme le sujet immédiatement en barbare ou en terroriste, qu’il faut réprimer sans délai !

Dans le premier cas, il y a identification des personnes à une question, une situation. Le sujet se retrouve prisonnier d’une étiquette, qui le rend lisible et visible. L’inconvénient, c’est de n’être que cela. Ces identifications rendent le sujet compatible avec le système et le font disparaître dans la ronde perpétuelle des marchandises et du spectacle. La gestion institutionnelle étant en charge de la réponse pratique.

Dans le second cas, le sujet est laminé physiquement et susceptible de condamnations judiciaires fortes, qui le dissuaderont de recommencer à se révolter.

La postmodernité est une politique sans sujet, un biopouvoir, qui ne promet aucun avenir meilleur, qui a vidé l’espérance de son contenu. Le seul horizon possible est une promesse d’un genre nouveau, celle que rien ne changera.

Dany-Robert Dufour note que :

« Beckett était l’un des premiers à avoir noté la fin des grands récits qui organisent les grandes économies humaines. En attendant Godot annonce que nous ne serons plus sauvés. » ( )

L’inquiétude sur l’écologie peut permettre au sujet politique d’exister de temps en temps et de proposer de nouvelles solidarités, de nouvelles façons de vivre sans la domination exclusive de la marchandise et du spectacle. Cette nouvelle manière de devenir sujet pose la question du devenir de l’humanité. Si la terre est en danger, l’humanité est en danger. Pour l’instant, le sujet écologique en est encore au niveau du balbutiement. Serge Latouche pense qu’il faudra une catastrophe pour que les collectivités humaines prennent conscience du danger et changent de mode de vie. Il parle ouvertement de décroissance et de la décolonisation de notre imaginaire. ( ) Le sujet politique, auquel il se réfère, est d’une facture nouvelle. Il agit dans le champ politique, mais aussi et surtout dans son mode de vie. La décroissance, c’est tout de suite, « ici et maintenant » , selon l’adage typiquement postmoderne. Ce sujet est le résultat d’un choix, d’un désir, il devient une praxis à part entière. Pour l’instant, il est presque invisible dans le champ politique traditionnel.

Nous considérons qu’il s’agit d’une biopolitique, qui se crée en opposition au biopouvoir. Toni Negri pense également cette situation en terme biopolitique. Il estime que les nouvelles modalités du capitalisme, qui se déploient sous la forme de l’empire, permettent l’apparition d’une nouvelle biopolitique, qu’il nomme : multitude, l’empire étant du côté du biopouvoir. Sa position provoque débat. Son ontologie l’amène à penser le devenir de la multitude selon des termes optimistes. Pour lui, la multitude est toujours une avancée positive. Mais, la multitude, comme tous les modes de vie alternatifs, peut dériver vers une intégration au système capitaliste. On le constate souvent. Il n’existe plus de garanties dans la postmodernité. Dans les époques précédentes, les humains ont cru à la vérité, qui incluait des garanties, le résultat a été catastrophique. Le socialisme réel a éloigné un grand nombre d’humains des idéaux communistes. L’espoir est devenu repoussoir.

Aujourd’hui, l’exemple du combat sur la création et le développement des logiciels libres est significatif. Au fil du temps, les logiciels libres sont devenus l’emblème d’une opposition radicale à la multinationale Microsoft. Linux est très souvent vécu comme un étendard, qui s’oppose au monopole-tout puissant. De fait, cette activité a un contenu politique, même si cet aspect des logiciels libres n’est pas souvent mis en valeur. Le développement de ces logiciels a un aspect existentiel. La notion de communauté est très présente dans ces réseaux. La frontière entre le travail et l’activité personnelle est floue, voire inexistante. Ce qui est conforme aux observations sur la postmodernité. Dans le même temps, les caractéristiques du logiciel libre ont séduit le capitalisme. Très souvent, les logiciels sont gratuits, ce qui est vendu c’est le service autour du logiciel. Le caractère « open source » des logiciels rend possible une reprise, qui permet d’améliorer ces logiciels. L’adaptation peut bénéficier à tout le monde. Les logiciels dits « propriétaires » , comme ceux de Microsoft, coûtent cher et interdisent ces évolutions, parce que le code source est inaccessible et protégé par le copyright. Ce domaine est une des composantes de ce que Moulier Boutang nomme le capitalisme cognitif. ( ) Son étude démontre très clairement que le secteur du logiciel libre est devenu une nouvelle modalité du développement du capitalisme.

« Ce livre a pour but d’expliquer de façon claire et accessible la révolution interne que le capitalisme est en train d’effectuer sous nos yeux. Le socialisme est en retard d’une guerre.

Pour analyser cette grande transformation, Yann Moulier Boutang se propose d’exposer le contenu d’un programme de recherche qui s’appelle le capitalisme cognitif. Bien que cette notion constitue une hypothèse de travail, elle fournit d’ores et déjà quelques idées directrices fondamentales et des points de repère indispensables pour l’action.

La mondialisation actuelle correspond à l’émergence d’un troisième type de capitalisme depuis 1975. Ce capitalisme n’a plus grand-chose à voir avec le capitalisme industriel qui, à sa naissance (1750-1820) rompit avec le capitalisme mercantiliste et esclavagiste.

Nous ne vivons pas une transition socialiste. L’ironie de l’histoire est que nous vivons partout une transition à un nouveau type de... capitalisme. L’économie politique qui naquit avec Adam Smith ne nous permet plus d’appréhender la réalité qui se construit sous nos yeux (ce que sont la valeur, la richesse, la complexité du système de l’économie monde) ni à fortiori de traiter les défis qui attendent l’humanité, qu’ils soient écologiques ou sociétaux. Cet essai entend nous mettre sur le chemin d’une politique et d’une morale provisoires à la hauteur de cette « nouvelle grande transformation » . ( )

Le lien entre la multitude et le nouveau capitalisme est assumé ouvertement par cet auteur. Toutes les personnes et communautés, qui s’investissent dans les logiciels libres, ne vont pas forcément dans ce sens, mais ce devenir capitaliste des logiciels libres existe. Il s’agit bien de nouvelles modalités de croissance du système. Le capitalisme a bien compris que les usages sociaux du Web étaient une source d’innovation importante. C’est la base de ce qui est nommé la nouvelle génération Internet. Ceci prend un tour paradoxal avec Google. Cette entreprise a bâti sa fortune sur la fourniture de services gratuits, elle a construit son hégémonie sur cette méthode. Elle tire ses revenus de la publicité, des liens commerciaux, et de la vente de quotas de clics sur des mots clé. Activité qui est loin de la production industrielle étudiée par Marx. Sa croissance est impressionnante. Google a été créé en 1998. Dix ans après, début 2008, Google valait quelque 210 milliards de dollars à la bourse de Wall Street. Google posséderait le parc de serveurs le plus important du monde avec environ 500 000 machines réparties sur plus de 32 sites de par le monde et emploie plus de 16 000 personnes. ( ) Sur la période s’étalant de juin 2000 à novembre 2004, le moteur de recherche Google aurait indexé plus de 8 milliards de pages web et 1 milliard d’images. Les serveurs de Google fonctionnent sous Linux et Google a choisi de soutenir Linux dans sa lutte contre Microsoft. ( )

Les conditions de travail chez Google sont présentées comme idylliques. Par exemple, voici quelques données à ce sujet :

* Chez Google, le travail comme un jeu, par Cécile Ducourtieux dans le journal Le Monde. ( )

* Il fait bon travailler chez Google, par Stéphane Larcher :

« Les avantages sont nombreux en travaillant chez Google : repas gratuits, accès aux soins médicaux gratuits, piscine gratuite, horaires flexibles, primes, 20 % du temps de travail imparti à des projets indépendants… Google ne lésine pas sur les moyens pour ménager ses salariés ! » ( )

* Chez Google, le business rime avec no stress, par Céline Galoffre,

« Un toboggan dans l’entrée, une salle de fitness high-tech, un simulateur de vol en 3D… Il ne s’agit pas d’un complexe de loisirs mais bel et bien du nouveau visage du centre de recherche de Google à Zurich. Ce bâtiment ultramoderne qui vient d’être inauguré vise à développer la créativité des salariés.

C’est un lieu plein de fantaisie dont vient de se doter le groupe informatique Google. Situé à Zurich, ce nouveau bâtiment ne manque pas d’animations et d’humour pour distraire et améliorer la performance de ses salariés. » ( )

Officiellement Google ne fait de politique, mais il est possible de constater avec ses méthodes que la pensée est rentrée dans la machine. Google est devenu une sorte de nouveau sujet politique dans notre environnement mental. Il influence nos recherches et nous guide dans notre vagabondage sur la toile. Il semble bienveillant, il est efficace et plutôt sobre dans sa manière de faire de la publicité. Nous n’avons aucune raison évidente de ne pas l’utiliser et de ne pas profiter de ses bienfaits. La force de ses propositions gratuites, son efficacité et sa rapidité donnent une très bonne image de cet outil informatique. Autant Microsoft a su cristalliser les oppositions à son modèle commercial, autant Google sait se faire apprécier. Le monopole devient invisible. Pourtant les critiques existent, par exemple, la censure est bien là. Si vous voulez faire référencer votre site par Google et le faire apparaître en bonne position dans les résultats des écrans de recherche, maintenant il faut payer, c’est une censure par l’argent. D’autre part, si pour une raison ou pour une autre, le site déplaît, il se retrouve sur une liste noire, blacklisté selon le jargon had hoc, et le voilà presque invisible, c’est une censure sur le contenu. La surveillance de la vie privée est un autre sujet d’inquiétude face aux activités de Google. Cette entreprise construit sa puissance en indexant et en sauvegardant toutes sortes de données, dont des données privées, comme les cookies, qui sont gardées deux ans. Ce sont de petites séquences de données gérées par les serveurs et qui accompagnent nos visites sur la toile. Un autre aspect est à souligner à propos de Google, il s’agit de sa puissance mentale en tant qu’acteur de la vie intellectuelle. Si un site veut augmenter la fréquentation des internautes, une des solutions est de créer des pages indexées à la façon de Google. Le moteur de recherche travaille avec des mots-clés, des notions, des auteurs. Pour réussir à rendre un site célèbre, il suffit de l’imiter et de vérifier, l’efficacité est au rendez-vous. Google marque la vie mentale des humains, il ne s’agit pas d’une influence directe et ouverte, mais d’une influence réelle et puissante. Encore une fois, elle est d’autant plus forte, qu’elle est invisibilisée, comme l’idéologie. La postmodernité contemporaine est théoriquement et pratiquement liée à Google. Il paraît maintenant, à un grand nombre d’humains, impensable de revenir en arrière, avant Google. C’est un attracteur étrange, avec son côté maternant, il nous prend dans ses bras, il nous intègre à la grande famille du réseau et nous transforme en cybernautes. Il nous informe, il nous rend plus intelligents, avec lui on maîtrise le high tech, en un clic on peut trouver et savoir ce qu’on cherche, il nous nourrit généreusement. Les psychanalystes sont des êtres « supposés savoir » , et on va mieux quand on accepte le semblant qui nous aide à vivre, c’est-à-dire que l’analyste tout-puissant était une projection de notre part, une supposition. Au contraire, Google nous dit : « c’est là et c’est pour toi en personne ! » . Le lien de proximité entre soi et la machine est très fort. Google devient vite un compagnon indispensable, puisqu’il sait et qu’il nous fait découvrir des mondes inconnus et des trésors insoupçonnés. Google est inclus dans notre existentiel, il fait partie de la biopolitique postmoderne, une partie de notre vie est liée à Google.

Cette entreprise est emblématique du nouveau capitalisme et de sa croissance exponentielle. C’est justement ce sur quoi s’interrogent les courants politiques, qui continuent de vouloir s’opposer au capitalisme.

Pour Serge Latouche, par exemple, c’est l’avenir de l’humanité qui se joue dans ce choix. Son livre Le pari de la décroissance explique sa démarche. Le sujet décroissant, qu’il incite à devenir, a une composante existentielle importante. C’est un mode d’être, ce que Félix Guattari avait déjà noté comme étant une des caractéristiques de notre période. D’autre part, l’articulation entre réforme et révolution est modifiée. La tradition radicale en politique disait qu’il y existait une différence fondamentale entre les réformes et la voie révolutionnaire. Se contenter des réformes était considéré comme insuffisant. Il fallait penser la transformation en profondeur de la société. Aujourd’hui, si pour éviter la catastrophe, il faut agir tout de suite, la différence entre réforme et révolution n’a plus la même pertinence. Par contre, il faut pouvoir évaluer si l’action alternative va dans le sens souhaité, sinon ce choix agit pour renforcer le système capitaliste et lui offrir de nouveaux modes de développement.

La postmodernité bouleverse notre façon de concevoir et de faire de la politique. Les humains, qui veulent changer la société, ne peuvent plus s’appuyer sur le sujet collectif nommé « prolétariat » . Ce sujet politique était lié à une vision du sens de l’histoire et avait un côté substantiel : la classe ouvrière. Ce projet messianique était en partie mythique, le progrès s’est retourné contre ses partisans. Pour aller vers l’égalité et la justice, les humains sont contraints à inventer de nouvelles modalités pour faire vivre leurs idéaux politiques d’égalité et de justice.

Ce désir de changement n’est pas complètement démuni. En premier lieu, le désir de politique hérite des idées et des actions des générations antérieures. La question est alors celle de la transmission, de l’appropriation et de l’évaluation. Cette nécessaire tâche est très souvent repoussée aux calendes grecques, puisqu’il faut agir. L’existentiel postmoderne a besoin d’actions pour se prouver qu’il existe contre le système. Le concret prend le dessus sur la formation et la réflexion. L’image de soi militante a un besoin impérieux de valorisation. Tout cela est typiquement postmoderne, le narcissisme et l’identité sont en difficulté.

Dans un second temps, le désir de politique peut s’appuyer sur les acquis des sciences humaines. Les recherches en psychologie sociale nous transmettent, entre autres, des analyses sur la reproduction du pouvoir au niveau collectif et au niveau personnel.

L’analyse de la soumission sans contrainte peut permettre de nous réapproprier la question du désir individuel très largement occulté par les théories politiques antérieures. Ces théories, issues de la psychologie sociale, sont construites autour de l’acceptation de l’autorité. Après le nazisme, des chercheurs ont voulu comprendre comment avait fonctionné l’acceptation des ordres pour mettre en œuvre la barbarie. Les constats historiques sont surprenants. Une fois les opposants ouverts au nazisme neutralisés ou éliminés, les personnes, qui n’ont pas voulu appliquer les ordres nazis n’ont pas été inquiétées. ( ) Ces recherches ont abouti à la notion de soumission librement consentie. Elles ont commencé par l’expérience de Milgram aux USA, mise en scène dans un film célèbre I comme Icare d’Henri Verneuil. Les chercheurs français, qui ont travaillé sur ce thème, se nomment Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois. ( ) Ils ont également écrit un Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens. ( )

Ces travaux sont importants pour la conception du sujet politique postmoderne. Ils expliquent, que pour soumettre une ou des personnes, il faut commencer par la déclarer libre et ensuite lui fournir de grands idéaux humanitaires. Ces idéaux sont à la base de la rationalisation de la soumission. Ce n’est pas l’acte en lui-même, qui est justifié, mais la position de soumission de la personne. Ce processus est inconscient. Les ordres doivent être donnés par une personne en position d’autorité, un scientifique dans le cas de l’expérience de Milgram. Dans cette expérience, il s’agissait, officiellement, d’envoyer des décharges électriques à une personne et où, en réalité, c’était la capacité d’obéir à un ordre pouvant entraîner la mort qui était étudiée. Ensuite, une fois la déclaration de liberté émise et les grands idéaux fournis, il est possible de changer les ordres pour faire faire des choses que l’on ne ferait pas en situation normale. Beauvois et Joule nomment cela « l’engagement » ou « le pied dans la porte » . Cet engagement est lié aux émotions et au regard. Une fois que nous avons dit oui à un petit engagement, nous ne pouvons pas revenir en arrière facilement. Pour obtenir un euro, quand on fait la manche, il est beaucoup plus facile de commencer par demander l’heure à la personne sollicitée. Les commerciaux connaissent bien ce mécanisme, dès le début de l’échange, ils essaient de trouver un point commun avec vous et alors la vente se déroule sans anicroche.

Beauvois et Joule pensent que la manipulation psychosociologique est immanente à notre société. La société autoritaire repose sur la coercition. La société démocratique décrète les humains libres, elle leur fournit de grands idéaux et les personnes en situation d’autorité nous demandent d’accepter la situation présente et ses contraintes, ce qui implique de nous soumettre.

Cette observation va à l’encontre du sens commun, elle est paradoxale comme l’est la postmodernité. Pourquoi des êtres libres accepteraient-ils de se soumettre sans contrainte, cette observation paraît énigmatique de prime abord. D’autre part, les humains refusent l’idée qu’ils sont soumis, ils détestent encore plus l’énoncé qui constate que nous nous soumettons librement sans menace explicite. Quand on aborde ce sujet, les personnes se sentent tout de suite agressées. L’image de soi trouve cela intolérable, c’est une blessure narcissique qui provoque immédiatement la colère. Mais, la psychanalyse confirme le propos, puisque inconsciemment nous échangeons, via le langage, notre soumission contre une place et un discours, discours qui donne du sens à notre vie. Ceci se passe dans notre enfance et est lié à la fois à la fusion impossible avec notre premier objet d’amour, notre mère, et à notre entrée dans le langage, les mots viennent d’ailleurs.

Cette analyse du fonctionnement psychique humain a plusieurs conséquences :

- Elle peut nous aider à veiller à la reproduction du pouvoir dans les réalisations politiques qui s’opposent au système. La question de la dérive autoritaire est un problème important suite au devenir de la révolution russe ;

- Elle explique que derrière nos revendications politiques, il y a aussi une demande d’amour, un souhait de reconnaissance. Elle fournit une explication aux difficultés que rencontrent souvent les alternatives autogérées. Critiquer l’autorité de personnes proches, c’est risquer de perdre l’amour. Notre enfance nous a appris à nous soumettre pour exister et nous sentir aimés. Notre rapport à l’autorité a d’abord été celui de la relation avec les personnes, dont notre vie et nos désirs dépendaient : nos parents ;

- Elle permet de comprendre pourquoi le sujet postmoderne est autant dans le désarroi. La postmodernité perturbe le fonctionnement intime et inconscient antérieur, le maître ne parle plus, le ciel est vide et les humains sont plongés dans la détresse. Personne ne transmet le sens, contrairement aux périodes passées. Notre soumission reste structurelle, mais nous devons trouver nous-mêmes notre place et le sens de la vie sans l’aide d’aucun idéal. La perte des repères, si souvent observée, est le résultat de cette modification dans notre construction subjective.

D’autre part, l’injonction de jouissance proposée par le capitalisme postmoderne va à l’encontre du fonctionnement collectif des sociétés humaines. Les collectifs humains ne peuvent fonctionner qu’avec un abandon d’une part de la jouissance individuelle. La postmodernité est bâtie sur un déni, qui porte en son sein la part de la mort, la mort non assumée, comme si la société voulait s’auto-détruire en se développant sur les délices de la marchandise et du spectacle. Ce déni est celui de la perte nécessaire pour devenir humain au sein de la collectivité et l’idée que la jouissance totale est impossible et interdite. C’est la première fois qu’une société humaine énonce un impératif à ses membres, qui, à terme, la met en danger en tant que société.

Cette pente mortifère est visible dans le domaine de l’écologie, entre autres. Pour contrer l’attirance pour la part morbide de l’humanité, il nous faut nous reposer la question de l’idéal. L’idéal antérieur permettait aux humains de tenir debout. Les humains ont rejeté, à juste raison, la religion et le patriarcat. La transcendance ne fonctionne plus, il nous faut inventer du sens qui nous permette de tenir debout. Les capitalistes ne répondent pas à la question du sens, cela ne rentre pas dans leurs préoccupations, contrairement aux dominants antérieurs. Seule compte la quantité et la continuité du système par la maîtrise du pouvoir politique. Mais, la place de l’idéal est encore là, elle est vide. Reste à le créer depuis l’immanence humaine, notamment en politique. Cette tâche est à hauteur de la crise de civilisation dans laquelle nous sommes plongés. Cette voie est celle de la constitution du sujet politique présent et à venir, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.


Postface

Au terme de notre parcours sur et dans la postmodernité, nous pouvons conclure que le biopouvoir du capitalisme total capte la subjectivité humaine. La subjectivité est le support de la domination mentale de notre temps. Cette assertion concerne le travail, la politique, la culture, l’amour, l’art, … Elle implique aussi et surtout que l’existentiel de notre rapport au monde soit l’objet de beaucoup d’attention. La maîtrise de l’existentiel est fondamentale pour la consommation : la consommation de produits, la consommation de spectacles, la consommation des autres, la consommation de soi, selon la formule de Dominique Quessada. ( )

La postmodernité propose que les produits prennent la place de l’idéal. Il s’agit de biens de consommation, de personnes humaines et de produits culturels, dits immatériels. Le cyber espace a fourni un nouvel espace d’expansion au capitalisme postmoderne. Cette consommation réelle ou virtuelle est une voie existentielle, qui dépossède les humains d’eux-mêmes. Cette orientation biopolitique dénie la question toujours ouverte de la subjectivité, parce qu’il s’agit d’un système de pensée qui fait la promotion :

* du profit immédiat contre le développement respectueux de la nature ;

* de l’apparence sur l’être ;

* de l’avoir au détriment de l’être ;

* de l’agréable au lieu de la vérité ;

* du primat de l’individu sur le groupe, le règne du particulier disqualifie l’universel toujours proclamé ;

* du consensus sur le débat public, qui peut aboutir au dissensus ;

* de la reconnaissance sur la connaissance ;

* de la rapidité sur la lenteur ;

* de l’urgence sur le temps nécessaire à la réflexion ;

* du subversif intégré dans la culture de masse ;

* de l’art dans les musées et de l’oubli des autres artistes ;

* du pluralisme de l’apparence ;

* de l’appauvrissement général de la singularité dans la consommation de masse ;

* de l’utilité immédiate et de l’efficacité ;

* du quantitatif contre le qualitatif ;

* du divertissement contre la culture ;

* de l’émotion contre l’intelligence ;

* du « look » contre la pensée ;

* de l’opinion contre le savoir, etc.

Au milieu de toutes ces tendances, l’individu postmoderne n’est pas un sujet au sens, où la subjectivation, la raison, la distance critique sont constamment dévaluées ou détruites. L’œil et l’émotion sont prééminents. Le désir est annexé pour faire fonctionner la consommation, elle-même nécessaire à la réalisation de la plus-value. L’œil nous surveille, nous filme, nous met en fiche, prélève notre ADN, … L’œil nous transmet, de multiples façons, les modèles identificatoires conformes aux besoins du capitalisme. L’émotion est la matière de base des médias de masse. Nous nous regardons vivre d’une certaine façon, si ce n’est nous, ce sont nos voisins et vice-versa.

Tout cet ensemble contient de multiples contradictions. Certaines de ces contradictions existaient dans la modernité, comme celle entre le capital et le travail. Beaucoup d’autres se sont ajoutées. Elles peuvent être repérées, parce que souvent elles énoncent des injonctions paradoxales. Cette façon de procéder est typique de la double contrainte, du double bind, de la double injonction contradictoire que décrit, entre autres, l’École de Palo Alto. ( ) Cette méthode est connue pour induire la schizophrénie et rendre fou. Nous rencontrons souvent ce phénomène dans le contexte postmoderne.

Selon Bateson et consorts les éléments qui composent une double contrainte (ou le double bind) peuvent se décrire ainsi :

* Deux ou plusieurs personnes sont engagées dans une relation intense qui a une valeur vitale, physique et / ou psychologique pour l’une d’elle, pour plusieurs ou pour toutes les personnes en question. Le contexte peut être familial, amical, amoureux, idéologique, etc.

Dans un tel contexte, un message est émis qui est structuré de manière telle que :

a / il affirme quelque chose,

b / il affirme quelque chose sur sa propre affirmation,

c / les deux affirmations s’excluent.

Ainsi, si le message est une injonction contradictoire, il faut désobéir pour lui obéir. Le récepteur du message est mis dans l’impossibilité de sortir du cadre fixé par son message. La réaction peut être soit la métacommunication critique, soit le repli, ce qui est le cas le plus courant. La personne ne peut pas ne pas réagir à ce message, mais elle ne peut pas non plus y réagir de manière adéquate, c’est-à-dire non paradoxale puisque le message lui-même est paradoxal.

La double contrainte peut aussi être relevée dans des injonctions, où l’écart entre le contenu et le ton employé, entre l’esprit et la lettre ce qui aboutit à un résultat contradictoire.

La psychanalyse s’est intéressée à cette approche. Citons Guy Rosolato dans un numéro de la Nouvelle revue de psychanalyse datée de 1976 et republié dans le volume Narcisses dirigé par J.-B. Pontalis :

« On peut définir la double entrave (double bind) comme la focalisation mentale sur une impasse, un choix indécidable, tel qu’il envahit toute la vie psychique, au point de la paralyser, soit d’obliger à recourir à des solutions de rupture, par la violence, soit à en sortir par un recours à une voie originale extérieure au système. » ( )

Pour l’école de Palo Alto la double entrave rend compte aussi bien des blocages psychotiques que des issues créatives pour lesquelles elle sert de point de dislocation et de transformation. Nous retrouvons ainsi un champ et une bipolarité qui évoquent ceux du narcissisme :

« La double entrave imposée est le pouvoir, la décision de placer autrui dans un choix indécidable, donc de lui ravir le pouvoir de décision. C’est en cela que se manifeste l’idéale toute-puissance du narcissisme. »

« La troisième incidence de la double entrave [la première incidence concerne l’articulation entre la différence des générations, les identifications et le complexe d’Œdipe, ou le Moi et le Ça chez Freud ; la seconde incidence a rapport avec la différence des sexes] court en filigrane à travers toutes les autres : c’est celle du pouvoir. La formule dit : « Aie le pouvoir de vaincre le pouvoir ! » .

« Ainsi, avec ce schéma de la double entrave, pouvons-nous trouver le chiffre du reflet logique narcissique où, par le double retournement, se maintient et parfois s’annule dans l’indécidable une contradiction portée par les mots. » ( )

Nous trouvons ici une analyse du pouvoir comme expression de la toute puissance narcissique, ce phénomène est très présent dans la postmodernité, dans son fonctionnement et sa reproduction. Le pouvoir des mots est lié à la domination mentale actuelle. La double contrainte peut s’observer dans différents phénomènes de notre vie politique :

- injonction de respecter l’universel alors que la jouissance individuelle est la valeur centrale des messages publicitaires ;

- injonction de respecter les droits de l’homme alors qu’il faut appliquer la xénophobie d’État ;

- injonction de liberté et d’autonomie alors que les contraintes sociales bloquent les tentatives d’autonomie ;

- injonction de travailler plus alors que c’est impossible pour la majorité de la population ;

- injonction d’obtenir de meilleurs résultats alors que les crédits alloués à ces activités diminuent ; etc.

Cela produit une ambiance schizophrène, élément déjà noté par Deleuze et Guattari. Ils valorisaient les lignes de fuite pour utiliser cette schizophrénie à l’avantage du sujet. Trente-cinq ans après, le constat sur l’évolution des alternatives incite à la prudence. Le double bind fonctionne majoritairement au service de la domination du capitalisme postmoderne. Les injonctions contradictoires sont bien le signe que nous sommes dans une situation paradoxale. La double contrainte bloque le « devenir le sujet » ; effectivement le sujet postmoderne a beaucoup de mal à être acteur de sa propre histoire dans le cadre du biopouvoir postmoderne. La double contrainte est un élément du paradigme paradoxal de la postmodernité. L’invention biopolitique célébrée par Negri est récupérée par le système et de fait l’aide à se renouveler.

Jan Spurk pense que nous sommes soumis à une matrice psychique autoritaire. C’est de cette façon qu’il analyse la période actuelle. ( ) Le caractère social, selon cet auteur, est une matrice psychique, qui opère aux confins de l’individuel et du collectif. L’aspect autoritaire de la société et l’individualisation sont le résultat de la domination capitaliste actuelle. La valorisation de l’entreprise n’y change rien. Les entreprises, pour exister, doivent mobiliser les subjectivités pour créer la marchandise. Elles doivent gagner la volonté des sujets de s’y investir. La marche forcée de la mobilisation de la subjectivité, demande aux sujets une posture autoréflexive pour assumer l’hétéronomie de leur existence en entreprise et le caractère autoritaire de la situation. Pour Jan Spurk, la subjectivité des individus socialisés, malgré l’apparence libre et ludique de notre société, est un ensemble de variations du caractère autoritaire intimement lié au capitalisme. Il développe une orientation théorique qui analyse l’articulation entre la sphère personnelle et la sphère collective. Pour Jan Spurk, l’intérêt de la recherche théorique, selon le mot de Sartre, ce n’est pas ce que l’on fait des sujets, mais ce que les sujets font de ce que l’on fait d’eux.

Ce que font les sujets d’eux-mêmes est bien l’enjeu de l’évolution de la postmodernité. L’évolution du capitalisme tend à détruire la possibilité même du sujet, que ce soit sous la forme du sujet philosophique, du sujet sociologique, du sujet psychologique, du sujet politique, du sujet amoureux ou du sujet esthétique. La subjectivité encouragée par le système est celle qui est mobilisée par le travail et celle qui est nécessaire à la consommation de marchandises et de spectacle. La postmodernité a accompli la critique du sujet moderne, elle tend à effacer le sujet pratiquement et théoriquement. Elle annihile ou récupère de multiples façons ses visées d’autonomie.

La possibilité du sujet est un autre nom du « devenir humain » . Ce devenir humain est en difficulté sur le plan pratique en raison de la menace écologique que les activités humaines font peser sur la planète et parce que la prédation mise en œuvre par le capitalisme est destructrice de la nature et des humains. Le devenir humain est aussi en crise sur le plan théorique au niveau de ses conditions de possibilité, puisque la postmodernité tend à effacer le sujet, à l’empêcher de se déployer ou à l’intégrer à son service.

La postmodernité est le résultat des débats d’idées au XXe siècle et de l’évolution de la société. La postmodernité est une crise de civilisation, où l’humain est confronté à l’invention d’un nouveau mode d’être subjectivement et collectivement. Comme le propose un article sur l’avenir de l’université au Canada : L’Université peut-elle porter le chapeau postmoderne ?, Du mondial à l’universel, le défi du XXIe siècle.

« La crise est un moment irremplaçable. Nous dépendons d’elle pour nous faire passer du non-sens au sens. L’individu et le groupe, disait Guattari, ne peuvent faire l’économie d’une certaine plongée dans le chaos. Toute la question est de savoir ce que nous retirons de cette plongée : un sentiment de désastre ou la révélation de nouvelles lignes du possible ? (Guattari, 2000 : 90) » ( )

Notes de bas de page :

Thomas S. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, 1962,

Paris, Flammarion, Collection Champs 1999, 284 pages.

Marc Luyckx Ghisi, Au-delà de la modernité, du patriarcat et du capitalisme, la société réenchantée ?, Editions L’Harmattan, Paris, 2001, 216 pages.

Voici un extrait de la page de l’Encyclopédie Wikipédia consacré à Jameson :

« Son analyse du postmodernisme tente de le considérer dans son contexte historique. Jameson rejette donc explicitement toute opposition morale au postmodernisme comme phénomène culturel, et continue d'insister sur le concept hégélien de critique immanente. Cependant, son incapacité à rejeter a priori le postmodernisme, est perçue par beaucoup comme un approbation implicite du point de vue postmoderne. »

http://1libertaire.free.fr/godel07.html

http://www.pourlascience.com

http://www.kafkaiens.org/03kaf/godel3.htm

Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Rapport sur le savoir, Editions de Minuit, Collection “ Critique ”, 128 pages, Paris, 1979.

Gunther Anders, L'obsolescence de l'Homme, Paris, Éditions de l'encyclopédie des nuisances, 2002 (trad. fr. Ch. David).

http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%BCnther_Ander

Daglind Sonolet, Günther Anders Phénoménologue de la technique, Editeur Presses universitaires de Bordeaux, 2006, 244 pages.

Les mémoires d’Auchwitz, De l’occultation à la commémoration, Enzo Traverso, jeudi 27 janvier 2005, article disponible sur le site :

http://www.lagauche.com/lagauche/spip.php?article1160

Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, vol. 1, livre 1, § 150

Nietzsche, La Volonté de Puissance, Livre I, § 95.

Nietzsche, La Volonté de Puissance, Livre I, § 98, 1888.

Karl Marx, Le capital, livre premeir, première section, la marchandiseet la monnaie Chapitre premier : La marchandise :

Karl Marx, Le capital. Éditions Sociales, Paris 1971.

Disponible sur les sites suivant :

http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/capital/capital_livre_1/capital_livre_1_1/capital_livre_1_1.html

http://le.capital.free.fr/text/livre1/ch1/txt4.html

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, éd. Payot, (1913) 1995.

Jean Lacroix, Le structuralisme de Claude Lévi-Strauss

disponible à l’adresse internet suivante :

http://www.altern.org/jeanlacroix/strauss.htm

Richard Rorty, Pascal Engel, A quoi bon la vérité ?, Grasset, Paris, 2005, 91 Pages, ici (p.72-73).

http://www.cotephilo.net/article.php3?id_article=138

« Différentiel sémantique : échelle d'attitude consistant à demander aux répondants de se situer quelque part entre deux adjectifs de sens parfaitement opposés (agréable/désagréable, moderne/désuet ... ). Très utilisée en marketing, notamment pour l'évaluation d'une image ».

Glossaire des termes de marketing, disponible sur le site :

http://www.syntec-etudes.com/Article.asp?numero=66

« La sémantique distributionnelle (SD) peut être résumée par cette phrase : "Deux unités linguistiques sont sémantiquement similaires si leurs contextes textuels sont similaires". C'est pourquoi on choisit de calculer la fréquence de co-occurrence entre l'unité linguistique et chaque terme d'indexation. »

Martin Rajman, Romaric Besançon et Jean-Cédric Chappelier, Le modèle DSIR : Une approche à base de sémantique distributionnelle pour la recherche documentaire. article extrait du numéro spécial Traitement Automatique des Langues, vol 41-2 / 2000.

http://www.grappa.univ-lille3.fr/~tellier/articlesM2/quatrelivre.html

Descartes, Discours de la méthode, 1637, VI.

Michel Maffesoli, Èloge de la raison sensible, Éditions Grasset, Paris, 1996, 278 pages, présentation de l’éditeur.

Zygmunt Bauman, La Décadence des intellectuels, des législateurs aux interprètes, éditions Chambon, 2007.

Michel Maffesoli, Tribalisme postmoderne, De l'identité aux identifications.

http://www.la-science-politique.com/revue/revue2/papier5.htm

Toni Negri, Michael Hardt, Empire, éditions Exils, Paris, 2000, 559 pages.

Toni Negri, Michael Hardt, Multitude : guerre et démocratie à l'époque de l'Empire, Éditions La Découverte, Paris, 2004, Éditions 10/18, collection « Fait et cause », 2006.

Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Éditions Gallimard, Paris, 1975.

Louis Sala-Molins, Le Code noir, PUF, Paris, 1986, en édition de poche Éditions L'esprit frappeur, n°27, Juin 1998.

L’intégralité du texte du Code Noir est publié sur le site suivant consacré à Haiti :

http://www.haiti-reference.com/histoire/documents/code_noir.html

Entretien avec Louis Sala-Molins à propos du Code noir, Catherine JORGENSEN, article écrit à l’occasion de la sortie du livre de Louis Sala-Molins, Le Code noir ou le calvaire de Canaan

http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/frdtse/frdtse38h.html

Article Code noir dans l’encyclopédie Wikipdia qui reprend les ropos de Louis Sala Molins :

Louis Sala-Molins, Le Code noir, PUF, Paris, 1986,

http://fr.wikipedia.org/wiki/Code_noir

L'esclavage et les négriers français, Le Code noir est le texte juridique le plus monstrueux de l'histoire moderne, Par Louis Sala-Molins,

htttp://www.historia.presse.fr/data/thematique/80/08003401.html

Eduardo Colombo, Valeurs universelles et relativisme culturel dans la brochure Tout est relatif. - Peut-être. des Éditons ACL, Lyon, 1997, page 19.

Article publié sur Internet Cybernétique : définition Science des systèmes en juin 2005, par Sylvain Timsit :

http://vulgum.org/spip.php?article947

Définition extraite du Glossaire de Linguistique Computationnelle

Document principal originel par Mourad Amine, 1995, augmenté par le glossaire de Serge Fleury, 1997, adapté et modifié pour le Web par Lionel Delafosse, 1999.

Article présent sur le site :

http://pagesperso-orange.fr/ldelafosse/Glossaire/C.htm

Article Sciences cognitives et modèles de la pensée par Brigitte Chamak, ce texte est publié sur le site de la revue Sens Public

http://www.sens-public.org/spip.php?article30

Raphael Josset dans son article Hardcore : vers une socio-anthropologie de l’underground postmoderne, Intervention aux journées du CEAQ - 20 juin 2003 – Ètat des des recherches.

Article présent sur le site Gretech (Groupe de Recherche sur la Technique et le Quotidien) de l’Université de la Sorbonne.

http://www.dionysos.org/article.php3?id_article=971

Cité par Caroline Guibet Lafaye, L'architecture de la postmodernité: de la forme au symbole publié sur les sites suivants :

http://www.phil.muni.cz/fil/sbornik/2002/07lafaye.html

http://nosophi.univ-paris1.fr/docs/cgl_art.pdf.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ricardo_Bofill/

Cité dans l’article Le postmodernisme comme modernité « fin de siècle » (ou : Le postmodernisme aux fins de « l’in-différence ») de Hugh Silverman, article traduit par Arnaud Villani, paru en 2001 dans la Revue de Métaphysique et de Morale.

Article consultable sur Internet :

http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2001-4-page-483.htm

Le livre d’origine : Gianni VATTIMO, La fin de la modernité, Éditions du Seuil, Paris, 1987, 190 pages.

Jean-François Lyotard, Le post moderne expliqué aux enfants, éditions livre de poche, Paris 1993, première parution Éditions Galilée, Paris, 1988, réédition de 1993, pages 17 et 18.

Idem, page 18.

Article Postmodernisme un diagnostic critique par Alex Callinicos, publié sur le site :

http://tintinrevolution.free.fr/fr/callinicospostmodernisme.htm

Fredric Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Traduit de l’anglais (Ètats-Unis) par Florence Nevoltry. Éditions. Ensba, « L’Art en questions », Paris, 2007, 608 pages.

Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Rapport sur le savoir, Éditions de Minuit, Collection « Critique », Paris 1979, 128 pages. Ici page 7.

Idem, page 9.

Idem, page 7.

Idem, page 7.

Idem, page 11.

Idem, page 20.

Jean-François Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, livre de poche, biblio essais, Paris 1993, page 33, (précédemment publié en 1988 aux Éditions Galilée).

Idem, page 32.

Idem, page 17.

Qu’est-ce que la déconstruction?, Jacques Derrida, Le Monde, mardi 12 octobre 2004. Propos recueillis par R.-P. D. Entretien inédit enregistré le 30 juin 1992, disponoble sur ce site :

http://www.jacquesderrida.com.ar/frances/deconstruction.htm

Idem.

Idem

Jacques Derrida au-delà des apparences, Le Monde juillet-août 2001, propos recueillis par Antoine Spire.

http://www.lemonde.fr/mde/ete2001/derrida.html

Qu’est-ce que la déconstruction ?, Jacques Derrida, Le Monde, mardi 12 octobre 2004. Propos recueillis par R.-P. D. Entretien inédit enregistré le 30 juin 1992, disponible sur ce site :

http://www.jacquesderrida.com.ar/frances/deconstruction.htm

Rhétorique de Derrida, Christian Vandendorpe, article publié dans Littératures (McGill), n° 19, hiver 1999, .p 169-193.

http://www.lettres.uottawa.ca/vanden/derrida.html

Zygmunt Bauman, La Décadence des intellectuels, des législateurs aux interprètes, éditions Chambon, 2007.

Jacques Derrida avec Anne Dufourmantelle, De l'hospitalité, 1997, Éditions Calmann-Lévy, Paris, 1997.

Jacques Derrida, Adieu à Emmanuel Levinas (éditions Galilée), note de lecture sur le site « La république des lettres », par Olivier Morel, 01 juin 1997.

http://www.republique-des-lettres.fr/1638-jacques-derrida.php

Entretien avec Jacques Derrida, Le Monde du mardi 2 décembre 1997 (Horizons et entretiens). Propos recueillis par Dominique Dhombres.

Michel Foucault, L’ordre du discours, Éditions Gallimard, Paris, 1970.

Michel Foucault, Les mots et les choses, . Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », Paris, 1966, 405 p

Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975, 328 p.

Michel Foucault, De la guerre des races au bio-pouvoir, Note de lecture parue dans la Revue Cités, n° 2 année 2000.

http://1libertaire.free.fr/biopolitique5.html

Site de la librairie en ligne :

http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/foucault-michel/surveiller-et-punir, 778359.aspx?donnee_appel=CHAPLIREMA

Les stratégies de pouvoir selon Michel Foucault, Marc Alpazzo, Éudes et documents, janvier 2008 :

http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/Les-strategies-de-pouvoir-selon.html

« Ce texte de Michel Foucault, inédit en français, a servi de préface à l’édition américaine de ’Capitalisme et schizophrénie, l’Anti-Oedipe’ de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Il sera repris dans Dits et écrits, recueil des articles, entretiens, préfaces et autres contributions de Michel Foucault, à paraître aux éditions Gallimard en 1989. »

Ce texte est publié sur le site de la revue Multitudes : L’Anti-Oedipe : Une introduction à la vie non fasciste, Magazine littéraire 257 (septembre 1988), par Michel Foucault

http://multitudes.samizdat.net/spip.php?article2103

Idem.

Du biopouvoir à la biopolitique, Maurizio Lazzarato, revue Multitudes.

http://multitudes.samizdat.net/spip.php?article207

Le rôle de l’intellectuel : extraits, Le monde diplomatique, mai 2006

http://www.monde-diplomatique.fr/2006/05/A/13489

1972 : naissance de l’intellectuel spécifique Philippe Artières, historien, chargé de recherches au CNRS dans la revue Plein Droit n° 53-54, mars 2002, Immigration : trente ans de combat par le droit

http://www.gisti.org/doc/plein-droit/53-54/naissance.html

Le Groupe d'information sur les prisons (GIP) est un mouvement d'action et d'information issu du manifeste du 8 février 1971, signé par Jean-Marie Domenach, Michel Foucault et Pierre Vidal Nacquet, ayant pour but de permettre la prise de parole des détenus et la mobilisation des intellectuels et professionnels impliqués dans le système carcéral. Celui–ci eut un effet direct, l'entrée dans les prisons de la presse et de la radio, jusque-là interdits.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_d'information_sur_les_prisons

Michel Foucault, radical et sceptique, un entretien avec Matthieu Potte-Bonneville, Olivier Doubre, Politis 24 juin 2004.

http://www.politis.fr/article1009.html

Les gender studies, Sandrine Teixido, revue Sciences Humaines.

http://www.scienceshumaines.com/-0ales-gender-studies-0a_fr_4666.html

L’anti-matière politique ou la fonction estomac du capitalisme postmoderne – et comment y résister, Jérome Game, revue Inventaire/Invention, publiée sur Internet :

http://www.inventaire-invention.com/lectures/game_hardt.htm

L'actuel et le virtuel annexe dans la dernière édition de Gilles Deleuze, Dialogues avec Claire Parnet, Paris, Flammarion, 1977, 184 p. ; 2e éd. 1996, coll. « Champs », 187 p.

Le début de ce texte est disponible sur Internet :

http://lucdall.free.fr/workshops/IAV07/documents/actuel_virtuel_deleuze.pdf

Une ontologie du virtuel, Sur la philosophie de Gilles Deleuze : une entrée en matière, Eric Alliez :

http://www.nettime.org/Lists-Archives/nettime-fr-9912/msg00004.html

Cours de 1970 intitulé Théorie des multiplicités chez Bergson sur le site :

« Les cours et conférences de Gilles Deleuze »

http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=107&groupe=Conf%E9rences&langue=1

Le bergsonisme de Gilles Deleuze, Pablo Catalán, Université Charles de Gaulle-Lille-3.

http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/Macherey20002001/Catalan.htm

Cours de 1970 intiltulé Théorie des multiplicités chez Bergson sur le site Les cours et conférences de Gilles Deleuze :

http://www.le-terrier.net/deleuze/20bergson.htm

Deleuze / Image et mouvement image temps, Cours Vincennes - St Denis : Bergson, Matière et Mémoire - 05/01/1981

http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=70&groupe=ImageMouvementImageTemps&langue=1

Deleuze / Image et mouvement image temps, Cours Vincennes - St Denis : Bergson, propositions sur le cinéma. - 18/05/1983.

http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=74&groupe=ImageMouvementImageTemps&langue=1

Une ontologie du virtuel, Sur la philosophie de Gilles Deleuze : une entrée en matière, Eric Alliez.

Bergson, Gilles Deleuze, p. 294.

Qu'est-ce que la philosophie ?, en collaboration avec Félix Guattari, Les éditions de Minuit (coll. « Critique »), Paris, 1991, 206 p.

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Éditions Minuit, 1991.

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, Éditions de Minuit, 1980.

Gilles Deleuze, Félix Guattari, Anti-Œdipe, Capitalisme et schizophrénie, Éditions de Minuit (coll. « Critique »), Paris, 1972, 494 pages, p.382.

Idem, p. 34.

Idem, p. 124

François Zourabichvili, Le vocabulaire de Deleuze, Éditions Ellipses, 2003, p. 50.

Le roman français postmoderne, une écriture turbulente, Marc Gontard :

http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/02/96/66/PDF/LeRomanpostmoderne.pdf

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, tome 1 : L’Anti-Œdipe, Éditions de Minuit, 1972, pp. 124-125.

Cf. la partie : Comment les masses ont-elles pu désirer le fascis” ? dans L’Anti-Œdipe, p. 306 ; pp. 412-414.

Schizo-analyse et marxisme, par Gilles Deleuze dans un texte de l’Encyclopédie Universalis sur La schizophrénie et le monde moderne.

http://www.vulgum.org/libre/spip.php?article250

G comme gauche, Gilles Deleuze, L’Abécédaire, interview avec Claire Parnet.

http://www.subversiv.com/doc/gauche/deleuze.htm

Gilles Deleuze, Pourparlers, Éditions de Minuit, Paris, 1990.

Arnaud Bouaniche, Gilles Deleuze une introduction, Edition Press pocket, collection Agora, Paris 2007.

Une ontologie du virtuel, Sur la philosophie de Gilles Deleuze : une entrée en matière, Eric Alliez, déjà cité.

Postmodernisme : un diagnostic critique, par Alex Callinicos :

http://tintinrevolution.free.fr/fr/callinicospostmodernisme.htm

Zygmunt Bauman, La Décadence des intellectuels, des législateurs aux interprètes, éditions Chambon, 2007.

Gilles Deleuze et Felix Guattari : La machine à gazouiller.

Ce texte de Guillaume Ollendorff est paru dans le fanzine Feardrop, on peut aussi le retrouver à son emplacement d'origine sur le réseau :

http://wwwusers.imaginet.fr/~pezner/VAG/

Actuellement présent sur le site :

http://www.lipsheim.org/deleuze.htm

Michel Maffesoli, Éloge de la raison sensible, Éditions Grasset, Paris, 1996, 278 pages, présentation de l’éditeur.

Aspects juridico-politiques, Débats publics, Sur la Post-modernité, Professeur Michel Maffesoli, Sociologie Université de Paris V Sorbonne, Qu'en est-il de la postmodernité ?

http://www.miviludes.gouv.fr/IMG/pdf/Michel_Maffesoli.pdf

Idem.

Ce n’est plus la raison, c’est le partage du sentiment qui prévaut, Michel Maffesoli :

http://www.medef-anjou.fr/staging/site/core.php?pag_id=39541

http://blog-art.com/delphinebaillergeau/category/homme-post-moderne/

Ce n’est plus la raison, c’est le partage du sentiment qui prévaut, Michel Maffesoli :

http://www.medef.fr/main/core.php?pag_id=39541

Préface à la deuxième édition, Maffesoli, Michel, L’Instant éternel. Le retour du tragique dans les sociétés postmodernes, Paris, Rééd. La Table Ronde, coll. La petite vermillon.

http://divergences.be/article.php3?id_article=18

Boltanski Luc et Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, NRF Essais, 1999, 842 p.

Christophe Dejours, Souffrance en France La banalisation de l'injustice sociale, Éditions du Seuil, Collection Points, Paris 2000, 225 pages.

Informations extraites de l’article de Wikipedia sur Zygmunt Bauman

http://fr.wikipedia.org/wiki/Zygmunt_Bauman

Zygmunt Bauman, La société assiégée, Éditions Le Rouergue-Chambon, 2006, 347 pages.

Zygmunt Bauman, Le coût humain de la mondialisation, Éditions Hachette, Paris, 1999. Republié dans la collection Pluriel poche à Paris en Février 2000.

Cours d’économie de Marie-Françoise Durand :

http://coursenligne.sciences-po.fr/2002_2003/bresil_poitiers/seance_2.htm

Comment gagner de l’argent avec le Forex !, Par Michel Georges, mardi 11 septembre 2007 :

http://www.article-soumission.com/?940-comment-gagner-de-largent-avec-le-forex

Loic Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, Éditions Raison d’agir, 1999.

Michel Crozier, Le phénomène bureaucratique, Éditions Points Seuil, Paris, 1963.

Bernard Stiegler, Aimer, s’aimer, nous aimer, Éditions Galilée, Paris, 2003.

Une planète pleine et sans espace, par Zygmunt Bauman, Libération, Rebonds, lundi 21 juillet 2003 :

http://1libertaire.free.fr/bauman03.html

Idem.

La décadence des intellectuels, Nouveaux besoins, nouveaux désirs : la société moderne sonne la faillite des intellectuels, Raphaël Rouillé – Librairie Sauramps en Cévennes (Alès) :

http://www.sauramps.com/article.php3?id_article=3346

Georges Friedman, Le travail en miettes, Éditions Gallimard, Paris, 1956.

Zygmunt Bauman, La Vie en miettes - Expérience post-moderne et moralité, Éditions Rouergue, 2003, 412 pages.

Julia Kristeva, Les nouvelles maladies de l’âme, Éditions Fayard, Paris, 1993.

Idem, quatrième de couverture.

Roman policier et nouvelles maladies de l'âme, Julia Kristeva :

http://www.grep-mp.org/conferences/Parcours-17-18/policier.htm

idem.

Compte rendu sur le livre La Fatigue d’être soi Dépression et société d’Alain Ehrenberg :

http://perso.orange.fr/memscpobdx/fichelect/fatigueetresoi.html

Cours en ligne de kinésothérapie, chapitre sur la psychopathologie : http://www.courskine.fr/psycho_pathologie_101.htm

* Ce cours présente l’héterosexualité comme la voie normale et l’homosexualité comme une perversion, il est donc historiquement marqué et moralement connoté. Heureusement, cette typologie est aujourd’hui abandonnée.

La forclusion dans le champ psychanalytique, Dictionnaire international des termes littéraires, article Forclusion :

http://www.ditl.info/arttest/art21533.php

Clinique des états-limites, du signe, à l’existence entre archéologie et téléologie, Docteur Ludwig Fineltain, Bulletin de psychiatrie, Numéro 3.2, Edition 1996 :

http://www.bulletindepsychiatrie.com

Une psychanalyse postmoderne ? Hélène Richard, revue de psychanalyse Filigranes :

http://rsmq.cam.org/filigrane/archives/postmod.htm

Idem

idem pour Hélène Richard, Yves Boisvert, Le postmodernisme. Montréal, Éditions du Boréal, 1995. 123 p.

Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Essai pour une clinique psychanalytique du social, Éditions Eres, Ramonville, 1997.

Groupe d'étude, animé par Jeanine Pirard-Le Poupon, Sur la clinique du lien social : De l'indécidable dans la clinique aujourd'hui. Ce Groupe d'étude s'inscrit dans le cadre des activités de l’Ecole psychanalytique de Bretagne :

http://psychanalyseanantes.free.fr/recherche.htm

La mutation du lien social, Jean-Pierre Lebrun en 2004 :

http://www.freud-lacan.com/articles/article.php?id_article=00621

Dire non à la jouissance, par Joseph Rouzel, directeur de l’Institut Européen Travail Social et Psychanalyse, psychanalyste :

http://www.psychasoc.com/article.php?ID=188

Charles Melman, A propos de L'Homme sans gravité, Éditions Denoël

Idem.

A propos de L'Homme sans gravité, Charles Melman, Éditions Denoël, Alice Granger Guitard en décembre 2002 :

http://www.e-litterature.net/general/generalimprim.php?titre=melman&num=415&repert=alice

Gérard Pommier, Les Corps angéliques de la postmodernité, Éditions Calmann-Lévy, paris, 2000, 188 p.

La souffrance n’est pas une maladie ... Elle fait partie de la vie par Jack Bensimon, Psychanalyste :

http://www.psychanalyse-paris.com/La-souffrance-n-est-pas-une

Existe-t-il un concept pertinent de la toxicomanie par Gérard Pommier :

http://www.psychanalyse.lu/articles/PommierToxicomanie.htm

Dany-Robert Dufour, L’art de réduire les têtes. Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Denoël, Paris, 2003.

Idem, quatrième de couverture.

Portrait du grand Sujet Dany-Robert Dufour :

http://www.cairn.be/article.php?ID_REVUE=RAI&ID_NUMPUBLIE=RAI_002&ID_ARTICLE=RAI_002_0009

A l’heure du capitalisme total, Servitude de l’homme libéré par Dany-Robert Dufour, Le Monde diplomatique octobre 2003 :

http://www.monde-diplomatique.fr/2003/10/DUFOUR/10605

La production du consommateur, André Gorz juin 2003. EcoRev' - Revue critique d'écologie politique :

http://ecorev.org/article.php3?id_article=164

Félix Guattari, Les trois écologies, Éditions Galilée, « L’espace critique », Paris, 1989.

Victor Klemperer, LTI, la langue du Troisième Reich, Carnets d'un philologue, traduit et annoté par Elisabeth Guillot,Éditions Albin Michel, Paris, 1947, 1996 pour la traduction française. Il est également disponible aux éditions Pocket, Collection Agora, Paris, 1999.

François Brune, Le Bonheur conforme. essai sur la normalisation publicitaire, Éditions Gallimard, Paris,1985

François Brune, De l'idéologie, aujourd'hui, éditions. Parangon, Paris, 2003.

Les grandes mutations économiques et leurs conséquences sociales écrit par un professeur à la Sorbonne et ancien ministre :

http://www.globenet.org/archives/web/2006/www.globenet.org/horizon-local/dial/2124.html

Contribution à l'analyse du capitalisme contemporain par Jean-Luc Sallé lors d'une conférence syndicale :

http://assoc.orange.fr/continuer.la.cgt/jeanlucs.htm

Club de l’Horloge, article Wikipedia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Club_de_l'Horloge

Jean-Pierre Le Goff, Les illusions du management, Pour le retour du bon sens, Éditions La Découverte, nouvelle édition poche en 2005, 163 pages.

Ni Dieu ni Maître Portrait de Michel Schweizer :

http://www.mouvement.net/html/fiche.php?doc_to_load=11764

Serge Latouche, Le pari de la décroissance, Éditions Fayard, Paris, 2006, 302 pages.

Yann Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif La nouvelle grande transformation, Éditions Amsterdam, Collection Multitudes Idées, 2007, 245 pages.

Présentation du livre Le capitalisme cognitif par Yann Moulier Boutang sur le site de la revue Multitudes :

http://multitudes.samizdat.net/article2817.html

Informations recueillies surle site Wikipedia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Google

Google s'engage pour Linux, par Bruno Cormier le lundi 18 juin 2007 :

http://www.pcinpact.com/actu/news/37070-Google-Desktop-Linux-pilotes-open-source-ATi.htm

Chez Google, le travail comme un jeu, par Cécile Ducourtieux, 02 février 2008, Le monde :

http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=1022662&clef=ARC-TRK-NC_01

Il fait bon travailler chez Google, par Stéphane Larcher publié le jeudi 11 janvier 2007 :

http://www.linformaticien.com/Actualit%C3%A9s/tabid/58/newsid496/1275/il-fait-bon-travailler-chez-google-/Default.aspx

Chez Google, le business rime avec no stress, par Céline Galoffre, 12 mars 2008

http://www.batiactu.com/data/12032008/12032008-102624.html

Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, traduit de l'anglais par Elie Barnavi, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 1994, 284 p.

Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, La soumission librement consentie, Edition PUF, Collection psychologie sociale, Paris, 2006.

Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens ou Comment amener les gens à faire librement ce qu'ils doivent faire ?, Edition PUF, Collection psychologie sociale, Paris, réédition 2006.

Dominique Quessada, La société de consommation de soi, Éditions Verticales, 1999.

P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de la communication, Éditions du Seuil, collections Points, Paris, 1985.

École de Palo-Alto sur Wikipedia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Palo-Alto

Guy Rosalato, Le narcissisme, dans le volume Narcisses sous la direction de J B Pontalis, éditions Folio Essais Gallimard, Paris, Février 2000, page 39

Idem.

Jan Spurk, Du caractère social, Éditions Parangon, Paris, mai 2007, 192 pages.

L’Université peut-elle porter le chapeau postmoderne ?, Du mondial à l’universel, le défi du XXIe siècle, Jean-Pierre Kesteman, Ph.D.Université de Sherbrooke (Québec, Canada) :

http://www.usherbrooke.ca/apprus/activites/conferences/kesteman.html

Les références de l’article de Guattari sont les suivantes, Guattari, Félix (2000), Pour une refondation des pratiques sociales, dans : Penser le XXIe siècle, Manière de voir, n° 52, Paris, Le monde diplomatique.

Ou Pour une refondation des pratiques sociales, Félix Guattari, Le monde diplomatique, octobre 1992, page 26, 27. Disponible sur le site :

http://www.regards.pierre-michel.fr/ecologie/textes_ecolo/pour_une_refondation_des_pratiqu.htm


Notes de fin :

Note de fin a : Kurt Gödel, 1906 - 1978, mathématicien et philosophe né en Autriche. Il s’exile aux USA. Il a produit deux théorèmes d’incomplétude, qu’il compléta par une troisième découverte : la non-contradiction relative.

Le premier théorème d’incomplétude démontre que tout système formel assez puissant pour inclure un minimum d’arithmétiques, de théorie des ensembles ou de théorie des types comprend des propositions indécidables.

Le second théorème d’incomplétude démontre que tout système S vérifiant certaines conditions minimales, la consistance de S ne peut être formellement établie.

Le troisième théorème de non-contradiction relative démontre que si la théorie des ensembles est cohérente, cette théorie enrichie de l’axiome de choix et de l’hypothèse généralisée du continu est cohérente.

Ces travaux de Gödel datent de 1931. Ils marquaient les limites internes du formalisme (le besoin d’un ou de plusieurs indécidables) et mettaient fin aux espoirs d’une théorie finie des mathématiques comme celle de Hilbert. Les conséquences des découvertes de Gödel sont les suivantes :

- dès qu’un domaine des mathématiques est assez large (dès qu’il inclut l’arithmétique), la démonstration de sa non-contradiction ne peut se faire qu’à l’aide de systèmes plus puissants que lui ;

- le second théorème signifie qu’aucune démonstration vraiment satisfaisante de non-contradiction ne sera jamais donnée ;

- le troisième résultat conduit à la notion de calculabilité utilisée par Turing et reprise ensuite en informatique. Jean-Paul Delahaye résume l’enjeu des ces théorèmes ainsi :

“ L’histoire des mathématiques et des théorèmes de Gödel montrent que nous ne pourrons jamais être certains de la non-contradiction des théories que nous utilisons. Que nous soyons des machines ou pas ne change rien : les théories mathématiques comme les théories physiques ne proposent pas des certitudes, mais des instruments qui fonctionnent plus ou moins bien, plus ou moins longtemps et qu’il faut ajuster ou changer de temps en temps. Peut-être réussira-t-on un jour à démontrer que nous ne sommes pas des machines, mais cela ne se fera pas sans l’invocation des théorèmes d’incomplétude de Gödel ! ” Du point de vue des mathématiques il estime qu’il faut :

“ Vivre avec les contradictions. ”.

Jean-Paul Delahaye est Directeur adjoint du laboratoire d’informatique fondamentale de Lille du CNRS. Cette citation est extraite d’un article intitulé : “ Statut mathématique des contradictions ”, publié dans le numéro 241 de la Revue Pour la science de Novembre 1997.

Article disponible sur Internet revue Pour la science n°241:

http://www.pourlascience.com

Note de fin b : Voici quelques référence de livres de Michel Maffesoli. En eux-mêmes les titres sont éloquents.

Michel MAFFESOLI, Le Temps des tribus (1988), Le Livre de Poche, 1991.

Michel MAFFESOLI, La transfiguration du politique. La tribalisation du monde, Éditions Grasset & Fasquelle, 1992.

Michel MAFFESOLI, Du nomadisme. Vagabondages initiatiques. Le Livre de Poche, 1997.

Michel MAFFESOLI, L’instant éternel. Le retour du tragique dans les sociétés postmodernes, Paris, Éditions Denoël, 2000.

Michel MAFFESOLI, La part du diable précis de subversion postmoderne, Flammarion (2002).

Michel MAFFESOLI, Notes sur la postmodernité. Le lieu fait lien, Paris : Éditions du Félin/Institut du monde arabe, 2003.

Michel MAFFESOLI, Le rythme de vie - Variation sur l’imaginaire post-moderne, Paris, Ed. Table Ronde, Collection Contretemps, 2004, 260 pages.

Note de fin c : Francisco J. Varela, né en 1946, docteur en biologie de Harvard en 1970, est neurobiologiste. Après avoir longtemps travaillé aux États-Unis, il est entré au CNRS en 1988 où il est actuellement Directeur de recherche. Il dirige l’équipe de Neurodynamique au Laboratoire des Neurosciences Cognitives et Imagerie Cérébrale (CNRS UPR 640), à Paris. Il a notamment publié L’inscription corporelle de l’esprit (Seuil, 1993) et L’arbre de la connaissance (Addison-Wesley, 1994).

Pour plus d’informations, il est possible de consulter cette page :

http://www.ccr.jussieu.fr/varela/welcome.html


Bibliographie

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Anders Gunther, L’obsolescence de l’Homme, Paris, Éditions de l’encyclopédie des nuisances, 2002 (trad. fr. Ch. David)

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Bauman Zygmunt, La société assiégée, Editions Le Rouergue-Chambon, 2006, 347 pages

Bauman Zygmunt, La Vie en miettes - Expérience post-moderne et moralité, Editions Rouergue, 2003, 412 pages

Bauman Zygmunt, Le coût humain de la mondialisation, Editions Hachette, Paris, 1999. Republié dans la collection Pluriel poche à Paris en Février 2000

Beauvois Jean-Léon et Robert-Vincent Joule, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens ou Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ?, Edition PUF, Collection psychologie sociale, Paris, réédition 2006

Beauvois Jean-Léon et Robert-Vincent Joule, La soumission librement consentie, Edition PUF, Collection psychologie sociale, Paris, 2006

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Lyotard Jean François, Le postmoderne expliqué aux enfants, livre de poche, biblio essais, Paris 1993, page 33, (précédemment publié en 1988 aux Editions Galilée).

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Marx Karl, Engels Friedrich, Manifeste du parti communiste, Éditions sociales,

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Marx, Karl, Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, Éditions sociales, 1993

Marx, Karl, La guerre civile en France, Éditions sociales

Marx, Karl, Le capital Livre I, PREMIÈRE SECTION, LA MARCHANDISE ET LA MONNAIE Chapitre premier : LA MARCHANDISE Éditions sociales

Marx, Karl, Manuscrits de 1844, Éditions sociales

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Nietzsche Friedrich, La volonté de puissance, vol. 1, livre 1, Editions Gallimard, Collection Tel, Paris 1995.

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Wittgenstein Ludwig, Investigations philosophiques (1953)

Wittgenstein Ludwig, Tractatus logico-philosophicus (1921)

Zourabichvili François, Le vocabulaire de Deleuze, Editions Ellipses, 2003


Table des matières
La postmodernité :
De la critique du sujet moderne à son effacement postmoderne
Liminaire
I / La question de la définition de la postmodernité
A / La notion de paradigme ?
B / Un paradoxe ?
C /Un paradigme paradoxal ?
Chapitre I : Comparaison et contraste
I / Le sujet
II / La raison
III / La démocratie
IV / L’universalité
V / La science
Chapitre II : Expressions de la postmodernité
I / La postmodernité en architecture
II / La postmodernité en philosophie
A / Jean-François Lyotard théoricien de la rupture.
B / La déconstruction de Jacques Derrida
C / Michel Foucault et le pouvoir
D / Le multiple de l’immanence de Gilles Deleuze
III / La postmodernité en sociologie
A / La postmodernité dionysiaque de Michel Maffesoli
B / Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello
C / Le coût humain de la mondialisation selon Zygmunt Bauman
IV / L’écho des divans, la postmodernité en psychologie
V / La postmodernité en politique
Postface :
L’effacement du sujet dans la crise de la postmodernité
Bibliographie


Avertissement

Mail de Loïc Wacquant septembre 2010

Merci de retirer toute mention de l'ouvrage PUNIR LES PAUVRES de votre site: il s'agit d'une version contrefaisante, version truquee et tronquee de mon travail publiee sans contrat ni bon a tirer par Agone, contre ma volonte explicite et expresse. Cet ouvrage est une tromperie; ce n'est pas le mien; il ne figure pas a ma bibliographie, merci de ne pas me l'attribuer. Vous pouvez lire la version complete et conforme de mon travail en anglais, PUNISHING THE POOR, Duke University Press, 2008.
Cordialement,
Loïc Wacquant

Professor, University of California, Berkeley
Chercheur, Centre de sociologie européenne, Paris
http://sociology.berkeley.edu/faculty/wacquant/
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Department of Sociology
University of California-Berkeley
Berkeley CA 94720 USA
fax 510/642-0659

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François Brune http://larbremigrateur-fb.blogspot.com