Université de Nantes
UFR Lettres et Langages
Département de Philosophie
La postmodernité
De la critique du sujet moderne à l’effacement du sujet
Mémoire de Master 1 de Philosophie
Présenté par Philippe Coutant
Sous la direction de M. Jean-Claude Pinson
Professeur associé M. Renaud Barbaras
année 2007-2008
Ce mémoire a été refusé en Mai 2008.
Un second mémoire a été présenté
en Septembre 2008. Il a été soutenu et validé.
Subjectivité et postmodernité, Éléments
de recherche
Il est disponible sur demande : 1libertaire (at) free.fr
ou via l'adresse postale : Philippe Coutant C/O Bellamy 17 17 Rue
Paul Bellamy 44000 Nantes
Liminaire
La question de la postmodernité est devenue un objet de
recherche en philosophie, parce que les réponses antérieures
sont en difficulté. Il s’agit de penser notre temps
à l’aide de concepts et modèles plus appropriés
à la situation. En connaître les limites n’empêche
pas de penser et de croiser les approches pour réfléchir
à notre condition humaine à l’aube de ce nouveau
millénaire.
La question du sujet est un des enjeux principaux de l’étude
de la définition de la postmodernité.
Nous commencerons par nous interroger sur la qualification de la
définition de la postmodernité. Il s’agit de
savoir si la notion de paradigme paradoxal est recevable.
Notre parcours philosophique débutera avec les critiques
faites au sujet moderne par les philosophes du soupçon :
Friedrich Nietzsche, Sigmund Freud et Karl Marx. Le début
du chemin sera conventionnel, il est maintenant intégré
au sens commun philosophique.
Nous aborderons ensuite par comparaison et contraste le concept
de raison, puis, celui de démocratie, de l’universalité
et de la science. Au passage nous rencontrerons la question du tournant
linguistique et celle du structuralisme.
L’étape suivante sera celle de l’examen de diverses
expressions de la postmodernité. L’architecture ouvre
une brèche. La philosophie de Jean-François Lyotard
posera une borne, qui marque la césure.
D’autres philosophes, qui ne se revendiquaient pas de la
postmodernité, ont continué l’œuvre postmoderne.
Nous passerons chez Jacques Derrida, qui nous a légué
la déconstruction. Nous aborderons les rivages de la notion
de pouvoir avec Michel Foucault et nous rencontrerons ensuite l’immanence
du multiple avec Gilles Deleuze.
Ce parcours reste classique, le chemin est déjà balisé.
Il devient moins conventionnel, quand nous passons la frontière
de la sociologie. L’accélération dans le contenu
des analyses semble aller de pair avec la rapidité des mutations
de la société. Dans ce cadre, le premier territoire
conceptuel étudié sera celui de la sociologie dionysiaque
de Michel Maffesoli. Le second espace présenté sera
celui de Luc Boltanski et Eve Chiapello à propos du nouvel
esprit de capitalisme. Notre visite du domaine sociologique passera
ensuite par la rencontre avec Zygmunt Bauman et de son analyse du
coût humain de la mondialisation.
La notion de sujet est devenue celle de l’individu pour les
sociologues. En quittant le domaine de la sociologie, nous aurons
constaté que l’individu postmoderne est en difficulté.
Ce qui nous incite à aller voir du côté de la
subjectivité pour connaître l’avis des spécialistes
de la psyché.
Le passage dans les parcs et jardins de la psychologie nous confrontera
aux nouveaux symptômes de l’être postmoderne.
Les pathologies fourmillent et les psychanalystes sont contraints
à émettre de nouvelles hypothèses. Ils se demandent
même s’il reste encore des parcelles de sujet dans la
postmodernité.
Le rythme du parcours conceptuel va en s’accélérant.
Il commencera avec Julia Kristeva, puis avec Alain Ehrenberg, il
rencontrera ensuite Jean-Pierre Lebrun, Charles Melman et Gérard
Pommier. Il se terminera avec Dany-Robert Dufour et Félix
Guattari, qui nous proposent des passerelles avec le champ philosophique.
La question de l’effacement du sujet est alors posée.
Pour ces spécialistes de l’âme, il s’agit
bien d’un nouveau malaise dans la civilisation.
Un passage par la sphère politique complétera le
parcours de cette analyse des mutations du sujet. La question étant
de savoir si le champ politique contient encore du sujet.
L’effacement du sujet dans la postmodernité est alors
un constat de crise. La possibilité du sujet est mise en
doute conceptuellement et pratiquement, elle nous pose, pour terminer,
la question du « devenir humain ».
I / La question de la définition de la postmodernité
A / La notion de paradigme
Ce concept a été développé par Thomas
Kuhn en 1962. ( ) Il s’agit des changements dans l’histoire
des sciences, de l’évolution des théories. Le
paradigme est un modèle théorique de pensée,
qui oriente la réflexion et la recherche scientifique. Pour
cet auteur, l’histoire de la science est discontinue. Il parle
de révolution scientifique. Il différencie le paradigme
lié à la théorie de la gravitation universelle
de Newton de celui qui est attaché à la théorie
de la relativité d’Einstein et à la théorie
de la physique quantique.
Pour Thomas Kuhn, un paradigme entraîne une vision du monde
quasi complète. Il contient des présupposés
fondateurs. Il encadre les questions qui peuvent être posées
et celles qui méritent d’être approfondies. Il
définit les approches qui sont considérées
légitimes pour répondre aux questions et ensuite qui
comptent comme une réponse valable.
C’est un environnement mental, un mixte composé de
présupposés philosophiques et de modèles théoriques.
C’est un univers de pensée, qui est lié au langage.
Le paradigme peut se définir comme ce que l’on montre
à titre d’exemple, ce à quoi l’on se réfère,
ce qui exemplifie une règle et peut donc servir de modèle.
Une autre façon de décrire cette notion est de dire
qu’elle est la base de la manière de percevoir, de
penser, de juger et d’agir, qui est associée à
une vision particulière de la réalité. On peut
parler d’un paradigme d’une civilisation : c’est
une manière spécifique de se représenter, de
se percevoir. Il contient une vision de la nature et de la réalité,
une façon de voir le monde et l’existence.
Le paradigme désigne une modélisation qualitative
des choses. Cette notion est employée en partie comme synonyme
de modèle. C’est une façon d’interpréter.
On peut dire que le paradigme opère comme des lunettes invisibles.
( )
La notion de paradigme permet de différencier la modernité
et la postmodernité comme deux ensembles ayant chacun leurs
caractéristiques, même si la frontière n’est
pas toujours très nette. Ce paradigme paradoxal a le mérite
de rendre visible la postmodernité.
B / Un paradoxe
Du point de vue étymologique, le mot paradoxe signifie «
opposé au sens commun » , c’est le contraire
d’orthodoxe : « conforme aux opinions ». Aujourd’hui,
le concept de paradoxe est employé dans un sens plus restrictif,
celui de contradiction, sens qui est devenu l’usage courant
du terme.
Un paradoxe est donc un énoncé qui contient, ou semble
contenir, une contradiction, ou un raisonnement qui, bien que sans
faille apparente, aboutit à une absurdité logique,
ou encore, à une situation qui contredit l’intuition
commune.
Le mot paradoxe, au sens large, désigne une proposition
contraire à la logique ou au sens commun.
C / Un paradigme paradoxal
La notion de postmodernité est appréhendée
ici sous deux angles en même temps. En premier lieu, celui
d’être un paradigme qui s’oppose au paradigme
moderne et ensuite celui d’être aussi un paradoxe, c’est-à-dire
contenant des contradictions et qui heurte les représentations
habituelles.
Un paradigme, parce que la postmodernité forme une entité
identifiable, un ensemble reconnaissable, qu’il s’agit
bien d’un univers de pensée spécifique.
Paradoxal, parce que ce paradigme est ouvert et marqué par
l’incomplétude. Il est impossible à unifier,
il est toujours en devenir, parce qu’il essaie de définir
un phénomène complexe où la multiplicité
est la règle. Paradoxal également, parce qu’il
contient des tendances contradictoires. Les phénomènes
ne sont pas toujours univoques, parfois ils peuvent être positifs
et négatifs en même temps suivant le point de vue d’où
on parle.
La définition de la postmodernité s’opère
par une voie relative et relationnelle, une mise en évidence
différentielle par rapport à la modernité.
Nous opérons par comparaison et par focalisation sur le contraste.
Nous nous trouvons dans la même situation que les physiciens
du début du XXe siècle, qui se sont rendu compte qu’ils
intervenaient sur les phénomènes qu’ils étaient
en train d’étudier, c’est-à-dire sur l’infiniment
petit. Nous sommes parties intégrantes de la postmodernité.
Notre prise de position intervient dans ce que nous étudions.
En essayant de définir la postmodernité, nous devenons
forcément un peu postmodernes, parce que le fait même
d’en parler fait exister la postmodernité et nous classe
parmi les postmodernes, même si nous ne souhaitons pas porter
cette étiquette.
Il y a bien un aspect performatif à parler de la postmodernité.
Lyotard a fait exister la postmodernité en l’analysant,
c’est encore le cas de Jameson aujourd’hui. ( ) Jameson
est soupçonné de complaisance à l’égard
de la postmodernité parce qu’il étudie le lien
entre l’histoire de la culture et l’évolution
du capitalisme. La notion de postmodernité est également
employée de façon idéologique, sous la forme
de la critique ou du refus. Apurer la définition de la postmodernité
est l’objectif de ce travail. De notre point de vue, il n’y
a pas à se positionner pour ou contre la postmodernité,
c’est un état de fait.
L’aspect paradoxal de la postmodernité est lié
à une caractéristique importante de ce concept. Ce
n’est pas un phénomène fermé. C’est
une notion complexe, ouverte, incomplète et toujours en changement,
si bien qu’elle est parfois difficile à circonscrire.
L’incomplétude est d’abord liée à
notre condition humaine, temporaire et limitée, c’est-à-dire
celle des mortels liés au langage. C’est un élément
de notre situation, un argument de fait, une donnée anthropologique.
Ensuite, sur le plan théorique, Kurt Gödel a démontré
que l’incomplétude était fondamentale pour le
domaine mathématique. Il me semble que la philosophie doit
tenir compte de cet apport. Jean-Paul Delahaye résume l’enjeu
de ces théorèmes ainsi :
« L’histoire des mathématiques et des théorèmes
de Gödel montre que nous ne pourrons jamais être certains
de la non-contradiction des théories que nous utilisons.
Que nous soyons des machines ou pas ne change rien : les théories
mathématiques comme les théories physiques ne proposent
pas des certitudes, mais des instruments qui fonctionnent plus ou
moins bien, plus ou moins longtemps et qu’il faut ajuster
ou changer de temps en temps. Peut-être réussira-t-on
un jour à démontrer que nous ne sommes pas des machines,
mais cela ne se fera pas sans l’invocation des théorèmes
d’incomplétude de Gödel ! »
Du point de vue des mathématiques il estime qu’il
faut :
« Vivre avec les contradictions. ».( ) [note de fin
a]
Une autre présentation des théorèmes de Gödel
expose l’enjeu du débat de cette façon :
« 1 / Il existe des formules dont on ne peut ni démontrer
qu’elles sont vraies, ni qu’elles sont fausses ;
2 / On ne peut pas savoir a priori si une formule est démontrable.
Pire, le deuxième point se prouve « en construisant
une formule qui affirme qu’elle est elle-même non démontrable
».
C’est ce que M. Lascar [professeur de mathématiques
et directeur de recherche au CNRS] compare au paradoxe d’Epiménide
le Crétois qui prétendait que tous les crétois
étaient des menteurs. À la différence qu’ici,
ce n’est pas le langage humain, avec toutes ses nuances, ses
interprétations qui est utilisé, mais le langage mathématique,
autrement appelé logique. Ces résultats ont été
démontrés par Gödel dans les années 30
et 50. On les appelle les théorèmes d’incomplétude
de Gödel. Ils prouvent que toute théorie mathématique
est soit incomplète, soit incohérente. Ils remettent
en question des certitudes bien établies. Ainsi les maths
ne forment pas un tout cohérent, il faut faire des choix
(est-ce loin du pari de Pascal ?). » (…)
« La contradiction touche aussi la logique … Et alors,
où est le problème ? Est-ce si décourageant
de penser que les maths puissent se contredire ? Que le vrai ET
le faux sont relatifs ? Que l’on peut répondre oui
ET non à une même question ? Non, ce n’est pas
décourageant, c’est exaltant au contraire, c’est
la preuve qu’il n’y a pas de vérité absolue
… ». ( )
Le côté paradoxal de la postmodernité est confirmé
par l’accueil réservé à cette notion.
Le sens commun ne voit pas l’utilité du concept de
postmodernité, puisque nous sommes encore dans la suite de
la modernité. Beaucoup de gens veulent être modernes,
notamment en possédant les derniers objets proposés
par la technoscience ou en accédant à la culture moderne.
La modernité est maintenant comme enchâssée
dans la postmodernité. Pour marquer leur différence,
des artistes se sont revendiqués ouvertement postmodernes.
La dévalorisation de l’art postmoderne a été
très forte et existe encore très souvent aujourd’hui,
en particulier de la part du public non initié. Il s’agit
d’une étiquette qui n’est pas toujours facile
à porter. Tout cela correspond bien à une partie de
la définition de ce paradoxe.
Malgré le côté paradoxal de la postmodernité,
la notion de paradigme est utile, parce qu’elle esquisse un
modèle pour comprendre. Nous savons que l’unification
est impossible, mais nous essayons tout de même d’unifier
un certain nombre de données pour définir les contours
de ce phénomène.
Chaque approche théorique poussée à sa limite
montre ses faiblesses et se révèle insatisfaisante.
Ce constat justifie le caractère multiple des composantes
de ce paradigme paradoxal.
Un des principaux mérites du concept de postmodernité,
c’est de constater que le paradigme moderne ne fonctionne
plus. Ensuite, il nous permet de réfléchir aux raisons
qui expliquent cette évolution.
Jean-François Lyotard a lui-même posé le problème
ainsi en montrant les limites du paradigme moderne et en parlant
de « la condition postmoderne » en 1979.( ) Dès
le départ, cet auteur se réfère à une
nouvelle condition humaine. Nous assumons la filiation et la continuité
de cette approche.
Ce paradigme paradoxal est une tentative de cohérence pour
rendre compte des incohérences de notre environnement contemporain.
Nous postulons que nous sommes dans une crise de civilisation très
profonde. L’incohérence est partout, la crise du sens
est devenue une banalité. Nous pensons que l’enjeu
de cette incohérence est le devenir humain. Nous sommes d’accord
avec Gunther Anders, qui affirme et démontre que l’homme
travaille à son obsolescence. ( ) Daglind Sonolet considère
cet auteur comme un phénoménologue de la technique.
( ) Gunther Anders s’interroge sur l’origine des catastrophes
du XXe siècle. Il existe bien un déséquilibre
entre la capacité d’invention, qui caractérise
l’humain et son incapacité chronique à se représenter
et assumer les conséquences de ses œuvres.
La civilisation occidentale n’a pas pu empêcher la
Shoah. Au contraire, ce génocide a bien eu lieu dans la continuité
de notre civilisation moderne.
« Adorno définira la Shoah comme l’expression
« d’une barbarie qui s’inscrit dans le principe
même de la civilisation ». Dans Éros et civilisation
(1954), Marcuse écrira, quant à lui, que « les
camps de concentration, les exterminations de masse, les guerres
mondiales et les bombes atomiques ne sont pas une « rechute
dans la barbarie » , mais les résultats effrénés
des conquêtes modernes de la technique et de la domination
».
(…) Les philosophes de l’école de Francfort
ont lancé une mise en garde sévère. Le totalitarisme
est né au sein de la civilisation elle-même, il en
est le fils. Cette civilisation demeure la nôtre et nous vivons
toujours dans un monde dans lequel Auschwitz reste possible, même
si c’est sous d’autres formes ou avec d’autres
cibles. »
De l’occultation à la commémoration, Enzo Traverso
( )
La question de vivre et penser après cette catastrophe demeure.
La mort industrielle a démontré son efficacité
dans les camps nazis, par les bombardements de Dresde, par les bombes
atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. La parole des
victimes de la Shoah est toujours vivante heureusement, mais celle
des habitants de Dresde, de Hiroshima et de Nagasaki a été
étouffée.
Paul Celan se pose la question d’écrire après
Auschwitz et de fait, contredit Adorno, puisque, à la fois
témoin et victime du nazisme, il écrit une poésie
liée aux cendres de l’anéantissement. Celan
force l’impossible pour continuer l’humain sans rien
occulter ni oublier de cette rupture.
Pour nous, la postmodernité est un autre nom de la crise
de civilisation ouverte par la Shoah. Les drames humains ont continué
et la liste est longue. Le progrès a créé le
nucléaire, a détruit la nature et a fait beaucoup
de victimes humaines, il continue d’ailleurs.
L’espoir d’émancipation porté par la
voie communiste s’est transformé en son contraire,
il a produit le goulag de la barbarie stalinienne. Le marxisme autoritaire
a échoué, lui aussi.
Notre point de départ est celui de l’héritage
de l’histoire de la pensée de la fin du XIXe siècle
et du XXe siècle. Assumer ce leg nous amène à
vivre une sorte de deuil théorique. La prise en compte des
débats antérieurs revient à avancer au travers
de réseaux conceptuels multiples. Nous partons de la situation
actuelle en philosophie, c’est-à-dire de l’impossibilité
d’unifier et de fonder ainsi que de la critique radicale de
la métaphysique. Le tournant linguistique, la critique de
l’ethnocentrisme, l’échec de l’esprit de
système, l’option généalogique sont devenus
partie intégrante de notre environnement philosophique. La
notion d’incertitude ne concerne plus seulement les physiciens
des particules, elle nous accompagne inexorablement.
C’est pour toutes ces raisons que la notion de paradigme
paradoxal s’impose malgré les difficultés inhérentes
à cette notion.
Chapitre I
Comparaison et contraste
La postmodernité est une sorte de mot valise, qui lie le
préfixe « post » au concept de modernité.
C’est une période qui vient après la modernité.
Pourtant, il est difficile de dater le passage de la modernité
à la postmodernité. Pour beaucoup de gens, la modernité
continue encore à fonctionner. Pour ce qui nous concerne,
la postmodernité c’est notre temps, elle vient en continuité
et en rupture avec la modernité.
Nous proposons d’opérer par comparaison et par contraste.
La définition a un aspect négatif qui montre les oppositions
entre la période moderne et la postmodernité. La postmodernité
est un concept relatif et relationnel.
I / Le sujet
Le premier point de comparaison concerne le sujet conscient, rationnel
et volontaire de la modernité. La base de la postmodernité
est plutôt l’individu surfant de façon émotive
au gré des mouvements d’opinions.
Pour la modernité, il existe un sujet conscient, rationnel,
autonome, et universel. Un sujet qui est cohérent, connaissable
et stable. Aucune condition ou différence physique n’affecte
la manière d’être et de faire du sujet.
La déconstruction du sujet moderne s’est opérée
de multiples manières. Les philosophes du soupçon
ont amorcé la critique. Nous commencerons avec Nietzsche.
Nietzsche refuse la philosophie du sujet :
« Le sujet : c’est la terminologie dont use notre croyance
à l’unité sous-jacente aux moments de notre
plus haut sentiment de réalité : nous concevons cette
croyance comme l’effet d’une seule cause ; nous croyons
à notre croyance, à ce point que nous imaginons de
toutes pièces, à cause d’elle, la ‘vérité’,
la ‘réalité’, la ‘substantialité’.
- Le ‘sujet’ : c’est la fiction d’après
laquelle beaucoup d’états semblables, en nous, seraient
l’effet d’un même substrat ; mais c’est
nous qui avons créé ‘l’identité’
de ces états ; le fait, ce n’est pas leur identité,
mais c’est que nous les ramenons à l’identité,
que nous les arrangeons. (Il conviendrait plutôt d’en
nier l’identité) ». ( )
Il ne croit pas au moi :
« Rien n’est plus illusoire que ce « monde interne
» que nous observons à l’aide de ce fameux «
sens interne ». ( )
Le moi est un leurre ; Nietzsche critique l’attribution de
la pensée au sujet, ce qui ne va pas de soi :
« Dans ce célèbre cogito il y a : 1° quelque
chose pense ; 2° je crois que c’est moi qui pense ; 3°
mais en admettant même que ce deuxième point soit incertain,
étant matière de croyance, le premier point : quelque
chose pense, contient également une croyance, celle que «
penser » soit une activité à laquelle il faille
imaginer un sujet, ne fût-ce que « quelque chose »
; et l’ergo sum ne signifie rien de plus [...] Faisons donc
abstraction de ce « quelque chose » problématique
et disons cogitatur, pour constater un état de fait sans
y mêler d’articles de foi ... » ( )
Nietzsche refuse le primat de la conscience et voit l’origine
du langage dans la vie du corps. Il démonte l’anthropocentrisme
du fonctionnement humain. En ce sens, il est un précurseur
de la postmodernité.
Kant avait montré que l’on ne pouvait pas démontrer
l’existence de Dieu par l’usage de la raison. Il définit
les limites de la raison pure. Il argumente en démontrant
que l’existence de Dieu ne peut pas être déduite
de son seul concept. Il réduit les arguments qui veulent
démontrer l’existence de Dieu, au seul argument ontologique.
Celui-ci déduit du concept de Dieu qu’il existe. Il
n’est donc pas valide, il est hors du champ de la connaissance.
La métaphysique, qui fait de Dieu un objet, est une illusion.
Dieu, la liberté de la volonté et l’immortalité
de l’âme ne sont pas du domaine de la connaissance,
mais ce sont des postulats nécessaires à la raison
pratique. Ce sont des exigences rationnelles pour la morale. Pour
Kant, l’existence de Dieu n’est pas une nécessité
théorique. Il postule l’existence de Dieu pour la seule
raison pratique.
Nietzsche va plus loin, il annonce la mort de Dieu. Il affirme
la puissance de vie contre la métaphysique et la morale religieuse,
morale et religion défendues par Kant, notamment. Cette morale
religieuse doit être compatible avec les normes de la raison,
mais une fois cette limite admise, la morale religieuse est légitime
et valide pour Kant.
Pour Nietzsche au contraire, les énoncés moraux sont
en fait l’expression des intérêts dominants.
Nietzsche pense que toute morale est au service des intérêts
subjectifs et des motivations extra morales. La morale est au service
de ceux qui la professent. Nietzsche attribue la morale du faible
au ressentiment. Ce ressentiment est celui des faibles. Il s’agit
d’une opposition entre la « morale du fort » et
la « morale du faible » . Mais, ces termes ne s’opposent
pas selon des modalités sociopolitiques ou idéologiques.
Le sujet nietzschéen se confronte à deux philosophies
différentes. Le fort n’est pas celui qui écrase
le faible, mais celui qui aspire à réaliser son plein
accomplissement en tant qu’homme. Le faible agit comme s’il
se donnait comme objectif de se refuser à lui-même
cet accomplissement, d’où son ressentiment.
D’un point de vue vitaliste, Nietzsche commence la déconstruction
du sujet conscient, libre et volontaire. Il nous parle de la généalogie
de la morale, il nous incite à vivre et à penser par-delà
le bien et le mal. Il propose une philosophie de la liberté
dans le monde assez fermé de l’époque. Il attaque
la conscience servile de ceux qui vivent en troupeau. On peut comprendre
l’apport de Nietzsche comme un énoncé postmoderne
« devient ce que tu es ! » . Cette injonction est la
base du « développement personnel » , un courant
très présent dans la postmodernité. Cette voie
promet une plus-value narcissique et du sens là où
le ciel est vide. Nietzsche, lui, se battait contre le poids du
ciel trop étouffant et peuplé d’êtres
bloquant la puissance de vie des humains.
Marx sera, lui aussi, très critique vis-à-vis
du sujet moderne.
La pensée de Marx est en continuité avec la pensée
moderne, notamment sur le rôle du progrès et de la
science, sur la visée d’émancipation, mais il
introduit aussi une rupture.
Il commence par constater que l’histoire humaine est l’histoire
de la lutte de classe. Pour lui, il n’y a pas de nature humaine,
mais une ou plutôt des conditions humaines. Un se divise en
deux : la société est une unité qui contient
au moins deux classes : la bourgeoisie et le prolétariat.
Le sujet n’existe pas hors des conditions de vie des hommes.
Les idées des hommes sont marquées par l’idéologie.
Idéologie, qui est une mystification, une fausse conscience
au service de la domination capitaliste. Pour lutter contre l’exploitation
de l’homme par l’homme, les prolétaires doivent
rompre avec la pensée dominante et acquérir la conscience
révolutionnaire et s’organiser collectivement. De classe
en soi, le prolétariat doit devenir classe pour soi.
Le sujet des philosophes modernes est le sujet de la bourgeoisie,
la classe qui capte la plus-value issue du travail non payé
des ouvriers. La liberté est formelle et limitée par
les conditions d’existence de la classe sociale à laquelle
on appartient. Proclamer l’existence d’un sujet libre
et conscient est un leurre idéologique qui empêche
les prolétaires de s’organiser et de lutter pour changer
la société.
Pour Marx, la notion de sujet doit être indexée à
celle du mode de production. La marchandise contient un rapport
social, un rapport entre les hommes.
« … la forme valeur et le rapport de valeur des produits
du travail n’ont absolument rien à faire avec leur
nature physique. C’est seulement un rapport social déterminé
des hommes entre eux qui revêt ici pour eux la forme fantastique
d’un rapport des choses entre elles. Pour trouver une analogie
à ce phénomène, il faut la chercher dans la
région nuageuse du monde religieux. » ( )
La critique de Marx vise bien ce qui rend obscur la vision du fonctionnement
social. Le sujet est un sujet de classe. Il est important de savoir
comment est organisée la vie sociale pour comprendre la situation
humaine. Qui domine qui et comment, qui exploite qui et comment,
sont des questions qui restent valables encore aujourd’hui.
Politiquement le marxisme a échoué. Le socialisme
réel a montré que le changement social par la prise
du pouvoir d’État pouvait produire une société
totalitaire. Mais, l’analyse de Marx qui a mis en évidence
la plus-value reste valide. Le capitalisme postmoderne fonctionne
toujours avec la domination et l’exploitation que Marx avait
dénoncées. L’évolution de ce mode de
production est conjoint de l’évolution vers la postmodernité.
L’étude de la postmodernité est aussi l’étude
du capitalisme contemporain.
La troisième critique du sujet moderne viendra de
Freud et de la psychanalyse.
Freud introduit une conception nouvelle de l’inconscient.
On savait que certains phénomènes échappaient
à la conscience. L’inconscient qu’introduit Freud
n’est pas simplement ce qui ne relève pas de la conscience.
Pour Freud, l’inconscient contient un certain nombre de données,
d’informations, de désirs tenus hors de la conscience.
Mais, il montre que l’inconscient c’est aussi l’ensemble
des processus qui empêchent certaines données d’arriver
à la conscience et permettent à d’autres d’y
accéder, il s’agit du refoulement, du principe de réalité,
du principe de plaisir et de la pulsion de mort. Ainsi, Freud fait
de l’inconscient l’explication de la plupart des phénomènes
conscients eux-mêmes. Non seulement l’inconscient nous
échappe, mais en plus, il détermine ce que nous croyons
être conscient, rationnel et volontaire.
Freud n’hésite pas à parler de blessure narcissique
à propos de l’approche psychanalytique. Il constatait
que l’humanité avait déjà subi deux blessures
narcissiques du fait de la recherche scientifique. Copernic et Galilée
ont montré que la terre n’est pas au centre de l’univers,
que l’humanité terrestre n’est qu’une petite
parcelle de l’univers. D’autre part, Darwin montre que
l’humanité est une branche du règne animal,
ce qui rend problématique l’hypothèse de notre
supériorité. Freud pensait que la psychanalyse allait
apporter un troisième tourment à l’humanité
en montrant que l’homme n’est pas véritablement
maître de ses actes.
De surcroît, Freud attribue une origine sexuelle aux troubles
du sujet. Il développe une théorie de la sexualité
infantile. Il interprète nos rêves comme les développements
de nos désirs. Dans la perspective théorique freudienne,
le symbole est un moyen pour le désir de se voiler en se
dévoilant, de ne pas se laisser entendre en s’exprimant
et en se déplaçant. C’est un mécanisme
de défense de la conscience. Le déplacement psychique
est à l’origine du fonctionnement de la métaphore
et de la métonymie, deux phénomènes étudiés
par Lacan.
Freud développe une théorie de la culture et du malaise
dans la civilisation. Pour fonctionner, la collectivité humaine
doit limiter les désirs de ses membres. Elle oriente la réalisation
des désirs par la sublimation vers des buts valorisés
par la civilisation, sans quoi l’égoïsme universel
amènerait le chaos. La culture nous offre des compensations
pour supporter les contraintes et les sacrifices au travers des
œuvres collectives, en nous offrant de quoi nous divertir et
nous valoriser. Le collectif prime sur l’individu. La limitation
de jouissance est une nécessité collective. Dans la
postmodernité, les données du problème semblent
avoir changé. L’injonction de jouissance prend le pas
sur le collectif, ce qui ne va pas sans créer beaucoup de
difficultés.
Nous devons noter que la psychanalyse est une théorie du
sujet, mais aussi une pratique clinique. Elles ne peuvent pas être
séparées l’une de l’autre. Comme pour
Nietzsche et Marx, la critique du sujet moderne chez Freud s’accompagne
d’une mise en acte de ces idées sur le sujet. Nietzsche
propose une voie esthétique pour réaliser la volonté
de puissance, Marx milite pour changer les rapports sociaux par
l’action politique et Freud met en œuvre une thérapie
pour aider les humains à surmonter leurs difficultés.
Ces trois approches critiques sont indexées à une
pratique, une praxis aurait dit Marx.
La suite de notre propos impose une remarque de méthode
au sujet de Wittgenstein et de Lévi-Strauss. Wittgenstein
a été l’un des auteurs sur lequel le tournant
linguistique s’est construit. Étant donné la
période à laquelle il a écrit son œuvre,
il n’est pas possible de le classer parmi les auteurs postmodernes.
Lévi-Strauss n’était pas postmoderne, lui non
plus. Il en va différemment des thèmes de la déconstruction,
du droit à la différence, de la critique de l’ethnocentrisme,
du phallogocentrisme et des études sur le genre comme sexe
social. Toutes ces approches ont contribué à remettre
en cause la notion de sujet telle qu’elle avait été
définie par la modernité, mais la période de
leur apparition les inclut parmi les démarches postmodernes.
Le tournant linguistique et le structuralisme sont des théories
charnières. Ces deux approches conceptuelles sont devenues
des points d’appui de la postmodernité, ce qu’elles
n’étaient pas au moment de leur apparition, ceci explique
pourquoi ces thèmes sont abordés ici. Ceci est un
aspect du paradigme paradoxal lié à la postmodernité.
Nous reviendrons ultérieurement sur les autres approches
strictement postmodernes.
D’autre part, ces deux approches théoriques donnent
une place importante au langage. Ce thème est une des composantes
principales de la postmodernité. Un des principes fondateurs
du mouvement postmoderne est basé sur la déconstruction
et la relativisation. Selon cette conception, la vérité
est toujours relative aux différentes positions et aux schémas
intellectuels préexistants. Le monde, le système social
et l’identité sociale ne sont pas donnés d’emblée,
ils sont construits par le langage. Le mouvement postmoderne revendiquait
la critique des processus d’illusion, et la mise en évidence
de la nature socialement construite de nos institutions.
La critique du sujet moderne sera donc également
développée par le courant structuraliste.
Le structuralisme suppose l’exil du sujet ou que l’homme
soit « agi » ou « parlé » par un
système. Le structuralisme voue ses recherches à trouver
les structures sociales inconscientes, qui régissent l’humanité
en affirmant que celles-ci sont organisées logiquement.
Le structuralisme dissocie énoncé et énonciation.
Ce sont des énoncés dont il s’agit de rendre
compte, et non de la situation de communication ou de l’intention
de l’émetteur. La langue devient un fait social et
n’est plus appréhendée comme étant un
organisme vivant. La critique structuraliste conteste tout empire
du sujet, sous sa forme rationnelle ou transcendantale, cartésienne
ou phénoménologique, en lui substituant le primat
du langage. Cette nouvelle conception du langage a favorisé
une nouvelle conception du sujet, désormais pensé
comme assujetti au langage ou à la structure. Il a été
la base d’une nouvelle critique, en particulier au niveau
littéraire, dénonçant l’intention ou
l’intentionnalité, refusant de considérer l’auteur
comme une instance présidant au sens.
Le structuralisme est à la fois une théorie et une
méthode d’analyse qui considère un ensemble
de faits comme une structure. Cette structure est un système,
un ensemble solidaire, dont les composants sont liés par
un rapport d’interdépendance. Ce courant de pensée
est issu de la linguistique de Saussure. ( ) Il traite les faits
humains comme des éléments symboliques d’un
ensemble qui peut être identifié ou déchiffré.
Cet ensemble est nommé structure.
Le structuralisme est une position en sciences humaines, qui évacue
les contenus subjectifs, les significations, que les humains attribuent
aux événements, pour arriver à une description
objective des structures. En linguistique, par exemple, le sens
ne se définit pas par le rapport entre le mot et la chose,
mais dans la relation dans un système de signes, à
la fois comme contenu : le signifié ; et comme contenant
: le signifiant. On peut voir le structuralisme comme une combinatoire,
qui opère sans égard par rapport à l’histoire.
La structure n’a pas de contenu distinct, elle est le contenu
même, si on l’appréhende dans son organisation
logique, qui est alors une propriété du réel.
Par exemple, Lévi-Strauss a appliqué le structuralisme
à l’analyse des mythes. Il estime que l’intelligence
humaine est une pensée logique au niveau du sensible, qui
utilise des catégories empiriques, comme le cru et le cuit,
qui deviennent des outils conceptuels pour dégager des catégories
abstraites. La vérité du mythe consiste
« en rapports logiques dépourvus de contenu ou plutôt
dont les propriétés invariantes épuisent leur
valeur opératoire, puisque des rapports comparables peuvent
s’établir entre les éléments d’un
grand nombre de contenus différents » . (cité
par Jean Lacroix dans un article intitulé Le structuralisme
de Claude Lévi-Strauss) ( ).
Selon le structuralisme, il existe une objectivité et une
structure des mythes. Lévi-Strauss ne cherche pas à
montrer comment les humains pensent les mythes, mais « comment
les mythes pensent dans les hommes et à leur insu »
. On constate donc que le structuralisme établit le primat
de la structure sur l’événement ou le phénomène.
L’événement social ou psychique n’a pas
en lui-même sa signification, il renvoie nécessairement
à une globalité. Par voie de conséquence, c’est
l’idée même d’intériorité
qui est contestée. Le structuralisme pense où l’organisation
fait système, sans que le sujet humain en soit conscient.
Les approches structuralistes sont différentes selon les
domaines et les auteurs. La structure prend le pas sur toutes les
approches. De ce point de vue, les processus sociaux se déploient
dans le cadre de structures fondamentales qui, très souvent,
restent inconscientes pour les humains. Le structuralisme est également
une méthode qui a pour domaine d’application tous les
phénomènes qui ont un caractère de système.
Dans ces systèmes, aucun élément ne peut être
modifié ou supprimé sans que cela n’entraîne
une modification de l’ensemble. La démarche structuraliste
consiste à expliquer les phénomènes à
partir de la place qu’ils occupent au sein même du système
dans lequel ils sont inclus, suivant des lois d’association
ou de dissociation. Le structuralisme a une approche « synchronique
» , où la coexistence des divers éléments
au sein d’un même ensemble, et ce au même moment,
peut fournir l’intelligibilité des phénomènes
étudiés. Cette démarche s’opposait à
l’approche « diachronique » basée sur l’étude
de l’histoire, sur la genèse de chaque partie prise
séparément. Cette approche s’opposait au marxisme
comme analyse fonctionnant à partir de l’étude
de l’histoire.
Une autre approche tend à disqualifier le sujet
: le tournant linguistique.
Le tournant linguistique est une démarche, qui considère
que toute recherche théorique doit s’intéresser
principalement au langage ou au discours et ce du point de vue logique.
Il se traduit par un privilège accordé au langage
dans l’examen des problèmes philosophiques, autant
que dans l’analyse du statut de la philosophie elle-même.
Cet aspect de la philosophie est donc centré sur la question
des règles en répudiant toute approche faisant appel
au sujet.
Le tournant linguistique amène naturellement à faire
porter l’accent sur les jugements analytiques de la grammaire
philosophique. Rorty, par exemple, propose d’abandonner les
problèmes philosophiques afin de se tourner vers l’analyse
du langage pour faire apparaître de nouveaux problèmes.
Voici un extrait de ses positions :
« À l’instar des philosophes dits « post-modernes
» et des pragmatiques auxquels je m’associe, on peut
tenir pour négligeable les questions traditionnelles de la
métaphysique et de l’épistémologie, parce
qu’elles n’ont aucune utilité sociale... James
considérait que « le vrai est simplement ce qui est
bon en matière de croyances » ... La distinction philosophique
entre justification et vérité ne me semble pas avoir
de conséquences pratiques. Et c’est la raison pour
laquelle les pragmatistes jugent que ce n’est pas la peine
d’y réfléchir » . ( )
Le linguistic turn est une démarche philosophique, qui considère
que toute recherche philosophique doit d’abord s’intéresser
au langage et au discours, qui deviennent donc les principaux objets
d’étude. Cela est justifié épistémologiquement
étant donné que l’on travaille sur des textes
et que la réalité analysée n’est accessible
que par la médiation du langage. Dans cette optique, la philosophie
n’appréhende en fait que la représentation discursive
de la réalité.
Selon ce courant, loin d’être le discours surplombant
tous les autres, la philosophie est un effet de langage comme tous
les autres discours, dont la vérité des performances
n’est jamais vraie ou fausse en soi, mais résulte du
consensus qu’elle entraîne dans une conjoncture intellectuelle
donnée. La notion de convention revient sur le devant de
la scène philosophique. La philosophie doit abandonner l’illusion
d’atteindre l’objectivité universelle.
Le tournant linguistique prône une analyse formelle qui permet
de présenter, par exemple, le droit comme un véritable
phénomène linguistique et d’envisager de subsumer
les normes liées aux règles de langage. Il place le
langage et son étude, au centre des préoccupations
en exigeant qu’il soit l’objet de toutes les recherches.
On peut considérer que tout est ramené sous la coupe
des sciences du langage. L’idée de validité
formelle indépendante des contenus devient centrale.
La définition logicienne de la notion d’interprétation
insiste sur le fait qu’un énoncé intervient
dans un contexte précis. Le tournant linguistique promeut
le langage comme instance objective, il maintient la psychologie
à distance de la logique, la subjectivité loin du
logique. L’évacuation du sujet s’opère
parce que toute la dimension temporelle de l’appréhension
subjective de la signification s’évanouit et toute
référence au classique temps subjectif disparaît.
La langue est vue comme un système. Dans ce système,
les textes et les mots qu’il contient constituent des données
objectives sur lesquelles il est possible d’appliquer des
méthodes scientifiques. On peut citer deux méthodes
utilisées par l’approche liée au linguistic
turn : la sémantique différentielle et la sémantique
distributionnelle. Il s’agit de l’étude des occurrences
dans deux des méthodes utilisées par ce courant. La
terminologie relève de fait des sciences du langage.( ) Les
débats sur le sujet ne sont plus à l’ordre du
jour.
II / La raison
Le sujet moderne n’est pas séparable de la raison.
Le sujet de la modernité se connaît lui-même
et connaît le monde au travers de la raison. La rationalité
permet d’accéder à l’objectivité.
Le mode de connaissance mis en œuvre par le sujet rationnel,
c’est la science. C’est elle qui peut fournir des vérités
universelles sur le monde, indépendamment du sujet. Le savoir
produit par la science est considéré comme la vérité.
Pour la modernité, l’articulation entre le savoir et
la vérité conduira l’humanité vers le
progrès. Les hommes et la société sont perfectibles.
Les institutions humaines et les pratiques peuvent être analysées
par la raison et être améliorées.
La raison est le juge ultime du vrai, elle permet de savoir ce
qui est juste, ce qui est bon et par voie de conséquence
ce qui est légal, légitime et moral. La liberté
consiste à obéir aux lois, qui sont conformes aux
savoirs découverts par la raison.
La science est donc le paradigme de toutes les formes de savoir.
La science est neutre et objective. Les scientifiques, ceux qui
développent ce savoir avec leurs capacités rationnelles,
doivent être libres de suivre les lois de la raison et ne
pas être motivés par d’autres préoccupations,
comme la recherche de la richesse ou du pouvoir.
Le langage, comme mode d’expression utilisé pour créer
et diffuser le savoir, est rationnel. De ce point de vue, le langage
est transparent, il représente le monde.
Une des caractéristiques centrales de la modernité
est bien la référence à la raison. La raison
est vue comme une totalité transcendante. La modernité
trouve sa spécificité et sa légitimité
dans cette autoaffirmation de la raison. En tant que concept philosophique,
la modernité est le projet d’imposer cette norme rationnelle
à la société.
La modernité apparaît dans ses principes comme un
mélange articulant de façon harmonieuse la raison
critique, la valorisation du sujet rationnel, la mise en avant de
sa liberté et sa responsabilité. Le souci du progrès
social est lié à deux facteurs :
- Les avancées de la science et de la technique ;
- le développement de la démocratie.
La modernité est la poursuite de l’idéal développé
par les philosophes des Lumières. C’est la lutte contre
l’arbitraire de l’autorité, le combat contre
les préjugés et contre les contingences de la tradition
avec l’aide de la raison. La modernité, c’est
vouloir donner à la raison la légitimité en
politique, dans la culture et au niveau symbolique. Il s’agit
de remplacer la divinité ou la tradition des anciens par
une autorité venant de l’homme lui-même, à
condition qu’il soit guidé par des principes universalisables
et qu’il ne soit pas assujetti à ses penchants passionnels
ou à ses intérêts. Fondée sur la raison,
la modernité veut établir des mécanismes de
contrôle afin que le sensible ou la violence ne gouverne pas
les actions humaines.
La pensée moderne trouve de nouveaux fondements dans ses
valeurs d’efficacité technique ou instrumentale et
de liberté. Elle valorise les pouvoirs de notre raison. La
pensée moderne va trouver en elle-même les nouveaux
fondements métaphysiques qu’elle recherche. Cela signifie
qu’on attribue à la subjectivité un rôle
fondamental dans le processus de la connaissance. Autrement dit,
la vérité ne correspond plus ni à une révélation
divine ou mystique, ni à une croyance très ancienne.
Dans la période moderne, on admet comme vérité
uniquement ce qui peut faire l’objet d’un examen critique
par la raison, après une démonstration strictement
rationnelle. Le concept de modernité philosophique désigne
cette manière de penser ainsi que la hiérarchie de
valeur qui en découle. On peut donc dire de cette époque
qu’elle est l’ère de la raison triomphante. Descartes
avait fixé le programme :
« … nous rendre comme maîtres et possesseurs
de la nature » ( )
L’autonomie de la raison constitue le trait saillant de la
pensée moderne.
À l’inverse, la postmodernité semble être
le règne du sensible, de l’émotion et de la
doxa.
L’éloge de la raison sensible est le titre d’un
livre de Michel Maffesoli. La présentation de l’éditeur
est significative :
« L’éloge de la Raison sensible est un véritable
traité de déchiffrement du monde contemporain qui,
aux raisons de la Raison raisonnante, oppose les intuitions et les
fulgurances de la Raison sensible. Une manière d’approcher
le réel dans sa complexité fluide, de dresser une
topographie de l’aléa et de l’incertain, de suivre
les lignes de fusion et d’effervescence du social, et de percevoir
la rumeur assourdie des redistributions de la vie collective. Livre
de méthode, l’éloge de la Raison sensible pourra
aussi se lire comme le nouveau bréviaire de l’esprit
du temps. » .( )
Michel Maffesoli a beaucoup écrit sur la postmodernité,
c’est devenu sa spécialité. [note de fin b]
Il observe et décrit le réel postmoderne sans le critiquer.
Il a une posture typique des intellectuels postmodernes. Le philosophe
moderne était un intellectuel législateur. L’intellectuel
postmoderne accompagne et interprète. L’analyse de
Bauman à ce sujet me paraît justifiée. Il parle
même de décadence des intellectuels sur ce point. (
)
L’émotion est réhabilitée :
« Le quotidien et ses rituels, les émotions et passions
collectives, symbolisées par l’hédonisme de
Dionysos, l’importance du corps en spectacle et de la jouissance
contemplative, la reviviscence du nomadisme contemporain, voilà
tout ce qui fait cortège au tribalisme postmoderne. »
( )
La doxa est une valeur très prisée dans la postmodernité,
que ce soit pour vendre des objets ou pour exercer le pouvoir. Les
sondages d’opinion la mesurent régulièrement.
Selon les variations de ce baromètre, les discours politiques
évoluent. La notion de communication est corollaire de cet
aspect de la postmodernité. La communication, dans la période
postmoderne, ne veut pas dire échange et discussion en raison,
mais présentation et diffusion de masse sous le meilleur
angle possible. Sans être excessif, il est possible de considérer
cette communication comme une variante de la publicité.
Nous ne sommes plus dans l’idéal moderne. Mais, nous
ne sommes pas revenus à une période antérieure
à la modernité. Il s’agit bien d’une nouvelle
époque.
III / La démocratie
Le concept de démocratie était important pour la
modernité. Dans le contexte postmoderne, la notion de démocratie
ne fait pas débat. Elle est mise en œuvre et la philosophie
n’aborde pas ce sujet en tant que tel. Personne ne semble
vouloir revenir en arrière. Ce qui peut faire débat,
c’est le fait qu’elle est limitée. Par exemple,
toutes les personnes qui vivent en France n’ont pas le droit
de vote. La citoyenneté politique est liée à
la nationalité, donc qui n’a pas la nationalité
française n’est pas un citoyen à part entière.
Il existe un autre point de discussion sur la démocratie
dans le cadre de la postmodernité, il s’agit de savoir
si notre démocratie n’est pas un peu formelle et trop
liée aux médias. La crise du sens, la perte des repères
sont très vite associées à l’analyse
de la démocratie postmoderne. Ces éléments
sont marqués d’un certain pessimisme. L’élan
des Lumières a perdu sa force en se réalisant.
D’autre part, la question politique est abordée de
façon plus complexe. Il ne s’agit plus de s’opposer
à des modes de gouvernement non démocratiques, mais
de penser la crise de la démocratie. Par exemple, l’analyse
de Toni Négri montre que la postmodernité est caractérisée
par l’interpénétration de l’économie,
de la politique, du social et de la culture. C’est pour cette
raison, que le concept de biopolitique est jugé pertinent.
( ) La nature du pouvoir a changé et la démocratie
avec. Négri utilise la notion de « biopouvoir »
pour qualifier la domination postmoderne et le concept de «
biopolitique » pour parler des résistances de la multitude
à ce biopouvoir. ( )
Les analyses liées à la postmodernité se consacrent
à la compréhension du pouvoir, à son fonctionnement,
ses relais. Le caractère démocratique est questionné
au travers d’autres concepts comme celui de biopolitique,
celui de l’ethnocentrisme ou celui du genre. Les questions
se sont déplacées pour aller au-delà de la
forme autoritaire ou non des institutions politiques. Par exemple,
Michel Foucault intitule un de ses livres Surveiller et punir. Il
montre comment la punition est passée des châtiments
corporels à l’encadrement des comportements, à
la morale, au contrôle des esprits. ( ) Sa généalogie
le conduit à étudier le dispositif du panoptique de
Bentham.
Derrière la façade démocratique, Foucault
met en évidence la surveillance. Il développe une
théorie sur la « microphysique du pouvoir » .
Le pouvoir devient un système relationnel. Bentham était
un moderne, un utilitariste, qui visait le bonheur du plus grand
nombre. Foucault montre que le dispositif panoptique est devenu
un modèle pour l’école, l’usine, l’armée.
Ces analyses aboutiront à la notion de « société
de surveillance » .
IV / L’universalité
Pour la modernité, le concept d’universalité
est fortement lié à la raison. La raison est partagée
par tous les êtres humains. La raison peut s’élever
au-dessus des situations particulières pour ne retenir que
ce qui est fondé en raison. La raison pouvait servir de point
d’appui au progrès et conduire au bonheur de l’humanité.
L’universel et la raison pouvaient penser réaliser
le vrai, le bien, le beau pour tous les humains. L’éducation
a un rôle fondamental, c’est par l’éducation
que les humains peuvent accéder à l’universalité
et se penser dans l’unité du genre humain par-delà
leurs particularités.
Les critiques de la postmodernité voient cette universalité
comme une utopie, un idéal qui cache l’ethnocentrisme
et le colonialisme impérialiste.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
a fait voler en éclats l’universalisme occidental.
Louis Sala-Molins rappelle que l’esclavage était contemporain
des Lumières et que le Code Noir était un texte «
moderne » ( ) :
« Il faut mettre en évidence que la référence
des Lumières, du point de vue de l’anthropologie, est
Buffon, qui établit une hiérarchie des races en plaçant
les Blancs en haut et les Noirs en bas. » ( )
Dans ce code les esclaves sont assimilés à des biens
mobiliers.
« Le Code entérine l’esclave comme une personne
de non-droit, voire très souvent comme un objet. Par exemple,
l’article 44 déclare « les esclaves être
meubles. » (au sens notarial du terme)
L’article 44 :
« Déclarons les esclaves être meubles et comme
tels entrer dans la communauté, n’avoir point de suite
par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers,
sans préciput et droit d’aînesse, n’être
sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager,
aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités
des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas
de disposition à cause de mort et testamentaire… »
( )
Sala Molins fait remarquer que les Lumières sont en contradiction
avec leurs propres présupposés :
« Ce schéma est en radicale contradiction avec le
soubassement épistémologique des philosophes des Lumières.
» ( )
Face à l’universalisme ethnocentré, la postmodernité
propose un relativisme culturel pour reconnaître qu’aucune
culture n’est supérieure à une autre. C’est
la notion de « différence » , qui a été
mise en avant. L’argument relativiste remarque que notre jugement
sur une autre culture est émis depuis notre propre culture,
depuis notre vision du monde particulière. Admettre la relativité
des cultures et des productions humaines n’implique pas obligatoirement
de devenir totalement relativiste, en particulier sur le plan moral.
La question du relativisme est un débat récurrent
dans la postmodernité, c’est l’un des enjeux
de ce travail.
C’est le passage du constat de la relativité des cultures
au relativisme comme idéologie qui est source de difficultés.
L’idéologie relativiste défend l’idée
qu’il n’y a pas de vérité et s’appuie
sur la difficulté à établir la vérité
dans le champ qui étudie les comportements humains et la
culture humaine. Les critiques sur le caractère absolu de
la vérité conduisent à admettre que nous devons
accepter de n’avoir accès qu’à des vérités
relatives. L’idéologie relativiste s’appuie également
sur le tournant linguistique et le structuralisme, entre autres.
Dans le champ des sciences humaines, diverses théories et
études montrent facilement le poids du langage dans nos productions
culturelles et l’importance du caractère conventionnel
de celles-ci. La conclusion qui en a été tirée,
dans le cadre du relativisme, c’est qu’il n’y
aurait que des faits linguistiques et jamais de vérité
au sens où on l’annonçait auparavant, en particulier
dans les sciences de la nature.
Le débat sur l’universalité demande de nuancer
l’argumentation. L’universalité étant
entendue dans le sens où il est possible de penser une validité
générale pour tous les humains. Il faut alors préciser
pourquoi nous refusons le relativisme et nous défendons la
relativité. Le relativisme est donc un ensemble de théories,
qui refusent l’absolu et la supériorité d’une
vérité par rapport à une autre. La première
forme très connue du relativisme a été celle
des sophistes grecs, qui ont mis en évidence la relativité
des coutumes et des lois ainsi que leur aspect conventionnel. Le
relativisme absolu, qui a pris la forme du scepticisme radical,
a été rejeté parce qu’il outrepasse les
limites de la raison. En s’affirmant, il nie le principe de
raison, qui lui permet d’énoncer le doute radical.
Il utilise la certitude pour nier toute possibilité de certitude.
Actuellement, la forme la plus répandue du relativisme est
celle qui énonce que « tout se vaut ! » . La
relativité, quant à elle, admet que le relatif existe.
La relativité existe dans l’histoire humaine et entre
les cultures, mais ceci n’implique pas d’accepter l’absence
de valeurs universelles pour l’humanité comme la liberté,
l’égalité et la justice ou la solidarité.
Valeurs, qui n’existent que si des humains ou des groupes
d’humains essaient de les mettre en œuvre. C’est
un choix, une décision qui s’appuie sur l’histoire
humaine, qui n’a pas de fondement transcendant. Le combat
contre le relativisme a surtout été mené historiquement
au nom de la transcendance de la vérité. C’était
un discours qui acceptait la hiérarchie des êtres et
essayait de la fonder par la métaphysique. Ici, l’universalité
est de l’ordre du postulat.
Aujourd’hui le relativisme admet les résultats de
l’histoire de la philosophie, qui reconnaît l’impossibilité
à démontrer le fondement en raison. Le relativisme
se sert de cet acquis pour dire que, l’absolu n’existant
pas, l’état de fait peut continuer. Le relativisme
postmoderne est encore une fois un relativisme ethnocentré
et socialement marqué. C’est une théorie qui
permet aux dominants de continuer à justifier leur domination.
Ce relativisme se sert du relativisme culturel pour nier toute référence
à l’universalisme, il se pare de la critique de l’ethnocentrisme
pour maintenir, par l’utilisation de la différence,
une hiérarchie fondée sur la culture. Il n’est
relativiste qu’en apparence, car il juge par rapport à
son propre centre de valeur, qu’il considère implicitement
comme supérieur.
Cette nouvelle version du droit du plus fort ne peut s’affirmer
ouvertement, alors elle passe par le relativisme et la culture.
Il y a donc eu un renversement dans la justification de la hiérarchie,
nous sommes passés de la nature à la culture, de la
métaphysique au relativisme postmoderne. De notre point de
vue, avec la relativité nous pouvons penser un rapport entre
l’universel et la singularité des situations, entre
l’unité humaine et sa diversité. Je pense qu’un
auteur comme Eduardo Colombo synthétise bien cette problématique
et ses enjeux :
« On ne peut pas affirmer que « les valeurs »
sont universelles, mais nous pouvons dire que certaines valeurs
doivent être postulées comme universelles et d’autres
reconnues comme relatives à des situations historiques ou
locales particulières (…)
« Quand on a perdu toute garantie métaphysique, lorsqu’on
a accepté l’auto-référence généralisée
du socio-historique, la pensée est obligée de travailler
avec la tension constante qui s’établit entre l’unité
et la diversité. La pensée critique, libérée
de l’hétéro-référence, est une
conquête fondamentale de l’humanité toute entière,
même si cette conquête a eu lieu à un moment
donné de l’histoire européenne et à partir
d’une formidable lutte contre le pouvoir politico-religieux.
L’absence de certitudes fondamentales (le relativisme radical),
exige une vision universaliste qui ne peut être affirmée
sans expliciter les valeurs qui soutiennent cette vison. C’est
alors qu’au lieu de croire dans un fondement sacré
des valeurs, l’homme doit affronter l’idée qu’il
est le créateur de ses valeurs et accepter la tâche
inconfortable de maintenir l’esprit critique sur ces valeurs
mêmes. » ( )
Reconnaître que l’humanité est multiple est
un des éléments de base de la postmodernité.
Le débat sur le relativisme a, entre autres, des incidences
pour la philosophie politique. Il s’agit soit de maintenir
un état de fait inégal, injuste et injustifiable,
soit de pouvoir penser la possibilité de l’égalité
et de la justice.
V / La science
Pour la modernité, la science est le modèle de la
connaissance. Ce sont la science et la technique, qui sont la base
du progrès. L’efficience et la maîtrise s’appuient
d’abord sur un modèle mécaniste.
Dans le cadre de la postmodernité, le concept de technoscience
est plus pertinent, la recherche est orientée vers le développement
technique. Il est devenu difficile de séparer les deux domaines.
Un des modèles postmodernes est celui des ordinateurs et
du réseau. Il est appréhendé comme un ensemble
computationnel et connexionniste. Dans ce cadre, le vivant et les
relations humaines sont envisagés sous l’angle de systèmes
d’informations. Une des sources de ce modèle est la
cybernétique.
« La cybernétique est une science du contrôle
des systèmes, vivants ou non-vivants, fondée en 1948
par le mathématicien américain Norbert Wiener. Notre
monde est intégralement constitué de systèmes,
vivants ou non-vivants, imbriqués et en interaction. Peuvent
ainsi être considérés comme des « systèmes
» : une société, une économie, un réseau
d’ordinateurs, une machine, une entreprise, une cellule, un
organisme, un cerveau, un individu, un écosystème...
» ( )
L’adjectif computationnel est conçu à partir
du terme anglais de traitement par ordinateur, le « computer
» :
« Le traitement computationnel est une opération qui
est effectuée sur des symboles, c’est-à-dire
sur des éléments qui représentent ce à
quoi ils correspondent. La notion en jeu ici est la représentation,
ou l’intentionnalité, terme du philosophe pour la qualité
de ce qui est à propos de quelque chose » (Varela 1996).
[note de fin c]
Pas de computation sans représentation : « L’hypothèse
cognitiviste prétend que la seule façon de rendre
compte de l’intelligence et de l’intentionnalité
est de postuler que la cognition consiste à agir sur la base
de représentations qui ont une réalité physique
sous forme de code symbolique dans un cerveau ou une machine »
(Varela 1996). ( )
L’approche connexionniste est un développement du
modèle computationnel pour essayer d’en dépasser
les limites.
« L’approche connexionniste utilise une stratégie
qui consiste à construire un système cognitif en partant
de composants simples susceptibles de se relier entre eux par des
connexions. L’idée de base est que pour résoudre
des problèmes, la pensée humaine ne procède
pas par une suite de déductions logiques ; c’est de
l’interaction entre micro-unités d’information
qu’émerge une solution. » ( )
Un des objectifs est de comprendre le fonctionnement du cerveau.
Nous sommes à la fois dans la continuité du projet
moderne et dans des modélisations, qui ont rompu avec le
mécanisme de la modernité. La complexité des
phénomènes étudiés impose de nouvelles
hypothèses.
Le modèle connexionniste est aussi une façon de voir
et de développer les liens entre les humains. Exister avec
et par le réseau est devenu un mode d’être de
la postmodernité. C’est ce qu’explique Raphael
Josset du Groupe de Recherche sur la Technique et le Quotidien de
l’université de la Sorbonne dans son article Hardcore
: vers une socio-anthropologie de l’underground postmoderne
:
« La structure en réseau est le type d’agrégation
sociale caractéristique de la socialité postmoderne.
Elle renvoie à la métaphore dionysiaque de la confusion
: les choses, les gens, les représentations se répondent
par un mécanisme de proximité. Ces éléments
se contaminent de proche en proche créant la réalité
sociale, où par une suite de chevauchements, d’entrecroisements
multiples, se constitue un réseau des réseaux. Un
espace où tout cela se conjugue, se multiplie et se démultiplie
formant des figures kaléidoscopiques aux contours changeants
et diversifiés » .
(…) « Contre les systèmes centrés à
communication hiérarchique et liaisons préétablies,
le Rhizome est un système acentré, non hiérarchique
et non signifant, sans Général, sans mémoire
organisatrice ou automate central, uniquement défini par
une circulation d’états. » ( )
Nous sommes donc une nouvelle fois dans l’intrication entre
les différents domaines de la société postmoderne.
La technoscience, la culture et le social n’ont pas de frontières
étanches. Les influences fonctionnent dans tous les sens.
La philosophie politique utilise la notion de biopolitique pour
analyser cette politique qui prend la vie, toute la vie.
Chapitre II
De quelques expressions de la postmodernité dans l’art
et dans les sciences humaines : philosophie, sociologie et psychologie.
I / La postmodernité en architecture
Les premières références à la postmodernité
ou au postmodernisme viennent de l’architecture. L’architecte
anglais Charles Jenks publie son livre Le langage de l’architecture
postmoderne en 1979. Dès la première phrase, il annonce
:
« L’architecture moderne est morte à Saint Louis,
Missouri, le 15 juillet 1972, à 15 heures 32 » . (
)
Cet événement est symboliquement important. En effet,
c’est ce jour-là et à cette heure précise
qu’un grand ensemble d’habitations fut détruit
par implosion. Près de cinq cent mille mètres carrés
de logements sociaux avaient été construits pour loger
des Américains pauvres. De plus, cet ensemble avait été
primé en 1951 par le Congrès international d’architecture
moderne. Pruitt-Igoe a été dessiné en 1951
par l’architecte nippo-américain Minoru Yamasaki, sa
construction s’est achevée en 1956. Il était
constitué de 33 immeubles de onze étages et comportait
2870 logements. Il avait été édifié,
selon les strictes règles transmises par les théories
fonctionnalistes de la modernité, comme beaucoup d’autres
de par le monde.
Le postmodernisme en architecture ne veut plus appliquer les principes
de Le Corbusier ou du Bauhaus. C’est une rupture avec l’académisme
moderniste qui le précède. L’architecture refuse
le seul fonctionnalisme, le postmodernisme souhaite pouvoir faire
des reprises du passé. Ce courant esthétique a le
goût des citations. L’un des exemples en France d’architecte
postmoderne est Ricardo Bofill. Celui-ci assume son postmodernisme.
Des exemples de ses réalisations architecturales sont publiés
sur la page internet que l’encyclopédie Wikipedia lui
consacre. ( )
L’architecture postmoderne est éclectique, hybride,
elle utilise les compromis, elle est parfois étrange ou ambiguë,
choquante voire provocatrice, quelquefois conventionnelle et redondante.
Elle cherche l’originalité et la fantaisie, elle refuse
les formes pures, logiques, nécessaires, articulées,
impersonnelles, simples et rationnelles.
Ces premiers pas, revendiqués et assumés ouvertement
par le postmodernisme, ne se reconnaissent plus dans les avant-gardes.
Le mouvement des avant-gardes se présentait toujours comme
le dernier moment du progrès ou le nec plus ultra de la critique.
C’était un combat incessant pour se renouveler, pour
inventer de nouvelles formes et de nouveaux contenus. Mais, la foi
en un progrès dans l’art ne fonctionne plus très
bien. L’art prend en compte l’échec de la modernité.
Celui-ci pouvait viser la consolation par l’accès à
de bonnes formes, par des présentations nouvelles. La notion
de représentation est en crise, ce constat ne fait plus débat.
La consommation prend le dessus sur la promesse d’émancipation.
La culture de masse accepte le kitsch. Dans ce cadre, la jouissance
est à l’ordre du jour. L’œuvre postmoderne
doit trouver son public quel que soit son niveau de culture, elle
doit séduire. Cette option est l’inverse de la vision
moderne, où l’œuvre vise le sublime. Pour la modernité,
le public est invité à s’élever au niveau
de l’œuvre d’art. Dans la postmodernité,
les productions culturelles descendent vers le public. L’exemple
du pop art est symptomatique, il est en phase avec la consommation
de masse, dont il reprend les emblèmes.
L’art, dans la postmodernité, ne serait possible que
parce qu’il est séparé d’une réalité
irreprésentable, c’est la thèse défendue
par Jean-François. Lyotard. L’insoutenable légèreté
de l’être postmoderne serait une réponse à
l’insupportable spectacle de la mort de la modernité.
Gianni Vattimo dans son livre de 1980 sur La fin de la modernité
parle des différentes formes que prend la mort de l’art
:
« Comme utopie de la réintégration, comme esthétisation
de la culture de masse, comme suicide et silence de l’art
authentique. »
Il analyse ainsi le passage à la postmodernité :
« La fin de la modernité n’est pas une fin d’achèvement,
mais une fin de rémission dont on attend convalescence et
rétablissement. Elle survient lorsque l’utopie se démarque
elle-même et non lorsqu’elle échoue, lorsque
l’art de la culture de masse devient kitsch, lorsque le sentiment
de désespoir sur l’humaine condition aboutit au silence
» . ( )
Dans cette perspective, les œuvres d’art auront toujours
quelque chose d’inachevé. On retrouve ici l’incomplétude
du paradigme paradoxal. La particularité l’emporte
sur l’universel. Les différences cohabitent sans idéal
d’unité ou de fraternité. Le patchwork et la
mosaïque sont devenus des formes banales. L’expérimentation,
la parcellisation, l’éclectisme, la parodie sont la
règle. L’art éphémère, la performance,
qui ne durent que le temps de leurs réalisations, sont postmodernes.
Comme l’œuvre ne parle plus par elle-même, elle
est souvent accompagnée d’une parole pour expliquer
le travail de l’artiste.
Jean-François Lyotard parle du postmoderne comme du degré
zéro de la culture générale contemporaine :
« On écoute du reggae, on regarde du western, on mange
du McDonald à midi et la cuisine locale le soir, on se parfume
parisien à Tokyo, on s’habille rétro à
Hong Kong, la connaissance est matière à jeux télévisés.
En se faisant kitsch, l’art flatte le désordre qui
règne dans le « goût » de l’amateur.
L’artiste, le galeriste, le critique et le public se complaisent
dans le n’importe quoi, l’heure est au relâchement.
» ( )
Ce jugement de 1982 est sévère. Nous le prenons comme
un jugement de tendance sur l’orientation générale
liée à la société postmoderne. Il existe
des formes d’art, des œuvres qui échappent à
ce constat. L’art reste toujours un lieu de vérité
pour certains des artistes ou écrivains et le public n’est
pas toujours englué dans la médiocrité et la
consommation. La postmodernité est aussi synonyme d’ouverture
et permet de fait à ces artistes de s’exprimer, même
s’ils ne sont pas connus du grand public et ne sont pas célébrés
par les médias.
Lyotard complète son analyse en remarquant que le règne
du « n’importe quoi » est celui de l’argent.
( ) Selon cette approche, la postmodernité est liée
à la société postindustrielle. La postmodernité
est le résultat de la modernité : accélération
du temps, contraction de l’espace, revendication de la liberté
individuelle, entre autres. Ce qui conduit à analyser le
postmodernisme comme une expression artistique du capitalisme tardif.
C’est la thèse de Fredric Jameson. Cette nouvelle étape
du développement du capitalisme est celle de l’informatique,
de la technologie, du numérique, de l’hédonisme,
de l’individualisme, du ludique, de la télévision.
La culture et le savoir sont des marchandises banalisées.
Il existe un mélange commercial entre l’image et la
culture de masse, les parcs d’attraction, la publicité,
les médias.
Fredric Jameson établit une correspondance entre l’art
postmoderne et ce qu’il nomme le capitalisme tardif. Alex
Allinicos dans son article Postmodernisme : un diagnostic critique
explique ainsi la démarche de cet auteur :
« …. Jameson utilise le travail d’Andy Warhol,
en particulier, pour isoler ce qu’il considère comme
les traits particuliers de l’art postmoderne – «
une absence de profondeur (depthlessness) nouvelle » , «
la disparition de l’affect » , la fragmentation du sujet
humain, la réduction du passé à une source
inépuisable de pastiches, comme dans la vogue récurrente
des styles rétro et de ce qu’il appelle « le
film de la nostalgie » , une expérience schizophrénique
du monde dans lequel « la perception vive de la différence
radicale » remplace tout sens de relations unificatrices,
« une étrange et nouvelle extase hallucinatoire »
face à un « bond quantique sans précédent
dans l’aliénation de la vie quotidienne dans la ville
» .
Jameson proclame que c’est là l’art caractéristique
d’une phase particulière du développement capitaliste.
Le capitalisme, assure-t-il, est passé par trois phases majeures
depuis qu’il est devenu le système socio-économique
dominant à la fin du dix-huitième siècle. À
chacune de ces étapes a correspondu un genre d’art
particulier. Le premier stade du capitalisme classique, compétitif,
avait comme contrepartie culturelle le réalisme des grands
romanciers du dix-neuvième siècle comme Balzac, Dickens
et Tolstoï. La deuxième phase, le capitalisme monopoliste,
a donné naissance au mouvement moderniste du début
du vingtième siècle – Picasso, Joyce et Le Corbusier.
Au début des années 1960 nous sommes entrés
dans l’ère que Jameson appelle « le capitalisme
tardif ou multinational ou de consommation » , qui est caractérisé,
entre autres, par la pénétration du marché
dans tous les aspects de la vie sociale, …
… La forme la plus pure du capital à être apparue
jusque-là, une expansion prodigieuse du capital dans des
régions jusqu’alors fermées aux marchandises.
Ce capitalisme plus pur de notre époque élimine ainsi
les enclaves d’organisation précapitaliste qu’il
avait tolérées et exploitées jusque-là
sous forme tributaire. On est tenté de parler de ce point
de vue d’une pénétration et d’une colonisation
de la Nature et de l’Inconscient nouvelles et historiquement
originales ; c’est-à-dire la destruction de l’agriculture
précapitaliste du tiers-monde par la Révolution Verte,
et l’ascension des médias et de l’industrie de
la publicité.
La connexion que voit Jameson entre cette nouvelle phase du développement
capitaliste et l’art postmoderne est peut-être la mieux
exprimée par le biais du concept de « distance critique
» . L’art qu’il associe avec les stades primitifs
du capitalisme était sans aucun doute un élément
de la société bourgeoise, mais dirigé de façon
à préserver une distance entre la production culturelle
et le système capitaliste. Ainsi, les réalistes cherchaient
à pénétrer au-delà des apparences de
la vie quotidienne pour parvenir à une vision globale de
la société ; les modernistes, quant à eux,
vouaient un culte à l’œuvre d’art elle-même,
célébrant sa séparation d’avec la normalité
bourgeoise. L’art postmoderne, lui, est caractérisé
par le fait que « la distance en général (y
compris la ‘distance critique’ en particulier) a été
très précisément abolie » , un développement
qui correspond à la façon dont « l’expansion
prodigieuse du capital multinational finit par pénétrer
et coloniser ces enclaves précapitalistes elles-mêmes
(la Nature et l’Inconscient) qui fournissaient des positions
extra-territoriales et archimédiennes au service de l’efficacité
critique » . L’art postmoderne, dérivé,
sans profondeur, vide d’émotion, reflète un
monde social dans lequel tout est devenu marchandise. Jameson trouve
ainsi un « moment de vérité » dans le
concept de Postmodernisme, dans la mesure où il évoque
« ce nouvel espace global original, extraordinairement démoralisant
et déprimant, du capitalisme tardif » . ( ) ( )
Cette analyse est assez pessimiste, mais elle nous semble lucide
sur notre situation où la marchandise et le spectacle prennent
toute la vie. La crise de civilisation, qui est notre présupposé
de départ, est bien celle du développement du capitalisme
contemporain.
II / La postmodernité en philosophie
La philosophie a pris en compte la postmodernité d’une
manière explicite et d’une façon plus silencieuse.
La question a été ouvertement posée par Lyotard
en 1979. Nous aborderons ensuite la déconstruction de Derrida,
le pouvoir selon Foucault, la multiplicité dans l’immanence
de Deleuze.
A / Jean-François Lyotard théoricien de la
rupture
En 1979 paraît le livre de Lyotard La condition postmoderne.
D’emblée ce livre énonce :
« Cette étude a pour objet la condition du savoir
dans les sociétés les plus développées.
On a décidé de la nommer « postmoderne »
. Le mot est en usage sur le continent américain, sous la
plume de sociologues et de critiques. » ( )
L’introduction explique l’intention :
« Le texte qui suit est un récit de circonstance.
C’est un Rapport sur le savoir dans les sociétés
les plus développées qui a été proposé
au Conseil des Universités auprès du gouvernement
du Québec, à la demande de son président »
. ( )
Il s’agit d’un écrit de commande. Lyotard refuse
la qualification d’expert pour assumer sa place de philosophe.
La forme « rapport » n’est pas habituelle en philosophie.
Pourtant, son ouvrage est bien un livre de philosophie. Ce n’est
pas la première fois qu’un philosophe se soumet à
la contrainte d’une commande. Rousseau en 1750 a participé
au concours proposé par l’Académie de Dijon.
Il obtiendra le premier prix pour son Discours sur les sciences
et les arts. Lyotard, lui, n’a pas obtenu de prix, sa célébrité
est liée à la césure qu’il introduit
entre la modernité et la postmodernité dans son Rapport
sur le savoir. Ce texte est structuré de façon classique
: le champ, le problème, la méthode, puis il aborde
les domaines de la nature du lien social, de la pragmatique et de
la fonction des savoirs narratifs et scientifiques, le problème
de l’enseignement et de la recherche puis la question de la
légitimation.
Lyotard, dès l’introduction, situe son propos dans
le cadre des « jeux de langage » . Il propose immédiatement
une définition du concept « postmoderne » :
« En simplifiant à l’extrême, on tient
pour « postmoderne » l’incrédulité
à l’égard des métarécits. »
( )
Nous avons déjà plusieurs éléments
clés de son approche :
- La situation spatio-temporelle :
§ Les pays les plus développés et le contexte
américain ;
- Les jeux de langage ;
- Les métarécits ;
- La crédulité et l’incrédulité
dans ces récits ;
- La légitimation de la science par la philosophie.
Il pense que :
« La science est d’origine en conflit avec les récits.
À l’aune de ses propres critères, la plupart
de ceux-ci se révèlent des fables. Mais, pour autant
qu’elle ne se réduit pas à énoncer des
régularités utiles et qu’elle cherche le vrai,
elle se doit de légitimer ses règles du jeu. C’est
ainsi qu’elle tient sur son propre statut un discours de légitimation,
qui s’est appelé philosophie. » ( )
Le cadre est épistémologique, son analyse prend en
compte l’évolution de la société. Son
premier chapitre s’intitule : « Le champ : le savoir
dans les sociétés informatisées. » La
société « entre dans l’âge dit postindustrielle
et les cultures dans l’âge dit postmoderne » .
( )
Le rôle de la science et le développement des techniques
sont importants dans cette transformation. Le changement technologique
a une influence importante sur la recherche et la transmission des
connaissances. Une certaine logique est commune à la génétique,
la cybernétique, l’informatique, et à la prolifération
des moyens de communications. L’information devient une marchandise.
La valeur d’usage du savoir diminue. Le lien entre le savoir
et le pouvoir est central dans la nouvelle époque :
« La question du savoir à l’âge informatique
est plus que jamais la question du gouvernement » . ( )
Le lien entre le savoir et le pouvoir on le trouve également
chez Michel Foucault. Pour Lyotard, la question de la légitimation
du savoir se pose. La modernité technique est déconnectée
du progrès social. Le lien social devient affaire de «
jeux de langage » . L’interrogation sur la légitimation
du savoir soulève la question de savoir comment prouver la
preuve et qui décide des conditions du vrai. Lyotard constate
que les règles de vérité dans la science sont
immanentes au jeu scientifique lui-même. Ces règles
ne peuvent pas être établies ailleurs qu’au sein
du débat scientifique lui-même. Il n’y a pas
d’autres preuves que les règles sont bonnes, si ce
n’est qu’elles font consensus pour les experts. Dans
le fond, cela s’appuie sur un paradigme. Il existe un lien
entre le savoir scientifique et la classe qui organise l’État
: la bourgeoisie. La validation, la légitimation sont appuyées
sur le récit humaniste des Lumières. Ce métarécit
contient une promesse d’émancipation collective et
individuelle.
Il soutient que l’hégémonie de la rationalité
cybernétique et la pragmatique du savoir scientifique ont
mis à mal la crédibilité des « grands
récits » . Il prend acte de la fin des théories
messianiques exprimées dans le discours émancipateur
de la classe ouvrière ou dans la philosophie des Lumières.
Pour lui, cette disparition va de pair avec le déclin des
grandes catégories sociales porteuses de ces idéaux
qu’étaient les Ètats-nations, les partis politiques,
les institutions et les traditions historiques.
La perte de légitimité est liée à l’histoire
de nos sociétés.
« Auschwitz est le crime qui ouvre la postmodernité
» ( )
(…) « Auschwitz » peut être pris comme
un nom paradigmatique pour « l’inachèvement »
tragique de la modernité. » ( )
La modernité et la technoscience n’ont pas tenu leurs
promesses, elles ont produit beaucoup d’horreurs pendant les
deux guerres mondiales, elles ont accouché de deux totalitarismes
: le nazisme et le stalinisme. Les promesses d’émancipation
ont fait faillite. Lyotard met en cause les récits qui fondaient
et légitimaient la modernité. Il insiste sur la différence
entre la modernité et la postmodernité. Il synthétise
les critiques faites au développement du capitalisme et celles
qui sont portées contre le « socialisme réel
» . Il écrit son livre à un moment où
il a rejeté le marxisme et la psychanalyse. Il va alors travailler
sur les « jeux de langages » et sur Le différend,
titre de son livre de 1983.
La rupture effectuée par Lyotard est un travail sur les
présupposés de la modernité, ce qu’il
nomme les « métarécits » . Il argumente
en étudiant les transformations du capitalisme :
« Quand le pouvoir s’appelle le capital et non le parti,
la solution « transavantgardiste » ou « postmoderne
» au sens de Jenks s’avère mieux adaptée
que la solution antimoderne » . ( )
Sa philosophie est une mise en évidence des implicites de
la modernité. Le développement de la science change
de base avec les mutations du capitalisme. Dans la période
postmoderne, c’est le désir de richesse qui pousse
la visée de savoir. La puissance est l’objet du désir
du maître. Le vrai c’est ce qui est efficace. Les questions
de Lyotard sont un plaidoyer pour un humanisme reconstruit. La postmodernité
est une nouvelle époque du capitalisme, et ce capitalisme
est inhumain. La marchandisation lui paraît un horizon mental
très prégnant. Il est un des premiers à mettre
en évidence les présupposés du capitalisme
postmoderne : le pragmatisme, la marchandisation, la désacralisation
généralisée, l’éclectisme, la
centralité du langage, le délitement du lien social,
etc.
La démarche de Lyotard a un côté paradoxal.
Son point de vue et ses arguments sont critiques, mais en même
temps, il fait exister la postmodernité en la nommant. Sa
parole a eu un aspect performatif. Il est devenu celui qui défend
la postmodernité en l’étudiant. Il est classé
comme l’un des premiers philosophes postmodernes. Son nom
est devenu comme une borne qui signale un avant et un après.
Lyotard appuie son analyse sur les jeux de langage, notion qu’il
reprend de Ludwig Wittgenstein. Il distingue différents types
d’énoncés : dénotatifs, performatifs,
prescriptifs… Énoncés que l’on retrouve
dans les différents jeux de langage. Chaque catégorie
d’énoncé est déterminée par des
règles, qui définissent leurs domaines et leurs usages.
Ces règles n’existent pas en elles-mêmes, elles
sont l’objet d’un consensus. Elles sont le résultat
d’une construction sociale. Pour Lyotard, il apparaît
donc que les grands récits ne sont rien d’autre qu’une
forme particulière de discours. L’erreur est de leur
donner une valeur métaphysique. Il est possible de résumer
cette approche et ce qui en sera retenu ainsi : notre vision du
monde, nos représentations sont des constructions sociales
et linguistiques, qui renvoient à un contexte social de perception.
Cette relativité des jeux de langage est un point central
de l’analyse postmoderne.
Très souvent, la postmodernité est associée
à la relativisation ou est synonyme de relativisme. Les analyses
de Lyotard ont contribué à cette définition.
Sa posture était à la fois critique et participante.
Non seulement il fait exister la postmodernité par son travail
philosophique, mais il a été lui-même un acteur
de l’art postmoderne. Il a organisé l’exposition
« Les Immatériaux » en 1985 au Centre Georges
Pompidou à Paris. Le philosophe est descendu de sa chaire,
il est à la fois théoricien et praticien de la postmodernité.
Nous pouvons y déceler une réminiscence de la praxis
marxiste. D’autre part, le contexte postmoderne est inclusif,
c’est de l’ordre du constat.
B / La déconstruction de Jacques Derrida
Ce philosophe a inventé des concepts : la trace, la différance,
la dissémination, le logocentrisme, le spectre, … L’idée
la plus connue de Derrida est la déconstruction. Il n’aimait
pas les définitions. Il pensait que la signification d’un
texte est le résultat de la différence entre les mots
employés et non pas de la référence aux choses
qu’ils représentent. Il a proposé d’utiliser
le mot « différance » qui combinait la «
différence » et le participe présent du verbe
« différer » : « différant »
. Cette différance a un rôle actif qui travaille en
creux les mots qu’elle met en relation. Il refusait le structuralisme,
mais la déconstruction a été souvent comprise
comme utilisant la recherche des significations obtenues en décomposant
la structure du langage. La déconstruction est un mouvement
producteur de « différance » . Les concepts sont
créés par leur façon de différer. Il
refuse la notion de transcendance et celle de vérité
première. Les concepts ne sont jamais pleinement eux-mêmes,
d’où la notion de « trace » .
Derrida voulait déconstruire la métaphysique occidentale,
qui s’était construite et fondée sur l’être
et sur sa détermination comme présence. La déconstruction
cherche à mettre au jour les présupposés qui
lui sont liés et les apories qu’elle produit. Il veut
aller au-delà des articulations binaires : phénomène
– essence, intelligibilité – sensibilité,
réalité – apparence, culture – nature,
vérité – erreur, authenticité –
artifice, écriture – parole, etc. Il faut éviter
de hiérarchiser, il est plus fécond de contextualiser,
l’important c’est la textualité. La déconstruction
n’est ni une méthode, ni un système philosophique,
elle se situe du côté d’une pratique, une pratique
du texte. Pour lui, il n’y a pas de « hors-texte »
, il faut mettre au jour ce qui sédimente l’événement
de langage :
« Je ne peux donc pas expliquer ce qu’est la déconstruction,
pour moi, sans recontextualiser les choses. » ( )
Il explique que le mot « déconstruction » a
une double origine, qu’il existait avant lui, mais qu’il
n’était pas très utilisé :
« Il m’a d’abord servi à traduire des
mots, l’un venait de Heidegger, qui parlait de « destruction
» , l’autre venait de Freud, qui parlait de «
dissociation » . Mais très vite, naturellement, j’ai
essayé de marquer en quoi, le même mot, ce que j’appelais
déconstruction, n’était pas simplement heideggerien
ni freudien. J’ai consacré pas mal de travaux à
marquer à la fois une certaine dette à l’égard
de Freud, de Heidegger, et une certaine inflexion de ce que j’ai
appelé déconstruction. » ( )
Il proteste contre son assimilation et au structuralisme et au
tournant linguistique :
« J’ai commencé par contester l’autorité
de la linguistique et du langage et du logocentrisme.
(…) C’est un contre-sens incorrigible, apparemment.
» ( )
Jacques Derrida constate le contre-sens. Il nous indique également
la base sur laquelle va se développer ce contre-sens : le
logocentrisme. Le logocentrisme a évolué vers la notion
de « phallocentrisme » , puis vers celle de «
phallologocentrisme » . C’est en travaillant sur le
système métaphysique qu’il propose de le considérer
comme un logocentrisme. La centralité du logos dans la philosophie
le conduit ensuite à considérer la métaphysique
comme le logos de l’homme occidental, d’où la
notion de « phallogocentrisme » . Ce terme sera repris
par Luce Iragaray qui va théoriser un différentialisme
féministe. Ce concept va devenir une sorte d’étendard
féministe, en particulier aux États-Unis. Le thème
de la différence est important dans l’étude
de la généalogie de la postmodernité et la
discussion sur les enjeux de sa définition.
Nous nous trouvons donc avec deux approches : celle de Derrida
lui-même et celle qui s’est développée
à partir de sa démarche. Il essaie d’expliquer
sa position ainsi :
« Si je voulais donner une description économique,
elliptique de la déconstruction, je dirais que c’est
une pensée de l’origine et des limites de la question
qu’est-ce que ?..., la question qui domine toute l’histoire
de la philosophie. Chaque fois que l’on essaie de penser la
possibilité du qu’est-ce que ?.., de poser une question
sur cette forme de question, ou de s’interroger sur la nécessité
de ce langage dans une certaine langue, une certaine tradition,
etc., ce qu’on fait à ce moment-là ne se prête
que jusqu’à un certain point à la question «
qu’est-ce que ? » .
C’est ça, la différence de la déconstruction.
Elle est en effet une interrogation sur tout ce qui est plus qu’une
interrogation. C’est pour ça que j’hésite
tout le temps à me servir de ce mot-là. Elle porte
sur tout ce que la question « qu’est-ce que ? »
a commandé dans l’histoire de l’Occident et de
la philosophie occidentale, c’est-à-dire pratiquement
tout, de Platon à Heidegger. De ce point de vue, en effet,
on n’a plus tout à fait le droit de lui demander de
répondre à la question « qu’est-ce que
tu es ? » , « qu’est-ce que c’est ? »
sous une forme courante. »
En 2001, Antoine Spire lui demande si « au fond, déconstruire,
c’est philosopher ? » . ( ) Jacques Derrida avait déjà
essayé de préciser sa pensée en 1992 presque
dix ans auparavant :
« … la déconstruction, l’expérience
déconstructive se place entre la clôture et la fin,
dans la réaffirmation du philosophique, mais comme ouverture
d’une question sur la philosophie elle-même. De ce point
de vue, la déconstruction n’est pas simplement une
philosophie, ni un ensemble de thèses, ni même la question
de l’Être, au sens heideggérien. D’une
certaine manière, elle n’est rien. Elle ne peut pas
être une discipline ou une méthode. Souvent, on la
présente comme une méthode, ou on la transforme en
une méthode, avec un ensemble de règles, de procédures
qu’on peut enseigner, etc.
Ce n’est pas une technique, avec des normes ou des procédures.
Bien entendu, il peut y avoir des régularités dans
les manières de poser un certain type de questions de style
déconstructif. De ce point de vue, je crois que cela peut
donner lieu à enseignement, cela peut avoir des effets de
discipline, etc. Mais, en son principe même, la déconstruction
n’est pas une méthode. » ( ).
Pourtant, malgré les protestations de Derrida, la déconstruction
est devenue une attitude méthodologique. L’origine
de ce devenir est certainement liée à la méfiance
vis-à-vis de la vérité développée
par sa démarche philosophique :
« Le scepticisme déclaré et souvent réitéré
de Derrida à l’égard du concept de vérité
a certainement contribué à entourer ses écrits
d’une aura sulfureuse, tout autant que la violence implicite
du terme « déconstruction » . Certes, cette méfiance
à l’égard du langage a rendu le déconstructeur
particulièrement habile à dépister dans certains
discours les traces d’un « logocentrisme » , d’une
« parole pleine » , au moyen de laquelle l’énonciateur
chercherait à s’imposer comme le détenteur de
la Vérité. Mais ce relativisme a aussi ouvert la porte
à toutes les dérives. En faisant un axiome de l’itérabilité
du texte, « structure de répétition [qui] ne
se laisse pas dominer par la valeur de vérité »
, Derrida débouche sur des affirmations lourdes de conséquences,
notamment en ce qui a trait à la responsabilité du
scripteur … » ( )
La posture liée à la déconstruction insiste
maintenant sur les opérations de construction de la réalité.
Elle s’interroge sur les présupposés et les
implications, sur « la vérité » des connaissances
produites par le discours dit « objectif » . L’attitude
déconstructiviste interroge les représentations et
des « visions du monde » . La question de la construction
historique des instruments d’appréhension de la réalité,
de leur légitimité, et de leur justification est posée.
Il s’agit alors de mettre au jour les processus de réification,
d’idéologisation, de rationalisation, de méconnaissance,
de reconstruction discursive. Nous retrouvons les « jeux de
langage » et la méfiance à l’égard
des constructions sociales déjà rencontrés
dans le sillage de Jean-François Lyotard. La déconstruction
est devenue synonyme d’attitude critique vis-à-vis
des énoncés qui justifient la domination sous toutes
ses formes. Maintenant, nous rencontrons la déconstruction
partout. Le contre-sens incorrigible dénoncé par Derrida,
créateur du concept, est massif dans la postmodernité.
Derrida a gagné et perdu en même temps, ce qui est
typiquement postmoderne. La déconstruction a été
adoptée par la société, mais entre-temps elle
a changé de sens.
La notion de « différence » , est un thème
très présent chez Derrida, la différence est
devenue une des bases de la postmodernité. Le droit à
la différence est une demande banale aujourd’hui. La
fragmentation sociale qui en résulte est une caractéristique
de notre période postmoderne.
Derrida ne voulait pas devenir un intellectuel législateur,
il ne l’a pas été. Il échappe en partie
au modèle de Bauman, qui décrit les théoriciens
modernes comme des législateurs et les postmodernes comme
des interprètes. ( ) Derrida a bien été un
interprète, il travaillait sur le texte. Mais, il n’était
pas dans une posture d’accompagnement. Son engagement théorique
et pratique sur le thème de l’hospitalité est
clair, il en fera un livre De l’hospitalité. ( )
« Derrida insiste sur l’éthique comme relation
à l’autre par excellence qui mêle visage et hospitalité
… » ( )
Il énonce :
« … Il n’y a pas de culture ni de lien social
sans un principe d’hospitalité. » ( )
Il affirme cet engagement dans un contexte relativiste, où
la xénophobie institutionnelle est la norme. Cette prise
de position est une critique politique et non un accompagnement
de ce qui apparaît.
C / Michel Foucault et le pouvoir
Au cours du développement de sa philosophie, Foucault commence
par définir la notion « d’épistémè
» . Ce concept, dans son contenu, ressemble à celui
de paradigme employé par Thomas Kuhn. Il s’agit de
voir comment historiquement l’ensemble des connaissances d’une
époque construit un discours qui fonde les normes d’une
société. Il emploiera le terme l’ordre du discours,
ce sera le titre d’un de ses ouvrages en 1970. ( )
Pour Foucault il existe un lien entre la construction du savoir
et le pouvoir. Le discours sur l’homme est récent dans
l’histoire du savoir. L’homme apparaît comme concept
au XIXe siècle.
« L’homme est une invention dont l’archéologie
de notre pensée montre aisément la date récente.
» ( )
Foucault propose de faire l’archéologie du savoir.
Son étude a un aspect généalogique, le lien
avec Nietzsche est assumé. Il s’agit de détruire
les illusions philosophiques. Foucault n’utilise pas les catégories
classiques de la philosophie. Il définit le pouvoir comme
une relation. Le rapport de force passe par la maîtrise du
savoir, qui s’est constitué historiquement. Plus de
référence aux facultés de l’homme et
à la raison. Dans son livre Surveiller et punir, paru en
1975 ( ), il étudie le pouvoir comme un dispositif, un agencement.
Il appuie sa démonstration sur les travaux de Bentham, qui
a inventé la notion de « panoptique » .
« Foucault voyait dans le « panoptique » de Bentham,
construction pénitentiaire destinée à opérer
une surveillance constante des prisonniers, « la formule même
du gouvernement libéral » . ( )
Ce dispositif permet de voir sans être vu. C’est une
forme de thérapie sociale, un contrôle et un formatage.
La notion d’orthopédie est employée dans la
quatrième de couverture du livre Surveiller et punir. ( )
Il montre également que nous sommes passés du contrôle
des corps au contrôle des esprits. La surveillance des comportements
:
« … Dans plusieurs de ses ouvrages, notamment Surveiller
et punir, et La volonté de savoir, sa relecture du «
pouvoir » laisse à penser, voire nous en propose une
interprétation assez étonnante, et peu banale. Tout
d’abord, Michel Foucault étudie le pouvoir sur le plan
des processus mineurs qui cernent et investissent le corps. Quatre
investissements du corps par le pouvoir sont décrits dans
Surveiller et punir : premier investissement comme morceau d’espace
; deuxième comme noyau de comportements ; troisième
comme durée interne, et dernier comme somme de forces. Contre
toute attente, il ne s’agit donc plus, comme on le ferait
un peu trop précipitamment, d’étudier la question
du pouvoir sous l’angle de grandes interrogations autour de
la genèse de l’État ou les droits de la nature.
À la lecture de Foucault, on réalise que tout le travail
du pouvoir pour discipliner ses sujets s’opère autour
d’une très fine technique politique des corps : il
s’agit de rendre docile, de discipliner les individus sans
que ces derniers naturellement, ne s’en aperçoivent.
On comprend alors que le niveau d’analyse requis par Foucault
n’est autre qu’une « microphysique » du
pouvoir. » ( )
Le pouvoir dans cette microphysique peut s’exercer de haut
en bas de la pyramide sociale. Le contremaître, le surveillant
de prison exercent du pouvoir. Il s’agit pour Foucault d’analyser
les méthodes de domination. Il modifie la grille d’analyse
classique sur le pouvoir, il n’est plus question de définir
la nature du pouvoir, de chercher les sources du pouvoir ou sa légitimité.
Il écrira en préface du livre de Deleuze et Guattari
L’anti-œdipe une Introduction à la vie non fasciste.
( ) Il propose ceci :
« Ne tombez pas amoureux du pouvoir. » ( )
La production de soi est traversée par un souci éthique.
Sa philosophie ne peut pas se séparer de la vie. Il développera
les notions de « biopolitique » et de « biopouvoir
» . Le biopouvoir est l’action de la domination pour
faire fonctionner la société à son avantage.
C’est à la fois un socle de connaissance et des dispositifs.
La biopolitique est ce qui permet aux sujets de viser la liberté
et l’éthique :
« Foucault interroge le pouvoir, ses dispositifs et ses pratiques,
non plus à partir d’une théorie de l’obéissance
et de ses formes de légitimation, mais à partir de
la « liberté » et de la « capacité
de transformation » que tout « jeu de pouvoir »
implique. La nouvelle ontologie que l’introduction de la «
vie dans l’histoire » affirme, permet à Foucault
de « faire valoir la liberté du sujet » dans
la constitution du rapport à soi et dans la constitution
du rapport aux autres, ce qui est, pour lui, la « matière
même de l’éthique. » ( )
Cette politique, qui prend la vie, c’est un autre nom de
ce que nous nommons « postmodernité » . La réponse
philosophique ne peut être séparée des choix
de vie pour Foucault. Il refuse la position de l’intellectuel
moderne, qui se voit comme un législateur, mais aussi celle
qui accompagne les changements dans la société sans
prendre position. Il définit une nouvelle catégorie
qu’il nomme « l’intellectuel spécifique
» :
« Pendant longtemps, l’intellectuel dit « de
gauche » a pris la parole et s’est vu reconnaître
le droit de parler en tant que maître de vérité
et de justice. On l’écoutait, ou il prétendait
se faire écouter comme représentant de l’universel.
Être intellectuel, c’était être un peu
la conscience de tous. ... Il y a bien des années qu’on
ne demande plus à l’intellectuel de jouer ce rôle.
... Les intellectuels ont pris l’habitude de travailler non
pas dans l’universel, l’exemplaire, le juste-et-le-vrai-pour-tous,
mais dans des secteurs déterminés, en des points précis
où les situaient, soit leurs conditions de travail, soit
leurs conditions de vie (le logement, l’hôpital, l’asile,
le laboratoire, l’université, les rapports familiaux
ou sexuels). Ils y ont gagné à coup sûr une
conscience beaucoup plus concrète et immédiate des
luttes. Et ils ont rencontré là des problèmes
qui étaient spécifiques, non universels, différents
souvent de ceux du prolétariat ou des masses. Et cependant,
ils s’en sont rapprochés, je crois pour deux raisons
: parce qu’il s’agissait de luttes réelles, matérielles,
quotidiennes, et parce qu’ils rencontraient souvent, mais
dans une autre forme, le même adversaire que le prolétariat,
la paysannerie ou les masses (les multinationales, l’appareil
judiciaire et policier, la spéculation immobilière)
; c’est ce que j’appellerais l’intellectuel spécifique
par opposition à l’intellectuel universel. »
(Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard,
Paris, 2001) ( )
Il s’agit de :
« … Parler à partir de la place qu’on
occupe et non à la place des autres. » ( )
L’intellectuel ne doit plus confisquer le pouvoir de parler,
mais essayer de créer une rupture pour que la parole des
sans-voix s’exprime de temps en temps. S’il parle, il
le fait depuis la place de ceux qui n’ont pas la parole d’habitude.
Foucault s’engage et le rend public, par exemple dans le GIP
(Groupe d’information sur les prisons). ( ) La critique de
l’universel permet de recomposer une nouvelle posture intellectuelle
et éthique.
La question de savoir si Foucault a été postmoderne
reste en suspens. Il a refusé l’étiquette. Sa
philosophie a déplacé les analyses sur le pouvoir.
Il a cherché à montrer que chaque époque produisait
un discours dominant et cohérent. Cet ordre du discours énonce
la vérité sur le monde et impose ses normes. Sa conception
du pouvoir comme relation et comme dispositif est devenue un lieu
commun au sein des sciences humaines. Il a commencé par critiquer
les abus du sociologisme et du psychologisme. Il a parlé
de « la mort de l’homme » , et aujourd’hui
l’analyse du discours et des normes, le repérage des
micro-pouvoirs a été intégré aux sciences
humaines. On peut dire que les idées novatrices de Foucault
font maintenant partie de la boîte à outils critique
postmoderne :
« Le terme de « boîte à outils »
est employé dans un entretien entre Deleuze et Foucault en
1972, où ils sont là assez d’accord : le rôle
d’une théorie n’est pas de fournir un cadre englobant,
ou une base totalisante, de discours unifié aux luttes sociales.
C’est bien sûr une réaction contre le marxisme
et la lecture althussérienne du marxisme. Le rôle de
la théorie est d’être en morceaux, pour que ces
morceaux de théorie fonctionnent avec des morceaux de luttes
ou de pratiques militantes. Car, selon Foucault, il n’y a
pas d’un côté la théorie et de l’autre
la pratique : la pratique dans les sociétés modernes
est largement informée de réflexions, d’outils
théoriques ou scientifiques. C’est le premier sens
de l’idée de « boîte à outils »
. Son deuxième sens est que l’intellectuel ne sait
pas forcément à quoi vont servir les outils qu’il
fabrique. Je crois que la métaphore de l’outil, c’est
aussi une manière de dire qu’il n’y a pas forcément
un seul sens à donner aux analyses, ni un bon et un mauvais
usage des concepts élaborés par Foucault. C’est
une manière de justifier la pluralité des lectures
des textes. » ( )
D’autre part, Michel Foucault est aujourd’hui considéré
comme l’un des fondateurs des études sur le genre :
« Une fois le sexe devenu tout aussi culturel que le genre,
la sexualité devient aux yeux des chercheurs l’objet
d’une nouvelle réflexion. L’influence du philosophe
français Michel Foucault (particulièrement dans la
décennie 80 durant laquelle ses œuvres ont été
traduites aux États-Unis) est ici primordiale. Le genre est
ainsi articulé au pouvoir et à sa « mise en
discours » puis relié à l’analyse de la
sexualité et de ses normes. » ( )
Les concepts de « biopouvoir » et de « biopolitique
» sont couramment utilisés aujourd’hui par des
auteurs qui revendiquent leur appartenance à la postmodernité.
Toni Negri, par exemple, cite Foucault comme une référence
majeure :
« La dernière référence majeure de L’Empire
enfin, est Michel Foucault et son concept de société
disciplinaire dans laquelle « la maîtrise sociale est
construite à travers un réseau ramifié de dispositifs
ou d’appareils qui produisent et régissent coutumes,
habitudes et pratiques productives » via une série
d’institutions : la prison, l’usine, l’asile,
l’hôpital, l’université, l’école,
etc. » ( )
En se diffusant largement, les idées de Foucault sont devenues
partie intégrantes de la postmodernité. Si Foucault
n’était pas postmoderne, la postérité
de ses idées l’est. Michel Foucault, comme Jacques
Derrida, est maintenant un auteur postmoderne. La vulgarisation
et la dissémination des textes et des thèses ont inclu
ces deux auteurs dans la postmodernité.
D / Le multiple de l’immanence de Gilles Deleuze
Dans son dernier texte, publié de façon posthume,
Gilles Deleuze énonce une thèse :
« La philosophie est la théorie des multiplicités
» ( )
Il a commencé son œuvre par un travail de philosophie
classique. Il commente de grands auteurs comme Hume, Bergson, Liebniz,
Nietzsche et Spinoza. Sa recherche sur l’ontologie concerne
le réel et sa production. Le caractère ontologique
de sa philosophie n’est pas purement spéculatif, c’est
une base pour sa compréhension de la littérature,
la politique, et l’art. Un peu plus tard il parlera de champ
social. Gilles Deleuze tisse une ontologie du concret, de l’action
et de l’événement. C’est une sagesse mêlée
d’une passion pour la nouveauté. Son approche théorique
peut se lire comme une injonction à changer, un appui pour
le devenir autre, une visée éthique. Eric Alliez qualifie
sa démarche d’ontologie du virtuel. ( ).
Deleuze s’appuie sur Bergson pour sa thèse sur les
multiplicités et pour l’appréhension de la durée.
Il développe cette approche dans un cours de 1970 intitulé
Théorie des multiplicités chez Bergson. ( ) Il ne
reprend pas le côté spirituel de Bergson :
« Gilles Deleuze fait preuve d’une forte volonté
de couper de la philosophie bergsonienne toute tendance spirituelle
débouchant de temps en temps, selon l’interprète,
dans une dimension religieuse, de barrer la route à un Dieu
créateur transcendant pour submerger et consolider la pensée
dans l’immanence et dans le transcendantal empirique. Pour
Deleuze, la Durée s’assimile à l’immanence,
et par là au travail de différentiation propre aussi
à l’Elan vital qui est ainsi épuré de
toute la grandiloquence d’un déchaînement vital
débordant ; quant à la Mémoire, elle est mise
du côté de l’Etre. Les notions de Durée,
de Mémoire et d’Elan vital sont ainsi en parfaite corrélation
avec la notion d’Intuition puisque c’est elle qui est
la pièce maîtresse dans le dévoilement des autres
notions et dans l’explicitation de leurs fonctions »
. ( )
Notre culture, marquée par la science, a tendance à
lier espace et durée. À la suite de Bergson, Deleuze
conçoit la durée sous l’angle de la vie.
« L’élan vital est comme la durée, il
n’est ni un ni multiple, il est un type de multiplicité
» . ( ) Il utilisera Bergson pour la notion d’intuition
et ensuite pour la formalisation de l’image mouvement et de
l’image temps et ses propositions sur le cinéma au
début des années 1980. ( )
L’intuition bergsonienne n’est pas liée à
des catégories abstraites comme l’un, l’être,
le multiple ou le non-être. Cette façon de concevoir
l’intuition concerne les conditions de production des choses,
point par point et concrètement. Cette manière de
voir refuse les notions philosophiques négatives : le néant,
le possible, l’absence. Pour Deleuze, ce sont des fictions
qui nient la vision différentielle du monde. Elles ne permettent
pas de penser l’acte de création, les sources de nouveauté
et de différence. En utilisant ces concepts, on s’appuie
sur une différence basée sur une opposition et un
dehors. La différence, pour Deleuze, est interne au monde,
elle est un processus, une différenciation virtuelle ou réelle
actualisée.
Gilles Deleuze, en reprenant Bergson et en le réinterprétant,
pense la durée comme étant le réel, elle est
plus qu’un état de conscience. La durée reste
une méthode pour appréhender le réel et devient
ontologie. Il s’agit de comprendre le processus de production
de l’être. Nous sommes dans une philosophie qui s’intéresse
aux processus plus qu’aux choses elles-mêmes. L’analyse
est dynamique, elle met en évidence l’interaction et
les rythmes. Dans ce cadre, le statut de l’intuition change,
elle devient méthode. Dans une présentation de la
philosophie de Deleuze, un commentateur reconnaît que ce concept
peut poser problème :
« Ce que Bergson a appelé d’un mot qui a prêté
à tant de confusions : intuition. Intuition, en tant qu’elle
s’attache à déterminer les conditions de l’expérience
réelle … » .( )
Cet interprète insiste sur la différence comme être.
Il rappelle le mot même de Deleuze :
« L’être est la différence même
de la chose » . ( )
La vie est différence, quand elle n’est pas matérielle,
elle est virtuelle. Le « devenir infini de la philosophie
» ( ) est adossé à l’immanence. Le plan
d’immanence est défini ainsi :
« Le plan d’immanence n’est pas un concept, ni
le concept de tous les concepts. ... Les concepts sont comme les
vagues multiples qui montent et qui s’abaissent, mais le plan
d’immanence est la vague unique qui les enroule et les déroule.
... Le concept est le commencement de la philosophie, mais le plan
en est l’instauration. … Le plan d’immanence est
comme une coupe du chaos, et agit comme un crible. Ce qui caractérise
le chaos, en effet, c’est moins l’absence de déterminations
que la vitesse infinie avec laquelle elles s’ébauchent
et s’évanouissent » . ( )
Deleuze utilise des notions nouvelles et inhabituelles en philosophie
: vitesse, intensité, lignes de fuite, ritournelle, vagues,
agencements, chaosmos, corps sans organes, pour parler des phénomènes
qu’il étudie. La ritournelle, par exemple :
« En un sens général, on appelle ritournelle
tout ensemble de matières d’expression qui trace un
territoire, et qui se développe en motifs territoriaux, en
paysages territoriaux (il y a des ritournelles motrices, gestuelles,
optiques, etc.) » ( )
La ritournelle est une modalité du temps liée au
territoire et à la déterritorialisation. Elle fabrique
du temps. Comme la ritournelle, la déterritorialisation concerne
le monde artistique et le champ social et politique. Pour Deleuze
et Guattari, la question de la déterritorialisation est liée
au fonctionnement même du capitalisme :
« Le décodage et la déterritorialisation des
flux définit le processus même du capitalisme, c’est-à-dire
son essence, sa tendance et sa limite externe. » ( )
Le capitalisme déterritorialise pour mieux générer
des flux de capital. Il s’agit de remplacer l’objet,
les mœurs ou le processus territorialisé par un autre
et ainsi le faire rentrer dans l’économie marchande
généralisée. La loi de la valeur quantifie
et universalise. Les machines désirantes sont captées
et intégrées au processus de marchandisation mondiale.
Chez Deleuze et Guattari, le désir est défini comme
production selon la perspective vitaliste propre à ces deux
auteurs :
« La proposition célèbre, « le désir
est machine » ( ), revêt une double portée polémique
:
1) elle récuse l’idée psychanalytique selon
laquelle le rêve serait la « voie royale » vers
l’inconscient ;
2) elle concurrence plus qu’elle ne rejoint le marxisme,
en soulevant à son tour le problème de la production
de l’existence et en posant que « le désir fait
partie de l’infrastructure » ( ) - le modèle
de l’inconscient-usine se substitue à celui de l’inconscient-théâtre.
» ( )
Pour libérer les flux du désir, Deleuze et Guattari
proposent de créer de nouveaux agencements en trouvant des
lignes de fuite. Le modèle du rhizome est associé
au nomadisme.
« … le rhizome, en différant sans cesse l’origine,
nous donne à penser une identité plurielle qui se
veut au contraire, pensée de la trace, pensée nomade.
Enfin, dans ce dispositif propre à Deleuze, le Pli est un
autre opérateur d’altérité qui vient
déstabiliser la linéarité de l’Histoire
selon Hegel, en y inscrivant, répétition et discontinuité.
» ( )
La schizo-analyse est une entreprise critique pour :
« … analyser la nature spécifique des investissements
libidinaux de l’économique et du politique ; et montrer
par là comment le désir peut être déterminé
à désirer sa propre répression dans le sujet
qui désire. » ( )
Dans ce cadre, le « schizo » témoigne qu’une
autre histoire, un autre monde, un autre fonctionnement du désir
sont possibles :
« L’éloge du désir comme investissement
social, la proclamation de son appartenance à l’infrastructure,
non aux superstructures, de son indépendance foncière,
de sa résistance, non au partage, non à la communication,
mais aux identifications forcées, en particulier à
l’œdipianisation, qui est soupçon du père
contre le fils avant d’être rivalité, puis résignation
du fils à l’égard du père ;
l’éloge d’un « machinalisme » ,
qui repense toute production, celle des appétits, celle du
travail, celle des rapports humains, celle des activités
de l’esprit, en termes naturalistes ou en termes d’économie,
de cybernétique, d’informatique ;
l’éloge de la « différence » ,
de la multiplicité intensive qui conditionne l’éclosion
de la personnalité (mieux, son éclatement créateur)
et qui défend de l’unifier (par ukase de logicien ou
par réduction à des modèles jugés conformes)
;
l’éloge de la folie, c’est-à-dire une
dérive mentale qui suit de trop près et qui reproduit
trop bien la dérive générale des groupes en
folie ou d’une marginalité qui s’expulse elle-même
de la société quand la société muselle
le désir ;
l’éloge d’une politique qui subordonne la machine
sociale aux machines singulières, qui coupe court non seulement
au règne des maîtres, mais à l’enfance
du chef, tout cela est un heureux complément au marxisme,
voire une correction (dont Spinoza et Nietzsche sont en partie les
inspirateurs). » ( )
Face à la puissance du capitalisme et sa macropolitique,
Deleuze propose d’expérimenter une micropolitique des
intensités. La forme « parti » , consubstantielle
à la notion d’avant-garde, est rejetée comme
l’est la théorie du sujet de la philosophie classique.
Dans le contexte des sociétés de contrôle, la
différence vise la création. Elle fait passer du virtuel
à l’actuel. La critique permet de se débarrasser
des mystifications, qui empoisonnent la vie comme la morale. La
morale utilise des critères transcendants extérieurs
à la vie : le bien, le mal. Au contraire, l’éthique
deleuzienne s’appuie sur les différences immanentes
des modes de vie. Elle évite de tomber dans le jugement,
qui emploie des catégories abstraites, elle préfère
mettre à jour une typologie des modes d’existences
par l’explication des intensités et des rythmes. Le
projet devient celui d’une norme de vie pour accomplir sa
propre puissance et refuser le pouvoir comme modalité asymétrique.
La philosophie de Deleuze encourage alors les possibilités
de création pour vivre autrement. Pour lui, être de
gauche est une affaire de perception :
« La gauche, c’est l’ensemble des processus de
devenir minoritaires. Donc, je peux dire, à la lettre : la
majorité c’est personne, la minorité c’est
tout le monde. C’est ça, être de gauche : savoir
que la minorité, c’est tout le monde. Et que c’est
là que se passent les phénomènes de devenir.
» ( )
Deleuze propose la même approche sur la communication :
« Nous ne souffrons pas d’incommunication, mais au
contraire de toutes les forces qui nous obligent à nous exprimer
quand nous n’avons pas grand-chose à dire. …
les forces de répression n’empêchent (plus) les
gens de s’exprimer, elles les forcent à s’exprimer.
… créer n’est pas communiquer, c’est résister.
» ( )
Le devenir humain différent passe par la minorité
et la création. La question posée par la philosophie
de Gilles Deleuze n’est plus celle « que dois-je faire
?» , mais plutôt celle de savoir « de quoi suis-je
capable ? » . Deleuze écrit une philosophie de la puissance.
Il se situe dans la continuité de Spinoza. L’immanence
et ses multiples sont inséparables de l’éthique
chez Deleuze comme chez Spinoza.
Gilles Deleuze a produit sa philosophie dans la postmodernité
et pour la postmodernité. Pour lui, la philosophie est système,
une philosophie de la création selon Arnaud Bouaniche.( )
Il s’agit de créer hors des clichés et de l’opinion.
Une sorte de défi protestataire jamais épuisé
pour Eric Alliez, une « biophilosophie » .( ) Un écho
à la biopolitique de Foucault.
Il nous reste à poser la question de savoir si Gilles Deleuze
est un philosophe postmoderne. Il n’a pas employé le
terme pour lui-même. Pourtant, il participe de l’ambiance
intellectuelle, qui a remis en cause la raison et la possibilité
d’appréhender la réalité objectivement
:
« Le second grand axe de développement du Postmodernisme
a été la cristallisation d’un courant philosophique
distinct caractérisé par son élaboration d’une
critique globale de la raison. On trouvait à son centre un
groupe de philosophes français, dont les plus importants
– Gilles Deleuze, Jacques Derrida et Michel Foucault –
s’étaient distingués dans les années
1960. Malgré les substantielles différences les opposant,
tous, en grande partie sous l’influence de Nietzsche, ont
construit certaines propositions – que ce que nous appelons
réalité est, de façon inhérente, fragmentaire,
hétérogène et pluriel ; que la pensée
humaine est incapable de parvenir à rendre compte objectivement
de la nature de cette « réalité » ; et
que ce que la philosophie moderne occidentale avait conçu
comme le sujet de la pensée, le moi individuel, n’est
rien d’autre qu’un amas incohérent de pulsions
et de désirs. » ( )
Il n’est ni législateur ni interprète, il échappe
aux catégories de Zygmunt Bauman ( ). Le succès de
la pensée de Deleuze est indéniable. Il a conquis
les surfeurs, de nombreux artistes, beaucoup de militants politiques,
des étudiants en philosophie et quelques professeurs. Il
nous paraît légitime de le considérer comme
un théoricien de la postmodernité, puisqu’il
nous propose une boîte à outils pour notre temps, un
temps où nous sommes dans les flux, où le nomadisme
devient un mode de vie banal, où l’intensité
est une valeur centrale. La réception de son œuvre témoigne
de cela :
« Une fois que l’on a commencé, on ne peut plus
s’en dépêtrer. Effectivement Gilles Deleuze a
su nous parler. Et son message, si important, ne doit surtout pas
rester aux mains des universitaires, des analystes et exégètes
de tous poils : il doit revenir à ceux à qui il est
destiné : non pas les gauchistes ou les politiques mais tous
ceux qui veulent se sortir du système : de tous les systèmes
qui se reproduisent : état, famille et capitalisme. Ces machines
interviennent dans tous les domaines de la vie. Gilles Deleuze et
son copain Félix Guattari ont collecté des centaines
d’expériences de personnes venant de tous les univers,
de tous les domaines d’activités qui ont réussi
à produire des choses magnifiques, parce que sorties du/des
système-s : capables de parler un autre langage, d’utiliser
d’autres codes. » ( )
Jean-François Lyotard, Jacques Derrida, Michel Foucault,
Gilles Deleuze et Félix Guattari proposent, chacun à
leur façon, une philosophie pour aujourd’hui. Il s’agit
d’un processus postmoderne, ces philosophies ne sont pas univoques.
Nous retrouvons l’aspect paradoxal de la postmodernité.
Ces théories peuvent être utilisées de façon
opposée :
- Soit pour aller dans le sens du système pour justifier
qu’il n’y a pas de valeur supérieure à
une autre et que l’on ne peut pas juger en fonction du bien
et du mal a priori ;
- Soit par des opposants au capitalisme postmoderne.
D’un côté, la confusion relativiste, pour qui
« tout se vaut ! » , hormis la différence des
places ; de l’autre, la création, l’invention
d’une philosophie qui n’est plus au service du discours
du maître. Le ciel est vide et nous n’avons plus de
garanties. La notion de « devenir » peut permettre de
trouver un trait commun à ces philosophies. Le progrès
était un mythe, l’avenir ne peut pas fonder l’espérance,
il nous reste à inventer notre devenir, individuellement
et collectivement sans transcendance ni messianisme.
III / La postmodernité en sociologie
A / La postmodernité dionysiaque de Michel Maffesoli.
Nous avons déjà rencontré cet auteur avec
sa critique de la raison et son éloge de la raison sensible.
( ) En continuité avec cette première rencontre, nous
allons maintenant aborder sa sociologie. Selon ses propres termes
:
« …si une définition, provisoire de la postmodernité
devait être donnée, ce pourrait être : «
la synergie de phénomènes archaïques et du développement
technologique » .
C’est ainsi que, pour reprendre les grands thèmes
explicatifs de la modernité : État-nation, institution,
système idéologique, on peut constater, pour ce qui
concerne la postmodernité, le retour au local, l’importance
de la tribu et le bricolage mythologique » ( )
Pour Maffesoli le local, la fragmentation institutionnelle, le
bricolage mythologique, la fusion, le tribalisme, l’importance
de l’image et l’émergence de valeurs archaïques
sont les points clés de la postmodernité.
Le local, parce que Maffesoli remarque :
« … le retour en force, dans les divers discours sociaux,
de termes tels que “pays”, “territoire”,
“espace”, toutes choses renvoyant à un sentiment
d’appartenance renforcé, au partage émotionnel.
»
La fragmentation institutionnelle, parce que
« … les diverses institutions sociales, devenues de
plus en plus abstraites et désincarnées, ne semblent
plus en prise avec l’exigence réaffirmée de
proximité. »
« … les diverses institutions ne sont plus ni contestées
ni défendues. »
Le bricolage mythologique, parce que
« Chaque territoire, réel ou symbolique, sécrète
en quelque sorte son mode de représentation et sa pratique
langagière.»
Il faut se demander :
« … si la véritable efficace n’est pas
à chercher du côté des mythes tribaux et de
leur aspect existentiel.»
La fusion, le tribalisme, parce que :
« …le terme d’individu, ai-je dit, ne semble
plus de mise.»
« …il semble que l’Individu, l’Histoire
et la Raison laissent, peu ou prou, la place à la fusion
affectuelle s’incarnant au présent autour d’images
communielles. »
« …émergence d’un néotribalisme
postmoderne reposant sur le, toujours et à nouveau, besoin
de solidarité et de protection caractérisant tout
ensemble social. Dans les jungles de pierre que sont les mégapoles
contemporaines, la tribu joue le rôle qui était le
sien dans la jungle stricto sensu. »
« Peut-être faudrait-il parler, pour la postmodernité
d’une personne (persona) jouant des rôles divers au
sein des tribus auxquelles elle adhère. L’identité
se fragilise. Les identifications multiples, par contre, se multiplient.
»
L’importance de l’image :
« Dernier point, enfin, du substrat épistémologique
postmoderne, c’est l’importance que va prendre l’image
dans la constitution du sujet et dans celle de la société.
« Image publicitaire, image télévisuelle, image
virtuelle. Rien n’est indemne. “Image de marque”
intellectuelle, religieuse, politique, industrielle, etc., tout
et toutes choses doivent se donner à voir, se mettre en spectacle.
»
L’émergence de valeurs archaïques, parce que
« L’époque est, peut-être, plus attentive
à l’impermanence des choses les plus établies.
Ce qui est certain, c’est que l’émergence de
valeurs archaïques, que l’on avait cru - totalement -
dépassées, doit nous rendre attentif au fait que si
les civilisations sont mortelles, la vie, quant à elle, curieusement,
perdure. Ainsi, en n’accordant pas à ce terme un statut
conceptuel par trop rigide, la postmodernité naissante nous
rappelle que la modernité fut une “postmédiévalité”,
c’est-à-dire qu’elle permit une nouvelle composition
de l’être-ensemble.
Devenir spiralesque du monde ! Quand cesse l’évidence
d’une idée sur laquelle s’était fondée
une civilisation donnée, une autre constellation prend naissance,
intégrant certains éléments de ce qui a été,
et redonnant vie à certains autres qui avaient été
déniés. » ( )
Il estime que :
« Ce n’est plus la raison, c’est le partage du
sentiment qui prévaut. » ( )
« Après deux siècles de modernisation, de rationalisation
de l’existence, de désanchantement du monde, maintenant
que le mythe d’un progrès infini est quelque peu saturé,
celui du tourbillonnement dionysiaque mérite attention. Imaginaire,
plaisir, désir, fête, rêve redeviennent les maîtres
mots de la révolte silencieuse de l’individu. »
( )
Michel Maffesoli assume ouvertement son appartenance à la
postmodernité.
Ses descriptions sont exactes, ce qu’il observe c’est
bien notre société. Par contre, au niveau de l’argumentation
ses thèses font débat. Son analyse sur le tribalisme
est surprenante. Il pense que l’individualisme est en perte
de vitesse, parce qu’il existe des néo-tribus dans
le monde postmoderne. Il note bien que ces rassemblements sont éphémères
et basés sur l’émotion. L’observation
de notre réalité sociale lui donne raison sur ce point.
Mais, au niveau de l’explication, il nous semble que nous
devons inverser sa proposition théorique. Les tribus n’existent
que parce que l’individualisme est la base de la postmodernité.
Le néotribalisme est lié à l’individualisme
et à l’existentiel contemporain. Quand l’événement
se termine, une fois la tribu dissoute, l’individu reprend
ses droits. Les deux domaines ne s’opposent pas, les tribus
postmodernes supposent l’individu, elles ne le détruisent
pas. Ces tribus forment des archipels à durée limitée
et l’individu peut être membre de plusieurs tribus selon
les moments. L’existence de ces tribus est liée à
des domaines de vie et des événements. Elles sont
bien différentes des tribus anciennes, où l’individu
tel que nous le connaissons aujourd’hui n’existait pas.
Michel Maffesoli prend l’effet pour la cause.
Maffesoli parle de subversion postmoderne pour les nouveaux modes
d’être. Il valorise les tentatives des humains dans
le cadre contemporain, mais il accepte le cadre, il ne le conteste
pas. Il accompagne et interprète. Sa position correspond
bien au modèle de Bauman sur les intellectuels postmodernes.
Effectivement, Maffesoli se refuse à être un législateur.
Mais, quand il permet à l’astrologue Élizabeth
Teissier de devenir docteur en sociologie, il participe au processus
de confusion propre à la postmodernité en France.
Maffesoli parle également du réenchantement du monde.
Lors d’une rencontre avec le MEDEF, il félicite les
patrons français :
« Je suis heureux de voir le MEDEF se saisir du thème
du réenchantement du monde pour son université d’été.
» ( )
Pour lui, il ne faut pas regretter les temps anciens, il convient
:
« ...de penser avec rigueur la nouvelle éthique que
cela ne manque pas d’impulser. En son sens strict «
ethos » comme lieu d’habitation, demeure que l’on
partage avec d’autres. Ciment structurant. Amour de ce monde-ci.
Désintérêt pour les arrières-mondes possibles.
Un situationisme généralisé en quelque sorte.
»
Ensuite, dans le même texte, il définit sa position
ainsi :
« … une pensée en prise sur l’existence,
qui loin de la routine universitaire ou de l’affairement du
bavardage médiatique sait reconnaître dans le paradoxe
le nouveau paradigme de notre temps. Laissons là les certitudes
compassées du bourgeoisisme finissant. La thématique
du tragique est le vigoureux appel à penser le réenchantement
du monde. » ( )
Le réenchantement du monde et le tragique n’ont pas
le même goût pour tout le monde. Sans tendre l’oreille,
il est possible d’entendre parler du chômage, de «
précarisation généralisée » ,
de « travailleurs pauvres » , et des « mal-logés
» . ou de « sans-papiers » Ces données,
bien présentes dans notre société, ne rentrent
pas dans le paradigme sociologique de Michel Maffesoli.
B / Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et
Eve Chiapello
En 1999, paraît le livre intitulé Le nouvel esprit
du capitalisme. ( ) Le titre de cet ouvrage fait écho au
livre de Max Weber L’Éthique protestante et l’esprit
du capitalisme paru en 1904 et en 1905 en Allemagne et traduit en
français en 1964. Le thème central du livre est celui
de l’intégration des critiques dans les mutations du
capitalisme.
Selon ces auteurs, il existe deux types de critiques, la critique
sociale et la critique artiste :
- Le capitalisme est source de misère et d’inégalités
;
- Le capitalisme est source d’opportunisme et d’égoïsme,
destructeurs de liens sociaux et des solidarités communautaires
;
- Le capitalisme est source de désenchantement et d’inauthenticité
;
- Le capitalisme est source d’oppression, en tant qu’il
s’oppose à la liberté, à l’autonomie
et à la créativité des êtres humains.
La critique sociale a plutôt été portée
par les syndicats et les courants politiques comme le socialisme
et le communisme. Quant à la critique artiste, elle est rattachée
à la révolte de Mai 1968 et aux diverses avant-gardes
artistiques. Mais, il peut être difficile de séparer
les deux, parce que les courants radicaux, dont les anarchistes,
critiquent le capitalisme des deux points de vue à la fois,
c’est-à-dire qu’ils luttent en même temps
contre l’exploitation économique, la domination et
l’oppression et leurs conséquences.
Eve Chiapello et Luc Boltanski, pour comprendre le nouvel esprit
du capitalisme, sont partis d’une analyse du discours managérial,
pas du discours économique ou libéral. Ils proposent
une modélisation des types d’autorité liés
à l’entreprise :
- L’autorité familiale, patriarcale et marchande,
Elle est issue du modèle domestique, qui est remis en cause
dès les années cinquante du vingtième siècle.
- L’autorité de type rationnelle et industrielle,
ce modèle est porté par les ingénieurs, les
cadres des années soixante qui parlaient déjà
de projet. C’était une façon de donner de l’autonomie
aux cadres en gardant le contrôle sur les finalités.
C’était un pouvoir basé officiellement sur la
rationalité technique et scientifique.
- L’autorité contemporaine du monde « connexionniste
» , où les leaders sont hyper-mobiles, capable de gérer
des équipes composites, de mobiliser les émotions,
de travailler en réseau, etc... Un monde où la communication,
la rapidité, la souplesse, la réactivité sont
la règle.
Ils emploient la notion de « cité » pour nommer
ces trois types de fonctionnement social et de commandement. La
description faite des « grands » , ce que le sens commun
nomme « les chefs » , dans la cité nommée
« cité par projet » est intéressante au
regard de l’étude de la postmodernité. Nous
nous apercevons vite qu’il s’agit d’une description
du monde postmoderne : transversalité, réseaux, connexions,
autonomie, ouverture d’esprit, tolérance, souplesse
mentale, enthousiasme, motivation, inventivité, modèles
ouverts, gestion de la multiplicité, importance des émotions,
etc.
Le contrôle mental et l’individualisation sont devenus
des éléments importants pour la domination capitaliste.
La prise en compte des critiques du pouvoir, issues des années
soixante-dix du siècle dernier, a permis de transformer le
contrôle extérieur sur les personnes salariées
en un auto-contrôle avec les notions de projets et d’objectifs.
On diminue les pyramides hiérarchiques et on transfère
l’évaluation aux salariés eux-mêmes, on
y gagne en coûts et en performances.
L’implication subjective est au centre des nouvelles modalités
de pouvoir. La différence entre travail et non-travail s’estompe,
les activités associatives ou de loisirs peuvent être
un atout important pour les cadres. Il faut être capable de
rebondir, d’avoir le sens de l’humanité et du
feeling pour diriger. Il faut être capable de tirer parti
de tout et ce dans toutes les situations. Le « tout se vaut
! » , hormis la différence des places, est le présupposé
général de cette idéologie. Nomadisme, adaptabilité
sont des concepts parfaitement intégrés au système
managérial.
Ce livre montre comment le capitalisme a su intégrer ce
que Chiapello et Boltanski appelent « la critique artiste
» , comment il y a eu un transfert de compétence du
gauchisme au management après les années soixante-huit,
comment la critique du pouvoir que l’on trouve chez Foucault,
Deleuze et Guattari a été utilisée pour mettre
en œuvre une nouvelle façon de dominer. D’autre
part, cette démarche permet de penser le changement en sociologie
de façon originale.
Chiapello et Boltanski décrivent également toutes
sortes d’attaques contre le droit du travail, contre les protections
sociales et comment s’opère une séparation du
salariat entre les emplois stables et la galaxie précaire.
Ce livre essaie d’expliquer comment le rapport de force s’est
transformé à l’initiative du capitalisme lui-même.
Les auteurs notent, à juste titre, qu’il n’y
a pas de volonté centralisée dans le capitalisme,
qu’il s’agit, dans la mutation étudiée
ici, d’un ensemble de micro-déplacements. L’observation
est juste, mais la conclusion peut engendrer discussion, puisqu’elle
refuse de parler de la responsabilité du système.
Nous maintenons que ce qui unit l’ensemble du système,
c’est encore et toujours la nécessité de faire
du profit et la reproduction du système lui-même. Ce
système reste un ensemble organisé autour de la domination
et de l’exploitation, celles-ci prenant maintenant des formes
multiples.
Cette évolution accentue la pression sur les salariés,
les managers transfèrent sur leurs épaules le facteur
risque. Christophe Dejours a observé ce phénomène
dans son livre Souffrance en France. ( )
La notion d’autonomie présentée par le management
est biaisée, elle passe sous silence le rapport inégal
entre les parties concernées. Ce faisant, la domination,
le rapport de violence réelle et symbolique lié au
salariat est occulté.
Ce livre nous explique comment le système capitaliste est
capable de produire les conditions de possibilité de sa survie
et de son renforcement. Ce système est capable de tout récupérer
ou presque, ce qui fragilise les oppositions et les condamne très
souvent à l’impuissance.
Nous pouvons conclure que ce nouvel esprit du capitalisme est l’esprit
de la postmodernité. Luc Boltanski et Eve Chiapello n’emploient
pas ce terme, pourtant leurs descriptions et leurs analyses ne parlent
que de cela.
C / Le coût thumain de la mondialisation selon Zygmunt
Bauman
Zygmunt Bauman est un sociologue polonais. Il est né à
Poznam en Pologne en 1925, il enseigne à l’université
anglaise de Leeds. Il a enseigné la philosophie et sociologie
à l’Université de Varsovie. Il a combattu contre
le nazisme dans les rangs de l’armée russe. Il a été
contraint de quitter la Pologne communiste en 1968 lors des persécutions
antisémites. Il a rejoint l’université de Leeds
en 1973. ( )
Son œuvre n’est pas très connue en France. Il
parle ouvertement de la postmodernité qu’il qualifie
de « vie liquide » . Cette métaphore lui permet
d’opposer la modernité considérée comme
« solide » à notre époque postmoderne.
« Alors que l’ambition de la modernité solide
était de remodeler l’éphémère
en durable, le chaos en ordre, l’art de vivre dans une modernité
liquide consiste surtout à nager en sûreté dans
des raz-de-marée que l’on ne peut maîtriser.
» ( )
Les liens humains sont fragiles et dans une situation de constants
changements. L’individu post-moderne se trouve dans une situation
difficile et périlleuse. D’un côté, il
est obligé d’agir sans formule disciplinaire pour orienter
son action ; de l’autre il est plongé dans une logique
et dans un vécu déresponsabilisant. Le lien de causalité
est perçu comme diffus, voire complètement dissous.
L’individu, plongé dans la « vie liquide »
, est à la fois libre de ce qui pesait auparavant sur sa
conscience et prisonnier d’une sorte de présent perpétuel
et d’un réel assez insaisissable dans un décor
dont il ne perçoit pas vraiment la continuité. Il
est plongé dans une certaine irréalité du temps
confronté à des rencontres aléatoires. La recherche
d’une authenticité est en partie mythique. La vie est
ressentie comme n’ayant ni but ni destination. Le monde postmoderne
est composé de fragments disparates, dont notre raison hésitante
a beaucoup de mal à trouver la cohérence d’ensemble.
Pour l’individu, c’est à la fois un fléau
et une chance, car le jugement éthique autrefois confisqué
par des grands systèmes de régulation morale lui revient
aujourd’hui en propre. L’incertitude fait partie de
la postmodernité, nous ne pouvons pas trancher facilement,
les phénomènes ne sont pas univoques, ils peuvent
être en même temps positifs et négatifs, ce qui
est paradoxal.
Le pivot de l’analyse de Bauman c’est la séparation
entre le pouvoir et la politique. La politique est locale, territorialisée
; le pouvoir réel est celui des grands groupes financiers
et industriels et ce pouvoir s’exerce loin des États.
La politique est toujours territoriale, et de ce fait elle a toujours
un temps de retard sur l’économie fluide. En quelques
années, les forces dominantes, qui détiennent l’argent
et le pouvoir d’organiser le monde dans leur intérêt,
ont trouvé d’autres stratégies, plus légères,
moins contraignantes. Les États-nations sont en voie d’affaiblissement
rapide, ils ne sont plus les moteurs du progrès social, et
nous ne reviendrons pas en arrière.
Zygmunt Bauman pense que l’économie s’est arrachée
des contingences liées au principe de gravité. Il
s’interroge sur la validité des politiques de lutte
contre le chômage quand les multinationales délocalisent
massivement. Pour lui, nous sommes dans un désordre mondial.
Il pense que la mondialisation s’impose à nous beaucoup
plus que nous la choisissons. Il estime que l’universalité
des Lumières contenait un projet pour l’humanité,
alors que la mondialisation ne contient pas ce type de projet, ce
qui provoque une crise sur le sens et crée le climat d’incertitude
que nous connaissons actuellement. ( )
Bauman analyse le déclin des États et leur multiplication
selon la même causalité. Les États sont expropriés
de leur force d’intervention économique, ils ne conservent
que les forces de répression, ils sont devenus des appareils
de sécurité pour les méga-entreprises. L’État
n’a plus le droit ni la possibilité de toucher à
la sphère économique. En 2000, les échanges
financiers étaient de l’ordre de 1 300 milliards de
dollars par jour, soit 50 fois le volume des transactions commerciales
journalières de l’époque, et presque autant
que le montant des réserves des banques nationales, qui étaient
de 1 500 milliards de dollars à ce moment-là. Selon
des chiffres de 2002, la tendance est la même :
« On appelle globalisation financière la constitution
d’un marché mondial des capitaux, c’est le processus
le plus avancé. Les flux les plus importants en valeur, les
plus rapides, les plus fluides et les plus constants concernent
les capitaux. Chaque jour le volume des transactions sur le marché
des changes est plus que 60 fois supérieur au volume journalier
du commerce mondial. Cette circulation est caractérisée
par une unité de lieu : les bourses sont connectées
par de puissants réseaux informatiques et de télécommunication
et une unité de temps, le décalage horaire qui les
sépare permettant que le système ne s’arrête
jamais, une bourse ouvrant avant que l’autre ne ferme. »
( )
Un internaute expliquait en octobre 2007 comment gagner de l’argent
via Internet et il note ceci :
« Le Forex (ou Foreign Exchange Market) est le marché
des devises. C’est en fait le plus gros marché financier
au monde avec un volume journalier de 1 900 milliards de dollars
échangés. J’ai bien dit journalier. Par comparaison,
le marché du New York Stock Exchange (NYSE) était
de 9 600 milliards de dollars pour l’année 2003 »
. ( )
En conséquence, l’État n’a plus la force
de faire face à la spéculation financière.
Il poursuit son analyse en disant qu’il n’y a pas de
contradiction entre extra-territorialité du capital financier
et la faiblesse croissante des États, ce sont deux faces
du même problème. L’union se fait sur la libre
circulation de l’information et des capitaux : l’État
faible est une condition pour que se reproduise l’économie
liée au capital financier. Dans ce cadre, il estime que la
notion même de politique est problématique.
Cette analyse du rôle pénal des États est assez
proche de celle de Loic Wacquant. Celui-ci parle des prisons de
la misère et des choix de société qui ont choisi
de punir les pauvres. ( )
Pour Zygmunt Bauman, en particulier dans son livre sur Le coût
humain de la mondialisation, nous sommes bel et bien pris dans une
stratégie de la différentiation. Il met en rapport
la fin des espaces publics de discussion, qui permettaient l’échange
et la mise au point de normes collectives, avec la généralisation
des nouvelles agoras : les centres commerciaux. Il est évident
que le pouvoir mondialisé cherche à contrôler
l’espace. La modernité avait eu à faire avec
l’ennemi externe, ici nous sommes dans une lutte contre l’ennemi
intérieur. La survie dans les mégalopoles implique
une séparation - exclusion. Cette séparation permet
d’éviter le contact avec le différent social,
de ne pas avoir à se confronter aux pauvres et d’être
engagé dans un processus amour - haine tel celui qui existait
au XIXe siècle entre les classes sociales.
Ce constat est du même ordre que celui qui note un changement
radical dans la façon de faire la guerre. La technologie
actuelle permet de tuer l’ennemi sans le rencontrer ni le
voir physiquement. La guerre a été souvent assimilée
à un jeu vidéo, les soldats ne voient pas forcément
les morts qu’ils ont tués au cours des combats.
Zygmunt Bauman revient sur la notion de panoptikon employée
par Michel Foucault. Il explique que le panoptique était
une machine de guerre contre la différence, contre la liberté
de choix et contre la diversité. Le passage de la modernité
à la postmodernité c’est le passage de la surveillance
conçue pour que les humains ne quittent pas un certain espace,
à une surveillance qui contrôle les accès et
la solvabilité. L’interdit postmoderne ne concerne
plus la fuite, mais l’interdiction d’entrer. Il analyse
le développement des systèmes informatiques comme
ce qui permet la mobilité à une certaine catégorie
de population et oblige les autres à la fixité. L’emploi
de la coercition n’est plus nécessaire au sens où
le spectacle du monde différencie ceux qui regardent : les
pauvres et ceux qui font le spectacle : l’élite mondialisée,
les célébrités people. Il synthétise
cela en disant que les locaux regardent les mondiaux. Les pauvres
sont nourris avec le spectacle des riches. Le constat est confirmé
par les chiffres concernants le temps passé à regarder
la télévision. Les statistiques concernant le temps
passé devant la télévision montrent que ce
spectacle fonctionne bien : les humains regardent la télévision
en moyenne 3 h par jour, soit 1095 heures par an ou 45 jours sur
un an.
Dans ce livre sur le coût humain de la mondialisation, il
continue sa démarche en rappelant l’analyse de la domination
développée par Michel Crozier. ( ) La stratégie
consiste à permettre à la domination d’avoir
autant de marge de manœuvre que possible, autant de liberté
d’action que possible et de limiter au maximum la liberté
de décision pour les dominés. Il s’agit d’un
processus avec deux faces complémentaires. Pour lui, une
nouvelle distribution de la souveraineté a eu lieu, sa base
technologique c’est la révolution de la technologie
de la vitesse. Côté face, il existe une concentration
du capital sous toutes ses formes, une concentration de la décision,
une concentration de la liberté d’action et de déplacement
pour certaines personnes ; côté pile, il y a le reste
de la population qui est atomisé, qui n’a pas de pouvoir
de décision et ne peut se déplacer ni agir. Il y a
d’un côté, à la fin des années
90 du siècle dernier, environ 358 milliardaires, qui possèdent
autant que 2 300 millions d’humains de l’autre. Nous
retrouvons ici, de façon accentuée, le chiffre de
20% de la population mondiale qui possède 80% des richesses
mondiales. La mondialisation est bien la possibilité de s’enrichir
pour un petit nombre de personnes et plus des deux tiers de l’humanité
qui sont marginalisés. Avant cette mondialisation, on pouvait
voir que les riches avaient besoin des pauvres pour devenir riches,
il existait un lien entre les pauvres et les riches, une certaine
dépendance, aujourd’hui les riches n’ont plus
besoin des pauvres pour être riches. Il note trois thèses
qui recouvrent idéologiquement ce phénomène.
1/ Les pauvres sont décrits comme responsables de leur destin,
c’est de leur responsabilité s’ils sont pauvres
;
2 / La pauvreté est toujours présentée sous
l’angle de la faim et de la misère, le reste est caché,
oublié : les conditions de vie, le travail local, la production
des pays pauvres ne sont pas montrés. Il s’agit de
couper le lien entre la pauvreté et la destruction du travail
local par la mondialisation. Le lien entre les riches mondiaux et
les pauvres locaux n’est jamais analysé, ni visible.
3 / Il y a systématiquement une connotation entre la violence
et ces pays. Le thème du danger est immédiatement
associé à ces contrées, le besoin de forteresse
est ainsi présenté pour se protéger de leur
violence. L’association entre cette pauvreté et la
violence est perpétuellement faite, un amalgame qui attise
le sentiment d’insécurité lié au Sud.
Les révoltes sociales sont immédiatement vues sous
l’angle de la délinquance ou du conflit ethnique. Une
évidence s’impose toujours, il faut bloquer le mouvement
des autres, des populations potentiellement dangereuses.
Bauman continue son développement en expliquant que la pauvreté
n’est plus un symptôme de la maladie du capitalisme,
mais au contraire un signe de sa bonne santé. Ce constat
l’amène à voir comment le système a besoin
des consommateurs. Il faut toujours et sans arrêt mobiliser
le consommateur. Il se demande si l’on doit consommer pour
vivre ou si l’on doit vivre pour consommer sans se soucier
d’autre chose. Il pense que l’on ne peut plus séparer
la vie de la consommation. Cette consommation est un piège
parce qu’elle satisfait tout tout de suite, mais en même
temps cette satisfaction est immédiatement terminée,
il faut toujours recommencer. La satisfaction est le malheur du
consommateur et le capitalisme nous installe dans une perpétuelle
tentation et la dépendance. Nous alternons consommation et
insatisfaction pour le plus grand bien du capitalisme. Pour lui,
la consommation implique le mouvement permanent.
Ces analyses peuvent être mises en lien avec celles de Bernard
Stiegler, qui montrent que le désir est capté par
l’idéologie de la consommation pour faire vendre et
réaliser la plus-value. ( )
Bauman note que la différence entre le haut et le bas de
la société c’est la mobilité, il emploie
la notion d’apartheid, il ne va pas jusqu’à la
notion « l’apartheid social » , mais il n’en
est pas loin. L’accès à la mobilité mondiale
est le lieu de la différence. Il remarque que les plus libres
sont sans-papiers parce qu’ils n’en ont pas besoin.
Il y a bien deux mondes, un monde où les individus sont surbookés,
où le temps manque toujours, et un autre monde où
l’on a trop de temps, où le temps est vide, un temps
où il ne se passe rien. Il reprend les analyses qui estiment
que le rapport au monde est devenu un rapport esthétique,
un rapport où le vécu est primordial, où la
sensation, l’émotion est importante, le monde est «
savouré » . La société actuelle nous
laisse toujours insatisfaits pour mieux se perpétuer. Ce
qui compte maintenant, quand on pense aux riches, ce n’est
pas ce que l’on doit faire ou ce qui a été fait,
mais ce que l’on pourrait faire.
La séparation spatiale est bien une mise à l’écart.
Au XIXe siècle l’emploi du panoptique visait à
fabriquer des travailleurs disciplinés, soumis, la réhabilitation
était l’objectif à atteindre. L’éthique
du travail était à la base de ces procédures.
Aujourd’hui, Bauman estime que la prison est devenue une alternative
à l’embauche, l’éthique du travail n’est
plus à l’ordre du jour. Il s’agit plutôt
de désapprendre le travail ou d’apprendre celui qui
est toujours flexible, temporaire, sous-payé. L’exclusion
et l’immobilité ne peuvent plus se séparer.
La punition est de plus en plus employée, elle existe pour
faire face à la menace sociale, à l’ennemi intérieur.
Le nombre de personnes condamnées, emprisonnées augmente
sans cesse.
L’angoisse dûe à l’incertitude est focalisée
sur l’insécurité. L’État est devenu
un commissariat géant. Il dit que le vol qui est puni n’est
jamais ou très rarement celui du « haut » , mais
presque toujours celui du « bas » . Les crimes et l’insécurité
ne peuvent pas être reliés à la véritable
cause du phénomène, qui crée l’incertitude
existentielle, cause qui réside dans cette différentiation
entre l’élite mondialisée et hyper mobile et
le reste du monde bloqué dans le local. Le crime réprimé,
c’est celui des classes inférieures, ce qui révèle
que la criminalisation des pauvres est à l’œuvre.
Le monde tend vers une dualité extrême : une mobilité
très rapide pour le haut, la possibilité de s’enrichir
toujours plus pour quelques-uns, la participation au spectacle du
monde et la prison pour le bas, le temps vide, l’immobilité
forcée, la position de spectateur du monde et l’angoisse
existentielle sans moyens de comprendre ce qui se déploie
et dans lequel nous sommes inclus. En bas, c’est la précarité
qui règne avec le caractère jetable et interchangeable
des individus. L’exclusion est souvent au rendez-vous. Nous
retrouvons ici la notion de « salarié Kleenex »
employée lors de diverses luttes sociales de notre temps.
Dans un article publié par le journal Libération
en 2003, Zygmunt Bauman évoque Une planète pleine
et sans espace. ( ) Il se situe dans la continuité de ses
travaux antérieurs sur les phénomènes de ghettoïsation
à l’œuvre dans le monde postmoderne.
« Commençons par le processus de remplissage de la
planète : notre planète est aujourd’hui pleine.
Il ne s’agit pas là d’un constat de géographie
physique ni même humaine. C’est une proposition sociologique.
En termes d’espace physique et d’extension de la cohabitation
humaine, la planète est tout sauf pleine. Dire que la planète
est pleine, c’est simplement dire qu’il n’y a
plus d’espace sans maître, de no man’s lands,
de territoires qui peuvent être traités comme vides
de toute présence humaine, parce qu’ils sont dépourvus
d’administration souveraine, et donc ouverts à la colonisation
et au peuplement. Pendant une grande partie de l’histoire
moderne, ces territoires, aujourd’hui absents pour l’essentiel,
ont joué un rôle crucial, le rôle de décharges
pour les rebuts et les déchets humains produits en quantités
toujours plus grandes dans les parties du monde touchées
par le processus de « modernisation » .
La production de déchets humains, ou plus exactement d’humains
superflus et gaspillés, est un élément inévitable
de la modernité, de cette condition sociale qui se caractérise
par une modernisation perpétuelle et compulsive, obsessionnelle
et addictive. La production de gaspillage est un effet indissociable
de la construction de l’ordre (car chaque type d’ordre
prive certaines parties de la population existante de sa place légitime,
les définissant comme « inutiles » , «
incompétentes » , « inadaptables » ou «
indésirables » ) et du progrès économique
qui ne peut se perpétuer sans une dévalorisation des
modes qui permettaient jadis, mais plus aujourd’hui, de «
gagner sa vie » privant ainsi ceux qui les pratiquent de moyens
de subsistance. » ( )
Le terme « apartheid » est donc justifié. Dans
le cadre urbain des grandes métropoles, les inégalités
sont particulièrement frappantes, chaque grande ville a tendance
à devenir le lieu d’une séparation entre deux
ghettos, le « ghetto volontaire » et surprotégé
des puissants et le « ghetto involontaire » des démunis.
Les premiers possèdent du pouvoir, mais le plus souvent un
pouvoir aveugle qui se joue sur une autre scène, internationale,
tandis que les seconds sont proprement « démunis »
de toute capacité d’agir sur leur sort.
Cette façon de parler des « déchets humains
» à propos des individus rejetés par le capitalisme,
parce qu’ils sont devenus inutiles, peut paraître exagérée
et provocatrice. Nous sommes confrontés de nouveau au paradoxe
de la postmodernité. D’un côté, il est
possible de recevoir cette analyse depuis un point de vue fascisant,
qui se servirait de cette argumentation pour éliminer ou
parquer les « indésirables » . Dans le même
ordre d’idée, on peut également utiliser cette
analyse depuis un point de vue technocratique cynique et en conclure
qu’il faut surveiller, encadrer ces « inutiles »
, qu’il faut simplement limiter l’assistanat et gérer
le problème sans états d’âme. D’un
autre côté, il est possible de questionner l’organisation
de la société capitaliste pour essayer de changer
cette structure sociale, qui produit des être humains «
en trop » , « superflus » . L’égalité
et la justice trouvant là une raison supplémentaire
de ne pas accepter la situation actuelle. Bauman se place toujours
dans le champ de la critique sociale, puisqu’il note avec
regret la tendance actuelle à « rechercher des solutions
personnelles à des problèmes d’origine sociale
» . Si la cause des difficultés est sociale, le changement
doit être social. Son livre sur les intellectuels est une
critique de la décadence des intellectuels. Un libraire en
résume le propos :
« Pour les philosophes, les idées étaient le
monde. La société postmoderne a fait du monde un marché
au sein duquel les individus se sentent protégés des
peurs extérieures et du vide social. Elle a liquidé
les intellectuels au bénéfice d’une bulle financière
artificielle. » ( )
Georges Friedman parlait du travail en miettes en 1956. ( ) Bauman
évoque la vie en miettes pour décrire la postmodernité
en 2003. ( ) La sociologie de Zygmunt Bauman nous transmet des analyses
pessimistes, sans doute est-ce le prix de la lucidité. Il
n’est pas question de réenchantement du monde chez
Bauman. Eve Chiapello et Luc Boltanski nous ont expliqué
comment les capitalistes et le management ont intégré
la critique artiste pour se renforcer. Bauman constate les effets
du processus dans la postmodernité, un des résultats
de son travail est le suivant : « Il y a des humains en trop
! » .
Il n’est donc pas étonnant de constater qu’il
existe au Nord comme au Sud des humains vivant dans des statuts
sociaux très dégradés, à la limite de
l’humanité. La position de « paria » s’est
étendue de l’Inde à toute la planète.
En elle-même, cette observation contient la question de savoir
ce qu’être humain veut dire.
IV / L’écho des divans, la postmodernité en
psychologie
Au sein de la psychanalyse, il existe des débats sur notre
période et ses évolutions. Un des premiers auteurs
à soulever la question du changement dans l’ordre des
symptômes est Julia Kristeva. Elle n’emploie pas le
terme « postmodernité » , son livre a pour titre
: Les nouvelles maladies de l’âme. Il paraît en
1993. ( ) Ce livre est le résultat d’une expérience
d’analyste sur quinze années environ. Ce qui situe
les débuts de la postmodernité à la fin des
années soixante-dix du XXe siècle. Ceci correspond
à l’apparition du concept pour nommer la nouvelle période.
Les artistes en parlent les premiers, presque aussitôt suivis
par un philosophe : Lyotard. Des sociologues abordent le sujet à
la fin des années quatre-vingt, soit dix ans après
et des psychanalystes constatent les effet psychiques environ cinq
ans plus tard.
Ces nouvelles pathologies se caractérisent par un mode de
fonctionnement psychique, qui privilégie l’agir et
les somatisations. Kristeva parle des maladies de l’humain
de plus en plus soumis au paraître. L’individu postmoderne
perd son âme en consommant des images, des marchandises et
du sexe. Voici comment Kristeva et son éditeur présentent
l’ouvrage :
« La pratique psychanalytique récente découvre
de « nouveaux patients » . Au-delà des apparences
classiques, hystérie ou névrose obsessionnelle, les
blessures narcissiques, les risques de psychose, les symptômes
psychosomatiques montrent tous une particulière difficulté
à se représenter. L’espace psychique, cette
chambre obscure de notre identité, où se réfléchissent
à la fois le mal de vivre, la joie et la liberté de
l’homme occidental, est-il en train de disparaître ?
Cet ensemble d’études pose une question alarmante qui
révèle non seulement une urgence thérapeutique,
mais aussi un problème de civilisation. » ( )
Lors d’une conférence, elle explique sa position :
« Il existe une modernité de la psychanalyse : Freud
n’a pas tout dit, et les êtres humains de cette fin
du XXe siècle présentent des malaises qui, sans être
tout à fait surprenants (on en a connu certaines versions
dans le passé) prennent des formes nouvelles. Je les appelle
« nouvelles maladies de l’âme » . Il s’agit
d’états psychiques que les psychanalystes du passé
n’ont pas nécessairement repérés, ou
qui se sont manifestés nouvellement dans le monde contemporain.
»
Ces « nouvelles maladies de l’âme » apparaissent
dans un contexte que vous connaissez : le destin moderne de la famille
entraîne moins de disponibilités des deux parents et
un affaiblissement de la fonction protectrice ou légiférante
du père. La dislocation des liens s’aggrave en raison
« des difficultés matérielles, du chômage,
des migrations, etc. » ( )
Julia Kristeva définit trois périodes dans l’histoire
de la psychanalyse : la période freudienne avec les trois
topiques, le ça, le moi et le surmoi ; la seconde période
avec Lacan et l’inconscient structuré comme un langage.
La troisième période étant celle qu’elle
aborde avec les nouvelles maladies de l’âme.
« Nous nous rendons compte, quand nous écoutons nos
patients, que cette représentation psychique est de plus
en plus mise en échec, que les nouveaux patients ont du mal,
non seulement à dire, mais à trouver des représentations,
fussent-elles pré-verbales, sensorielles ou imagées,
à leurs crises, à leurs malaises, à leurs conflits.
Leur demande d’analyse se situe au niveau de cette plainte-là.
De telle manière que par moment, en écoutant cette
plainte, j’ai le sentiment que quelque chose de ce que notre
Occident a élaboré sous le terme d’intimité,
ou de for intérieur, cette camera oscura de notre vie psychique,
est mis en danger. L’espace psychique, l’espace de représentation
est menacé. » ( )
Dans ce cadre, les pathologies narcissiques sont nombreuses. Pressés
par le stress, impatients de gagner et de dépenser, de jouir
et de mourir, les hommes et les femmes d’aujourd’hui
font l’économie de la représentation de leur
existence, ce que la psychanalyse nomme vie psychique. Il n’est
donc pas étonnant de rencontrer des personnes perturbées
psychologiquement dans notre postmodernité marquée
par la ruine des systèmes symboliques. Les sujets ont souvent
la sensation de vivre dans un grand vide stérile sans âme
où règne l’indifférence.
La question de l’évolution des symptômes est
soulevée, de façon différente, par un sociologue
: Alain Ehrenberg. Il publie successivement trois livres qui forment
une suite. Il s’agit d’une vaste enquête sur l’individualisme
contemporain, le changement des normes régissant vie publique
et vie privée : Le culte de la performance en 1991, L’individu
incertain en 1995, La fatigue d’être soi en 1998. Ehrenberg
s’interroge sur le lien qui peut exister entre la société
et le mal-être de l’individu contemporain : la dépression.
À partir de l’étude des travaux de psychiatres,
de psychanalystes, de sociologues, de médecins, de psychologues,
etc. Ehrenberg analyse l’état psychique de l’individu
dans la société actuelle. Il s’agit de savoir
si les mutations de la société ont une influence sur
le psychisme individuel. Cet auteur n’utilise pas la notion
de postmodernité. Mais, il étudie bien les conséquences
d’une mutation sociale. Ehrenberg propose de voir la dépression
comme une pathologie du changement et non comme le résultat
de la misère économique et sociale.
« Une nouvelle espèce de patients va apparaître
dans le milieu psychiatrique : les états-limites. Sans conflit
psychique interne, sans réelle angoisse, ils sont «
chroniquement vides » et surtout « prisonniers de leur
humeur » . Cet état déficitaire est une pathologie
de l’identité ; l’individu a du mal à
s’identifier. On appelle cela une pathologie « narcissique
» ; les états-limites ont une vision de leur Moi trop
idéale pour se concrétiser, ils vivent ainsi dans
un manque, un vide, une attente passive sans conflit. Si la névrose
est une maladie liée à la loi, à la culpabilité,
au conflit, la dépression au contraire est fondamentalement
associée à un déficit, à une insuffisance.
Le conflit qui règne au sein de tout être névrosé
pourrait être un soutien de taille, un moteur pour le dépressif
qui manque de tout. Pour pallier ce vide, de plus en plus de dépressifs
recourent à la drogue, pour se donner une contenance contre
ce vide omniprésent, ou pour fuir simplement leur dépression.
Observant ce manque de conflictualité au sein de la dépression,
Ehrenberg constate alors que le débat est passé à
un autre niveau : de l’angoisse d’être soi, c’est
maintenant la fatigue d’être soi qui prime. »
( )
Freud a étudié les pathologies liées à
l’interdit touchant la sexualité qu’il nomme
névroses. Le mot psychose étant réservé
aux affections les plus graves. Les définitions classiques
de ces maladies font partie du cursus scolaire. Un cours pour les
étudiants en kinésithérapie nous propose de
façon classique et un peu datée à la façon
de Freud ces définitions au chapitre psychopathologie :
« Névrose : affection psychogène où
les symptômes sont l’expression symbolique d’un
conflit psychique trouvant ses racines dans l’histoire infantile
du sujet et constituant des compromis entre le désir et la
défense.
Psychose : perturbation primaire de la relation libidinale à
la réalité que la théorie psychanalytique voit
comme le dénominateur commun des psychoses, la plupart des
symptômes manifestes (constructions délirantes) étant
des tentatives secondaires de restauration du lien objectales.
Perversion : déviation par rapport à l’acte
sexuel normal (coït visant à obtenir l’orgasme
par pénétration génitale avec une personne
du sexe opposé) c’est-à-dire quand l’orgasme
est obtenu avec d’autres objets sexuels (pédophilie,
nécrophilie) ou par d’autres zones corporelles (anales)
ou quand il est subordonné de façon impérieuse
à certaines conditions extrinsèques (fétichisme,
travestisme, voyeur, sadisme, masochisme…) » ( ) *
Parmi les psychoses, il existe la schizophrénie, la paranoïa,
la psychose maniaco-dépressive et son rythme cyclothymique.
Pour la psychanalyse, la psychose est liée, selon la théorie
lacanienne, à la forclusion du père, c’est-à-dire
à un défaut de symbolisation :
« Le terme de forclusion est au centre de la théorie
lacanienne des psychoses. Il marque le rejet du signifiant fondamental,
pierre angulaire sur laquelle se construit l’appareil psychique
du sujet non psychotique. Le père en tant que symbole, “le
Nom-du-Père”, constitue ce signifiant fondamental qui
permet l’accès au stade symbolique. La mère
exerce un rôle privilégié dans la transmission
à son enfant de ce premier symbole qu’est la fonction
paternelle. L’exclusion de cette représentation précipite
le développement d’un fonctionnement psychotique, marqué
par le défaut de symbolisation. Exclu du fonctionnement symbolique,
le sujet psychotique se réfugie dans le réel et dans
l’imaginaire, prélude aux hallucinations et au délire.
C’est dans son article « D’une question préliminaire
à tout traitement possible de la psychose » que Jacques
Lacan étaye sa théorie de la forclusion et affirme
que « ce qui a été forclos dans le symbolique
apparaît dans le réel » . La castration apparaît
alors non plus comme une représentation symbolique mais comme
une menace réelle. » ( )
Les états-limites ou border-line sont définis comme
un état clinique frontière entre la névrose
et la psychose. La proximité de la psychose est un des éléments
constitutifs de la définition.
« L’état-limite est désormais considéré
comme une entité clinique autonome. Bien que ce trouble ait
une réalité incontestable, on a vainement tenté
d’en donner une définition consensuelle satisfaisante.
Ces états constitueraient 30 % des consultations psychiatriques.
Le groupement sémiologique n’est ni névrotique
ni psychotique : il passe d’un mécanisme à l’autre.
Des épisodes psychotiques temporaires peuvent surgir au cours
de l’évolution. Les états-limites ont été
apparentés tour à tour aux préschizophrénies,
aux schizophrénies incipiens, aux déséquilibres
et aux névroses atypiques, aux cas classiquement dénommées
schizomanies, aux maladies du caractère ou même aux
comportements pervers.
Le DSM-3 nous dit ceci :
Personnalité limite (borderline) : Mode général
d’instabilité de l’humeur, des relations interpersonnelles
et de l’image de soi-même, apparaissant au début
de l’âge adulte.
Le DSM requiert au moins cinq des manifestations suivantes :
1 / instabilité et excès ;
2 / impulsivité ;
3 / instabilité affective ;
4 / colères intenses et inadéquates ;
5 / menaces suicidaires ;
6 /trouble de l’identité ;
7 / sentiment permanent de vide ou d’ennui ;
8 / efforts effrénés pour éviter les abandons
réels ou imaginés. » ( )
La fréquence de la dépression et des états-limites
est une donnée nouvelle pour la psychologie. Certains psychanalystes
proposent des hypothèses pour comprendre l’évolution
des symptômes. C’est le cas d’Hélène
Richard, une analyste québécoise, qui s’exprime
dans la revue de psychanalyse Filigranes. Son article a pour titre
Une psychanalyse postmoderne :
« La culture ambiante est intériorisée par
l’individu à travers le filtre de sa subjectivité,
de son histoire personnelle. De la même façon, la psychanalyse,
en tant qu’institution, est traversée par la culture
dont font partie ses membres et ne peut prétendre à
un regard extérieur sur les phénomènes sociétaux.
Elle essaie cependant d’en comprendre le sens. » ( )
Sa description de la période postmoderne reprend les éléments
transmis par la sociologie :
* La consommation de masse :
* L’essor des techno-sciences ;
* La fin des grandes vérités : émergence d’un
nouveau type d’individualité ;
* Pensée de l’errance et attitude pragmatique face
au savoir ;
* Déstabilisation du moi ;
* Le néotribalisme ;
* L’essor des neurosciences et des médicaments. (
)
Elle aborde les troubles du sujet en reprenant le travail d’Yves
Boisvert sur la dictature de l’individu qui :
« … accapare toutes les choses désubstantialisées,
qui l’entourent et leur donne le sens qui lui convient.
« Dans la postmodernité, le sujet se fait donc l’inventeur
de ses propres objets, objets qui ne durent que le temps de la pulsion
et qui s’évanouissent par la suite. C’est ainsi
que le postmodernisme réussit à conjurer le nihilisme.
» ( )
En Europe, des psychanalystes arrivent également à
la même conclusion. C’est le cas de Jean-Pierre Lebrun,
qui a écrit un livre nommé Un monde sans limite, essai
pour une clinique psychanalytique du social. ( ) Il existe d’autres
psychnalystes, qui travaillent sur ce thème. Par exemple,
l’Ecole psychanalytique de Bretagne organise un groupe d’étude,
animé par Jeanine Pirard-Le Poupon, sur la clinique du lien
social : De l’indécidable dans la clinique aujourd’hui.
« Dépressions, addictions, errances, impostures pathologiques,
folies meurtrières, témoignent des modalités
contemporaines du malaise dans la civilisation, où le désir
en panne s’alimente davantage de l’égarement
que de la culpabilité. Cette actualité nous invite
à questionner le champ de la clinique traditionnellement
réparti entre névrose et psychose, selon qu’est
inscrit ou pas le signifiant phallique. Comment formaliser cet indécidable
à quoi l’expérience aujourd’hui nous confronte,
autrement qu’en termes fourre-tout « d’états-limites
» : la « perversion ordinaire » , la « psychose
ordinaire » sont des réponses construites que l’on
tentera de discuter. » ( )
Jean-Pierre Lebrun parle d’un « monde sans limites
» . Il analyse les pathologies psychiques humaines et sociales
de notre temps comme étant engendrées par l’idéologie
qui traverse notre société. Une idéologie qui
conduit progressivement à exclure la notion de limites. Il
emploie la notion de « discours de la science » pour
parler de l’idéologie contemporaine, qui énonce
que « tout est possible ! » immédiatement.
Les figures d’autorité sont délégitimées.
L’autorité symbolique ne peut plus fonder la reconnaissance
de la différence des places entre les générations.
Le capitalisme propose un idéal de jouissance à la
différence des sociétés antérieures,
qui, en instituant l’humain, transmettait une limitation du
désir. L’entrée dans la vie pour les humains
passe par le langage et par la rencontre avec l’interdit transmis
par le tiers paternel. L’interdit de l’inceste se conjugue
avec l’ambiguïté du langage. Le langage rate toujours
un peu la chose, il va de pair avec l’impossible fusion avec
la mère. On passe toujours par les mots des autres, à
commencer ceux de notre mère. La psychanalyse estime que
le « non » qui interdit est aussi un « oui »
au désir. La figure du père, ou de la personne qui
en tient lieu, montre comment le désir est vivable. Le tiers
a deux faces, une face qui interdit et l’autre qui le rend
possible. Lacan a parlé de « métaphore paternelle
» , pour expliquer que la place du père était
ce qui permettait l’accès à la symbolisation
par l’intermédiaire du langage. Ce qui explique que,
quand il y a forclusion, la symbolisation ne fonctionne pas très
bien.
Lebrun constate que chaque société dans l’histoire
humaine a organisé la transmission de l’interdit de
l’inceste, qu’il différencie de l’œdipe
qui, lui, n’est pas universel. Il pense que le désir
ne peut pas servir le lien social si le sujet ne pense qu’à
sa satisfaction. Il parle de Mutation du lien social ( ), mutation
qui atteint les possibilités d’énonciation du
sujet, puisque le sujet a du mal à subjectiver et à
symboliser sa situation. Si le désir ne supporte pas l’attente
ni l’interdit, il est impossible d’avoir un temps pour
l’examen de ce désir ni de supporter que tous les désirs
ne soient pas réalisables. Si la jouissance doit être
« toute » , l’être-ensemble des humains
devient problématique.
Freud avait déjà expliqué que la civilisation
humaine fonctionnait en appui sur cette limitation de jouissance
:
« C’est ce « non à la jouissance »
que déclinent les civilisations, les sociétés
et dont les familles se font le relais. Le processus descendant
de transmission du niveau le plus radicalement anthropologique jusque
dans l’espace social et familial et qui aboutit à la
naissance d’un sujet, n’est autre que ce que l’on
nomme éducation. « L’éducation, souligne
Freud dans sa première conférence de 1917, c’est
le sacrifice de la pulsion. » L’éducation est
une des déclinaisons de l’appareil civilisateur de
la culture. Chaque sujet est introduit, contraint et forcé,
à ce mode de traitement par ces éducateurs naturels
que sont les parents. La dialectique père/mère opère
une mise en tension entre la puissance de vie et le pouvoir du langage
qui permet à chaque petit d’homme de cheminer de la
pulsion au désir. Le désir naissant de cet empêchement
de base que je nomme traitement. Les formes de traitement de la
pulsion sont donc transmises dans l’espace familial, qui les
tire de l’espace social, du vivier des représentations,
valeurs, idéologies qui constituent le fond de scène
sur lequel évolue une génération. Ensuite tout
sujet, assujetti, à cette loi d’airain, va produire
ses propres modes de traitement. Il va intégrer le non à
la jouissance. » ( )
Charles Melman estime, lui, qu’une « nouvelle économie
psychique » a remplacé l’économie psychique
décrite et théorisée par Freud et Lacan. Son
livre L’homme sans gravité, jouir à tout prix
fait référence au titre du livre de Musil L’homme
sans qualités, mais il est aussi question de façon
métaphorique de la gravité au sens de Newton. L’autorité
antérieure à la postmodernité était
verticale et donnait la gravité psychique à l’humain,
le tenait debout. La postmodernité en délégitimant
les figures d’autorité fait devenir le monde comme
horizontal et l’homme se retrouve maintenant sans gravité.
« L’homme occidental de ce début de siècle
apparaît « sans boussole, sans lest » , affranchi
du refoulement, moins citoyen que consommateur, un « homme
sans gravité » , produit d’une société
libérale aujourd’hui triomphante, qui semble n’avoir
plus le choix : il est en quelque sorte sommé de jouir »
. ( )
Charles Melman parle donc d’une nouvelle économie
psychique pour caractériser cet état de « congruence
entre une économie libérale débridée
et une subjectivité qui se croit libérée de
toute dette envers les générations précédentes
» . Le sujet actuel semble pouvoir faire l’économie
de son passé. Il s’agit d’une mutation qui le
fait passer d’une économie psychique organisée
par le refoulement, donc de la névrose, à une économie
organisée par l’exhibition de la jouissance et qui
promeut la perversion, une perversion en forme de norme sociale.
« Notre rapport au monde n’est plus marqué par
le manque, mais par le surplus de présence, par l’accent
mis sur la possession de l’objet. Pour les névrosés,
tous les objets se détachent sur fond d’absence, mais
les pervers, quant à eux se trouvent pris dans un mécanisme,
où ce qui organise la jouissance est la saisie de ce qui
normalement échappe. « La grande philosophie morale
d’aujourd’hui est que chaque être humain devrait
trouver de quoi le satisfaire pleinement » . Les jouissances
sont fabriquées, artificielles et font partie des produits
de cette nouvelle économie psychique. » ( )
Une présentation de son livre résume son approche
:
« Charles Melman se demande à juste titre où
mène cette nouvelle économie psychique, si l’inconscient
freudien existe encore, si le sexe ne sera pas éliminé
en étant ramené au rang des jouissances ordinaires,
si la différence sexuelle ne disparaîtra pas au profit
de l’androgyne, si le transfert est encore possible. Mais
cet état de gavage du sujet comme dans un état gravidique
qui le fœtalise ne pourrait-il pas conduire aussi à
un processus de rejet, d’apoptose de tout ce qui fait placenta-objets
de jouissance imbibant, ne pourrait-il pas finir par faire jaillir
le « non, je n’ai plus faim de ça, mais de rien,
de désynchronisation, de processus de rejet immunitaire et
de pourrissement de ces enveloppes qui veulent mon bien-être
au point de me faire courir un risque mortel si je m’éternise
» ? La métaphore paternelle ne pourrait-elle pas s’imposer
au sein-même de ce gavage totalitaire au visage de l’économie
libérale et de la science ? Cette nouvelle économie
psychique est-elle si pessimiste ? Il pourrait peut-être suffire
que quelques sujets plus vifs que d’autres crient «
non ! » et se constituent comme de nouveaux paradigmes. Cette
nouvelle économie psychique pourrait susciter une sorte d’anorexie
psychique faisant boule-de-neige ? » ( )
Un autre psychanalyste s’est intéressé à
la postmodernité : Gérard Pommier. Il a publié
un livre sur Les corps angéliques de la postmodernité.
Il emploie ouvertement le concept.
« On saute à l’élastique, on s’épuise
avec l’aérobic…
Dans ce monde de plus en plus virtuel, nos corps sont contraints
de se transformer en machines à fuir le vide ambiant. Ils
ont perdu leur chair, leur érotisme, leur « sexuation
» , et des ailes d’anges se sont mises à nous
pousser dans le dos.
Cet angélisme se manifeste de multiples façons :
l’engouement pour la biologie supposée nous rendre
immortels et nous dire toute la vérité sur notre être
; la chute dans la dépression, faute de désirs ; le
tatouage ; etc.
D’un côté, on se relaxe, on s’offre aux
doigts du kinésithérapeute pour oublier ses tensions
; de l’autre, on se perce le cuir, on se grave la peau, ou
on devient anorexique, boulimique, pour se marquer, se faire remarquer.
Et pour se faire souffrir, afin de retrouver des sensations qui
nous appartiennent en propre !
État des lieux du corps moderne, cet essai frappe par l’originalité
de sa thèse : pour se maintenir vivant, un corps doit être
soutenu par des discours et des idéaux politiques, sociaux
; par des projets et des croyances rassurantes, capables d’offrir
des images plaisantes de l’avenir. Privé de rêves,
le corps se fige ! Comment recommencer à rêver ? D’abord
en réalisant que l’humanité est plus belle et
plus forte que les anges, et qu’elle ne saurait se réduire
à un tas de corps « chosifiés » , broyables
à merci par le capitalisme libéral et le scientisme
effréné ! » ( )
Gérard Pommier qualifie le corps postmoderne de corps émietté,
de corps autiste. La postmodernité veut se dispenser d’idéal,
il n’y a plus de lendemains qui chantent. Les rêves
sont télévisés, technicisés. Le corps
est grand comme le monde et tout est absorbé par le réseau.
L’idéologie des sciences sature l’horizon, la
fin des idéologies de progrès nous dit que l’état
actuel ne changera plus jamais. Le monde postmoderne ne nous demande
aucun acte de foi, il nous impose un renoncement à la liberté.
Les humains sont devenus marchandises. Le corps est génétique,
il est possible d’en isoler les composantes et la pureté
hygiéniste nous impose ses lois. Il envisage la postmodernité
comme une immense régression, où il est agréable
de s’annuler comme sujet tout en étant porté
par la croyance autarcique. La science veille à notre bien-être
au nom d’un idéal de pureté. Pommier nous rappelle
que l’existence humaine n’est que lutte et déchirement.
La postmodernité évacue cette donnée de base
de l’humanité.
Comme le dit un article du psychanalyste Jack Bensimon : La souffrance
n’est pas une maladie ... Elle fait partie de la vie. ( )
La postmodernité voudrait nous faire croire le contraire.
Ce qui est devenu difficile dans la postmodernité, c’est
le désir que peut soutenir le sujet et la possibilité
de la rencontre. Pour Pommier, l’humain carbure à l’idéal
et les malaises humains de notre temps sont à mettre en rapport
avec notre société qui refuse l’idéal.
Si les addictions se développent, si la frénésie
de consommation est devenue massive, selon cet auteur, l’explication
vient du défaut d’idéal. Les produits, toxiques
ou non, viennent prendre la place des idéaux, ils aident
le sujet à surmonter la difficulté du rapport à
l’autre, à se supporter lui-même et à
combler la béance entre le corps physique et la psyché.
Le sujet humain doit toujours faire un effort de subjectivation
pour supporter la rencontre, pour verbaliser son existence, ses
désirs, pour calmer ses angoisses. ( ) La dépendance
à la marchandise et au spectacle est bel et bien citée
comme une des caractéristiques du capitalisme postmoderne.
Ce courant de la psychanalyse n’est pas très optimiste
sur notre situation, mais leurs arguments, étayés
sur la pratique clinique, justifient cette inquiétude. Ils
ont été rejoints par le philosophe Dany-Robert Dufour,
qui a écrit, en particulier, L’art de réduire
les têtes, paru en 2003. ( )
« Après l’enfer du nazisme et la terreur du
communisme, il est possible qu’une nouvelle catastrophe se
profile à l’horizon. Cette fois, c’est le néo-libéralisme
qui veut fabriquer à son tour un « homme nouveau »
. Tous les changements en cours, aussi bien dans l’économie
marchande que dans l’économie politique, l’économie
symbolique ou l’économie psychique, en témoignent.
Le sujet critique de Kant et le sujet névrotique de Freud
nous ont fourni à eux deux la matrice du sujet de la modernité.
La mort de ce sujet est déjà programmée par
la grande mutation du capitalisme contemporain. Déchu de
sa faculté de jugement, poussé à jouir sans
entrave, cessant de se référer à toute valeur
absolue ou transcendantale, le nouvel « homme nouveau »
est en train d’apparaître au fur et à mesure
que l’on entre dans l’ère du « capitalisme
total » sur la planète. C’est cette véritable
mutation anthropologique, et les conséquences pour le moins
problématiques sur la vie des hommes qu’elle implique,
autrement dit ce que l’auteur appelle « l’art
de réduire les têtes » , qu’analyse cet
ouvrage. L’auteur traite ainsi, en philosophe, des questions
pratiques auxquelles sont confrontés aujourd’hui les
sociologues, les psychanalystes ou les spécialistes de l’éducation.
En s’interrogeant très concrètement sur l’avenir
des jeunes générations aux prises avec de nouvelles
façons de consommer, de s’informer, de s’éduquer,
de travailler ou, plus généralement, de vivre avec
les autres. » ( )
La mutation anthropologique, dont parle Dufour, est un résultat
de l’évolution du capitalisme. Son analyse peut se
lire sous l’angle biopolitique. Dufour est en phase avec le
constat de Toni Negri : le capitalisme postmoderne prend toute la
vie. Dufour pense que le capitalisme mange l’homme et qu’après
la consommation des corps dans le travail, la guerre et le sport,
nous sommes arrivés à la consommation des esprits,
d’où le titre sur la réduction des têtes.
Dufour développe la thèse suivante : l’échange
marchand tend à désymboliser le monde. Le capitalisme
cherche à détruire l’excès de sens, qui
accompagne les produits ou les choses que les humains s’échangent
entre eux. La valeur d’échange tend à évacuer
la valeur d’usage, la valeur symbolique et l’inscription
socio-culturelle qui accompagnent les objets. Seule compte la valeur
monétaire. On retrouve ici la déterritorialisation
de Deleuze et Guattari. Le capitalisme postmoderne ne tolère
plus aucune entrave à la circulation des marchandises. Ceci
a des conséquences sur l’usage du langage et la place
du discours dans les échanges entre les humains.
Ce nouvel âge du capitalisme, selon Dany-Robert Dufour, détruit
le sujet à plusieurs niveaux. Le sujet critique de Kant est
en difficulté, parce que la raison critique est dévalorisée
au profit des émotions, des images. Kant avait défini
le sujet critique comme un sujet utilisant le pouvoir de l’esprit
pour organiser, classer, discriminer, hiérarchiser, organiser,
évaluer, juger, argumenter. Il rappelle que pour ce philosophe,
ce qui n’a pas de prix est justement ce qui est concerné
par la notion de dignité. Cette dignité ne peut être
remplacée, elle n’a « pas de prix » et
« pas d’équivalent » , elle se réfère
seulement à l’autonomie de la volonté. Elle
s’oppose à tout ce qui a un prix. C’est pourquoi
le sujet critique ne convient pas à l’échange
marchand, c’est même tout le contraire qui est requis
dans les incitations à consommer dans le marketing et la
publicité pour les marchandises et le spectacle. Le système
nous promet une plus-value narcissique, si on achète tel
ou tel produit, notre qualité variant avec notre capacité
monétaire. Plus le prix est élevé, plus on
existe, du moins c’est ce que le système essaie de
nous faire croire.
Le second sujet attaqué par le capitalisme est le sujet
freudien. Ce sujet est marqué par l’inconscient. Le
sujet, théorisé par Freud, est un sujet névrosé,
sa névrose varie en fonction du grand sujet de sa culture
d’origine. Le névrosé est confronté à
la dette symbolique. Pour énoncer sa parole, il emprunte
les mots à l’instance symbolique. Cette dette est une
dette impossible à payer. Le sujet critique des Lumières
et le sujet freudien sont les mêmes.
Dany-Robert Dufour appuie son argumentation sur la notion de «
grand sujet » . ( ) Pour lui, l’histoire nous montre
que le sujet est soumis à des grandes figures, la soumission
du sujet est liée à la figure de l’Autre ou
des Autres, qu’il nomme les grands sujets.
Le premier, c’est la phusis grecque. Le sujet est soumis
à la nature et à ses forces. Ce sont des dieux immanents,
qui déterminent des événements dans lesquels
je suis pris. Le sujet est soumis à des forces que l’on
ne comprend pas, et qui, de plus, sont contradictoires. La condition
de l’humain grec est celle du tragique. Pour essayer d’y
voir clair, il faut consulter l’Oracle, comme l’a fait
Œdipe. Il faut interpréter et la figure d’Œdipe
est typique. Il respecte la parole de l’oracle, il fuit ses
parents (adoptifs) pour éviter les grands malheurs annoncés,
puis, il tue son père et épouse sa mère, et,
par-là même, réalise l’oracle.
Ensuite, le sujet est soumis au dieu des monothéismes. Ce
dieu-là est lointain, il est transcendant, unique dans chaque
religion. Cela correspond à l’invention de la subjectivité,
à l’intériorité. Augustin parle du maître
intérieur. Il y a une délibération en chacun
de nous. Ce dialogue intérieur est celui des Confessions
d’Augustin. Ce dialogue avec soi, on le trouve également
chez Montaigne. Il est présent chez Rousseau. Les monothéismes
sont accompagnés de constructions politiques et de formes
culturelles et symboliques. L’une d’entre elles est
le Roi. C’est un grand sujet. La monarchie, c’est le
commandement d’un seul. Le Roi-Soleil illustre bien ce moment
historique, autour de lui il y a des astres plus ou moins proches.
Le Roi est une figure à part, c’est ce qu’a bien
montré Kantorowicz, cité par Dany-Robert Dufour, avec
la thèse des deux corps du Roi : il y a un corps mortel et
un corps symbolique, qui est permanent et sacralisé.
Plus tard, nous arrive un nouveau grand sujet : le Peuple. Il apparaît
comme grand sujet suite à la révolution française
et aux autres révolutions, qui ont eu lieu en Europe. La
difficulté avec le Peuple, c’est qu’on ne peut
pas l’incarner. Se pose alors la question de la représentation
et de fait une bureaucratie s’installe. Saint-Just s’en
rend compte assez vite. L’esthétique cherche une figuration
possible au travers du romantisme. La démocratie et la raison
deviennent les nouvelles références.
Ultérieurement, la figure du prolétariat s’impose
et il s’agit d’être un sujet au service de la
classe ouvrière. Ceci a capté les aspirations d’une
partie de la jeunesse des années soixante-dix. D’un
point de vue historique, les figures des grands sujets sont au centre
de la culture de chaque époque. C’est décisif
dans les créations culturelles que sont les systèmes
symboliques humains.
Pour Dufour, il convient d’ajouter à la mort programmée
du sujet critique kantien et du sujet névrotique freudien
un troisième avis de décès, celui du sujet
marxien. Dans l’économie capitaliste actuelle, le travail
n’est plus seulement ce sur quoi repose la production de la
valeur. Le capital n’est plus essentiellement constitué
de la plus-value issue du travail non payé dans le processus
d’exploitation des prolétaires. Le capital se déploie
et se développe de plus en plus sur des activités
à haute valeur ajoutée : recherche, génie génétique,
Internet, information, médias... Dans ces activités,
la part du travail salarié peu ou moyennement qualifié
est parfois extrêmement faible. Cet auteur, ajoute que le
capital prospère désormais sur la gestion des finances
dans des mouvements spéculatifs de grande ampleur. La part
de l’économie réelle décroît à
mesure que le capital financier se développe. Cette évolution
fonctionne avec des nouveaux mécanismes financiers et de
nouveaux outils de gestion du capitalisme. Il s’est créé
une économie virtuelle, souvent appelée « économie
casino » , qui essaie de créer énormément
d’argent avec presque rien, en vendant très cher ce
qui n’existe pas encore, n’existe plus ou n’existe
pas du tout. Les risques sont connus et les crises financières
se succèdent les unes après les autres. ( ) La valeur
travail a donc tendance à diminuer de part les délocalisations
et le fonctionnement du capital financier. Le travail est déprécié,
il ne vaut presque rien dans les pays du « Sud » , même
s’il est fondamental dans la production capitaliste mondiale.
Le sujet « marxien » existait par le travail. L’engagement
syndical et politique donnait une valeur aux sujets prolétaires
et aux salariés qui luttaient aux côtés des
ouvriers. Aujourd’hui, nous sommes plutôt des prolétaires
de la consommation. André Gorz parle à ce sujet de
La production du consommateur:
« La consommation, notamment via la publicité, produit
littéralement l’imaginaire collectif, sature le réservoir
des affects et de « l’expérience » de la
vie moderne, affects et « expérience » qui pourront
être capitalisés, mobilisés, réinvestis
par la « petite entreprise humaine » dans le travail.
La consommation, trouvant sa source dans des désirs illimités,
n’a donc pas seulement fonction d’ordre et de contrôle
social et politique, de ligne de brouillage des luttes d’émancipation
et contre les inégalités, mais bien aussi de relais
dans l’ordre de la mobilisation totale de l’individu.
Elle n’est pas l’autre de la modernité ou son
prolongement, elle est la modernité, la vérité
de l’individu moderne. » ( )
Le sujet marxien, tel que le nomme Dufour, tend lui aussi à
disparaître. Il était lié à la classe
ouvrière et avait un aspect collectif. La classe ouvrière
devait devenir une « classe pour soi » par la lutte
syndicale et politique pour changer la société. L’individualisme
postmoderne disqualifie cette façon de concevoir le sujet,
à la fois sur le plan personnel et sur le plan collectif.
Jamais l’individu postmoderne ne s’annihile dans le
collectif, tribal ou non. Le modèle du sujet marxien est
devenu obsolète.
Dufour pense que le capitalisme produit les sujets dont il a besoin
et nous plonge dans une indifférenciation, où la différence
entre les générations et la différence entre
les sexes s’estompent. Les difficultés du sujet postmoderne
sont liées à la désymbolisation opérée
par la mutation anthropologique en cours.
L’enjeu de ces analyses en philosophie est celui de la possibilité
même du sujet. Ce constat rejoint l’analyse de Félix
Guattari dans son livre sur Les trois écologies. ( ) En 1989,
celui-ci décline la notion d’écologie sous trois
formes :
- L’écologie environnementale comme rapport à
la nature, le sens le plus courant et quasi exclusif du terme ;
- L’écologie sociale comme rapport à la société
et comme rapports des groupes sociaux entre eux ;
- L’écologie existentielle comme rapport à
soi-même et aux autres.
L’écologie existentielle concerne la subjectivité
dont parlent les psychanalystes. Félix Guattari était
psychanalyste et philosophe. Il a écrit plusieurs livres
avec Gilles Deleuze. L’existentiel est devenu un enjeu important
dans le contexte de la postmodernité.
Les individus sont les parties sérielles de la société.
Les sujets sont un effet de la subjectivation. Il n’y a pas
identité entre l’individu et le sujet. Que le sujet
soit philosophique, psychologique, politique, amoureux ou esthétique,
il est un résultat d’une démarche personnelle
unique dans tous les cas. La singularité du sujet peut se
fondre dans la masse, mais isoler la partie indivisible de la masse
ne suffit pas à trouver le sujet. C’est lui-même
qui se trouve ou pas. C’est un processus en partie inconscient,
qui demande une mise à distance vis-à-vis de l’immédiateté,
qui nécessite un travail personnel et un engagement.
Dans ce cadre, la notion de vérité est différente
de la vérité proposée par la science. Ici,
pas d’hypothèses, pas de vérification, pas d’objectivité
ni de reproductabilité. La vérité du sujet
n’est jamais définitive, elle est liée au désir,
elle peut faire souffrir, sa rationalité, si elle est recherchée,
vient après-coup parfois. Cette vérité est
une énonciation imprévisible, c’est un mixte
entre notre imaginaire, la sphère symbolique et le réel.
C’est cette possibilité de subjectivation que la postmodernité
capitaliste met à mal. La lutte pour exister ne porte plus
seulement sur les besoins humains de base, elle inclut maintenant
l’existentiel au sens psychique. C’est d’autant
plus difficile d’exister de façon originale que nous
vivons dans une société de masse, qui tend à
uniformiser les comportements.
Les difficultés du sujet sont importantes. Très souvent,
il existe une dissonnance entre l’activité sociale
et les désirs subjectifs. Dans cette situation, l’existentiel
souffre et c’est banal. D’un côté, nous
avons, comme le dit Dufour, une injonction de jouissance, et de
l’autre, une autorité qui ne parle plus parce que le
ciel est vide. La transcendance a été disqualifiée.
L’autorité n’a pas disparu, elle se croit simplement
dispensée de parler du sens de la vie et de proposer un idéal
aux humains. En conséquence, la crise du sens au niveau collectif
perturbe la subjectivité au niveau personnel. Un des enjeux
de la définition de la postmodernité est donc bien
le « devenir sujet » des humains. La psychanalyse le
confirme, puisqu’elle constate que la possibilité d’existence
du sujet est devenue un élément clinique de la situation
contemporaine.
V / La postmodernité en politique
La fin des idéologies n’en était pas une, l’idéologie
continue de fonctionner. L’idéologie est indispensable
à la domination politique et économique pour se donner
une bonne image, elle est également nécessaire aux
personnes dominées afin de supporter la domination et l’exploitation.
La fin des idéologies était la fin des idéaux
de changement de la société. Les grands desseins ont
disparu, il ne reste que la gestion. La gestion s’appuie sur
les experts et le discours de la science. La gestion est technique.
Aux questions soulevées en politique, elle répond
par des dispositifs techniques, des procédures, des lignes
de crédit ou des produits. La gestion évacue le contenu
politique des luttes des sujets individuels et collectifs. Dans
ce cadre, chaque question a une réponse, la délibération
collective n’a plus de place. Le bien commun, la volonté
générale ne sont plus l’objet de débats.
La question de la légitimité des lois est réduite
à la légalité. Au mieux, cela se traduit par
le respect des procédures législatives, mais souvent
ce sont des décrets et des circulaires qui énoncent
les règles à respecter. Ces mesures sont appuyées
sur un réseau d’évidences énoncées
dans les médias.
Cette mutation de la politique, qui remplace les discussions sur
l’être ensemble par la gestion technique, est conjointe
de la captation du débat public par les médias. La
domination a pris un tour mental. La maîtrise de la langue
est devenue un enjeu pour le maintien et la reproduction du capitalisme.
Eric Hazan a appelé cela la LQR, la langue de la cinquième
République, Lingua Quintæ Respublicae en latin en référence
à la LTI - Lingua Tertii Imperii - de Victor Klemperer sur
la langue du IIIe Reich.
Les nazis ont inventé des mots pour servir leur propagande
( ). Il y a eu une langue nazie. Ils ont gagné aussi par
la langue en changeant la valeur des mots, en transformant la langue
allemande en moyen de domination. Klemperer a mis en évidence
les possibilités d’asservir une langue, et donc la
pensée elle-même. La maîtrise de la langue a
permis la manipulation des masses. Eric Hazan démontre qu’il
y a une langue du pouvoir, issue de la politique, de la publicité,
de l’expertise économique et du journalisme. Une langue,
qui se propage dans tous les domaines pour endormir le peuple, le
rendre indifférent aux injustices et aux inégalités.
Une langue, qui gomme toute velléité de rébellion
et s’emploie à maintenir l’ordre. Une langue,
qui sert le consensus au profit de la domination capitaliste actuelle.
Il situe la naissance de cette langue aux alentours des années
60 du XXe siècle, elle se déploie massivement dans
les années 80 - 90 de la fin du vingtième siècle.
Eric Hazan étudie la modification du sens des mots, le changement
de la valeur des concepts et leur fréquence. Il n’y
a pas de volonté centralisée, pas de décision
dans ces transformations. Il situe l’origine de cette langue
principalement chez les économistes, les publicitaires, les
politiciens et les journalistes. C’est une sorte de lissage,
un vernis sémantique pour cacher les réalités
derrière des abstractions, une syntaxe privée d’articulations
logiques, une utilisation d’hyperboles et d’euphémismes.
L’hyperbole amplifie et l’euphémisme atténue
et adoucit. Ici, la recherche de l’efficacité se fait
aux dépens de la vraisemblance. Le message implicite est
porté par la langue, les mots sont vidés de leur sens
premier. Le discours peut n’avoir aucun sens, pourvu qu’il
atteigne le but fixé : masquer le réel, entretenir
le consensus. Sa critique rejoint celle de François Brune,
qui dénonce la publicité comme l’idéologie
de notre temps. ( )
Hazan s’interroge sur les raisons du succès de cette
langue. Il note que le contexte est celui de la concentration des
médias aux mains de grands financiers, de grands patrons
marchands d’armes ou entrepreneurs de travaux publics, les
rois du béton et du goudron. Il relève également
l’intérêt de toute une partie de la population
: politiciens, journalistes, cadres, universitaires, fonctionnaires,
etc. à voir se maintenir l’ordre sous-jacent à
la LQR, l’ordre inégal et injuste du capitalisme contemporain.
Il constate le caractère performatif de cette langue : l’énonciation
de la phrase est l’exécution d’une action. Plus
cette langue est parlée, plus les valeurs qu’elle défend
ont tendance à se réaliser. Il est presque impossible
de l’utiliser sans être imprégné du message.
Eric Hazan fait œuvre de déconstruction en étudiant
le résultat de cette LQR, en regardant les mots employés,
les tournures de phrase, les procédés rhétoriques.
Il remarque l’usage massif des euphémismes et se demande
quelle est la fonction de l’euphémisme. Sa réponse
: la LQR vise le consensus. Elle ne concerne pas les rares cyniques,
qui s’expriment publiquement. C’est le langage commun
qui est en cause. La LQR a fait disparaître les pauvres, qui
sont devenus des « familles modestes » . Il n’y
a plus d’oppresseurs ni d’exploiteurs parce qu’il
n’y a plus d’opprimés ni d’exploités.
Les procédés de l’euphémisme ? Contournement,
évitement, substitution, atténuation. Avec les euphémismes,
il est possible de cacher une réalité, contourner
un non-dit. Par exemple, le concept de « partenaires sociaux
» remplace ceux de patrons, chefs d’entreprises, de
bourgeois. Ils sont alliés dans une lutte contre les salariés,
mais, avec ce terme, les deux parties sont mises sur le même
plan. Les dominants sont ainsi débarrassés de toutes
visées agressives.
Eric Hazan note que de nombreux anglicismes sont utilisés,
par exemple, la gouvernance. Au passage, la domination d’une
classe sur d’autres classes a disparu. La LQR emploie la notion
de catégorie sociale, plus neutre et apparemment plus objective.
La gouvernance est fonctionnelle, elle positive, elle cherche des
solutions à nos problèmes et nous maintient dans l’idée
qu’il s’agit d’une question de gestion technique,
où les experts savent ce qui est bon pour le peuple.
La LQR masque la réalité. Il faut assez fréquemment
camoufler les contresens ou cacher le vide derrière les mots
employés. C’est le cas du mot « réforme
» , qui recouvre en réalité une remise en cause
d’avantages acquis, un recul social. Cela peut concerner aussi
la mise à la trappe d’une réforme antérieure,
qui gêne un peu la gestion ultra libérale du capitalisme.
Le terme crise est très souvent présent dans les
discours politiciens ou médiatiques. Pourtant, il est question
de problèmes chroniques, qui durent depuis longtemps et dont
les origines sont liées au fonctionnement même du capitalisme
actuel. L’emploi du mot crise laisse supposer un mal bref
et aigu, dont la résolution peut être rapide, notamment
dans le domaine médical.
La croissance est un mot magique, très important politiquement.
Elle est scientifique et appuyée sur analyses chiffrées,
mais ces données sont incontrôlables. La croissance
est censée résoudre tous nos maux. Pas de questions
sur le type de croissance, ni pour qui et pourquoi il faudrait croître.
Autre exemple, les « hauts » conseils, qui servent à
rendre respectables les chiffres sacrés.
Le préfixe « post » donne l’illusion du
mouvement, d’une évolution vers le progrès,
alors que les problèmes demeurent. Ce suffixe efface le passé
dérangeant. La colonisation évolue vers le post-colonial,
l’ère industrielle et la lutte de la classe ouvrière
tendent à disparaître au profit du règne du
tertiaire, des services, du post-industriel.
Un autre ressort de la LQR est l’amplification rhétorique,
l’hyperbole. Il faut utiliser des mots porteurs d’un
sens très fort, pour dramatiser la situation. Pour les critiques
d’art, l’emphase est régulière. Eric Hazan
note également que la présence du vocabulaire militaire
s’accentue : feuille de route, mobilisation, intervention
sur zone, fenêtre de tir, prise en otage des usagers, «
la situation est sous contrôle » , etc.
L’auteur se pose la question de savoir si nous ne sommes
pas face à un renversement de la dénégation
freudienne. La dénégation freudienne existe lorsque
nous refoulons ce que nous avons en nous, ce qui nous pose problème,
la violence par exemple, ou des désirs inavouables. Pour
la LQR, la dénégation c’est se prévaloir
de ce qu’on n’a pas. Par exemple, il est question de
la transparence, des élites, de la diversité, du dialogue
social, de la concertation, etc. de toutes ces choses positives
que l’on aimerait bien voir exister. Nos dominants affirment
la solidarité haut et fort, mais sans aucun acte.
La LQR utilise l’essorage sémantique. Certains mots
perdent leur sens initial pour être dévalués,
devenir creux, sans consistances. Il en est ainsi du vocabulaire
de la révolution française avec « république
» , « démocratie » , « droits de
l’homme » . Le mot « social » est devenu
une coquille vide. Idem pour la « modernité »
. C’est, selon le moment, un idéal inaccessible aux
barbares non occidentaux, ou un repoussoir à combattre au
nom des valeurs perdues. Par contre, la notion de modernisation
fait fureur en tant que processus présenté comme inéluctable
et allant toujours dans le sens du progrès.
La LQR c’est une ambiance, c’est l’esprit du
temps, un bain mental. Par exemple, la « société
civile » est opposée à l’État.
Par définition, c’est tout ce qui n’est pas la
société politique. La société civile
est généralement récupérée et
glorifiée comme un partenaire de la vie politique. Les liens
sont biaisés par la dépendance financière et
politique des ONG vis-à-vis des États. Les ONG finissent
par faire le travail des États, l’image de contre-pouvoir
qu’elles ont d’elles-mêmes et qu’elles diffusent
est un leurre.
Les valeurs universelles ? Autre exemple de renversement de la
dénégation freudienne : liberté, égalité,
fraternité, terre d’accueil, etc. De grands mots pour
masquer une réalité historique et quotidienne bien
plus sombre : apartheid social, exclusions en tout genre, xénophobie
d’État, racisme ordinaire, discriminations, violences
policières, expulsions,...
Les nobles sentiments sont survalorisés pour les classes
dominantes. Les élites dirigeantes sont « fermes et
décidées » , ceci pour notre bien. Le paternalisme
fonctionne bien, il existe des ministres délégués
aux défavorisés. La parole politique pratique une
alternance d’indignation face aux actes criminels inqualifiables
et d’écoute bienveillante des populations malheureuses,
mais incapables de se prendre en main.
La LQR a intégré très rapidement une sémantique
antiterroriste. Après le 11 septembre 2001, le concept «
arabo musulman » est apparu. Il est maintenant banal, même
s’il fait un amalgame entre une région géographique
et une religion. Le mot islamiste est devenu un épouvantail.
Les notions de « quartier sensible » , de « jeune
issu de l’immigration » ou de « maghrébin
» sont presque toujours connotées de façon négative
comme sources de problèmes.
La LQR utilise aussi l’effroi et la violence. Cette langue
vise l’uniformité et l’aplatissement, mais il
existe un domaine, où elle se permet les pires dérapages.
C’est le cas, lorsqu’il s’agit de défendre
l’Occident face aux peuples barbares. Le discours de la haine
et de l’élimination s’exprime alors librement.
Mais, si vous critiquez les USA, vous faites de l’antiaméricanisme
primaire.
La fonction essentielle de cette langue, c’est d’effacer
la division sociale. Eric Hazan constate que la LQR sert à
censurer tout ce qui s’oppose au capitalisme contemporain,
nommé ici néolibéralisme. C’est pour
cette raison, que l’évitement des mots du litige est
central dans cette novlangue. Après la chute de l’URSS,
il y a disparition des mots liés à la lutte de classes
et au communisme en général. La LQR parle de couche
sociale ou milieu au lieu de classe sociale. Le mot « élites
» est bien pratique, la domination disparaît.
En permanence, il faut recoller les morceaux. C’est une œuvre
politique, il faut absolument empêcher la division en expliquant
à ceux qui pensent différemment, qu’ils sont
dans l’erreur, et convaincre les citoyens qu’ils sont
liés par une certaine unité. Les mots « ensemble
» , « solidarité » , « proximité
» sont fréquemment employés par les élus,
qui vont sur le « terrain » . Il faut affirmer que cela
existe pour qu’on puisse y croire. Le tabou de la LQR, c’est
la guerre civile. Ce que les critiques sociales et politiques nommaient
la lutte de classe.
La LQR recourt à l’éthique pour valoriser ce
qui est inacceptable. Les vices du système capitalistes sont
attribués au manque de « vertu » , de «
transparence » de certains acteurs. Ceci permet de désigner
des « responsables » . Ce procédé est
particulièrement flagrant dans le monde du capitalisme financier.
Ce faisant, la LQR essaie d’entretenir du mythe de la cité
unie mise en danger par quelques éléments, qui feraient
n’importe quoi. Pourtant, le capitalisme financier est une
activité fortement marquée par le parasitisme, elle
a des conséquences sociales destructrices, cette évidence
doit être dissimulée. ( )
Eric Hazan emploie souvent des métaphores médicales
pour parler de la LQR : contamination, anesthésie, antibiotique
de la pensée, nettoyage de la conscience, parasitisme mental,
endormir, hypnotiser, etc. Cette méthode sonne juste, puisqu’il
s’agit de notre être, il nous faut faire un effort pour
rester éveillés. L’ensemble langagier de la
LQR est une façon de présenter les choses, où
les réponses précèdent les questions.
Si la LQR contient des trésors d’euphémismes,
c’est pour contourner, nier, occulter la domination. Il faut
maintenir un rideau de fumée, invisibiliser, gérer
l’opinion publique pour soumettre et convaincre la masse.
C’est une arme efficace dans le maintien du statu quo, pour
la domestication des esprits. C’est un ensemble de technologies
mentales, qui agit sur notre manière de nous comporter pour
que rien ne change : consommer, voter, penser en conformité,
se distraire, accepter, choisir ce mode de vie, le désirer.
Si ça va mal, c’est de notre responsabilité.
Nous sommes passés des pauvres aux exclus, de la justice
sociale à la charité spectacle.
L’origine est idéologique, la fonction est idéologique,
la LQR est un stratagème de la pensée capitaliste
actuelle. Dans le combat politique, il s’agit de reformuler
les problèmes, de choisir les termes, d’opérer
des glissements sémantiques, d’avoir de l’influence
sur les termes mêmes du débat public. Il faut cadrer
les discussions possibles et empêcher les autres. La LQR est
la langue de la domination, une langue de domination.
Eric Hazan nous propose aujourd’hui de développer
notre méfiance, de décoder, de déconstruire,
de décaper notre langage. Son livre est comme une leçon
de liberté pour retrouver la saveur de la langue. Il s’agit
bien d’une lutte pour les mots, d’un combat contre la
domination mentale. La lutte pour la maîtrise du contenu symbolique
de notre environnement culturel s’est amplifiée avec
les médias de masse. La nouvelle droite, le Grece et le Club
de l’Horloge en particulier ( ), ont réussi à
imposer le racisme différentialiste et à relooker
le racisme, à le rendre acceptable par tout le monde ou presque.
La LQR c’est la suite de cette entreprise. Le capitalisme
évolue et l’ambiance mentale le suit, c’est un
mélange de cynisme et de relativisme culturel, une lutte
de classe pour le contenu du langage. Nous retrouvons les jeux de
langage du début de notre analyse.
Ce livre continue l’œuvre de Jean-Pierre Le Goff sur
Les illusions du management ( ) et la « langue caoutchouc
» . Il va dans le même sens que Luc Boltanski et Eve
Chiapello dans leur livre sur Le nouvel esprit du capitalisme. Eric
Hazan apporte de l’eau au moulin de Dany-Robert Dufour. Celui-ci
dans son livre L’art de réduire les têtes parle
de la postmodernité comme d’une époque qui occulte
la question de l’autorité. Il n’y aurait plus
de maîtres, parce qu’il n’y a plus de transcendance
valide et légitime. Mais, les maîtres et le capitalisme
sont toujours là, même si c’est au prix du désarroi
du sujet. La LQR décrite par Hazan est bien la langue des
maîtres postmodernes.
Nous sommes donc dans une biopolitique qui prend toute la vie.
La domination est devenue une domination mentale qui passe par les
mots et les médias. La démocratie est devenue médiatique.
Dans le même temps, la démocratie a évolué,
elle est maintenant une lutte pour les places. Il est question de
« classe politique » et d’offre électorale,
comme pour les produits de consommation. Dans ce cadre, le relativisme
va de pair avec le cynisme, l’individualisme est la règle.
La crise du progrès, c’est la crise des formes collectives
antérieures qu’étaient les partis, les syndicats
et les associations d’éducation populaire.
La gestion fonctionne sur deux plans, au niveau économique
d’une part, elle encourage le capitalisme le plus libéral
qui soit, c’est-à-dire le capital financier ; au niveau
social d’autre part, elle gère le développement
séparé avec le sécuritaire. Il s’agit
là de surveiller les révoltes potentielles et ensuite
de les réprimer. Ce constat est fidèle à l’observation
de Bauman sur la puissance capitaliste qui s’est émancipée
de la politique toujours territorialisée.
La politique des temps postmodernes se présente comme une
politique sans sujet. Les images, les experts, la maîtrise
de l’opinion essaient d’étouffer la possibilité
du sujet politique. Ceci est une tendance, car malgré ces
dispositifs, le sujet est présent de temps en temps, sur
le plan personnel ou sur le plan collectif. Sa présence apparaît
toujours de façon provisoire en pointillé. La machine
médiatique, qui porte la parole idéologique, tente
de le recouvrir et de le réduire au silence très vite
en l’absorbant.
Si le sujet politique est présent, c’est souvent par
effraction, de façon imprévisible. Ce sujet peut espérer
un peu de consistance, lorsqu’il pose une question de fond
sur les contradictions de notre société. L’exemple
du débat sur l’euthanasie est significatif. Le cas
désespéré de certaines personnes perturbe régulièrement
les termes de la discussion. Mais, il reste dans le registre de
l’émotion. Personne ne pose le problème du contenu
de la conception idéologique, qui préside au refus
de l’euthanasie. Il s’agit de savoir si la personne,
justement comme sujet, a le droit de disposer de son corps, y compris
et jusque dans la mort. La conception dominante dans notre pays
est celle qui énonce que les êtres humains ne s’appartiennent
pas. L’influence chrétienne est encore fortement présente
de façon inconsciente. Quand la culture est comprise comme
un ensemble qui s’appuie sur la religion, ce qui est la position
d’une partie importante de la classe politique française,
il n’y a pas lieu de s’étonner que le débat
sur l’euthanasie soit bloqué et reste très délicat
à mener.
Dans le cadre de la postmodernité, il existe plusieurs écueils
pour le sujet politique, quand il réussit à s’imposer
:
- La position de victime, qui l’intègre au système
du calcul des droits. Cette position protestataire citoyenne le
conduit à l’intégration à la machine
spectaculaire avec un nouveau rôle, un nouveau statut ;
- La position de refus radical et de combat, qui transforme le
sujet immédiatement en barbare ou en terroriste, qu’il
faut réprimer sans délai !
Dans le premier cas, il y a identification des personnes à
une question, une situation. Le sujet se retrouve prisonnier d’une
étiquette, qui le rend lisible et visible. L’inconvénient,
c’est de n’être que cela. Ces identifications
rendent le sujet compatible avec le système et le font disparaître
dans la ronde perpétuelle des marchandises et du spectacle.
La gestion institutionnelle étant en charge de la réponse
pratique.
Dans le second cas, le sujet est laminé physiquement et
susceptible de condamnations judiciaires fortes, qui le dissuaderont
de recommencer à se révolter.
La postmodernité est une politique sans sujet, un biopouvoir,
qui ne promet aucun avenir meilleur, qui a vidé l’espérance
de son contenu. Le seul horizon possible est une promesse d’un
genre nouveau, celle que rien ne changera.
Dany-Robert Dufour note que :
« Beckett était l’un des premiers à avoir
noté la fin des grands récits qui organisent les grandes
économies humaines. En attendant Godot annonce que nous ne
serons plus sauvés. » ( )
L’inquiétude sur l’écologie peut permettre
au sujet politique d’exister de temps en temps et de proposer
de nouvelles solidarités, de nouvelles façons de vivre
sans la domination exclusive de la marchandise et du spectacle.
Cette nouvelle manière de devenir sujet pose la question
du devenir de l’humanité. Si la terre est en danger,
l’humanité est en danger. Pour l’instant, le
sujet écologique en est encore au niveau du balbutiement.
Serge Latouche pense qu’il faudra une catastrophe pour que
les collectivités humaines prennent conscience du danger
et changent de mode de vie. Il parle ouvertement de décroissance
et de la décolonisation de notre imaginaire. ( ) Le sujet
politique, auquel il se réfère, est d’une facture
nouvelle. Il agit dans le champ politique, mais aussi et surtout
dans son mode de vie. La décroissance, c’est tout de
suite, « ici et maintenant » , selon l’adage typiquement
postmoderne. Ce sujet est le résultat d’un choix, d’un
désir, il devient une praxis à part entière.
Pour l’instant, il est presque invisible dans le champ politique
traditionnel.
Nous considérons qu’il s’agit d’une biopolitique,
qui se crée en opposition au biopouvoir. Toni Negri pense
également cette situation en terme biopolitique. Il estime
que les nouvelles modalités du capitalisme, qui se déploient
sous la forme de l’empire, permettent l’apparition d’une
nouvelle biopolitique, qu’il nomme : multitude, l’empire
étant du côté du biopouvoir. Sa position provoque
débat. Son ontologie l’amène à penser
le devenir de la multitude selon des termes optimistes. Pour lui,
la multitude est toujours une avancée positive. Mais, la
multitude, comme tous les modes de vie alternatifs, peut dériver
vers une intégration au système capitaliste. On le
constate souvent. Il n’existe plus de garanties dans la postmodernité.
Dans les époques précédentes, les humains ont
cru à la vérité, qui incluait des garanties,
le résultat a été catastrophique. Le socialisme
réel a éloigné un grand nombre d’humains
des idéaux communistes. L’espoir est devenu repoussoir.
Aujourd’hui, l’exemple du combat sur la création
et le développement des logiciels libres est significatif.
Au fil du temps, les logiciels libres sont devenus l’emblème
d’une opposition radicale à la multinationale Microsoft.
Linux est très souvent vécu comme un étendard,
qui s’oppose au monopole-tout puissant. De fait, cette activité
a un contenu politique, même si cet aspect des logiciels libres
n’est pas souvent mis en valeur. Le développement de
ces logiciels a un aspect existentiel. La notion de communauté
est très présente dans ces réseaux. La frontière
entre le travail et l’activité personnelle est floue,
voire inexistante. Ce qui est conforme aux observations sur la postmodernité.
Dans le même temps, les caractéristiques du logiciel
libre ont séduit le capitalisme. Très souvent, les
logiciels sont gratuits, ce qui est vendu c’est le service
autour du logiciel. Le caractère « open source »
des logiciels rend possible une reprise, qui permet d’améliorer
ces logiciels. L’adaptation peut bénéficier
à tout le monde. Les logiciels dits « propriétaires
» , comme ceux de Microsoft, coûtent cher et interdisent
ces évolutions, parce que le code source est inaccessible
et protégé par le copyright. Ce domaine est une des
composantes de ce que Moulier Boutang nomme le capitalisme cognitif.
( ) Son étude démontre très clairement que
le secteur du logiciel libre est devenu une nouvelle modalité
du développement du capitalisme.
« Ce livre a pour but d’expliquer de façon claire
et accessible la révolution interne que le capitalisme est
en train d’effectuer sous nos yeux. Le socialisme est en retard
d’une guerre.
Pour analyser cette grande transformation, Yann Moulier Boutang
se propose d’exposer le contenu d’un programme de recherche
qui s’appelle le capitalisme cognitif. Bien que cette notion
constitue une hypothèse de travail, elle fournit d’ores
et déjà quelques idées directrices fondamentales
et des points de repère indispensables pour l’action.
La mondialisation actuelle correspond à l’émergence
d’un troisième type de capitalisme depuis 1975. Ce
capitalisme n’a plus grand-chose à voir avec le capitalisme
industriel qui, à sa naissance (1750-1820) rompit avec le
capitalisme mercantiliste et esclavagiste.
Nous ne vivons pas une transition socialiste. L’ironie de
l’histoire est que nous vivons partout une transition à
un nouveau type de... capitalisme. L’économie politique
qui naquit avec Adam Smith ne nous permet plus d’appréhender
la réalité qui se construit sous nos yeux (ce que
sont la valeur, la richesse, la complexité du système
de l’économie monde) ni à fortiori de traiter
les défis qui attendent l’humanité, qu’ils
soient écologiques ou sociétaux. Cet essai entend
nous mettre sur le chemin d’une politique et d’une morale
provisoires à la hauteur de cette « nouvelle grande
transformation » . ( )
Le lien entre la multitude et le nouveau capitalisme est assumé
ouvertement par cet auteur. Toutes les personnes et communautés,
qui s’investissent dans les logiciels libres, ne vont pas
forcément dans ce sens, mais ce devenir capitaliste des logiciels
libres existe. Il s’agit bien de nouvelles modalités
de croissance du système. Le capitalisme a bien compris que
les usages sociaux du Web étaient une source d’innovation
importante. C’est la base de ce qui est nommé la nouvelle
génération Internet. Ceci prend un tour paradoxal
avec Google. Cette entreprise a bâti sa fortune sur la fourniture
de services gratuits, elle a construit son hégémonie
sur cette méthode. Elle tire ses revenus de la publicité,
des liens commerciaux, et de la vente de quotas de clics sur des
mots clé. Activité qui est loin de la production industrielle
étudiée par Marx. Sa croissance est impressionnante.
Google a été créé en 1998. Dix ans après,
début 2008, Google valait quelque 210 milliards de dollars
à la bourse de Wall Street. Google posséderait le
parc de serveurs le plus important du monde avec environ 500 000
machines réparties sur plus de 32 sites de par le monde et
emploie plus de 16 000 personnes. ( ) Sur la période s’étalant
de juin 2000 à novembre 2004, le moteur de recherche Google
aurait indexé plus de 8 milliards de pages web et 1 milliard
d’images. Les serveurs de Google fonctionnent sous Linux et
Google a choisi de soutenir Linux dans sa lutte contre Microsoft.
( )
Les conditions de travail chez Google sont présentées
comme idylliques. Par exemple, voici quelques données à
ce sujet :
* Chez Google, le travail comme un jeu, par Cécile Ducourtieux
dans le journal Le Monde. ( )
* Il fait bon travailler chez Google, par Stéphane Larcher
:
« Les avantages sont nombreux en travaillant chez Google
: repas gratuits, accès aux soins médicaux gratuits,
piscine gratuite, horaires flexibles, primes, 20 % du temps de travail
imparti à des projets indépendants… Google ne
lésine pas sur les moyens pour ménager ses salariés
! » ( )
* Chez Google, le business rime avec no stress, par Céline
Galoffre,
« Un toboggan dans l’entrée, une salle de fitness
high-tech, un simulateur de vol en 3D… Il ne s’agit
pas d’un complexe de loisirs mais bel et bien du nouveau visage
du centre de recherche de Google à Zurich. Ce bâtiment
ultramoderne qui vient d’être inauguré vise à
développer la créativité des salariés.
C’est un lieu plein de fantaisie dont vient de se doter le
groupe informatique Google. Situé à Zurich, ce nouveau
bâtiment ne manque pas d’animations et d’humour
pour distraire et améliorer la performance de ses salariés.
» ( )
Officiellement Google ne fait de politique, mais il est possible
de constater avec ses méthodes que la pensée est rentrée
dans la machine. Google est devenu une sorte de nouveau sujet politique
dans notre environnement mental. Il influence nos recherches et
nous guide dans notre vagabondage sur la toile. Il semble bienveillant,
il est efficace et plutôt sobre dans sa manière de
faire de la publicité. Nous n’avons aucune raison évidente
de ne pas l’utiliser et de ne pas profiter de ses bienfaits.
La force de ses propositions gratuites, son efficacité et
sa rapidité donnent une très bonne image de cet outil
informatique. Autant Microsoft a su cristalliser les oppositions
à son modèle commercial, autant Google sait se faire
apprécier. Le monopole devient invisible. Pourtant les critiques
existent, par exemple, la censure est bien là. Si vous voulez
faire référencer votre site par Google et le faire
apparaître en bonne position dans les résultats des
écrans de recherche, maintenant il faut payer, c’est
une censure par l’argent. D’autre part, si pour une
raison ou pour une autre, le site déplaît, il se retrouve
sur une liste noire, blacklisté selon le jargon had hoc,
et le voilà presque invisible, c’est une censure sur
le contenu. La surveillance de la vie privée est un autre
sujet d’inquiétude face aux activités de Google.
Cette entreprise construit sa puissance en indexant et en sauvegardant
toutes sortes de données, dont des données privées,
comme les cookies, qui sont gardées deux ans. Ce sont de
petites séquences de données gérées
par les serveurs et qui accompagnent nos visites sur la toile. Un
autre aspect est à souligner à propos de Google, il
s’agit de sa puissance mentale en tant qu’acteur de
la vie intellectuelle. Si un site veut augmenter la fréquentation
des internautes, une des solutions est de créer des pages
indexées à la façon de Google. Le moteur de
recherche travaille avec des mots-clés, des notions, des
auteurs. Pour réussir à rendre un site célèbre,
il suffit de l’imiter et de vérifier, l’efficacité
est au rendez-vous. Google marque la vie mentale des humains, il
ne s’agit pas d’une influence directe et ouverte, mais
d’une influence réelle et puissante. Encore une fois,
elle est d’autant plus forte, qu’elle est invisibilisée,
comme l’idéologie. La postmodernité contemporaine
est théoriquement et pratiquement liée à Google.
Il paraît maintenant, à un grand nombre d’humains,
impensable de revenir en arrière, avant Google. C’est
un attracteur étrange, avec son côté maternant,
il nous prend dans ses bras, il nous intègre à la
grande famille du réseau et nous transforme en cybernautes.
Il nous informe, il nous rend plus intelligents, avec lui on maîtrise
le high tech, en un clic on peut trouver et savoir ce qu’on
cherche, il nous nourrit généreusement. Les psychanalystes
sont des êtres « supposés savoir » , et
on va mieux quand on accepte le semblant qui nous aide à
vivre, c’est-à-dire que l’analyste tout-puissant
était une projection de notre part, une supposition. Au contraire,
Google nous dit : « c’est là et c’est pour
toi en personne ! » . Le lien de proximité entre soi
et la machine est très fort. Google devient vite un compagnon
indispensable, puisqu’il sait et qu’il nous fait découvrir
des mondes inconnus et des trésors insoupçonnés.
Google est inclus dans notre existentiel, il fait partie de la biopolitique
postmoderne, une partie de notre vie est liée à Google.
Cette entreprise est emblématique du nouveau capitalisme
et de sa croissance exponentielle. C’est justement ce sur
quoi s’interrogent les courants politiques, qui continuent
de vouloir s’opposer au capitalisme.
Pour Serge Latouche, par exemple, c’est l’avenir de
l’humanité qui se joue dans ce choix. Son livre Le
pari de la décroissance explique sa démarche. Le sujet
décroissant, qu’il incite à devenir, a une composante
existentielle importante. C’est un mode d’être,
ce que Félix Guattari avait déjà noté
comme étant une des caractéristiques de notre période.
D’autre part, l’articulation entre réforme et
révolution est modifiée. La tradition radicale en
politique disait qu’il y existait une différence fondamentale
entre les réformes et la voie révolutionnaire. Se
contenter des réformes était considéré
comme insuffisant. Il fallait penser la transformation en profondeur
de la société. Aujourd’hui, si pour éviter
la catastrophe, il faut agir tout de suite, la différence
entre réforme et révolution n’a plus la même
pertinence. Par contre, il faut pouvoir évaluer si l’action
alternative va dans le sens souhaité, sinon ce choix agit
pour renforcer le système capitaliste et lui offrir de nouveaux
modes de développement.
La postmodernité bouleverse notre façon de concevoir
et de faire de la politique. Les humains, qui veulent changer la
société, ne peuvent plus s’appuyer sur le sujet
collectif nommé « prolétariat » . Ce sujet
politique était lié à une vision du sens de
l’histoire et avait un côté substantiel : la
classe ouvrière. Ce projet messianique était en partie
mythique, le progrès s’est retourné contre ses
partisans. Pour aller vers l’égalité et la justice,
les humains sont contraints à inventer de nouvelles modalités
pour faire vivre leurs idéaux politiques d’égalité
et de justice.
Ce désir de changement n’est pas complètement
démuni. En premier lieu, le désir de politique hérite
des idées et des actions des générations antérieures.
La question est alors celle de la transmission, de l’appropriation
et de l’évaluation. Cette nécessaire tâche
est très souvent repoussée aux calendes grecques,
puisqu’il faut agir. L’existentiel postmoderne a besoin
d’actions pour se prouver qu’il existe contre le système.
Le concret prend le dessus sur la formation et la réflexion.
L’image de soi militante a un besoin impérieux de valorisation.
Tout cela est typiquement postmoderne, le narcissisme et l’identité
sont en difficulté.
Dans un second temps, le désir de politique peut s’appuyer
sur les acquis des sciences humaines. Les recherches en psychologie
sociale nous transmettent, entre autres, des analyses sur la reproduction
du pouvoir au niveau collectif et au niveau personnel.
L’analyse de la soumission sans contrainte peut permettre
de nous réapproprier la question du désir individuel
très largement occulté par les théories politiques
antérieures. Ces théories, issues de la psychologie
sociale, sont construites autour de l’acceptation de l’autorité.
Après le nazisme, des chercheurs ont voulu comprendre comment
avait fonctionné l’acceptation des ordres pour mettre
en œuvre la barbarie. Les constats historiques sont surprenants.
Une fois les opposants ouverts au nazisme neutralisés ou
éliminés, les personnes, qui n’ont pas voulu
appliquer les ordres nazis n’ont pas été inquiétées.
( ) Ces recherches ont abouti à la notion de soumission librement
consentie. Elles ont commencé par l’expérience
de Milgram aux USA, mise en scène dans un film célèbre
I comme Icare d’Henri Verneuil. Les chercheurs français,
qui ont travaillé sur ce thème, se nomment Robert-Vincent
Joule et Jean-Léon Beauvois. ( ) Ils ont également
écrit un Petit traité de manipulation à l’usage
des honnêtes gens. ( )
Ces travaux sont importants pour la conception du sujet politique
postmoderne. Ils expliquent, que pour soumettre une ou des personnes,
il faut commencer par la déclarer libre et ensuite lui fournir
de grands idéaux humanitaires. Ces idéaux sont à
la base de la rationalisation de la soumission. Ce n’est pas
l’acte en lui-même, qui est justifié, mais la
position de soumission de la personne. Ce processus est inconscient.
Les ordres doivent être donnés par une personne en
position d’autorité, un scientifique dans le cas de
l’expérience de Milgram. Dans cette expérience,
il s’agissait, officiellement, d’envoyer des décharges
électriques à une personne et où, en réalité,
c’était la capacité d’obéir à
un ordre pouvant entraîner la mort qui était étudiée.
Ensuite, une fois la déclaration de liberté émise
et les grands idéaux fournis, il est possible de changer
les ordres pour faire faire des choses que l’on ne ferait
pas en situation normale. Beauvois et Joule nomment cela «
l’engagement » ou « le pied dans la porte »
. Cet engagement est lié aux émotions et au regard.
Une fois que nous avons dit oui à un petit engagement, nous
ne pouvons pas revenir en arrière facilement. Pour obtenir
un euro, quand on fait la manche, il est beaucoup plus facile de
commencer par demander l’heure à la personne sollicitée.
Les commerciaux connaissent bien ce mécanisme, dès
le début de l’échange, ils essaient de trouver
un point commun avec vous et alors la vente se déroule sans
anicroche.
Beauvois et Joule pensent que la manipulation psychosociologique
est immanente à notre société. La société
autoritaire repose sur la coercition. La société démocratique
décrète les humains libres, elle leur fournit de grands
idéaux et les personnes en situation d’autorité
nous demandent d’accepter la situation présente et
ses contraintes, ce qui implique de nous soumettre.
Cette observation va à l’encontre du sens commun,
elle est paradoxale comme l’est la postmodernité. Pourquoi
des êtres libres accepteraient-ils de se soumettre sans contrainte,
cette observation paraît énigmatique de prime abord.
D’autre part, les humains refusent l’idée qu’ils
sont soumis, ils détestent encore plus l’énoncé
qui constate que nous nous soumettons librement sans menace explicite.
Quand on aborde ce sujet, les personnes se sentent tout de suite
agressées. L’image de soi trouve cela intolérable,
c’est une blessure narcissique qui provoque immédiatement
la colère. Mais, la psychanalyse confirme le propos, puisque
inconsciemment nous échangeons, via le langage, notre soumission
contre une place et un discours, discours qui donne du sens à
notre vie. Ceci se passe dans notre enfance et est lié à
la fois à la fusion impossible avec notre premier objet d’amour,
notre mère, et à notre entrée dans le langage,
les mots viennent d’ailleurs.
Cette analyse du fonctionnement psychique humain a plusieurs conséquences
:
- Elle peut nous aider à veiller à la reproduction
du pouvoir dans les réalisations politiques qui s’opposent
au système. La question de la dérive autoritaire est
un problème important suite au devenir de la révolution
russe ;
- Elle explique que derrière nos revendications politiques,
il y a aussi une demande d’amour, un souhait de reconnaissance.
Elle fournit une explication aux difficultés que rencontrent
souvent les alternatives autogérées. Critiquer l’autorité
de personnes proches, c’est risquer de perdre l’amour.
Notre enfance nous a appris à nous soumettre pour exister
et nous sentir aimés. Notre rapport à l’autorité
a d’abord été celui de la relation avec les
personnes, dont notre vie et nos désirs dépendaient
: nos parents ;
- Elle permet de comprendre pourquoi le sujet postmoderne est autant
dans le désarroi. La postmodernité perturbe le fonctionnement
intime et inconscient antérieur, le maître ne parle
plus, le ciel est vide et les humains sont plongés dans la
détresse. Personne ne transmet le sens, contrairement aux
périodes passées. Notre soumission reste structurelle,
mais nous devons trouver nous-mêmes notre place et le sens
de la vie sans l’aide d’aucun idéal. La perte
des repères, si souvent observée, est le résultat
de cette modification dans notre construction subjective.
D’autre part, l’injonction de jouissance proposée
par le capitalisme postmoderne va à l’encontre du fonctionnement
collectif des sociétés humaines. Les collectifs humains
ne peuvent fonctionner qu’avec un abandon d’une part
de la jouissance individuelle. La postmodernité est bâtie
sur un déni, qui porte en son sein la part de la mort, la
mort non assumée, comme si la société voulait
s’auto-détruire en se développant sur les délices
de la marchandise et du spectacle. Ce déni est celui de la
perte nécessaire pour devenir humain au sein de la collectivité
et l’idée que la jouissance totale est impossible et
interdite. C’est la première fois qu’une société
humaine énonce un impératif à ses membres,
qui, à terme, la met en danger en tant que société.
Cette pente mortifère est visible dans le domaine de l’écologie,
entre autres. Pour contrer l’attirance pour la part morbide
de l’humanité, il nous faut nous reposer la question
de l’idéal. L’idéal antérieur permettait
aux humains de tenir debout. Les humains ont rejeté, à
juste raison, la religion et le patriarcat. La transcendance ne
fonctionne plus, il nous faut inventer du sens qui nous permette
de tenir debout. Les capitalistes ne répondent pas à
la question du sens, cela ne rentre pas dans leurs préoccupations,
contrairement aux dominants antérieurs. Seule compte la quantité
et la continuité du système par la maîtrise
du pouvoir politique. Mais, la place de l’idéal est
encore là, elle est vide. Reste à le créer
depuis l’immanence humaine, notamment en politique. Cette
tâche est à hauteur de la crise de civilisation dans
laquelle nous sommes plongés. Cette voie est celle de la
constitution du sujet politique présent et à venir,
tant au niveau individuel qu’au niveau collectif.
Postface
Au terme de notre parcours sur et dans la postmodernité,
nous pouvons conclure que le biopouvoir du capitalisme total capte
la subjectivité humaine. La subjectivité est le support
de la domination mentale de notre temps. Cette assertion concerne
le travail, la politique, la culture, l’amour, l’art,
… Elle implique aussi et surtout que l’existentiel de
notre rapport au monde soit l’objet de beaucoup d’attention.
La maîtrise de l’existentiel est fondamentale pour la
consommation : la consommation de produits, la consommation de spectacles,
la consommation des autres, la consommation de soi, selon la formule
de Dominique Quessada. ( )
La postmodernité propose que les produits prennent la place
de l’idéal. Il s’agit de biens de consommation,
de personnes humaines et de produits culturels, dits immatériels.
Le cyber espace a fourni un nouvel espace d’expansion au capitalisme
postmoderne. Cette consommation réelle ou virtuelle est une
voie existentielle, qui dépossède les humains d’eux-mêmes.
Cette orientation biopolitique dénie la question toujours
ouverte de la subjectivité, parce qu’il s’agit
d’un système de pensée qui fait la promotion
:
* du profit immédiat contre le développement respectueux
de la nature ;
* de l’apparence sur l’être ;
* de l’avoir au détriment de l’être ;
* de l’agréable au lieu de la vérité
;
* du primat de l’individu sur le groupe, le règne
du particulier disqualifie l’universel toujours proclamé
;
* du consensus sur le débat public, qui peut aboutir au
dissensus ;
* de la reconnaissance sur la connaissance ;
* de la rapidité sur la lenteur ;
* de l’urgence sur le temps nécessaire à la
réflexion ;
* du subversif intégré dans la culture de masse ;
* de l’art dans les musées et de l’oubli des
autres artistes ;
* du pluralisme de l’apparence ;
* de l’appauvrissement général de la singularité
dans la consommation de masse ;
* de l’utilité immédiate et de l’efficacité
;
* du quantitatif contre le qualitatif ;
* du divertissement contre la culture ;
* de l’émotion contre l’intelligence ;
* du « look » contre la pensée ;
* de l’opinion contre le savoir, etc.
Au milieu de toutes ces tendances, l’individu postmoderne
n’est pas un sujet au sens, où la subjectivation, la
raison, la distance critique sont constamment dévaluées
ou détruites. L’œil et l’émotion
sont prééminents. Le désir est annexé
pour faire fonctionner la consommation, elle-même nécessaire
à la réalisation de la plus-value. L’œil
nous surveille, nous filme, nous met en fiche, prélève
notre ADN, … L’œil nous transmet, de multiples
façons, les modèles identificatoires conformes aux
besoins du capitalisme. L’émotion est la matière
de base des médias de masse. Nous nous regardons vivre d’une
certaine façon, si ce n’est nous, ce sont nos voisins
et vice-versa.
Tout cet ensemble contient de multiples contradictions. Certaines
de ces contradictions existaient dans la modernité, comme
celle entre le capital et le travail. Beaucoup d’autres se
sont ajoutées. Elles peuvent être repérées,
parce que souvent elles énoncent des injonctions paradoxales.
Cette façon de procéder est typique de la double contrainte,
du double bind, de la double injonction contradictoire que décrit,
entre autres, l’École de Palo Alto. ( ) Cette méthode
est connue pour induire la schizophrénie et rendre fou. Nous
rencontrons souvent ce phénomène dans le contexte
postmoderne.
Selon Bateson et consorts les éléments qui composent
une double contrainte (ou le double bind) peuvent se décrire
ainsi :
* Deux ou plusieurs personnes sont engagées dans une relation
intense qui a une valeur vitale, physique et / ou psychologique
pour l’une d’elle, pour plusieurs ou pour toutes les
personnes en question. Le contexte peut être familial, amical,
amoureux, idéologique, etc.
Dans un tel contexte, un message est émis qui est structuré
de manière telle que :
a / il affirme quelque chose,
b / il affirme quelque chose sur sa propre affirmation,
c / les deux affirmations s’excluent.
Ainsi, si le message est une injonction contradictoire, il faut
désobéir pour lui obéir. Le récepteur
du message est mis dans l’impossibilité de sortir du
cadre fixé par son message. La réaction peut être
soit la métacommunication critique, soit le repli, ce qui
est le cas le plus courant. La personne ne peut pas ne pas réagir
à ce message, mais elle ne peut pas non plus y réagir
de manière adéquate, c’est-à-dire non
paradoxale puisque le message lui-même est paradoxal.
La double contrainte peut aussi être relevée dans
des injonctions, où l’écart entre le contenu
et le ton employé, entre l’esprit et la lettre ce qui
aboutit à un résultat contradictoire.
La psychanalyse s’est intéressée à cette
approche. Citons Guy Rosolato dans un numéro de la Nouvelle
revue de psychanalyse datée de 1976 et republié dans
le volume Narcisses dirigé par J.-B. Pontalis :
« On peut définir la double entrave (double bind)
comme la focalisation mentale sur une impasse, un choix indécidable,
tel qu’il envahit toute la vie psychique, au point de la paralyser,
soit d’obliger à recourir à des solutions de
rupture, par la violence, soit à en sortir par un recours
à une voie originale extérieure au système.
» ( )
Pour l’école de Palo Alto la double entrave rend compte
aussi bien des blocages psychotiques que des issues créatives
pour lesquelles elle sert de point de dislocation et de transformation.
Nous retrouvons ainsi un champ et une bipolarité qui évoquent
ceux du narcissisme :
« La double entrave imposée est le pouvoir, la décision
de placer autrui dans un choix indécidable, donc de lui ravir
le pouvoir de décision. C’est en cela que se manifeste
l’idéale toute-puissance du narcissisme. »
« La troisième incidence de la double entrave [la
première incidence concerne l’articulation entre la
différence des générations, les identifications
et le complexe d’Œdipe, ou le Moi et le Ça chez
Freud ; la seconde incidence a rapport avec la différence
des sexes] court en filigrane à travers toutes les autres
: c’est celle du pouvoir. La formule dit : « Aie le
pouvoir de vaincre le pouvoir ! » .
« Ainsi, avec ce schéma de la double entrave, pouvons-nous
trouver le chiffre du reflet logique narcissique où, par
le double retournement, se maintient et parfois s’annule dans
l’indécidable une contradiction portée par les
mots. » ( )
Nous trouvons ici une analyse du pouvoir comme expression de la
toute puissance narcissique, ce phénomène est très
présent dans la postmodernité, dans son fonctionnement
et sa reproduction. Le pouvoir des mots est lié à
la domination mentale actuelle. La double contrainte peut s’observer
dans différents phénomènes de notre vie politique
:
- injonction de respecter l’universel alors que la jouissance
individuelle est la valeur centrale des messages publicitaires ;
- injonction de respecter les droits de l’homme alors qu’il
faut appliquer la xénophobie d’État ;
- injonction de liberté et d’autonomie alors que les
contraintes sociales bloquent les tentatives d’autonomie ;
- injonction de travailler plus alors que c’est impossible
pour la majorité de la population ;
- injonction d’obtenir de meilleurs résultats alors
que les crédits alloués à ces activités
diminuent ; etc.
Cela produit une ambiance schizophrène, élément
déjà noté par Deleuze et Guattari. Ils valorisaient
les lignes de fuite pour utiliser cette schizophrénie à
l’avantage du sujet. Trente-cinq ans après, le constat
sur l’évolution des alternatives incite à la
prudence. Le double bind fonctionne majoritairement au service de
la domination du capitalisme postmoderne. Les injonctions contradictoires
sont bien le signe que nous sommes dans une situation paradoxale.
La double contrainte bloque le « devenir le sujet »
; effectivement le sujet postmoderne a beaucoup de mal à
être acteur de sa propre histoire dans le cadre du biopouvoir
postmoderne. La double contrainte est un élément du
paradigme paradoxal de la postmodernité. L’invention
biopolitique célébrée par Negri est récupérée
par le système et de fait l’aide à se renouveler.
Jan Spurk pense que nous sommes soumis à une matrice psychique
autoritaire. C’est de cette façon qu’il analyse
la période actuelle. ( ) Le caractère social, selon
cet auteur, est une matrice psychique, qui opère aux confins
de l’individuel et du collectif. L’aspect autoritaire
de la société et l’individualisation sont le
résultat de la domination capitaliste actuelle. La valorisation
de l’entreprise n’y change rien. Les entreprises, pour
exister, doivent mobiliser les subjectivités pour créer
la marchandise. Elles doivent gagner la volonté des sujets
de s’y investir. La marche forcée de la mobilisation
de la subjectivité, demande aux sujets une posture autoréflexive
pour assumer l’hétéronomie de leur existence
en entreprise et le caractère autoritaire de la situation.
Pour Jan Spurk, la subjectivité des individus socialisés,
malgré l’apparence libre et ludique de notre société,
est un ensemble de variations du caractère autoritaire intimement
lié au capitalisme. Il développe une orientation théorique
qui analyse l’articulation entre la sphère personnelle
et la sphère collective. Pour Jan Spurk, l’intérêt
de la recherche théorique, selon le mot de Sartre, ce n’est
pas ce que l’on fait des sujets, mais ce que les sujets font
de ce que l’on fait d’eux.
Ce que font les sujets d’eux-mêmes est bien l’enjeu
de l’évolution de la postmodernité. L’évolution
du capitalisme tend à détruire la possibilité
même du sujet, que ce soit sous la forme du sujet philosophique,
du sujet sociologique, du sujet psychologique, du sujet politique,
du sujet amoureux ou du sujet esthétique. La subjectivité
encouragée par le système est celle qui est mobilisée
par le travail et celle qui est nécessaire à la consommation
de marchandises et de spectacle. La postmodernité a accompli
la critique du sujet moderne, elle tend à effacer le sujet
pratiquement et théoriquement. Elle annihile ou récupère
de multiples façons ses visées d’autonomie.
La possibilité du sujet est un autre nom du « devenir
humain » . Ce devenir humain est en difficulté sur
le plan pratique en raison de la menace écologique que les
activités humaines font peser sur la planète et parce
que la prédation mise en œuvre par le capitalisme est
destructrice de la nature et des humains. Le devenir humain est
aussi en crise sur le plan théorique au niveau de ses conditions
de possibilité, puisque la postmodernité tend à
effacer le sujet, à l’empêcher de se déployer
ou à l’intégrer à son service.
La postmodernité est le résultat des débats
d’idées au XXe siècle et de l’évolution
de la société. La postmodernité est une crise
de civilisation, où l’humain est confronté à
l’invention d’un nouveau mode d’être subjectivement
et collectivement. Comme le propose un article sur l’avenir
de l’université au Canada : L’Université
peut-elle porter le chapeau postmoderne ?, Du mondial à l’universel,
le défi du XXIe siècle.
« La crise est un moment irremplaçable. Nous dépendons
d’elle pour nous faire passer du non-sens au sens. L’individu
et le groupe, disait Guattari, ne peuvent faire l’économie
d’une certaine plongée dans le chaos. Toute la question
est de savoir ce que nous retirons de cette plongée : un
sentiment de désastre ou la révélation de nouvelles
lignes du possible ? (Guattari, 2000 : 90) » ( )
Notes de bas de page :
Thomas S. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques,
1962,
Paris, Flammarion, Collection Champs 1999, 284 pages.
Marc Luyckx Ghisi, Au-delà de la modernité, du patriarcat
et du capitalisme, la société réenchantée
?, Editions L’Harmattan, Paris, 2001, 216 pages.
Voici un extrait de la page de l’Encyclopédie Wikipédia
consacré à Jameson :
« Son analyse du postmodernisme tente de le considérer
dans son contexte historique. Jameson rejette donc explicitement
toute opposition morale au postmodernisme comme phénomène
culturel, et continue d'insister sur le concept hégélien
de critique immanente. Cependant, son incapacité à
rejeter a priori le postmodernisme, est perçue par beaucoup
comme un approbation implicite du point de vue postmoderne. »
http://1libertaire.free.fr/godel07.html
http://www.pourlascience.com
http://www.kafkaiens.org/03kaf/godel3.htm
Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Rapport
sur le savoir, Editions de Minuit, Collection “ Critique ”,
128 pages, Paris, 1979.
Gunther Anders, L'obsolescence de l'Homme, Paris, Éditions
de l'encyclopédie des nuisances, 2002 (trad. fr. Ch. David).
http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%BCnther_Ander
Daglind Sonolet, Günther Anders Phénoménologue
de la technique, Editeur Presses universitaires de Bordeaux, 2006,
244 pages.
Les mémoires d’Auchwitz, De l’occultation à
la commémoration, Enzo Traverso, jeudi 27 janvier 2005, article
disponible sur le site :
http://www.lagauche.com/lagauche/spip.php?article1160
Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, vol. 1, livre
1, § 150
Nietzsche, La Volonté de Puissance, Livre I, § 95.
Nietzsche, La Volonté de Puissance, Livre I, § 98,
1888.
Karl Marx, Le capital, livre premeir, première section,
la marchandiseet la monnaie Chapitre premier : La marchandise :
Karl Marx, Le capital. Éditions Sociales, Paris 1971.
Disponible sur les sites suivant :
http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/capital/capital_livre_1/capital_livre_1_1/capital_livre_1_1.html
http://le.capital.free.fr/text/livre1/ch1/txt4.html
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale,
éd. Payot, (1913) 1995.
Jean Lacroix, Le structuralisme de Claude Lévi-Strauss
disponible à l’adresse internet suivante :
http://www.altern.org/jeanlacroix/strauss.htm
Richard Rorty, Pascal Engel, A quoi bon la vérité
?, Grasset, Paris, 2005, 91 Pages, ici (p.72-73).
http://www.cotephilo.net/article.php3?id_article=138
« Différentiel sémantique : échelle
d'attitude consistant à demander aux répondants de
se situer quelque part entre deux adjectifs de sens parfaitement
opposés (agréable/désagréable, moderne/désuet
... ). Très utilisée en marketing, notamment pour
l'évaluation d'une image ».
Glossaire des termes de marketing, disponible sur le site :
http://www.syntec-etudes.com/Article.asp?numero=66
« La sémantique distributionnelle (SD) peut être
résumée par cette phrase : "Deux unités
linguistiques sont sémantiquement similaires si leurs contextes
textuels sont similaires". C'est pourquoi on choisit de calculer
la fréquence de co-occurrence entre l'unité linguistique
et chaque terme d'indexation. »
Martin Rajman, Romaric Besançon et Jean-Cédric Chappelier,
Le modèle DSIR : Une approche à base de sémantique
distributionnelle pour la recherche documentaire. article extrait
du numéro spécial Traitement Automatique des Langues,
vol 41-2 / 2000.
http://www.grappa.univ-lille3.fr/~tellier/articlesM2/quatrelivre.html
Descartes, Discours de la méthode, 1637, VI.
Michel Maffesoli, Èloge de la raison sensible, Éditions
Grasset, Paris, 1996, 278 pages, présentation de l’éditeur.
Zygmunt Bauman, La Décadence des intellectuels, des législateurs
aux interprètes, éditions Chambon, 2007.
Michel Maffesoli, Tribalisme postmoderne, De l'identité
aux identifications.
http://www.la-science-politique.com/revue/revue2/papier5.htm
Toni Negri, Michael Hardt, Empire, éditions Exils, Paris,
2000, 559 pages.
Toni Negri, Michael Hardt, Multitude : guerre et démocratie
à l'époque de l'Empire, Éditions La Découverte,
Paris, 2004, Éditions 10/18, collection « Fait et cause
», 2006.
Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison,
Éditions Gallimard, Paris, 1975.
Louis Sala-Molins, Le Code noir, PUF, Paris, 1986, en édition
de poche Éditions L'esprit frappeur, n°27, Juin 1998.
L’intégralité du texte du Code Noir est publié
sur le site suivant consacré à Haiti :
http://www.haiti-reference.com/histoire/documents/code_noir.html
Entretien avec Louis Sala-Molins à propos du Code noir,
Catherine JORGENSEN, article écrit à l’occasion
de la sortie du livre de Louis Sala-Molins, Le Code noir ou le calvaire
de Canaan
http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/frdtse/frdtse38h.html
Article Code noir dans l’encyclopédie Wikipdia qui
reprend les ropos de Louis Sala Molins :
Louis Sala-Molins, Le Code noir, PUF, Paris, 1986,
http://fr.wikipedia.org/wiki/Code_noir
L'esclavage et les négriers français, Le Code noir
est le texte juridique le plus monstrueux de l'histoire moderne,
Par Louis Sala-Molins,
htttp://www.historia.presse.fr/data/thematique/80/08003401.html
Eduardo Colombo, Valeurs universelles et relativisme culturel
dans la brochure Tout est relatif. - Peut-être. des Éditons
ACL, Lyon, 1997, page 19.
Article publié sur Internet Cybernétique : définition
Science des systèmes en juin 2005, par Sylvain Timsit :
http://vulgum.org/spip.php?article947
Définition extraite du Glossaire de Linguistique Computationnelle
Document principal originel par Mourad Amine, 1995, augmenté
par le glossaire de Serge Fleury, 1997, adapté et modifié
pour le Web par Lionel Delafosse, 1999.
Article présent sur le site :
http://pagesperso-orange.fr/ldelafosse/Glossaire/C.htm
Article Sciences cognitives et modèles de la pensée
par Brigitte Chamak, ce texte est publié sur le site de la
revue Sens Public
http://www.sens-public.org/spip.php?article30
Raphael Josset dans son article Hardcore : vers une socio-anthropologie
de l’underground postmoderne, Intervention aux journées
du CEAQ - 20 juin 2003 – Ètat des des recherches.
Article présent sur le site Gretech (Groupe de Recherche
sur la Technique et le Quotidien) de l’Université de
la Sorbonne.
http://www.dionysos.org/article.php3?id_article=971
Cité par Caroline Guibet Lafaye, L'architecture de la postmodernité:
de la forme au symbole publié sur les sites suivants :
http://www.phil.muni.cz/fil/sbornik/2002/07lafaye.html
http://nosophi.univ-paris1.fr/docs/cgl_art.pdf.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ricardo_Bofill/
Cité dans l’article Le postmodernisme comme modernité
« fin de siècle » (ou : Le postmodernisme aux
fins de « l’in-différence ») de Hugh Silverman,
article traduit par Arnaud Villani, paru en 2001 dans la Revue de
Métaphysique et de Morale.
Article consultable sur Internet :
http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2001-4-page-483.htm
Le livre d’origine : Gianni VATTIMO, La fin de la modernité,
Éditions du Seuil, Paris, 1987, 190 pages.
Jean-François Lyotard, Le post moderne expliqué
aux enfants, éditions livre de poche, Paris 1993, première
parution Éditions Galilée, Paris, 1988, réédition
de 1993, pages 17 et 18.
Idem, page 18.
Article Postmodernisme un diagnostic critique par Alex Callinicos,
publié sur le site :
http://tintinrevolution.free.fr/fr/callinicospostmodernisme.htm
Fredric Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du
capitalisme tardif, Traduit de l’anglais (Ètats-Unis)
par Florence Nevoltry. Éditions. Ensba, « L’Art
en questions », Paris, 2007, 608 pages.
Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, Rapport
sur le savoir, Éditions de Minuit, Collection « Critique
», Paris 1979, 128 pages. Ici page 7.
Idem, page 9.
Idem, page 7.
Idem, page 7.
Idem, page 11.
Idem, page 20.
Jean-François Lyotard, Le postmoderne expliqué aux
enfants, livre de poche, biblio essais, Paris 1993, page 33, (précédemment
publié en 1988 aux Éditions Galilée).
Idem, page 32.
Idem, page 17.
Qu’est-ce que la déconstruction?, Jacques Derrida,
Le Monde, mardi 12 octobre 2004. Propos recueillis par R.-P. D.
Entretien inédit enregistré le 30 juin 1992, disponoble
sur ce site :
http://www.jacquesderrida.com.ar/frances/deconstruction.htm
Idem.
Idem
Jacques Derrida au-delà des apparences, Le Monde juillet-août
2001, propos recueillis par Antoine Spire.
http://www.lemonde.fr/mde/ete2001/derrida.html
Qu’est-ce que la déconstruction ?, Jacques Derrida,
Le Monde, mardi 12 octobre 2004. Propos recueillis par R.-P. D.
Entretien inédit enregistré le 30 juin 1992, disponible
sur ce site :
http://www.jacquesderrida.com.ar/frances/deconstruction.htm
Rhétorique de Derrida, Christian Vandendorpe, article publié
dans Littératures (McGill), n° 19, hiver 1999, .p 169-193.
http://www.lettres.uottawa.ca/vanden/derrida.html
Zygmunt Bauman, La Décadence des intellectuels, des législateurs
aux interprètes, éditions Chambon, 2007.
Jacques Derrida avec Anne Dufourmantelle, De l'hospitalité,
1997, Éditions Calmann-Lévy, Paris, 1997.
Jacques Derrida, Adieu à Emmanuel Levinas (éditions
Galilée), note de lecture sur le site « La république
des lettres », par Olivier Morel, 01 juin 1997.
http://www.republique-des-lettres.fr/1638-jacques-derrida.php
Entretien avec Jacques Derrida, Le Monde du mardi 2 décembre
1997 (Horizons et entretiens). Propos recueillis par Dominique Dhombres.
Michel Foucault, L’ordre du discours, Éditions Gallimard,
Paris, 1970.
Michel Foucault, Les mots et les choses, . Une archéologie
des sciences humaines, Gallimard, coll. « Bibliothèque
des sciences humaines », Paris, 1966, 405 p
Michel Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison,
Gallimard, Paris, 1975, 328 p.
Michel Foucault, De la guerre des races au bio-pouvoir, Note de
lecture parue dans la Revue Cités, n° 2 année
2000.
http://1libertaire.free.fr/biopolitique5.html
Site de la librairie en ligne :
http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/BOOK/foucault-michel/surveiller-et-punir,
778359.aspx?donnee_appel=CHAPLIREMA
Les stratégies de pouvoir selon Michel Foucault, Marc Alpazzo,
Éudes et documents, janvier 2008 :
http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/Les-strategies-de-pouvoir-selon.html
« Ce texte de Michel Foucault, inédit en français,
a servi de préface à l’édition américaine
de ’Capitalisme et schizophrénie, l’Anti-Oedipe’
de Gilles Deleuze et Félix Guattari. Il sera repris dans
Dits et écrits, recueil des articles, entretiens, préfaces
et autres contributions de Michel Foucault, à paraître
aux éditions Gallimard en 1989. »
Ce texte est publié sur le site de la revue Multitudes :
L’Anti-Oedipe : Une introduction à la vie non fasciste,
Magazine littéraire 257 (septembre 1988), par Michel Foucault
http://multitudes.samizdat.net/spip.php?article2103
Idem.
Du biopouvoir à la biopolitique, Maurizio Lazzarato, revue
Multitudes.
http://multitudes.samizdat.net/spip.php?article207
Le rôle de l’intellectuel : extraits, Le monde diplomatique,
mai 2006
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/05/A/13489
1972 : naissance de l’intellectuel spécifique Philippe
Artières, historien, chargé de recherches au CNRS
dans la revue Plein Droit n° 53-54, mars 2002, Immigration :
trente ans de combat par le droit
http://www.gisti.org/doc/plein-droit/53-54/naissance.html
Le Groupe d'information sur les prisons (GIP) est un mouvement
d'action et d'information issu du manifeste du 8 février
1971, signé par Jean-Marie Domenach, Michel Foucault et Pierre
Vidal Nacquet, ayant pour but de permettre la prise de parole des
détenus et la mobilisation des intellectuels et professionnels
impliqués dans le système carcéral. Celui–ci
eut un effet direct, l'entrée dans les prisons de la presse
et de la radio, jusque-là interdits.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_d'information_sur_les_prisons
Michel Foucault, radical et sceptique, un entretien avec Matthieu
Potte-Bonneville, Olivier Doubre, Politis 24 juin 2004.
http://www.politis.fr/article1009.html
Les gender studies, Sandrine Teixido, revue Sciences Humaines.
http://www.scienceshumaines.com/-0ales-gender-studies-0a_fr_4666.html
L’anti-matière politique ou la fonction estomac du
capitalisme postmoderne – et comment y résister, Jérome
Game, revue Inventaire/Invention, publiée sur Internet :
http://www.inventaire-invention.com/lectures/game_hardt.htm
L'actuel et le virtuel annexe dans la dernière édition
de Gilles Deleuze, Dialogues avec Claire Parnet, Paris, Flammarion,
1977, 184 p. ; 2e éd. 1996, coll. « Champs »,
187 p.
Le début de ce texte est disponible sur Internet :
http://lucdall.free.fr/workshops/IAV07/documents/actuel_virtuel_deleuze.pdf
Une ontologie du virtuel, Sur la philosophie de Gilles Deleuze
: une entrée en matière, Eric Alliez :
http://www.nettime.org/Lists-Archives/nettime-fr-9912/msg00004.html
Cours de 1970 intitulé Théorie des multiplicités
chez Bergson sur le site :
« Les cours et conférences de Gilles Deleuze »
http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=107&groupe=Conf%E9rences&langue=1
Le bergsonisme de Gilles Deleuze, Pablo Catalán, Université
Charles de Gaulle-Lille-3.
http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/Macherey20002001/Catalan.htm
Cours de 1970 intiltulé Théorie des multiplicités
chez Bergson sur le site Les cours et conférences de Gilles
Deleuze :
http://www.le-terrier.net/deleuze/20bergson.htm
Deleuze / Image et mouvement image temps, Cours Vincennes - St
Denis : Bergson, Matière et Mémoire - 05/01/1981
http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=70&groupe=ImageMouvementImageTemps&langue=1
Deleuze / Image et mouvement image temps, Cours Vincennes - St
Denis : Bergson, propositions sur le cinéma. - 18/05/1983.
http://www.webdeleuze.com/php/texte.php?cle=74&groupe=ImageMouvementImageTemps&langue=1
Une ontologie du virtuel, Sur la philosophie de Gilles Deleuze
: une entrée en matière, Eric Alliez.
Bergson, Gilles Deleuze, p. 294.
Qu'est-ce que la philosophie ?, en collaboration avec Félix
Guattari, Les éditions de Minuit (coll. « Critique
»), Paris, 1991, 206 p.
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la
philosophie ?, Éditions Minuit, 1991.
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie,
tome 2 : Mille plateaux, Éditions de Minuit, 1980.
Gilles Deleuze, Félix Guattari, Anti-Œdipe, Capitalisme
et schizophrénie, Éditions de Minuit (coll. «
Critique »), Paris, 1972, 494 pages, p.382.
Idem, p. 34.
Idem, p. 124
François Zourabichvili, Le vocabulaire de Deleuze, Éditions
Ellipses, 2003, p. 50.
Le roman français postmoderne, une écriture turbulente,
Marc Gontard :
http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/02/96/66/PDF/LeRomanpostmoderne.pdf
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie,
tome 1 : L’Anti-Œdipe, Éditions de Minuit, 1972,
pp. 124-125.
Cf. la partie : Comment les masses ont-elles pu désirer
le fascis” ? dans L’Anti-Œdipe, p. 306 ; pp. 412-414.
Schizo-analyse et marxisme, par Gilles Deleuze dans un texte de
l’Encyclopédie Universalis sur La schizophrénie
et le monde moderne.
http://www.vulgum.org/libre/spip.php?article250
G comme gauche, Gilles Deleuze, L’Abécédaire,
interview avec Claire Parnet.
http://www.subversiv.com/doc/gauche/deleuze.htm
Gilles Deleuze, Pourparlers, Éditions de Minuit, Paris,
1990.
Arnaud Bouaniche, Gilles Deleuze une introduction, Edition Press
pocket, collection Agora, Paris 2007.
Une ontologie du virtuel, Sur la philosophie de Gilles Deleuze
: une entrée en matière, Eric Alliez, déjà
cité.
Postmodernisme : un diagnostic critique, par Alex Callinicos :
http://tintinrevolution.free.fr/fr/callinicospostmodernisme.htm
Zygmunt Bauman, La Décadence des intellectuels, des législateurs
aux interprètes, éditions Chambon, 2007.
Gilles Deleuze et Felix Guattari : La machine à gazouiller.
Ce texte de Guillaume Ollendorff est paru dans le fanzine Feardrop,
on peut aussi le retrouver à son emplacement d'origine sur
le réseau :
http://wwwusers.imaginet.fr/~pezner/VAG/
Actuellement présent sur le site :
http://www.lipsheim.org/deleuze.htm
Michel Maffesoli, Éloge de la raison sensible, Éditions
Grasset, Paris, 1996, 278 pages, présentation de l’éditeur.
Aspects juridico-politiques, Débats publics, Sur la Post-modernité,
Professeur Michel Maffesoli, Sociologie Université de Paris
V Sorbonne, Qu'en est-il de la postmodernité ?
http://www.miviludes.gouv.fr/IMG/pdf/Michel_Maffesoli.pdf
Idem.
Ce n’est plus la raison, c’est le partage du sentiment
qui prévaut, Michel Maffesoli :
http://www.medef-anjou.fr/staging/site/core.php?pag_id=39541
http://blog-art.com/delphinebaillergeau/category/homme-post-moderne/
Ce n’est plus la raison, c’est le partage du sentiment
qui prévaut, Michel Maffesoli :
http://www.medef.fr/main/core.php?pag_id=39541
Préface à la deuxième édition, Maffesoli,
Michel, L’Instant éternel. Le retour du tragique dans
les sociétés postmodernes, Paris, Rééd.
La Table Ronde, coll. La petite vermillon.
http://divergences.be/article.php3?id_article=18
Boltanski Luc et Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme,
Gallimard, NRF Essais, 1999, 842 p.
Christophe Dejours, Souffrance en France La banalisation de l'injustice
sociale, Éditions du Seuil, Collection Points, Paris 2000,
225 pages.
Informations extraites de l’article de Wikipedia sur Zygmunt
Bauman
http://fr.wikipedia.org/wiki/Zygmunt_Bauman
Zygmunt Bauman, La société assiégée,
Éditions Le Rouergue-Chambon, 2006, 347 pages.
Zygmunt Bauman, Le coût humain de la mondialisation, Éditions
Hachette, Paris, 1999. Republié dans la collection Pluriel
poche à Paris en Février 2000.
Cours d’économie de Marie-Françoise Durand
:
http://coursenligne.sciences-po.fr/2002_2003/bresil_poitiers/seance_2.htm
Comment gagner de l’argent avec le Forex !, Par Michel Georges,
mardi 11 septembre 2007 :
http://www.article-soumission.com/?940-comment-gagner-de-largent-avec-le-forex
Loic Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, Éditions
Raison d’agir, 1999.
Michel Crozier, Le phénomène bureaucratique, Éditions
Points Seuil, Paris, 1963.
Bernard Stiegler, Aimer, s’aimer, nous aimer, Éditions
Galilée, Paris, 2003.
Une planète pleine et sans espace, par Zygmunt Bauman,
Libération, Rebonds, lundi 21 juillet 2003 :
http://1libertaire.free.fr/bauman03.html
Idem.
La décadence des intellectuels, Nouveaux besoins, nouveaux
désirs : la société moderne sonne la faillite
des intellectuels, Raphaël Rouillé – Librairie
Sauramps en Cévennes (Alès) :
http://www.sauramps.com/article.php3?id_article=3346
Georges Friedman, Le travail en miettes, Éditions Gallimard,
Paris, 1956.
Zygmunt Bauman, La Vie en miettes - Expérience post-moderne
et moralité, Éditions Rouergue, 2003, 412 pages.
Julia Kristeva, Les nouvelles maladies de l’âme, Éditions
Fayard, Paris, 1993.
Idem, quatrième de couverture.
Roman policier et nouvelles maladies de l'âme, Julia Kristeva
:
http://www.grep-mp.org/conferences/Parcours-17-18/policier.htm
idem.
Compte rendu sur le livre La Fatigue d’être soi Dépression
et société d’Alain Ehrenberg :
http://perso.orange.fr/memscpobdx/fichelect/fatigueetresoi.html
Cours en ligne de kinésothérapie, chapitre sur la
psychopathologie : http://www.courskine.fr/psycho_pathologie_101.htm
* Ce cours présente l’héterosexualité
comme la voie normale et l’homosexualité comme une
perversion, il est donc historiquement marqué et moralement
connoté. Heureusement, cette typologie est aujourd’hui
abandonnée.
La forclusion dans le champ psychanalytique, Dictionnaire international
des termes littéraires, article Forclusion :
http://www.ditl.info/arttest/art21533.php
Clinique des états-limites, du signe, à l’existence
entre archéologie et téléologie, Docteur Ludwig
Fineltain, Bulletin de psychiatrie, Numéro 3.2, Edition 1996
:
http://www.bulletindepsychiatrie.com
Une psychanalyse postmoderne ? Hélène Richard, revue
de psychanalyse Filigranes :
http://rsmq.cam.org/filigrane/archives/postmod.htm
Idem
idem pour Hélène Richard, Yves Boisvert, Le postmodernisme.
Montréal, Éditions du Boréal, 1995. 123 p.
Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans limite, Essai pour une clinique
psychanalytique du social, Éditions Eres, Ramonville, 1997.
Groupe d'étude, animé par Jeanine Pirard-Le Poupon,
Sur la clinique du lien social : De l'indécidable dans la
clinique aujourd'hui. Ce Groupe d'étude s'inscrit dans le
cadre des activités de l’Ecole psychanalytique de Bretagne
:
http://psychanalyseanantes.free.fr/recherche.htm
La mutation du lien social, Jean-Pierre Lebrun en 2004 :
http://www.freud-lacan.com/articles/article.php?id_article=00621
Dire non à la jouissance, par Joseph Rouzel, directeur
de l’Institut Européen Travail Social et Psychanalyse,
psychanalyste :
http://www.psychasoc.com/article.php?ID=188
Charles Melman, A propos de L'Homme sans gravité, Éditions
Denoël
Idem.
A propos de L'Homme sans gravité, Charles Melman, Éditions
Denoël, Alice Granger Guitard en décembre 2002 :
http://www.e-litterature.net/general/generalimprim.php?titre=melman&num=415&repert=alice
Gérard Pommier, Les Corps angéliques de la postmodernité,
Éditions Calmann-Lévy, paris, 2000, 188 p.
La souffrance n’est pas une maladie ... Elle fait partie
de la vie par Jack Bensimon, Psychanalyste :
http://www.psychanalyse-paris.com/La-souffrance-n-est-pas-une
Existe-t-il un concept pertinent de la toxicomanie par Gérard
Pommier :
http://www.psychanalyse.lu/articles/PommierToxicomanie.htm
Dany-Robert Dufour, L’art de réduire les têtes.
Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré
à l’ère du capitalisme total, Denoël, Paris,
2003.
Idem, quatrième de couverture.
Portrait du grand Sujet Dany-Robert Dufour :
http://www.cairn.be/article.php?ID_REVUE=RAI&ID_NUMPUBLIE=RAI_002&ID_ARTICLE=RAI_002_0009
A l’heure du capitalisme total, Servitude de l’homme
libéré par Dany-Robert Dufour, Le Monde diplomatique
octobre 2003 :
http://www.monde-diplomatique.fr/2003/10/DUFOUR/10605
La production du consommateur, André Gorz juin 2003. EcoRev'
- Revue critique d'écologie politique :
http://ecorev.org/article.php3?id_article=164
Félix Guattari, Les trois écologies, Éditions
Galilée, « L’espace critique », Paris,
1989.
Victor Klemperer, LTI, la langue du Troisième Reich, Carnets
d'un philologue, traduit et annoté par Elisabeth Guillot,Éditions
Albin Michel, Paris, 1947, 1996 pour la traduction française.
Il est également disponible aux éditions Pocket, Collection
Agora, Paris, 1999.
François Brune, Le Bonheur conforme. essai sur la normalisation
publicitaire, Éditions Gallimard, Paris,1985
François Brune, De l'idéologie, aujourd'hui, éditions.
Parangon, Paris, 2003.
Les grandes mutations économiques et leurs conséquences
sociales écrit par un professeur à la Sorbonne et
ancien ministre :
http://www.globenet.org/archives/web/2006/www.globenet.org/horizon-local/dial/2124.html
Contribution à l'analyse du capitalisme contemporain par
Jean-Luc Sallé lors d'une conférence syndicale :
http://assoc.orange.fr/continuer.la.cgt/jeanlucs.htm
Club de l’Horloge, article Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Club_de_l'Horloge
Jean-Pierre Le Goff, Les illusions du management, Pour le retour
du bon sens, Éditions La Découverte, nouvelle édition
poche en 2005, 163 pages.
Ni Dieu ni Maître Portrait de Michel Schweizer :
http://www.mouvement.net/html/fiche.php?doc_to_load=11764
Serge Latouche, Le pari de la décroissance, Éditions
Fayard, Paris, 2006, 302 pages.
Yann Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif La nouvelle grande
transformation, Éditions Amsterdam, Collection Multitudes
Idées, 2007, 245 pages.
Présentation du livre Le capitalisme cognitif par Yann
Moulier Boutang sur le site de la revue Multitudes :
http://multitudes.samizdat.net/article2817.html
Informations recueillies surle site Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Google
Google s'engage pour Linux, par Bruno Cormier le lundi 18 juin
2007 :
http://www.pcinpact.com/actu/news/37070-Google-Desktop-Linux-pilotes-open-source-ATi.htm
Chez Google, le travail comme un jeu, par Cécile Ducourtieux,
02 février 2008, Le monde :
http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=1022662&clef=ARC-TRK-NC_01
Il fait bon travailler chez Google, par Stéphane Larcher
publié le jeudi 11 janvier 2007 :
http://www.linformaticien.com/Actualit%C3%A9s/tabid/58/newsid496/1275/il-fait-bon-travailler-chez-google-/Default.aspx
Chez Google, le business rime avec no stress, par Céline
Galoffre, 12 mars 2008
http://www.batiactu.com/data/12032008/12032008-102624.html
Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon
de réserve de la police allemande et la solution finale en
Pologne, traduit de l'anglais par Elie Barnavi, préface de
Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire,
1994, 284 p.
Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, La soumission
librement consentie, Edition PUF, Collection psychologie sociale,
Paris, 2006.
Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité
de manipulation à l’usage des honnêtes gens ou
Comment amener les gens à faire librement ce qu'ils doivent
faire ?, Edition PUF, Collection psychologie sociale, Paris, réédition
2006.
Dominique Quessada, La société de consommation de
soi, Éditions Verticales, 1999.
P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique
de la communication, Éditions du Seuil, collections Points,
Paris, 1985.
École de Palo-Alto sur Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Palo-Alto
Guy Rosalato, Le narcissisme, dans le volume Narcisses sous la
direction de J B Pontalis, éditions Folio Essais Gallimard,
Paris, Février 2000, page 39
Idem.
Jan Spurk, Du caractère social, Éditions Parangon,
Paris, mai 2007, 192 pages.
L’Université peut-elle porter le chapeau postmoderne
?, Du mondial à l’universel, le défi du XXIe
siècle, Jean-Pierre Kesteman, Ph.D.Université de Sherbrooke
(Québec, Canada) :
http://www.usherbrooke.ca/apprus/activites/conferences/kesteman.html
Les références de l’article de Guattari sont
les suivantes, Guattari, Félix (2000), Pour une refondation
des pratiques sociales, dans : Penser le XXIe siècle, Manière
de voir, n° 52, Paris, Le monde diplomatique.
Ou Pour une refondation des pratiques sociales, Félix Guattari,
Le monde diplomatique, octobre 1992, page 26, 27. Disponible sur
le site :
http://www.regards.pierre-michel.fr/ecologie/textes_ecolo/pour_une_refondation_des_pratiqu.htm
Notes de fin :
Note de fin a : Kurt Gödel, 1906 - 1978, mathématicien
et philosophe né en Autriche. Il s’exile aux USA. Il
a produit deux théorèmes d’incomplétude,
qu’il compléta par une troisième découverte
: la non-contradiction relative.
Le premier théorème d’incomplétude démontre
que tout système formel assez puissant pour inclure un minimum
d’arithmétiques, de théorie des ensembles ou
de théorie des types comprend des propositions indécidables.
Le second théorème d’incomplétude démontre
que tout système S vérifiant certaines conditions
minimales, la consistance de S ne peut être formellement établie.
Le troisième théorème de non-contradiction
relative démontre que si la théorie des ensembles
est cohérente, cette théorie enrichie de l’axiome
de choix et de l’hypothèse généralisée
du continu est cohérente.
Ces travaux de Gödel datent de 1931. Ils marquaient les limites
internes du formalisme (le besoin d’un ou de plusieurs indécidables)
et mettaient fin aux espoirs d’une théorie finie des
mathématiques comme celle de Hilbert. Les conséquences
des découvertes de Gödel sont les suivantes :
- dès qu’un domaine des mathématiques est assez
large (dès qu’il inclut l’arithmétique),
la démonstration de sa non-contradiction ne peut se faire
qu’à l’aide de systèmes plus puissants
que lui ;
- le second théorème signifie qu’aucune démonstration
vraiment satisfaisante de non-contradiction ne sera jamais donnée
;
- le troisième résultat conduit à la notion
de calculabilité utilisée par Turing et reprise ensuite
en informatique. Jean-Paul Delahaye résume l’enjeu
des ces théorèmes ainsi :
“ L’histoire des mathématiques et des théorèmes
de Gödel montrent que nous ne pourrons jamais être certains
de la non-contradiction des théories que nous utilisons.
Que nous soyons des machines ou pas ne change rien : les théories
mathématiques comme les théories physiques ne proposent
pas des certitudes, mais des instruments qui fonctionnent plus ou
moins bien, plus ou moins longtemps et qu’il faut ajuster
ou changer de temps en temps. Peut-être réussira-t-on
un jour à démontrer que nous ne sommes pas des machines,
mais cela ne se fera pas sans l’invocation des théorèmes
d’incomplétude de Gödel ! ” Du point de
vue des mathématiques il estime qu’il faut :
“ Vivre avec les contradictions. ”.
Jean-Paul Delahaye est Directeur adjoint du laboratoire d’informatique
fondamentale de Lille du CNRS. Cette citation est extraite d’un
article intitulé : “ Statut mathématique des
contradictions ”, publié dans le numéro 241
de la Revue Pour la science de Novembre 1997.
Article disponible sur Internet revue Pour la science n°241:
http://www.pourlascience.com
Note de fin b : Voici quelques référence de livres
de Michel Maffesoli. En eux-mêmes les titres sont éloquents.
Michel MAFFESOLI, Le Temps des tribus (1988), Le Livre de Poche,
1991.
Michel MAFFESOLI, La transfiguration du politique. La tribalisation
du monde, Éditions Grasset & Fasquelle, 1992.
Michel MAFFESOLI, Du nomadisme. Vagabondages initiatiques. Le Livre
de Poche, 1997.
Michel MAFFESOLI, L’instant éternel. Le retour du
tragique dans les sociétés postmodernes, Paris, Éditions
Denoël, 2000.
Michel MAFFESOLI, La part du diable précis de subversion
postmoderne, Flammarion (2002).
Michel MAFFESOLI, Notes sur la postmodernité. Le lieu fait
lien, Paris : Éditions du Félin/Institut du monde
arabe, 2003.
Michel MAFFESOLI, Le rythme de vie - Variation sur l’imaginaire
post-moderne, Paris, Ed. Table Ronde, Collection Contretemps, 2004,
260 pages.
Note de fin c : Francisco J. Varela, né en 1946, docteur
en biologie de Harvard en 1970, est neurobiologiste. Après
avoir longtemps travaillé aux États-Unis, il est entré
au CNRS en 1988 où il est actuellement Directeur de recherche.
Il dirige l’équipe de Neurodynamique au Laboratoire
des Neurosciences Cognitives et Imagerie Cérébrale
(CNRS UPR 640), à Paris. Il a notamment publié L’inscription
corporelle de l’esprit (Seuil, 1993) et L’arbre de la
connaissance (Addison-Wesley, 1994).
Pour plus d’informations, il est possible de consulter cette
page :
http://www.ccr.jussieu.fr/varela/welcome.html
Bibliographie
Adorno Theodor W., Max Horkheimer, La Dialectique de la raison,
1944.
Anders Gunther, L’obsolescence de l’Homme, Paris, Éditions
de l’encyclopédie des nuisances, 2002 (trad. fr. Ch.
David)
Bauman Zygmunt, La Décadence des intellectuels, des législateurs
aux interprètes, éditions Chambon, 2007.
Bauman Zygmunt, La société assiégée,
Editions Le Rouergue-Chambon, 2006, 347 pages
Bauman Zygmunt, La Vie en miettes - Expérience post-moderne
et moralité, Editions Rouergue, 2003, 412 pages
Bauman Zygmunt, Le coût humain de la mondialisation, Editions
Hachette, Paris, 1999. Republié dans la collection Pluriel
poche à Paris en Février 2000
Beauvois Jean-Léon et Robert-Vincent Joule, Petit traité
de manipulation à l’usage des honnêtes gens ou
Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils
doivent faire ?, Edition PUF, Collection psychologie sociale, Paris,
réédition 2006
Beauvois Jean-Léon et Robert-Vincent Joule, La soumission
librement consentie, Edition PUF, Collection psychologie sociale,
Paris, 2006
BOISVERT Yves, Le postmodernisme. Montréal, Éditions
du Boréal, 1995. 123 p.
Boltanski Luc et Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme,
Gallimard, NRF Essais, 1999, 842 p.
Bouaniche Arnaud, Gilles Deleuze une introduction, Edition Press
pocket, collection Agora, Paris 2007.
Brown Wendy, Les habits neufs de la politique mondiale,Néolibéralisme
et néo-conservatisme, Editions Les Prairies Ordinaires, Collection
« Penser/croiser » , Diffusion Les Belles Lettres, Paris,
Novembre 2007, 140 pages, 12 Euros.
BROWNING Christopher R., Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon
de réserve de la police allemande et la solution finale en
Pologne, traduit de l’anglais par Elie Barnavi, préface
de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire,
1994, 284 p.
Brune François, Le Bonheur conforme. essai sur la normalisation
publicitaire, éditions Gallimard, Paris,1985
Brune François, De l’idéologie aujourd’hui,
éditions. Parangon, Paris, 2003
Brunner Roland, Psychanalyse et société postmoderne,
Editions L’Harmattan, Psychanalyse et civilisations, Paris,
1998, 125 pages
Colombo Eduardo, Valeurs universelles et relativisme culturel dans
la brochure Tout est relatif. - Peut-être. des Éditons
ACL, Lyon, 1997
Crozier Michel, Le phénomène bureaucratique, Editions
Points Seuil, Paris, 1963
De Saussure Ferdinand, Cours de linguistique générale,
éd. Payot, (1913)1995
Dejours Christophe, Souffrance en France La banalisation de l’injustice
sociale, Editions du Seuil, Collection Points, Paris 2000
Deleuze Gilles et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie,
tome 2 : Mille plateaux, Editions de Minuit, 1980,
Deleuze Gilles et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie,
tome 1 : L’Anti-Œdipe, Editions de Minuit, 1972.
Deleuze Gilles, Félix Guattari ; Anti-Œdipe, Capitalisme
et schizophrénie, Editions de Minuit (coll. “ Critique
”), Paris, 1972, 494 pages
Deleuze Gilles, Pourparlers, Editions de Minuit, Paris, 1990
Derrida Jacques avec Anne Dufourmantelle, De l’hospitalité,
1997, Editions Calmann-Lévy, Paris, 1997
Derrida Jacques, Cosmopolites de tous les pays encore un effort,
1997,
Derrida Jacques, De l’hospitalité (avec Anne Dufourmantelle),
1997, Calmann-Lévy.
Derrida Jacques, La dissémination, 1972, Seuil.
Derrida Jacques, L’écriture et la différence,
1967, Seuil.
Derrida Jacques, Politiques de l’amitié, 1994, Galilée.
Derrida Jacques, Résistances de la psychanalyse, 1996, Galilée.
Descartes René, Discours de la méthode, 1637, VI
Dufour Dany-Robert, L’art de réduire les têtes.
Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré
à l’ère du capitalisme total, Denoël, Paris,
2003.
Ehrenberg Alain, La Fatigue d’être soi. Dépression
et société, Editions Odile Jacob Août 2000,
414 pages
Ehrenberg Alain, L’individu incertain, Editions Hachettes,
Pluriel, Paris, 1996, 352
Foucault Michel, Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard,
Paris, 2001
Foucault Michel, L’ordre du discours, Editions Gallimard,
Paris, 1970.
Foucault Michel, Les mots et les choses, Une archéologie
des sciences humaines, Gallimard, coll. “ Bibliothèque
des sciences humaines ”, Paris, 1966, 405 p
Foucault Michel, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Editions
: Gallimard, Paris, 1975.
Foucault Michel, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard,
Paris, 1975, 328 p.
Freud Sigmund, Cinq leçons sur la psychanalyse (1909), Payot,
collection Poche, 2004
Freud Sigmund, Introduction à la psychanalyse (1917) Editions:
Payot, 2004
Freud Sigmund, L’avenir d’une illusion (1927), Editions
PUF, 2004
Freud Sigmund, Malaise dans la civilisation (1929) in Le Malaise
dans la Culture, PUF, 2004,
Freud Sigmund, Métapsychologie (1915), Editions : Gallimard
Folio, 1986
Freud Sigmund, Psychopathologie de la vie quotidienne (1904), Payot,
2004
Freud Sigmund, Sur le rêve (1900), Gallimard, collection
Folio, 1990
Freud Sigmund, Trois essais sur la théorie sexuelle (1905),
Gallimard, collection Folio, 1989
Friedman Georges, Le travail en miettes, Editions Gallimard, Paris,
1956
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la
philosophie ?, Editions de Minuit (coll. “ Critique ”),
Paris, 1991, 206 p
Guattari Félix, Les trois écologies, “ L’espace
critique ”, Editions Galilée, Paris, 1989
Hazan Eric, LQR la propagande du quotidien» , Editions Raisons
d’agir, Paris, 2006, 122 pages. Il est également disponible
aux éditions Pocket, Collection Agora, Paris, 1999.
Jameson Fredric Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme
tardif, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence
Nevoltry. Editions. Ensba, « L’Art en questions »
, Paris, 2007, 608 pages.
JENCKS Charles, Le langage de l’architecture post-moderne
(1977), Paris, Academy Editions-Denoël, 1979
Kant Emmanuel, Critique de la raison pratique (1788)
Kant Emmanuel, Critique de la raison pure (1781)
Kant Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs
(1785)
Kant Emmanuel, Idée d’une histoire universelle d’un
point de vue cosmopolitique (1784)
Kant Emmanuel, Prolégomènes à toute métaphysique
future qui voudra se présenter comme science (1783)
Kant Emmanuel, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée
? (1786)
Kant Emmanuel, Réponse à la question : « Qu’est-ce
que les Lumières ? » (1784)
Karl Marx, Le capital. Éditions Sociales, Paris 1971
Klemperer Victor, « LTI, la langue du Troisième Reich,
Carnets d’un philologue » , traduit et annoté
par Elisabeth Guillot, Editions Albin Michel, Paris, 1947, 1996
pour la traduction française.
Kristeva Julia, Les nouvelles maladies de l’âme, Editions
Fayard, Paris, 1993
Kuhn, Thomas S, La Structure des révolutions scientifiques,
1962
Latouche Serge, Le pari de la décroissance, Editions Fayard,
Paris, 2006, 302 pages
Le Goff Jean-Pierre, « LES ILLUSIONS DU MANAGEMENT, Pour
le retour du bon sens » , Editions La Découverte, nouvelle.édition
poche en 2005, 163 pages
Le Goff Jean-Pierre, Le mythe de l’entreprise, Editions La
Découverte, Essais, Paris, 1996, 305 pages
Lebrun Jean Pierre, Un monde sans limite, Essai pour une clinique
psychanalytique du social, Editions Eres, Ramonville, 1997
Lévi-Strauss Claude, Anthropologie structurale, 1958.
Lévi-Strauss Claude, La Pensée sauvage, 1962.
Lévi-Strauss Claude, Les Mythologiques: Le Cru et le cuit,
1964.
Lévi-Strauss Claude, Les Structures élémentaires
de la parenté, 1949.
Lévi-Strauss Claude, Race et Histoire, 1952.
Lévi-Strauss Claude, Tristes Tropiques, 1955.
Luyckx Ghisi Marc, Au-delà de la modernité, du patriarcat
et du capitalisme, la société réenchantée
? Publié 2001, Editions L’Harmattan, Paris, 2001, 216
pages.
Lyotard J F, Le post moderne expliqué aux enfants, éditions
livre de poche, Paris 1993, première parution Editions Galilée,
Paris, 1988, réédition de 1993, pages 17 et 18.
Lyotard Jean François, La Condition postmoderne, Rapport
sur le savoir, Editions de Minuit, Collection “ Critique ”,
Paris 1979, 128 pages
Lyotard Jean François, Le postmoderne expliqué aux
enfants, livre de poche, biblio essais, Paris 1993, page 33, (précédemment
publié en 1988 aux Editions Galilée).
Maffesoli Michel, Eloge de la raison sensible, Éditions
Grasset, Paris, 1996, 278 pages
Maffesoli Michel, L’Instant éternel. Le retour du
tragique dans les sociétés postmodernes, Paris, Rééd.
La Table Ronde, coll. La petite vermillon.
Maffesoli Michel, Tribalisme postmoderne, De l’identité
aux identifications.
Marx Karl, Engels Friedrich, Critique des programmes de Gotha et
d’Erfut, Éditions sociales,
Marx Karl, Engels Friedrich, Études philosophiques (textes
choisis), Éditions sociales,
Marx Karl, Engels Friedrich, L’idéologie allemande,
Éditions sociales
Marx Karl, Engels Friedrich, Manifeste du parti communiste, Éditions
sociales,
Marx, Karl, Contribution à la critique de l’économie
politique, Éditions sociales
Marx, Karl, Dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, Éditions
sociales, 1993
Marx, Karl, La guerre civile en France, Éditions sociales
Marx, Karl, Le capital Livre I, PREMIÈRE SECTION, LA MARCHANDISE
ET LA MONNAIE Chapitre premier : LA MARCHANDISE Éditions
sociales
Marx, Karl, Manuscrits de 1844, Éditions sociales
Marx, Karl, Misère de la philosophie, Éditions sociales
Marx, Karl, Travail salarié et capital, Éditions
sociales, 1985
MELMAN Charles, “ A propos de L’Homme sans gravité
”, Editions Denoël
Moulier Boutang Yann, Le capitalisme cognitif La nouvelle grande
transformation, Editions Amsterdam, Collection Multitudes Idées,
2007, 245 pages
Natch Marc, A l’aise dans la barbarie, Editions Grasset,
Collection Figures, Paris, 1994, 135 pages
Negri Toni, Michael Hardt, Empire, éditions Exils, Paris,
2000, 559 pages.
Negri Toni, Michael Hardt, Multitude : guerre et démocratie
à l’époque de l’Empire, Editions 10/18,
collection « Fait et cause » , 2006
Nietzsche Friedrich, La volonté de puissance, vol. 1, livre
1, Editions Gallimard, Collection Tel, Paris 1995.
Pommier Gérard, Les Corps angéliques de la postmodernité,
Editions Calmann-Lévy, paris, 2000, 188 p
Quessada Dominique, La société de consommation de
soi, Éditions Verticales, 1999.
Rorty Richard., Pascal Engel, A quoi bon la vérité
?, Grasset, Paris, 2005, 91 Pages, ici (p.72-73)
Rosalato Guy, « Le narcissisme » , dans le volume Narcisses
sous la direction de J. B. Pontalis, éditions Folio Essais
Gallimard, Paris, Février 2000
Sala-Molins Louis, Le Code noir, PUF, Paris, 1986
Sonolet Daglind, Günther Anders Phénoménologue
de la technique, Editeur Presses universitaires de Bordeaux, 2006,
244 pages.
Spurk Jan Du caractère social, Editions Parangon, Paris,
Mai 2007, 192 pages
Stiegler Bernard, Aimer, s’aimer, nous aimer, Editions Galilée,
Paris, 2003
Wacquant Loic, Les prisons de la misère, Paris, Editions
Raison d’agir, 1999.
Watzlawick P., J. Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de
la communication, Éditions du Seuil, collections Points,
Paris, 1985.
Wittgenstein Ludwig, Investigations philosophiques (1953)
Wittgenstein Ludwig, Tractatus logico-philosophicus (1921)
Zourabichvili François, Le vocabulaire de Deleuze, Editions
Ellipses, 2003
Table des matières
La postmodernité :
De la critique du sujet moderne à son effacement postmoderne
Liminaire
I / La question de la définition de la postmodernité
A / La notion de paradigme ?
B / Un paradoxe ?
C /Un paradigme paradoxal ?
Chapitre I : Comparaison et contraste
I / Le sujet
II / La raison
III / La démocratie
IV / L’universalité
V / La science
Chapitre II : Expressions de la postmodernité
I / La postmodernité en architecture
II / La postmodernité en philosophie
A / Jean-François Lyotard théoricien de la rupture.
B / La déconstruction de Jacques Derrida
C / Michel Foucault et le pouvoir
D / Le multiple de l’immanence de Gilles Deleuze
III / La postmodernité en sociologie
A / La postmodernité dionysiaque de Michel Maffesoli
B / Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello
C / Le coût humain de la mondialisation selon Zygmunt Bauman
IV / L’écho des divans, la postmodernité en
psychologie
V / La postmodernité en politique
Postface :
L’effacement du sujet dans la crise de la postmodernité
Bibliographie
Avertissement
Mail de Loïc Wacquant septembre 2010
Merci de retirer toute mention de l'ouvrage PUNIR LES PAUVRES de
votre site: il s'agit d'une version contrefaisante, version truquee
et tronquee de mon travail publiee sans contrat ni bon a tirer par
Agone, contre ma volonte explicite et expresse. Cet ouvrage est
une tromperie; ce n'est pas le mien; il ne figure pas a ma bibliographie,
merci de ne pas me l'attribuer. Vous pouvez lire la version complete
et conforme de mon travail en anglais, PUNISHING THE POOR, Duke
University Press, 2008.
Cordialement,
Loïc Wacquant
Professor, University of California, Berkeley
Chercheur, Centre de sociologie européenne, Paris
http://sociology.berkeley.edu/faculty/wacquant/
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Department of Sociology
University of California-Berkeley
Berkeley CA 94720 USA
fax 510/642-0659
***********
François Brune http://larbremigrateur-fb.blogspot.com
|