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Origine : http://www.bok.net/pajol/sanspap/immedia/mogniss.html
Ce texte est paru dans "SANS PAPIERS - Chroniques d'un Mouvement",
co-édité par Reflex et l'agence IM'média (1997)
50F. Nous remercions l'auteur et les éditeurs de nous avoir
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* De la « neutralité » à l'engagement,
« ici et maintenant »
* 1972-75 : luttes autonomes contre les crimes racistes, les expulsions,
et pour la régularisation des sans-papiers
Le retour des expulsés des foyers Sonacotra
* Les jeunes immigrés face à l'expulsion
La double peine : prison + expulsion
L'action contre les premières lois Pasqua en 1986
Tchao l'immigration ?
« Et toi féroce Africain, qui triomphe un instant
(...) rentre dans le néant politique auquel la nature elle-même
t'a destiné. Ton orgueil atroce n'annonce que trop que la
servitude est ton lot. Rentre dans le devoir et compte sur la générosité
de tes maîtres. Ils sont blancs et français ».
Cette éructation, d'un certain B. Deslozières contemporain
de Napoléon, annonce la volonté de réinstaurer
la « loi du sang », le Code Noir, et de gommer ainsi
des mémoires des Noirs, et de leurs rêves si possible,
la moindre trace d'une possibilité de révolte. Nous
sommes au tout début du XIXème siècle, l'esclavage
est rétabli dans les colonies des Antilles en réaction
à la révolte de Saint-Domingue, les Noirs et les métis
sont interdits de séjour sur le territoire métropolitain,
et ordre est donné de renvoyer les étudiants d'origine
africaine de l'Ecole polytechnique de Paris[1]. De l'histoire ancienne
? Certes. On dit que l'Histoire ne se répète pas.
Reste un état d'esprit...
Avec la lutte des sans-papiers et la remise en cause de la carte
de résidence de plein droit, la société française
redécouvre la réalité de l'immigration, avec
ses galères de papiers pour le droit au séjour. On
avait fini par l'oublier pour n'en retenir qu'un aspect, le racisme,
comme si l'immigration était devenu un phénomène
résiduel, désintégrable dans le creuset français
au terme d'un processus plus ou moins heurté de naturalisation.
Pourtant, l'immigration - plurielle - a une longue histoire derrière
elle, marquée par des luttes sociales, culturelles et politiques
pour asseoir son droit de cité dans la société
française. Mais force est de constater que la transmission
des expériences passées a du mal à se faire,
bien que le besoin de reconstituer la mémoire collective
de l'immigration s'exprime avec de plus en plus d'insistance.
A travers le prisme des politiques d'expulsion du territoire français,
révélatrices de la situation d'infra-droit des immigrés,
il nous a semblé important de rappeler quelques grandes phases
de ces luttes depuis les années 70, pour aboutir à
un statut de résident de plein droit. Ce rappel qui ne saurait
être exhaustif, devrait contribuer à relier les acteurs
de cette histoire encore trop fragmentée, à l'heure
où les sans-papiers de l'ère Pasqua semblent tomber
du néant, tels des orphelins de l'histoire.
De la « neutralité » à l'engagement,
« ici et maintenant »
La politique d'expulsion a changé de nature à la
fin des années 60. Jusque-là, les expulsions étaient
en grande partie liées à la situation du marché
du travail et permettaient de renvoyer massivement les travailleurs
immigrés quand il n'y avait plus besoin d'eux. Avant les
années 60, l'Etat français expulsait bien sûr
aussi pour motif politique les militants des mouvements anti-colonialistes
et anti-impérialistes, mais c'est l'expulsion de Daniel Cohn-Bendit
après Mai 68 qui a ouvert la nouvelle donne qui nous intéresse
ici : l'expulsion pour « trouble à l'ordre public »,
mélange de délinquance sociale « made in France
» et de délit (d'opinion) politique. Les immigrés
commencent à s'impliquer dans la société française,
conscients d'être un maillon important de son fonctionnement.
Ils se départissent lentement mais sûrement de «
l'obligation de réserve » et de « neutralité
» jusque-là respectée par souci de non-ingérence
dans les affaires d'un pays encore considéré comme
lieu de passage.
Ils s'engagent dans des luttes contre le racisme et les conditions
de vie dans les bidonvilles et les cités de transit, mais
aussi dans les grèves d'usine, sans oublier l'engagement
anti-franquiste, anti-salazariste ou pro-palestinien.
Cet activisme politique sera pour certains sanctionné dans
les années 70 par des mesures d'expulsion du territoire prises
au nom du non-respect de « la stricte neutralité politique
qui s'impose aux étrangers en France ». C'est le grief
prononcé en 1971 à l'encontre de Laureta Fonseca,
une mère portugaise de cinq enfants qui bougeait avec les
habitants portugais du bidonville de Massy ( Essonne ) pour obtenir
leur relogement. Laureta avait participé à l'occupation
de la mairie avec des habitants et des militants français,
parmi lesquels les maos du groupe de défense Secours Rouge.
La veille de sa comparution devant la commission d'expulsion à
la préfecture, 1.500 personnes manifestent pour la soutenir.
Face à la pression, la préfecture lui accorde un sursis
qui sera reconduit d'année en année.
En octobre 71 à Amiens, Sadok Djeridi, un travailleur tunisien
qui venait de faire venir sa femme et ses enfants, reçoit
lui aussi un avis d'expulsion. Cette fois-ci, pas de motivation
politique. Sadok s'insurge contre cette injustice. Il explique simplement
: « Mes gosses sont ici, ma femme aussi. Je suis ici, j'y
reste ! » Emu par la grève de la faim de soutien organisé
par un comité anti-raciste constitué à l'initiative
du Secours Rouge, il entame à son tour un jeûne. D'autres
grèves de la faim tournantes sont déclenchées,
spontanément, ponctuées de meetings et des manifestations.
Sadok obtient sa carte de travail. Le mouvement de soutien apparu
sur son lieu de travail permettra par la suite une lutte pour les
papiers et pour le droit à la sécurité sociale
des travailleurs immigrés dans sa boîte.
1972-75 : luttes autonomes contre les crimes racistes,
les expulsions, et pour la régularisation des sans-papiers
En octobre 72 à Paris, Fawzia et Saïd Bouziri se voient
enjoindre de quitter sous huitaine le territoire français.
Motif invoqué : retard dans la demande de renouvellement
de leur carte de séjour. En fait, ils paient pour leur activité
politique. On leur reproche d'avoir manifesté en soutien
aux Palestiniens, et d'avoir participé à la campagne
contre le meurtre du petit Djillali le 25 octobre 71 à la
Goutte d'Or. Cette campagne, à l'origine de la première
manifestation immigrée d'importance à Paris depuis
le massacre du 17 octobre 61 - 200 manifestants algériens
tués[2] -, est sans doute avec les comités Palestine
le point de départ d'un nouveau mouvement politique de l'immigration
capable de mobiliser de manière autonome à la fois
les immigrés et les intellectuels français. Le comité
de soutien aux Bouziri en témoignera. Après une grève
de la faim et une manifestation, la mesure d'expulsion sera levée.
Le comité se transforme alors en Comité de Défense
de la Vie et des Droits des Travailleurs Immigrés. Le CDVDTI
interviendra par la suite pour la vérité sur la mort
de Mohamed Diab, assassiné dans un commissariat de Versailles.
Il fait cause commune avec le MTA, le Mouvement des Travailleurs
Arabes, qui organise en 73 une grève générale
contre les assassinats racistes, très suivie en région
parisienne et surtout en Provence. Auparavant, le CDVDTI et le MTA
avaient joué un rôle déterminant dans la mobilisation
contre les circulaires Marcellin-Fontanet, liant la question des
papiers et celle des expulsions. Les nombreuses grèves de
la faim secouant le pays entre octobre 1972 et janvier 1975, aboutiront
d'abord aux « mesures Gorse » de juin 1973 qui prévoient
la régularisation pour raisons « humanitaires »
des clandestins entrés en France avant une certaine date,
puis finalement à l'annulation partielle des circulaires
incriminées par le conseil d'Etat.
Tout au long de ces luttes, la plupart des camarades français
critiqueront à la fois les formes d'action et les objectifs
politiques des immigrés. Ils dénoncent « l'irresponsabilité
» face aux risques encourus par l'action radicale (occupations
de lieux publics, manifs spontanéistes sans service d'ordre,
dangers pour la santé des grévistes...). Les formes
spécifiques de popularisation, comme le fait de se donner
rendez-vous à la sortie des mosquées, sont présentées
comme une division de la classe ouvrière. Pour couronner
le tout, les immigrés sont gratifiés du label d'«
apolitisme », de réformisme à courte vue ou
de triomphalisme excessif. Le CDVDTI se verra ainsi reprocher de
vouloir contenir le mouvement contre la circulaire Fontanet dans
un cadre « infra-politique » dans le but d'une adhésion
humanitaire large, sur une revendication unique (la carte de travail)
et, pour finir, il est accusé de chercher à brader
le mouvement après le succcès des négociations
avec le pouvoir. A croire que les immigrés ne sont décidemment
pas capables de reconnaître l'intérêt général,
ni même de diriger leurs propres luttes. Pourtant, les résultats
sont là : la CFDT soutient la régularisation, mais
il aura fallu que trois Tunisiens viennent entamer une grève
de la faim dans les locaux-mêmes de la centrale : des mesures
gouvernementales concrètes sont obtenues ; un mouvement immigré
autonome capable de gagner a émergé, et il rebondira
sur de nouvelles luttes sociales et culturelles dans les années
suivantes. A l'issue d'un colloque national de l'immigration tenu
les 15 et 16 février 1975, le CDVDTI, le MTA, le GISTI et
d'autres organisations françaises déclarent dans une
motion finale : « Notre objectif : coordonner les différents
comités de soutien apparus au cours des dernières
luttes pour qu'ils soient un instrument de l'unité de tous
les travailleurs, tant vis-à-vis des organisations françaises
que vis-à-vis des mouvements autonomes de l'immigration ».
Le retour des expulsés des foyers Sonacotra
L'Etat ripostera souvent au renouveau des luttes immigrées
par des expulsions collectives. En plein mouvement contre les circulaires
Marcellin-Fontanet, plusieurs sans-papiers, dont des grévistes
de la faim tunisiens, sont expulsés. Pour casser la grève
des loyers étendue à des dizaines de foyers Sonacotra
dans toute la France, le ministre de l'intérieur Poniatowski
envoie le 16 avril 76 les CRS et expulse dix-huit délégués
du Comité de Coordination, Maghrébins, Portugais et
Maliens. Motif, formulé par Giscard : « violences et
voies de fait vis-à-vis du personnel d'encadrement des foyers
». 18.000 personnes manifesteront de l'est parisien à
Barbès et les recours déposés par les avocats
et les délégués des résidents permettront
le retour de Moussa Konaté, soutenu par la CGT, puis des
autres expulsés. Le Conseil d'Etat déclare l'expulsion
illégale. Les responsables du comité de coordination
ont pris eux-mêmes à bras-le-corps les problèmes
juridiques. Des militants comme Assane Ba deviendront d'éminents
juristes, mis à contribution à chaque nouveau projet
de loi concernant l'immigration, pour éplucher les textes
et pour imaginer la contre-offensive[3]. Et il va y avoir du travail
sur la planche car les textes et contre-textes législatifs
vont pleuvoir tout au long des années 70 et 80.
Jusqu'au milieu des années 70, les expulsions connues concernaient
surtout les immigrés de la première génération.
Mais les expulsions de leurs enfants vont se multiplier dès
l'adolescence. Les banlieues ouvrières baignent dans l'ambiance
d'une crise économique endémique : alors que le chômage
guette les travailleurs français et immigrés, les
jeunes de la seconde génération sortent de l'école
sans perspective de travail. Ils n'ont d'ailleurs aucune intention
d'aller trimer à l'usine comme leurs parents, et manifestent
un certain mépris de l'ordre social réglé sur
le rythme de l'usine. La démerde, la vie nocturne et la flambe
des jeunes deviennent un mode de vie en conflit ouvert avec le train-train
quotidien métro-boulot-dodo. Désormais, l'image du
délinquant basané s'installe et le jeune immigré
devient la cible du délire sécuritaire qui gangrène
l'opinion publique.
Qu'à cela ne tienne : embastillez-les, puis expulsez-les
! Le problème, c'est que les jeunes immigrés se considèrent
ici chez eux, et celà même s'ils n'ont pas encore la
nationalité française. Quand on les expulse, ils prennent
tous les risques pour revenir, clandestinement. Le plus souvent
sans se soucier des recours juridiques possibles. Ils n'ont d'ailleurs
aucune confiance dans la justice. Les quelques décisions
censées faire jurisprudence restent lettre morte, comme l'arrêt
Dridri du 21 janvier 1977 qui « condamne tout recours automatique
à l'expulsion au seul motif que l'intéressé
a fait l'objet d'une condamnation pénale ». Les chiffres
concernant les jeunes expulsés à cette période
parlent d'eux-mêmes : de 5.380 en 1977, ils passent à
8.000 en 1980.
Les jeunes immigrés face à l'expulsion
A la fin des années 70, une sorte de réseau de groupes
informels aide les expulsés dans les cités. Les lascars
consolident souvent leurs liens autour de la prison, antichambre
de l'expulsion. Simultanément, des groupes de jeunes immigrés
comme « week-end à Nanterre » ou le « collectif
Mohamed » à Vitry expriment sous des formes culturelles
empruntées à la contre-information leurs aspirations
à vivre dans la société française tels
qu'ils sont. Sans angélisme ni diabolisation. Dans ce cadre,
ils organisent des actions publiques, avec les rescapés de
l'aventure révolutionnaire de mai 68, des militants chrétiens,
ou encore avec les ASTI(Associations de Solidarité avec les
Travailleurs Immigrés). Les comités anti-expulsion
ad hoc, qui obtiennent l'annulation de plusieurs décisions
d'expulsion de jeunes, renforcent des réseaux qui donneront
naissance aux premières coordinations de jeunes immigrés,
à l'instar de Rock against Police.
La situation des jeunes expulsés amène des hommes
d'église comme François Lefort et Christian Delorme
à les aider, à Nanterre, à Lyon et jusqu'en
Algérie. Ne pouvant plus supporter cette injustice faite
à des jeunes avec lesquels il s'est lié d'amitié,
Christian Delorme décide une grève de la faim illimitée
avec Jean Costil et un ex-expulsé, Hamid Boukhrouma. Et celà
malgré les réprobations multiples de ceux qui estiment
que « ce n'est pas le moment ». Nous sommes à
la veille des élections présidentielles de mai 1981.
Mitterrand, qui est donné gagnant, soutiendra la grève
de la faim en déclarant le 17 avril 81 : « C'est une
atteinte aux droits de l'homme que de séparer de leur famille
et d'expulser vers un pays dont bien souvent ils ne parlent même
pas la langue, des jeunes gens nés en France ou qui y ont
passé une partie de la jeunesse. Ces pratiques sont inacceptables.
Si je suis élu président de la République,
je demanderais au gouvernement d'y mettre immédiatement fin
et de présenter les dispositions législatives nécessaires
pour que nul désormais ne puisse y avoir recours ».
La double peine : prison + expulsion
Effectivement, les expulsions seront immédiatement suspendues
au lendemain du 10 mai 1981, et une nouvelle loi adoptée
dès l'automne intègre des « catégories
protégées » de l'expulsion, en particulier les
jeunes et les résidents de longue date. Mais entretemps,
les fameux rodéos des Minguettes remettent en selle une droite
K.O suite aux élections. A l'unisson avec les syndicats de
police, la droite réattaque sur l'expulsion des « délinquants
immigrés qui défient l'autorité de l'Etat »
dans les banlieues. Elle sera bientôt rejointe par Charles
Hernu, maire de Villeurbanne et ministre de la défense, ainsi
que par Gaston Deferre, maire de Marseille et ministre de l'intérieur.
La législature socialiste grignotera les acquis de 81, notamment
en baissant la barre au-dessus de laquelle l'expulsion est possible.
Par ailleurs, l'explosion de la drogue dans les années 80
permettra l'application de l'art L 630-1 du code de la santé
publique, un texte du 31/12/1970 qui introduit pour les étrangers,
en plus de la sanction pénale, l'interdiction du territoire,
temporaire ou définitive (ITF ou IDTF).
A force de ferrailler avec la droite sur le degré d'humanité
ou de répression qui rend l'expulsion acceptable ou non,
la gauche en oublie la question de principe : la notion même
de la double peine est discriminatoire, en ce sens qu'elle déroge
à un principe fondamental du droit républicain, l'égalité
devant la peine[4]. Le droit à l'égalité tant
proclamé implique l'abolition pure et simple de cette double
peine, et non des aménagements pour raisons humanitaires.
L'action contre les premières lois Pasqua en 1986
Quand la droite revient aux affaires en mars 86, elle s'empresse
de rétablir l'autorité administrative en matière
d'expulsion, et remet en cause les catégories protégées.
Dans la cacophonie générale, Djida Tazdaït et
Nacer Zaïr entament à Lyon une grève de la faim
contre le nouveau projet de loi sur le séjour des étrangers,
bien connu sous le nom de loi Pasqua, pour le maintien des catégories
non-expulsables et du plein droit à la carte unique de dix
ans. Christian Delorme rejoint aussitôt cette grève
par solidarité. Il reste ainsi pleinement fidèle à
ses engagements et règle un compte avec lui-même. Suite
à sa grève de 81, «une attitude paternaliste,
un manque de confiance dans leurs capacités à lutter
», qui a parfois « court-circuité » des
initiatives d'auto-organisation comme Rock Against Police. Pour
la grève de Djida et Nacer, il apporte aussi une médiation
non négligeable avec l'église, Monseigneur Decourtray
acceptant avec Cheikh Abbas de la Mosquée de Paris de les
relayer auprès des autorités. Cette grève qui
s'est terminée à la veille de l'ouverture du débat
parlementaire sur le projet de loi a, au-delà de quelques
concessions gouvernementales, surtout eu le mérite de remobiliser
le mouvement beur mis à mal par le lancement en fanfare de
SOS Racisme puis de France Plus. Les comités constitués
pour la circonstance dans une douzaine de villes et les différentes
tentatives de fédération nationale des centaines d'associations
apparues après la Marche pour l'Egalité de 1983 et
Convergence 84, comme Mémoire Fertile ou Résistance
des Banlieues, porteront avec plus ou moins de succès l'exigence
d'une nouvelle citoyenneté et de justice pour tous. D'autres
s'inscriront plus directement dans l'arène politique.
Tchao l'immigration ?
Pour beaucoup, la mobilisation contre la loi Pasqua de septembre
1986 ne fut qu'un intermède, la réponse du berger
à la bergère. On se souvient de l'affaire des 101
Maliens expulsés par charter spécial. La gauche réagira
par sursaut d'orgueil, mais la déroute du gouvernement Chirac
sur le front étudiant occultera la lutte contre les expulsions.
Tchao l'immigration. A l'instar de Malik Oussekine, l'étudiant
modèle assassiné par les pelotons voltigeurs motorisés
lors des manifs étudiantes de 86, les jeunes issus de l'immigration
sont désormais Français. Les Jeunesses Communistes
mèneront bien quelques actions spectaculaires contre les
expulsions de jeunes lycéens. Serge Mitolo est libéré
in extremis par ses amis de Bagnolet lors d'une manif à Roissy.
Il était sur le point d'embarquer pour le Congo. A Marseille,
cinq militants des JC sont condamnés par la justice pour
avoir empêché l'expulsion d'un copain. Ailleurs en
province, les collectifs anti-expulsions continuent de s'occuper
de cas individuels. Mais avec le retour de la gauche au pouvoir
en 1988, la lutte anti-expulsion est passée de mode. Après
l'adoption de la loi Joxe, brocardée par la droite comme
« la loi des associations », le « collectif des
120 contre la loi Pasqua », regroupé autour de la Ligue
des Droits de L'Homme, se dissout, se contentant de quelques recommandations
de vigilance. Les « catégories protégées
» sont bien réintroduites dans l'article 25, mais plus
personne ne se soucie des questions laissées en suspens,
ni même des milliers de victimes de la loi Pasqua. Contrairement
à 81, le retour des expulsés ne fait plus partie des
préoccupations ambiantes.
C'est dans ce contexte que se constitue en 1990 le comité
national contre la double peine. Les associations rechignent à
« défendre des délinquants ». Qu'à
celà ne tienne : le comité les interpellera sans ménagement,
s'organise de façon autonome et se forme sur le plan juridique.
Il bataillera ferme pour l'abrogation de la double peine, qui concernerait
20.000 personnes environ, et obtient après une grève
de la faim collective à Paris quelques modifications de loi,
parmi lesquelles le retour à la possibilité d'un relèvement
d'interdiction du territoire[5]. L'ITF, en principe, n'est alors
plus applicable aux « catégories protégées
». L'administration contourne cet obstacle par l'expulsion
en « urgence absolue ». Les demandeurs d'asile déboutés,
de plus en plus nombreux (ils seraient plus de 100.000), commencent
eux-aussi à réagir face aux menaces d'expulsion. En
avril 1991, 25 Turcs et Kurdes se mettent en grève de la
faim à Bordeaux pour leur régularisation immédiate
et collective avec l'octroi d'une carte de dix ans. Ils bénéficient
du soutien du réseau d'information et de solidarité
composé des associations, et le mouvement de grève
de la faim s'étend à Paris, Fameck, Val-de-Reuil,
Strasbourg, St-Dizier, Mulhouse etc... Au bout de 50 jours, le gouvernement
se décide à nommer un médiateur, alors que
la police tente d'hospitaliser de force les grévistes. La
résistance a payé, les grévistes seront régularisés.
Le 23 juillet 1991, une circulaire de J.L Bianco, ministre des affaires
sociales, permet la régularisation des demandeurs d'asile
déboutés présents depuis au moins trois ans.
15.000 à 20.000 déboutés seront régularisés.
Les autres sont renvoyés à la clandestinité
ou à l'expulsion. Le gouvernement Cresson renoue avec les
charters et les contrôles policiers dans les quartiers reprennent
de plus belle. Cette situation préfigure le 18 mars 1996
: parmi les réfugiés de St-Ambroise, il y avait plusieurs
déboutés du droit d'asile, laissés pour compte
de 1991. L'actualité est rattrapée par l'histoire.
Notes
[1] cf. Louis Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan,
PUF - 1988.
[2] cf. « Le Silence du Fleuve », livre + film de Mehdi
Lallaoui et Anne Tristan, Au Nom de la Mémoire, 1991.
[3] cf. Assane Ba, « Une histoire collective » in Plein
Droit no 29-30, novembre 1995.
[4] cf. « France : l'égalité devant la peine
remise en cause », Christian Bruschi in « Double peine,
c'est reparti », bulletin du comité, février
1992
[5] loi Sapin du 31/12/1991.
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