"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Fabulette sur nos origines (et leur exploitation)
Mélanie Jouitteau _ Préparation au débat, Kolif 2003.

SCENE I.
Dans une grotte nommée l'abri du Cap Blanc, en 1909, une tête de cheval est découverte.
Cette tête n'est pas dessinée sur le calcaire mais sculptée en relief, ce qui est très rare au paléolithique.
On creuse et on découvre une frise entière, avec chevaux, bisons et rennes, certains grandeur nature.
Au centre, face au reste de la frise et imposante par sa grandeur (+ de deux mètres), une jument gravide.
Seul le bas de la fresque a subi des dégradations.

De l'artiste, on ne sait rien.... sinon que tout a été sculpté par une main gauche.

Le Scientifique : D'après nos tests ultra sophistiqués, (c'est mon métier, je sais de quoi je parle, alors, s'il vous plaît...) la frise date d'il y a plus de 15 000 ans (paléolithique supérieur pour ceux qui ne connaissent pas).
Par souci de vulgarisation, nous éviterons le terme peu clair de jument gravide et nous l'appellerons "le cheval du cap blanc".

L'ingénue :
Quand même, la jument au milieu, celle que tous les autres animaux regardent, le fait qu'elle soit enceinte, vu la précision de la sculpture, ce n'est peut-être pas un hasard !
On sait pas grand-chose; si en plus on en oublie !
On pourrait dire "jument enceinte", moi je comprends.

Le Scientifique :
Oui, c'est exactement cela, un cheval, quoi.

L'Hartiste : Quelle découverte fantastique! Les proportions sont merveilleuses, on sent une connaissance extrême du modèle, ce n'est pas étonnant chez ces peuples de chasseurs. La cruauté de la chasse, l'ardeur quasi animale, libérait l'instinct créatif de l'homme, l'allégeait de ces tabous ridicules qui nous freinent aujourd'hui.... Cette pulsion créative régénérant frénétiquement sa proie est le propre de l'homme, quelque part...
Aujourd'hui, l'homme est plus évolué, ses proies ont changé.
Moi je peints des femmes, hin, hin.

L'ingénue :
Mais on ne sait rien de comment ils et elles, d'ailleurs, vivaient.
Pourquoi on dit qu'ils/elles étaient chasseurs ? On sait que les animaux étaient très importants pour eux, ils en dessinaient partout, mais rien nous dit que c'était des proies, ces animaux.
Ils étaient peut-être des dieux et des déesses comme en Egypte, et alors c'était comme une église. Peut-être c'est l'ancêtre de la nativité, les rennes mages et les bisons sages s'approchent de la jument Marie avant l'accouchement.
Ca a toujours été important, les naissances.

Ou alors c'était des ancêtres et c'était rassurant de penser qu'après la mort, on pouvait être enceinte aussi.

Ou peut-être il n'y avait pas de papier et ils ont gravé un manuel scolaire pour l'école du coin...Ils montraient aux petits enfants les animaux avec leurs noms. C'était comme une école.
ben quoi, me regardez pas comme ça, c'est possible.

SCENE II
Au pied de la jument, sous la protection de son encolure, un squelette humain est découvert.

Le Scientifique : L'étude des ossements montre clairement que le squelette est celui d'une femme. Le corps est replié sur lui-même, à la façon des rites funéraires que nous connaissons de cette époque. Des traces de pollen et des outils entourent le corps. Nous ne pouvons dire précisément si l'inhumation est contemporaine de la frise, mais rien ne le contre-indique.

L'ingénue :
Ce devait être une femme importante pour être enterrée seule, sous les fleurs, sous la jument centrale. (Si c'était une école, c'était peut-être l'instit ?)

L'Hartiste : Une femme ? Je l'avais bien dit! Quelle civilisation c'était ! Chapeau ! La proie suprême, la femme, sacrifiée sur l'autel de l'Art! Ah, j'aurai pas fait mieux!
Ce devait être la femme d'un homme important pour avoir eu l'honneur d'être sacrifiée pour l'Hartiste, à moins que les femmes aient été collectivisées, bien sur, on sait si peu de ces sociétés...Elle devait être vierge, je suis sur qu'elle était vierge.
Ah, quand j'y pense, quel symbolisme acharné : le lien ultime entre la puissance de vie créatrice et la mort qui la suit... Tiens, ça me rappelle mes érections, elle sont suivies de la petite mort.

L'ingénue :
C'est pas étonnant que vos histoires vous rappellent quelque chose, c'est vous que vous racontez à longueur de temps. Ca peut pas être un sacrifice, c'est trop méchant.

Le Scientifique :
Il n'y a pas de trace de blessures, on ne sait pas de quoi elle est morte, mais pas d'assassinat, sacrificiel ou pas, il y aurait des os de brisés, or ils sont intacts.

L'ingénue :
Peut-être c'était l'amoureuse du sculpteur et qu'il croyait à la réincarnation, alors il a gravé une jument enceinte pour que son aimée se réincarne en bébé cheval...

L'Hartiste : Ah, ce coté fleur bleue, c'est pas moi, c'est sur.... Mais coté projection, t'es pas mal non plus où je me trompe ?

SCENE III
L'étude du squelette montre que la femme enterrée au pied de la jument était gauchère.

Le Scientifique : Défions nous de toute conclusion hâtive. Ceci ne prouve rien du tout. La base de la science est de douter. Je me dois de souligner que toute extrapolation nous sortirait du champ de la science.
Sans doute ne saurons nous jamais qui est le mystérieux sculpteur gaucher. Les peuples d'hommes chasseurs du paléolithique garderont encore longtemps leurs secrets.

L'ingénue :
Oui, c'est vrai que je dois avouer que j'ai tout de suite pensé que c'était la sculpteuse, enterrée au pied de son oeuvre. Mais c'est vrai aussi que vu comme vous décrivez ces sociétés, c'est peu probable. L'art, c'est une émotion profonde alors, dans des temps si reculés, l'accès des femmes à l'art, c'est vrai que...faut pas rêver.

L'Hartiste :
Einh ? J'ai pas entendu, j'étais à une conférence sur l'absence des femmes dans l'art...Ouais, moi je vais à ce genre de conf' tu vois, paske j'ai une conscience politique, pas toi ?
Admets que c'est tout de même incroyable qu'il y ait si peu de femmes dans l'art... Enfin, je ne parle pas des femmes nues dans les musées, évidemment. Pourquoi donc les muses se refusent-elles aux femmes ? Enfin, tu mets deux femmes dans la même pièce, tu comprends vite ! Et puis va savoir ce qui se passe dans ces petites têtes...

L'ingénue :
Bah, ça doit être paske les femmes, elles ont toujours été trop occupées à faire le ménage, alors, l'art, forcément, elles avaient pas le temps. Avec la poussière qu'il y avait dans ces grottes, ça a pas du être rose tous les jours.
Et puis, c'est pas de leur faute, c'est pas facile de tenir sept enfants, une peau à tanner et un burin en même temps, essaie, toi.

L'Hartiste :
Mais, c'est bien pour ça, chérie, que je m'occupe pas de mes mômes et qu'une femme m'habille; je réserve mon temps pour l'Art.

L'ingénue :
Eh ben ça, ça montre bien qu'on descend à peine de Cro-Magnon, ça, alors.

La féministe :
Non, ça montre juste que le pouvoir sait qu'il est injuste et éprouve le besoin de se justifier en inventant un passé mythique fondateur.
"Il était une fois un monde où j'avais toujours eu raison d'en foutre plein la gueule à l'autre moitié de la population."

Pourquoi rien n'indique qu'il y a une forte possibilité que l'art le plus ancien que l'on connaisse soit le fait d'une femme ? Pourquoi c'est marqué nulle part ?
Pourquoi les représentations féminines préhistoriques sont analysées comme des "représentations pornographiques produites par des hommes" ? J'te jure, je l'ai lu dans une exposition à l'institut du monde Arabe, une expo sur le soudan...

Pourquoi des représentations humaines que l'on connaît en Périgord, le seul homme qu' on voit est transpercé d'une flèche (Lascaux) et les femmes peintes ou sculptées sont pas du tout transpercées, si plantureuses qu'elles sont manifestement bien nourries... c'est bizarre pour un peuple où les hommes chasseurs sont censés traîner par les cheveux leurs cueilleuses soumises à longueur de saison.
Dans notre société patriarcale actuelle, ce sont les femmes qui sont représentées en situation de torture, coups etc., et les hommes qui semblent bien nourris... Ca a bien l'air d'être le contraire sur les murs de nos grottes.

L'Hartiste : Toi t'es prise de tête, je trace, j'ai un vernissage.

L'ingénue :
Attends moi, je peux v'nir ? J'aime pas comme elle parle, c'est comme les politiques.

L'Hartiste : Tu vois, poulette, t'es pas si conne. Si t'es sage, j'te peints à poil, mais j'te préviens, j'fais dans l'abstrait.

La féministe :
Bah merde, je les ai mis d'accord, ya peut-être du vocabulaire à revoir si je veux convaincre les masses.
Bon, déjà si je les traite de masses, ça va le faire moyen, enfermées comme elles sont dans des normes esthétiques. Ah j'te jure, c'est pas du gâteau.

Le Scientifique : Vous semblez tous oublier que la base de la science est l'objectivité. Evidemment, pour des féministes, ça ne doit pas vouloir dire grand-chose. Vous êtes forcément de parti pris.

La féministe :
Paske pas toi mon grand ?

Le Scientifique :
Je vous en prie !
Bon, veuillez m'excuser, j'ai une émission sérieuse sur France Culture, avec des gens qui ont une idée de ce qu'est l'objectivité scientifique.
Je vous laisse à votre poésie Mesdames. Soyez sages.

L'intérêt central de la préhistoire, c'est qu'on en sait rien, comment les femmes y vivaient.
Même quand on sait, on invente autre chose : qui n'a pas l'image d'un pharaon blanc hollywoodien ? Il y a eu des dynasties de pharaonnes et les familles régnantes étaient noires. On le sait, on l'oublie car ça ne rentre pas dans nos cases. Après, on réfléchit sur cette hiérarchisation de la société égyptienne qui écartait les noirs et les femmes et on se demande pourquoi. Ca ne sert qu'à justifier les ségrégations actuelles.

Dès qu'on arrivera à changer profondément le présent, notre lecture du passé changera. On choisira d'autres mythes fondateurs.
Actuellement, les femmes préhistoriques sont citées au chapitre sur la sexualité et la reproduction des hommes préhistoriques. On explique joyeusement aux enfants que la fonction des hommes est de créer et que celle des femmes est de reproduire. Ca "explique" et ça fonde l'ordre actuel.
Ca ne nous dit rien sur nos ancêtres.

Ca nous dit tout sur nos contemporains; les éditeurs de livres, les scientifiques qui n'ont jamais fait d'études de genre et reproduisent joyeusement leurs propres fantasmes à longueur de pages...
Changeons le présent, la préhistoire suivra.


Origine : http://jouitteau.free.fr/liens.htm#feminism