Après le vote : les médias dominants désavoués
Par Henri Maler - Acrimed -
Publié le lundi 30 mai 2005
Des acteurs du « déficit démocratique »
qu'ils prétendent observer contrariés par la victoire
démocratique qu'ils déplorent.
Les électeurs se sont donc prononcés majoritairement
contre le Traité constitutionnel européen. Et il s'agit
d'un désaveu majoritaire pour toutes les institutions qui
se sont mobilisées en faveur de l'adoption de ce Traité.
Les commentaires politiques et éditoriaux du soir du scrutin
et du lendemain ont, comme il fallait s'y attendre, brodé
sur ce thème. Nous y reviendrons.
Mais on a beau réajuster ses lunettes et tendre l'oreille,
on ne lit, voit et entend rien qui vienne remettre en question la
débâcle des médias dominants. C'est sûr
: tous les chroniqueurs et éditorialistes, donneurs de leçon
à tous vents et spécialistes de l'autocritique des
autres, ne vont pas tarder à s'interroger sur leur implication
et sur celles des médias qu'ils orientent. Mais ce sera pour
un autre jour, peut-être. Et, si cela advient, ce sera, une
fois de plus, après avoir (éventuellement) reconnu
quelques erreurs vénielles, pour n'en tirer aucune conséquence.
Pourtant, parmi les leçons de ce scrutin, il en est une
au moins qui devrait retenir l'attention : les médias dominants
sont partie prenante de la crise politique et sociale qu'ils prétendent
observer.
Quand les médias, pris dans leur ensemble, s'expriment à
plusieurs voix certes, mais dans le même sens, ils sont les
acteurs d'un pluralisme anémié et d'une démocratie
mutilée.
Nul ne conteste la liberté d'expression des prescripteurs
d'opinion pris un à un, bien que les nuances qui les distinguent
n'affectent guère leur consensus. Mais comment ne pas constater
que, pris dans leur grande majorité, ils détiennent
un quasi-monopole qui s'exerce au mépris du débat
démocratique dont ils se croient les tenanciers ?
Le « déficit démocratique », comme on
dit, qui affecte la représentation politique et partisane
s'étend aux médias dominants eux-mêmes, dans
la mesure où leurs formes d'appropriation et de financement,
leurs hiérarchies rédactionnelles et leurs orientations
éditoriales contribuent à les transformer en instruments
de campagnes politiques à contre sens de la volonté
populaire.
La perte croissante de crédibilité qui affecte les
médias et les journalistes n'est pas le produit de l'ingratitude
des citoyens, mais la conséquence, notamment, d'un véritable
déni de diversité effective.
Si le secteur public de l'audiovisuel est le premier concerné,
il n'est pas le seul : le « décalage » (pour
utiliser un terme pudique) entre, d'une part, un espace médiatique
livré à une domination pratiquement sans partage des
tenants du libéralisme, plus ou moins social, et, d'autre
part, la diversité sociale, culturelle et politique de leurs
publics, crève les yeux du plus grand nombre.
A l'exception, apparemment, de la plupart des chroniqueurs et responsables
des médias qui tiennent leur domination pour légitime
parce qu'ils ne cessent de proclamer qu'ils sont eux-mêmes
des incarnation de la Raison. On comprend que parvenus au comble
de l'arrogance, ils attribuent la victoire du « non »
à l'ignorance (à quand l'instauration d'un permis
de « bien » voter ?), à la bêtise voire
au « populisme » d'une partie de leurs lecteurs, auditeurs
et téléspectateurs. On comprend aussi que, bénéficiaires
de la domination exercée par l'ordre médiatique qu'ils
servent, ils ne soient guère enclins à le remettre
en question.
La campagne référendaire le confirme : d'autres médias
sont nécessaires. L'ampleur de la contestation populaire
enregistrée par le résultat du vote le montre : d'autres
médias sont possibles. Tel est le défi que les forces
antilibérales doivent relever. C'est une question politique
qu'aucune critique conséquente de la contre révolution
libérale et des médias qui s'en font les propagandistes
ne saurait éluder.
Henri Maler
Source/auteur : http://www.acrimed.org
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