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Catégorisation des différentes situations de violence à l’hôpital :
le point de vue du médecin du travail Dr.FORISSIER, Dr.VOLCKMANN ( MTPH LYON )

Origine : http://anmteph.chez.tiscali.fr/violence.htm

- La violence dans les relations de travail : Bibliographie

- La protection des personnels hospitaliers : Mr.Ph.Jean, Dir.Adj.CH.Pau (.pdf)

- La violence à l'hôpital : rôle et place du médecin du travail: dossier

- L'infirmier général et la violence en gériatrie :  R.Marescotti

- Violence au travail : dossier INRS

- Harcèlement moral à l'hôpital Mr.Ph.Jean, Dir.Adj.CH.Pau (.pdf)

- Harcèlement moral : dossier INRS

- Harcèlement moral : Dr.H.Montéra (dossier au format .pdf)

- Harcèlement moral : Dr. MF.Forissier, Cl. Wolckmann (.pdf)


- Catégorisation des différentes situations de violence à l’hôpital :
le point de vue du médecin du travail  Dr.FORISSIER, Dr.VOLCKMANN ( MTPH LYON )

Depuis octobre 1999, la Direction des hôpitaux (DH) a constitué un comité de pilotage sur la prévention des situations de violence dans les établissements de la fonction publique hospitalière. Un groupe pluridisciplinaire s’est constitué, composé de représentants de la DH, de la DRH, de spécialistes de la politique de la ville, de responsables de la sécurité, de psychiatres, psychologues, sociologues, IG, IDE, médecins du travail,. Ce groupe a participé à l’élaboration de la circulaire "Prévention et accompagnement des situations de violence" ( circulaire du 15 décembre 2000) et a rédigé un dossier type pour aider les établissements à construire leur projet sur cette problématique.

Notre travail au sein du groupe a notamment constitué à définir et catégoriser les différentes formes de violence vécues entre patients, personnel et institution.

1 LA VIOLENCE PHYSIQUE

Définition : Violence exercée sur le corps même de la victime, qui porte atteinte à son intégrité : coups et blessures, voies de faits (actes considérés comme moins graves car non visualisables : bousculades, crachats, cheveux arrachés).

1.1 Entre personnel

La violence physique est difficile à quantifier : On note très peu de remontée en médecine du travail car il existe le plus souvent une régulation interne au sein de l’unité.

Lorsque la violence remonte jusqu’à nous, il peut y avoir déclaration d’accident du travail, mais cette situation est rare car il s’agit le plus souvent de voies de faits. D’autre part, la démarche de déclaration vient conforter « la gravité » de l’événement, et cette officialisation qui s’accompagne souvent d’une sanction administrative pour les deux parties n’est que très rarement demandée.
En conséquence, appréhender l’importance de la violence physique entre personnels à partir des déclarations d’accidents du travail est très réducteur.

Lorsque nous sommes informés des phénomènes de violence physique, la situation est alors urgente à régler car elle est le reflet d’une tension majeure en service. Cette tension qui couvait depuis longtemps est arrivée à son paroxysme. Dans cette circonstance, l’encadrement fait alors appel à nous pour que nous ayons un rôle d’écoute, d’aide, et parfois de diagnostic d’une décompensation psychique nécessitant une prise en charge médicale immédiate. Aider l’agent en difficulté à verbaliser les conflits dans un climat sécuritaire de neutralité bienveillante permet de désamorcer des tensions tant individuelles qu’au sein du collectif. Ces manifestations aiguës de souffrance concernent le plus souvent
le personnel de soins (IDE, ASD) mais peuvent toucher toutes les catégories professionnelles de l’hôpital.

L’alerte vient plus souvent de l’entourage que de la personne elle-même. Toutefois, les personnels nous expriment fréquemment les conséquences de leur mal être sur leur entourage familial (violences sur les enfants, conjugopathie).

Les conduites addictives (prise d’antidépresseurs d’anxiolytiques, de café, d’alcool etc…) avec automédication ne sont pas rares.

1.2 de personnel à patient

Cette forme de violence peut être vue dans plusieurs types de situations :

La violence peut émerger lorsqu’il y a impossibilité concrète d’effectuer un travail de qualité. A titre d’exemple : réalisation de soins d’hygiène et de nursing sous contrainte de temps dans une organisation du travail sériée (malade gavé pour aller plus vite, soulevé comme un paquet, habillé d’office sans l’aider à récupérer son autonomie…). Les soignants sont ici conscients d’une mission de soin mal accomplie par manque de moyens (temps, effectifs) mais n’ont pas le choix d’agir autrement, ce qui est destructeur à long terme. Parfois même, l’institution, informée des manquements à la qualité des soins et à la sécurité, cautionne les soins fractionnés et à la chaîne, par impossibilité de trouver des solutions. Cette impuissance publiquement avouée tend à démotiver les soignants qui perdent progressivement le sens de leur travail : on entre ici dans une première phase d’épuisement professionnel où il est encore parfaitement possible d’agir. A ce stade, la remotivation des équipes passe par la construction d’un projet professionnel avec les médecins, pour une meilleure répartition de la charge en soins et de l’organisation du travail, associée à une réflexion sur les effectifs.

Si le conflit entre les attentes des personnels et les contraintes de la situation de travail perdure, on assiste alors à des réactions défensives de collectifs souffrants. Les soignants réagissent de manière inconsciente à une souffrance accumulée de longue date, dans les unités où la communication est bloquée, où les difficultés perdurent sans solution depuis de nombreuses années. L’émergence au quotidien d’une violence physique dans les soins, qui s’installe et perdure au sein du collectif, traduit une rigidification des stratégies de groupe et une déviance des soins. Ces idéologies défensives de métier véhiculent une suspension du sens moral des soignants. Elles sont déshumanisantes vis à vis de ceux qui les subissent mais aussi pour ceux qui les mettent en œuvre (absence de réponse aux sonnettes des malades, actes intrusifs réalisés brutalement sans paroles de réconfort ou de compassion, contention physique prolongée, bousculades de malades déments voire coups…).

Une autre forme de violence consiste en l’absence de prise en charge efficace de la douleur physique aiguë des patients. Sous l’impulsion des infirmières en contact direct avec les souffrances des malades, la douleur n’a progressivement plus été considérée comme une fatalité, au sens judéo-chrétien du terme. La prise en charge de la douleur se structure actuellement sous l’impulsion de groupes de réflexion transversaux, mais les résultats obtenus ne sont pas encore efficients dans tous les secteurs.

Parfois, la violence s’exprime sous la forme de réactions défensives de rejet de certains malades par certains soignants : malade qui renvoie à une situation personnelle ingérable et que l’on se met à détester, « mauvais malade » qui met en échec le soin, comme les malades alcooliques, toxicomanes, déviants sexuels ou malade qui entraîne chez le soignant la peur de perdre le contrôle de ses affects…

Il existe le plus souvent une régulation interne au sein de l’équipe, le malade étant pris en charge par le soignant qui réussit le mieux avec lui. (comportement souvent observé en pédiatrie). Cette répartition des rôles entre soignants en fonction de la connaissance qu’ils ont acquise du patient, n’est possible que dans les équipes soudées qui ont l’habitude de travailler ensemble, et lorsque l’organisation du travail est suffisamment souple pour le permettre.

L’intervention du médecin du travail est parfois nécessaire pour organiser un changement de poste, en concertation avec la direction et l’agent en difficulté.

1.3 De patients à personnel

L’agressivité et la violence du malade liées à sa pathologie (anoxie cérébrale, réveil de coma, malade psychotique, démence, toxicomanie …) peuvent se diriger contre les soignants. Chez ces derniers, beaucoup de violences réelles sont cachées par peur des représailles, peur de paraître un mauvais professionnel devant ses pairs, peur d’être étiqueté trop fragile psychologiquement, peur de montrer sa faiblesse devant le groupe. L’agression physique du soignant, même minime, a toujours de lourdes répercussions psychiques : culpabilité d’être un mauvais professionnel incapable d’avoir pu gérer telle situation, échec du soin, sentiment de peur.

Les agents accidentés sont froissés dans leur image de soignants, car agressés par ceux qu’ils voulaient aider. Quelque soit la blessure physique (simples contusions le plus souvent, griffures morsures, gifles…) elle est toujours associée à une blessure psychique narcissique. Celle-ci est souvent tue, cachée, le vécu de l’agression étant difficile et les séquelles de peur fréquentes. Comme « encaisser la violence fait partie du métier » les soignants ont tendance à sous déclarer ces accidents qui les remettent en cause : pourquoi moi ? Qu’ai je mal fait ?.

Les statistiques de déclarations d’accidents du travail dans les hôpitaux généraux sont en conséquence un mauvais indicateur de la réalité de la violence car la sous déclaration est majeure. Aux HCL, les accidents de travail avec arrêt liés au contact avec des malades agités ne représentent que 1 à 1,5 % de la totalité des déclarations au cours de ces dernières années. Seule la déclaration des accidents d’exposition au sang (morsures griffures) semble légitimée car le risque infectieux très médiatisé prend le pas sur la honte et le désarroi.

Souvent, la culpabilité ressentie par le soignant de n’avoir pas fait ce qu’il fallait pour assurer sa propre protection, cohabite secondairement avec un sentiment de solitude et d’abandon. Il est difficile pour les pairs de donner soutien et solidarité au soignant victime d’une agression, car celui-ci déstabilise le collectif par la peur qu’il éprouve et le constat par le groupe de la réalité du danger au travail.

La violence physique observée chez les malades hospitalisés en médecine pénitentiaire s’exprime contre les policiers ou les gardiens mais aussi indirectement contre les soignants : agression armée, menace de piqûre avec seringue contaminée…

La violence sociale en lien avec la conjoncture actuelle et le nombre important d’exclus, rentre à l’hôpital comme dans les autres institutions. Elle s’exprime par le refus de se plier au règlement intérieur, au cadre, à l’ordre d’arrivée, à l’interdiction de fumer…

Dans les services d’urgences par exemple, les priorités données aux urgences selon la gravité et non l’ordre d’arrivée, peuvent être mal comprises, engendrant agressivité et violence physique.

Le poids des traditions, des habitudes culturelles et religieuses peut également engendrer incompréhensions, rigidité du positionnement des malades, et parfois passage à l’acte sur des biens ou des personnels.

1.4 D’accompagnant de patients à personnel

Des minorités idéologiques qui s’estiment exclues ou incomprises peuvent prendre l’hôpital en otage lors de manifestations contre l’IVG par exemple (enchaînement d’extrémistes dans les services d’orthogénie, bris de matériel, attaques physiques du personnel).

Des agressions plus individuelles ont été observées dans ces circonstances (conjoint menaçant et frappant les soignants prenant en charge l’IVG de son amie) sans qu’aucun dialogue ne soit possible.

Parfois, les gens du voyage ou les « suites » de riches familles étrangères venant se faire soigner en France, investissent tout l’espace hospitalier conformément à leurs coutumes, et il est difficile pour les soignants d’assurer les soins dans ces conditions.

2- LA VIOLENCE MORALE
ET/OU PSYCHOLOGIQUE

Définition : Toute action (geste, parole, écrit, comportement, attitude…) qui porte atteinte de façon durable par sa gravité ou sa répétition à l’intégrité morale ou psychologique de la personne humaine ou du collectif de travail.

Aucune forme de violence morale n’a fait jusqu’ici l’objet d’une déclaration d’accident du travail, la définition médico-légale de l’accident du travail faisant plus écho à une atteinte corporelle que psychique : « action violente et soudaine d’une cause extérieure provoquant au cours du travail une lésion de l’organisme humain ».

2.1 Entre personnel

La violence psychologique entre personnel s’est toujours exprimée dans le milieu hospitalier lors des rites initiatiques plus ou moins durs des nouveaux arrivants, mais elle prend actuellement des formes plus inquiétantes liées à la dureté des relations dans des milieux de plus en plus contraignants, et à l’apparition de phénomènes de mobbing (persécution au travail).

Les relations sociales dans les équipes représentent une part importante de la charge psychique à gérer par les soignants.

Les phénomènes de bizutage du nouveau sont en principe transitoires, symboliques du rite initiatique préalable à une entrée dans un travail difficile :
faux résultat VIH positif annoncé à une infirmière nouvellement arrivée dans
un service accueillant des malades atteints du SIDA

isolement organisé du nouveau pouvant aller jusqu’à le ridiculiser et le mettre en échec devant le groupe

montage à l’envers d’une valve de Ruben, empêchant une stagiaire IADE
de ventiler son patient, sous l’œil amusé des collègues

bizutage d’une IADE qui réalise sa première vitrectomie en ophtalmologie et qui n’a pas été prévenue que l’opération se déroulerait dans le noir complet et qu’elle devait prévoir une lampe électrique : panique…

 Ces conduites fréquentes et banalisées ont pour but de faire plier le nouvel arrivant aux règles déjà établies dans le groupe, elles sont tacitement acceptées par tous et visent à confronter le nouveau à une situation de peur ou de danger qu’il doit apprendre à maîtriser.

Le rituel est traditionnellement organisé autour d’une mise en scène dramatique construite sur la réalité des contraintes qui devront être affrontées au jour le jour.

Ces bizutages se voient essentiellement dans des secteurs où le corps est instrumentalisé, où la peur et la mort rodent (réanimation, SAMU…).

Les phénomènes de bizutage qui s’installent et perdurent de façon souvent très violente, s’observent dans des équipes en burn out, où le nouvel arrivant devient un bouc émissaire. Le nouveau qui risque de déstabiliser l’équipe en montrant sa peur, sa fragilité, en proposant des remaniements de l’organisation du travail, est aussitôt rejeté par le groupe.

Il n’a que deux alternatives : se mouler sur le même mode de fonctionnement que le groupe, quelque soit sa structure de personnalité, et accepter la loi imposée en reniant ses propres valeurs, ou partir du service.

Le médecin du travail est alors parfois obligé d’intervenir en urgence pour un changement de poste. Muter rapidement l’agent en difficulté évite l’enkystement des problèmes, car l’apparition d’une décompensation anxio-dépressive peut-être extrêmement rapide. Il importe d’être vigilant et de repérer ces phénomènes itératifs d’exclusion du groupe, car ils traduisent une souffrance majeure d’un collectif qui va laminer tout nouvel arrivant sur le même mode, quelque soit sa personnalité.

La violence insoutenable à gérer, a pu à l’extrême conduire le soignant au suicide.

Parfois, des conflits survenus sur le lieu de travail et qui perdurent, dégénèrent en mobbing (harcèlement moral). Le harcèlement moral au travail peut se définir comme toute action (geste, parole, comportement, attitude…) qui porte atteinte par sa gravité ou sa répétition à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’un salarié.

En période de crise, quand se forment des clans où toute communication est rompue, les participants au conflit peuvent choisir une personne isolée comme bouc émissaire. Cette personne deviendra alors la cible « idéale » du mobbing. Il s’agit le plus souvent d’un agent qui ne partage pas les lois du collectif de travail, qui présente une fragilité ou une hypersensibilité particulière, qui exprime sa peur dans des situations où le groupe défensif s’interdit de ressentir la moindre émotion pour se protéger. Cette stigmatisation d’une victime au sein du groupe pourra aboutir à son exclusion. Plus l’organisation du travail est rigide et porteuse de souffrances, plus le risque est grand de voir apparaître ces phénomènes de harcèlement. Les conséquences peuvent être dramatiques, car pendant très longtemps la victime mise en échec se tait. La hiérarchie doit être particulièrement vigilante vis à vis des personnes marginalisées dans l’équipe, et rester à l’écoute pour arriver à désamorcer le phénomène destructeur.

Parfois, le mobbing peut exister dans la relation base hiérarchie quand le groupe fait résistance à un encadrement imposé, ou dans la relation hiérarchie base quand le chef fait montre d’une autorité abusive.

La dureté des relations de travail dans des milieux de plus en plus contraignants est à l’origine d’une violence de plus en plus manifeste entre personnel : intolérance vis à vis de l’absentéisme des agents même lorsque celui-ci est justifié, refus d’aide vis à vis des agents qui présentent une limitation d’aptitude pour raisons de santé ou grossesse, mauvais accueil réservé aux personnels reprenant leur activité à mi-temps thérapeutique après un long arrêt, manque de patience vis à vis des remplaçants temporaires, hostilité vis à vis des personnels faisant une formation professionnelle. La charge de travail pèse alors trop lourdement sur le personnel restant qui ne peut plus « tenir » dans la durée.

La non reconnaissance par les médecins des unités du travail effectué par les soignants est une source de démotivation, de perte d’intérêt, et d’incohérences. Elle est dégradante et destructrice pour les soignants qui perdent le sens de leur travail et réagissent souvent violemment à la négation de leur engagement.

2.2 De Personnel à Patients

Les manifestations sont fréquentes et de forme diversifiée (absence de réponse aux sonnettes, non respect de la pudeur du patient, malade incontinent souillé non changé, vieillard continent à l’entrée en service à qui l’on met des couches par impossibilité d’organiser ses déplacements aux toilettes, et qui devient incontinent en quelques jours…). Ces comportements déviants par rapport aux valeurs véhiculées par les soignants ne sont pas le fruit de perversions individuelles, mais des réactions psychopathologiques défensives d’équipes en souffrance, où le soin a perdu tout sens, où la parole ne circule plus, où l’espoir d’un changement dans l’organisation du travail n’existe plus. Ces soignants fatigués physiquement, épuisés moralement, renvoient à leurs malades une violence incontrôlée, inconsciente donc niée.

2.3 De Patients à Personnel

L’exigence de plus en plus importante des usagers en terme de rapidité
et d’excellence du service rendu, exerce une pression croissante sur les soignants, souvent génératrice de violences.

Les malades, quelque soit leur pathologie et leur mode d’arrivée à l’hôpital (urgences, consultation, hospitalisation) sont de plus en plus intolérants à la frustration de l’attente, voulant être servis immédiatement quelques soient les difficultés environnementales et organisationnelles. Ces exigences de service avec réponse immédiate aux ordres s’observent chez des malades à longue durée d’hospitalisation (hôpital considéré comme un hôtel 3 étoiles !), ou chez des jeunes sportifs immobilisés pour raisons orthopédiques, ou dans des consultations classiques.

La pression des files d’attente et la difficulté à réguler l’agressivité des malades, phénomènes déjà connus de longue date dans les services d’urgence, prennent actuellement une acuité sans précédent. Le rôle d’écoute, d’accueil, d’explications et d’apaisement des infirmières de régulation prend une importance centrale dans la gestion des relations avec les patients.

Les personnels ressentent de plus en plus durement cette tension instaurée par les patients dans leur activité et ils ont l’impression désabusée de ne plus être respectés par les malades et de ne pas être écoutés par l’institution.

Dans les services accueillant des malades chroniques très régulièrement réhospitalisés, maîtrisant bien leur pathologie (hémodialyse, diabétologie, maladies métaboliques rares…) les hésitations techniques des soignants nouvellement embauchés et les dysfonctionnements dans l’organisation des soins, sont très durement sanctionnés par ces malades, créant un climat d’insécurité pour le personnel.

Les IDE et les ASD, au contact direct des questionnements et des angoisses des malades concernant le diagnostic et le pronostic de leur maladie, affrontent ici une forme de violence par impuissance, car ils n’ont pas tous les paramètres pour répondre. Dans les secteurs où la coopération médecins/personnel est défectueuse, et où il peut exister un affrontement des valeurs, ces phénomènes représentent une contrainte psychique majeure, pouvant aboutir au burn out des individus et à l’éclatement des équipes.

Dans les prisons ou dans les secteurs de médecine pénitentiaire, les IDE peuvent être confrontés à des patients manipulateurs, se servant de la relation de soin pour obtenir tel avantage ou telle parcelle de liberté. Ce détournement du rôle d’écoute et d’aide technique du soignant aboutit alors fréquemment à des interrogations douloureuses sur le sens de son travail, voire à une usure prématurée, car le chantage et le refus des soins deviennent des armes : le combat est alors inégal…

Les malades toxicomanes, également manipulateurs, exercent pressions, menaces, chantages pour extorquer certains privilèges aux soignants, et régner en maître sur toutes les failles de l’équipe. Les attitudes menaçantes, les chantages à la violence, les marques de toute puissance, les pressions psychologiques des malades toxicomanes sur les soignants provoquent au sein des équipes un climat d’insécurité qui bénéficie à ce type de patients lorsque l’équipe lui apparaît divisée ou déstabilisée.

Parfois, certains malades pervers exercent une violence majeure sur les soignants qu’ils ont ciblés (telle cette IDE qui après un accident d’exposition au sang survenu de façon prévisible dans un contexte de prélèvement acrobatique chez un malade au stade SIDA s’est fait entendre dire : « Bienvenue au club »).

2.4 D’accompagnant de Patient à Personnel

L’omniprésence et la pression des familles dans la vie quotidienne des équipes, rendent la réalisation du travail soignant difficile devant des accompagnants exigeants, méfiants, parfois intransigeants. Ces phénomènes existent dans toutes les spécialités avec une note plus accentuée en pédiatrie, en orthogénie, en gériatrie… où les familles ont un poids particulier dans les prises de décision.

Parfois, la violence et la délinquance sociale rentrent à l’hôpital ; les familles et amis de toxicomanes perpétuant l’introduction et le trafic des drogues illicites, d’où pressions, menaces et chantages vis à vis du personnel.

2.5 De l’Institution aux Personnels

Les contraintes temporelles auxquelles sont soumis les soignants dans
un contexte de tension sur les effectifs, leurs imposent de hiérarchiser les tâches, de bâcler certaines activités, de ne pas respecter les procédures apprises
et valorisées par la hiérarchie (règles d’hygiène par exemple). En outre, l’impossibilité de répondre à la demande d’aide et d’écoute des patients, la nécessité d’abandonner l’accompagnement des mourants sont vécus comme des renoncements très forts, avec impression de dévier des valeurs soignantes apprises et d’échec dans la mission.

L’absence de prise en compte des connaissances professionnelles spécifiques de chacun, dont témoigne les demandes incessantes de remplacement « bouche trou » pour pallier à l’absentéisme, est très mal vécue par les soignants, avec l’impression de n’être qu’un pion sur un échiquier géant impersonnel où le travail perd sa valeur et son sens.

Une non reconnaissance institutionnelle du travail effectué, une impression d’absence de soutien par la hiérarchie, conduisent les soignants à un désinvestissement progressif et destructeur, voire à des pathologies somatiques constituées.

Cette perte d’espoir d’apporter sa contribution singulière à une structure hospitalière qui se déshumanise peut conduire à des décompensations psychiques individuelles ou collectives.

L’impossibilité de répondre à la demande de mutation d’un agent qui ne tolère plus les contraintes de l’unité où il est affecté, génère rapidement des syndromes anxio-dépressifs. Il nous paraît fondamental d’aider l’agent à construire sa carrière en restant à l’écoute de ces demandes de mutations pour éviter démotivation, désinvestissement, voire décompensation.

2.6 De l’institution aux patients

L’hospitalisation est souvent vécue comme un traumatisme pour les usagers, et nombreux sont les facteurs qui entrent en ligne de compte : vétusté des locaux à l’origine d’une promiscuité toujours difficile, réponses insuffisantes aux interrogations concernant le déroulement de tel examen, sentiment de peur devant l’inconnu, réveils à 6 h 30 pour tout le monde, dîner à 18 h chez des personnes âgées entraînant chez eux de graves troubles du sommeil etc…

Face à une institution hospitalière parfois considérée comme déshumanisée, les soignants tendent d’apporter écoute, apaisement et réconfort.

3- LA VIOLENCE VERBALE ET LES INCIVILITES

Définition de la violence verbale  : Propos infériorisants ou dégradants, itératifs ou non, dépendant de normes sociales, culturelles, de façon isolée ou en public, portant atteinte à l’intégrité psychologique du sujet. Cette violence peut toucher l’individu ou le collectif de travail.

Définition des incivilités : Petite malfaisance,(faits mineurs, impolitesses) dont la répétition quotidienne rend pénible la vie en société. Elle s’étend de la simple omission de dire « pardon » ou « merci », à la véritable rustrerie (interpellation grossière, attitude menaçante…).

La prise en charge de cette violence peut s’effectuer par une médiation interne.

Ces phénomènes prennent une acuité de plus en plus importante dans un climat social globalement difficile. Ils ne sont pas spécifiques au milieu hospitalier mais contribuent à alourdir le travail au quotidien.

Conclusion

Nous venons de décrire des situations de violence à l’hôpital très diverses, dont les facteurs de causalité sont multiples, et intriqués : impact des violences de la société actuelle et exigence accrue des contraintes de travail à l’hôpital. Ces phénomènes, devenus une réalité fréquente au quotidien, génèrent un coût humain indirect important tant sur le plan individuel que sur le fonctionnement collectif : absences au travail, congés de longue durée, détérioration du climat relationnel et de la qualité des soins…

Pourtant, il existe une discordance entre le ressenti pénible des agents et l’absence de chiffres quantifiant le problème (déclaration d’accidents de travail). Les phénomènes de violence sont souvent banalisés, cachés, avec un sentiment de honte, de culpabilité, de solitude des agents victimes d’agression ou de harcèlement.

Les expressions de la violence physique patient – soignant commencent à faire l’objet d’études et de prises en charges spécifiques en fonction des pathologies traitées (troubles neurologiques, démences, malades psychotiques, toxicomanes, détenus…).

Par contre, les causes de la violence psychologique sont complexes à analyser et à faire émerger. A titre d’exemple, le harcèlement d’un groupe vis à vis d’un individu reste longtemps caché au sein de l’unité où victime, agresseurs et témoins demeurent muets jusqu’à l’émergence d’une situation de crise : le médecin du travail est parfois amené en urgence à prendre en charge "le bouc émissaire". D’autres exemples de décompensation individuelle peuvent être liés à l’impossibilité brutale pour le soignant de faire face aux contraintes de la réalité de son travail, qui entrent en résonance avec des événements personnels difficiles à surmonter. Ce débordement psychologique temporaire nécessite une écoute attentive pour organiser un changement de poste adéquat. Quant à la violence collective qui règne dans les équipes en burn out, elle fait l’objet d’un non dit et d’un silence impuissant, qui empêche toute possibilité de transformation et jette un voile opaque sur cette situation pathogène qui pourra perdurer des années.

Dans un contexte de tension sur les effectifs et d’émergence de nouvelles organisations, les difficultés pour les soignants de fournir un travail de qualité vont à l’encontre de leurs valeurs éthiques et peuvent les conduire à un non sens dans le travail et une perte d’estime de soi.  La négation de leur engagement, l’absence de reconnaissance des efforts réalisés, sont très coûteux sur le plan de la santé et peuvent amener de véritables décompensation psychiques. Dans la littérature, on sait que les atteintes à la santé les plus graves sont corrélées à la question suivante : Avez-vous les moyens de pouvoir effectuer un travail de qualité ?

Face à ces différentes contraintes génératrices de violence, plusieurs voies d’action sont possibles :

- il importe afin d’expliquer, d’analyser, puis d’agir sur les situations de violence, de mieux recenser les actes de violence physiques et psychiques dont sont victimes les personnels et les patients. La mise en place de la démarche "gestion des risques" permettrait un signalement systématique des actes de violence grâce à la "fiche de signalement d’événements indésirables". Le contenu de cette fiche pourrait être analysé en groupe à la recherche de facteurs de causalité, dans le cadre d’un observatoire local de sécurité.

- afin d’apporter des éléments de compréhension sur les comportements agressifs de certains patients et d’anticiper les situations de violence, la mise en place de formations spécifiques devrait être proposée à toutes les catégories professionnelles.

- l’encadrement doit rester vigilant vis à vis des phénomènes d’exclusion d’un agent du groupe car cette marginalisation peut avoir rapidement un impact grave et douloureux sur la personne ciblée. Parfois, ces phénomènes de rejet sont itératifs aboutissant à l’exclusion programmée par le groupe de tout nouvel arrivant ayant un regard neuf et critique sur le fonctionnement collectif. Ils nécessitent alors de s’interroger sur la santé psychologique du groupe.

D’autre part, muter rapidement les agents qui ne supportent plus les contraintes liées à telle ou telle spécialité, permet d’éviter l’apparition de décompensations anxio-dépressives graves, et aide ces agents à retrouver motivation, investissement et santé au travail.

- la prise en charge précoce des agents ou des victimes d’actes de violence est une nécessité à développer, afin de ne pas enkyster le problème, de déculpabiliser les victimes souvent honteuses car se jugeant mauvais professionnels et d’éviter la récidive de telles situations.

- l’incitation à une meilleure déclaration de tous les accidents de travail liés à la violence et au contact avec les malades agités doit être favorisée.

- la discussion organisée et systématique en lien avec le personnel médical et les soignants doit s’effectuer devant toute situation dangereuse ou potentiellement dangereuse pour éviter les situations de débordement et mieux armer les soignants.

Toutes les actions de prévention et de lutte contre la violence doivent s’appuyer sur la participation et l’engagement de tous les professionnels et les instances concernées (Directions, CHS-CT).


Origine : http://anmteph.chez.tiscali.fr/violence.htm