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Date:, 12 Septembre 2003
Sujet: [anarnantes] Procès Marlène Moré]
Bonjour à tous,
je vous envoie le compte-rendu que j'ai fait sur le procès de
Marlène, il est aussi sur Indymedia (www.nantes.indymedia.org)
A plus,
L.
Compte-rendu du procès de Marlène au tribunal correctionnel
de Nantes pour délit d'habitude :
"On peut avoir raison sur le fond, peut-être, peut-être…"
Le procureur
Le procès de Marlène ou la vacuité de la légalité
marchande et sécuritaire…
Hier donc au tribunal correctionnel de Nantes passait Marlène
Moré une jeune femme de 22 ans poursuivie pour avoir été
contrôlée plus de 10 fois sans billet lors de voyage par
train en un an (précisément entre le 24 février
2002 et le 23 janvier 2003). Ce délit d'habitude a été
institué à l'initiative du gouvernement Jospin avec le
vote de la Loi sur la Sécurité Intérieur de novembre
2001 Plus précisément, à l'époque, la SNCF
a fait pression sur le gouvernement pour qu'il lui concocte une loi
spéciale permettant de réprimer sévèrement
les voyageurs sans ticket dans les trains. Désormais au bout
de dix amendes, la SNCF, en plus du paiement des amendes qu'elle réclame
toujours, peut porter plainte contre ces voyageurs sans ticket en les
envoyant devant le tribunal. Ces derniers risquent donc désormais
6 mois de prison ferme et 7500 € d'amende : de la prison ferme
pour voyager sans ticket ! ! !
Un procès exemplaire :
Le procès de Marlène hier était exemplaire à
plusieurs titres : d'une part parce Marlène est un cas typique
(qu'elle me pardonne cette catégorisation….) de la population
à qui s'attaquent nos gouvernants bien au-delà d'ailleurs
des lois sécuritaires cette loi sécuritaire et celles
qui ont suivi (Loi Sarkosi, Perben…) : jeune, femme, précaire,
ne faisant pas du travail, de la maison, et de la belle voiture, les
principales préoccupations de sa vie… Mais c'est un procès
exemplaire pour une autre raison : la mobilisation collective autour
de ce procès, réalisée notamment et de manière
exemplaire par le comité de soutien à Marlène Moré.
la SNCF a porté plainte depuis l'instauration de cette loi plusieurs
centaines de personnes. Dès janvier 2003, 48 personnes avait
été condamnées dont certains à trois mois
de prison ferme. Or, mis à part quelques mobilisations (notamment
autour de François Thonier à Nantes), la répression
des sans-tickets se fait quasiment en secret et de manière isolée
sur des gens souvent fragilisé socialement. C'était donc
un procès important dans la lutte contre la répression
des voyageurs sans titre, car face à cette répression,
non plus une personne fragilisée car isolée mais une défense
collective organisée, parée d'arguments… On allait
voir ce qu'on allait voir…
Vacuité et pauvreté de la légitimité des
arguments marchands et sécuritaire :
Bien entendu, le jeu est pipé dès le départ et
on sait bien la justice, à défaut d'être juste,
est là pour appliquer la loi même si elle est scandaleuse.
Mais dans le procès d'hier, ce qui est ressorti avec éclat,
c'est la vacuité et la pauvreté de la légitimité
tant des arguments marchands de la SNCF que de ceux du procureur général
retranché derrière le dernier argument qu'il pouvait encore
accrocher : le respect de la loi.
Sans surprise, l'avocate de la SNCF a repris sa rhétorique financière
classique, que l'on entend un peu partout de TF1 à Raffarin en
passant par Rance 3 et Rance-info : les sans-tickets mettent en péril
la survie de la SNCF lui causant une perte de 200 millions d'euros…
Elle a nous expliqué donc que le déficit de l'entreprise
qu'elle défend (150 millions d'euros), tient non pas par des
choix politiques et économiques mais bien par la malhonnêteté
d'une partie de ses usagers. Elle a défendu également
le bien fondé de cette loi instaurant le "délit d'habitude"
en arguant la baisse du nombre de contravention depuis son entrée
en application : ainsi de 38000 personnes ayant eu plus de dix amendes
SNCF en 20001, on est passé au chiffre de 13000 à la date
du 6 février 2003, essayant de montrer par là que les
sans tickets pouvaient donc bien payer… "La SNCF n'est pas
une association caritative" a-t-elle martelé…
Cette belle rhétorique libérale et sécuritaire
a tourné court lorsque Marlène est intervenue en expliquant
que si elle voyageait sans payer, ce n'était nullement par plaisir,
ou par perversion, mais par nécessité sociale due à
sa situation de précarité. D'ailleurs, lors de ses derniers
voyages gratuits, et parce qu'elle en avait marre de voyager dans cette
situation, elle allait voir directement le contrôleur pour lui
signifier sa situation. Réfutant les arguments de la SNCF, elle
a mentionné le fait que s'il y a baisse des contraventions, c'est
bien parce que, comme elle, les sans tickets ne prennent plus le train.
Elle s'est demandé quel préjudice réel elle portait
à la SNCF en ne prenant jamais la place d'un voyageur. Ainsi,
par cette loi, la SNCF n'a même pas réussi à rééquilibrer
ses comptes : elle n'a fait qu'interdire aux plus précaires,
d'exercer un des droits les plus fondamentaux : le droit effectif de
pouvoir se déplacer. Et comme l'a rappelé Me Boisec, l'avocat
de Marlène, la SNCF n'est certes pas une association caritative,
mais bien un service public qui se doit de garantir à tous ce
droit à la mobilité, du simple fait qu'elle est reçoit
de l'Etat chaque année 15 milliards d'euros.
Face à ce retournement de situation et à la force des
arguments avancés par Marlène, le procureur général
a demandé une suspension de séance afin de pouvoir réajuster
sa plaidoirie tout à coup sans consistance et qui essayait de
faire passer Marlène pour militante de la gratuité des
transports publics, chose qu'elle a reconnu mais qu'elle exerçait
en dehors de ses pratiques de voyage libre. C'est bien une situation
de précarité qui la pousse d'abord à voyager gratuitement,
et non une position "politique ou philosophique".
La séance a repris par un argumentaire étrange développé
par le procureur autour de la situation de précarité et
d'exclusion sociale grandissante qui menait la cohésion sociale.
Il a insisté sur le fait que la société doit donner
les moyens effectifs de sortir de la précarité, et en
première ligne, les service public - visant ainsi l'argumentaire
de l'avocate de la SNCF - notamment par l'instauration de tarifs sociaux.
On aurait dit un tract d'AC ! distribué aux ASSEDIC ! !…Il
est même allé jusqu'à affirmer que l'on ne peut
pas reprocher à Marlène de ne pas payer ses voyages lors
de ses recherches d'emploi si c'est le seul moyen qu'elle a pour le
faire (ha, le salut par le travail…). Bien évidemment,
ce premier discours fut suivi par un autre moins sympathique : ce n'est
pas parce qu'il y a des problèmes dont il reconnaissait l'existence
et l'importance que l'on est en droit de bafouer la loi. La loi, c'est
la loi a-t-il martelé dans une salle qui a très mal résonnée…
La loi, a-t-il poursuivi, cela permet l'égalité de chacun,
la protection des plus faibles, et la protection des personnes…
Surtout une loi comme celle qui institue le délit d'habitude,
aurait-on pu lui rétorquer : une loi inégalitaire puisque
les plus pauvres sont contraints à l'immobilité, une loi
protégeant les personnes, en envoyant des gens en prison pour
le simple fait de voyager sans payer et une loi pour protéger
les plus faibles : ces procès concernent, dans une très
grande majorité, des précaires. Tout l'argumentaire du
procureur s'est réduit ainsi à la défense d'un
principe vide, squelettique("mais la loi, c'est la loi"),
totalement détaché de la réalité sociale
dans lequel il est appliquée, un principe tournant à vide,
fondant certes la légalité mais sans aucune légitimité
vis-à-vis de la situation présente. Le procureur à
la fin de sa plaidoirie lui-même semblait ne plus savoir quoi
faire demandant au juge une sanction clémence refusant de demander
tant la prison, même avec sursis, qu'une amende, mais se satisfaisant
d'un simple travail d'intérêt général. "On
peut avoir raison sur le fond, peut-être, peut-être…"
dit-il à la fin de son intervention, finissant de marquer par
là la vacuité de cette loi instituant le délit
d'habitude, face à la réalité sociale.
Le délit d'habitude, une vilaine infraction :
L'avocat de Marlène dans une belle plaidoirie attaqua comme pour
affirmer une fois de plus l'iniquité de ce délit d'habitude.
Il commença par rappeler les conditions de magouilles politiciennes
dans lesquelles cette loi est passée, interdisant de fait la
possibilité de saisie du conseil constitutionnel pour vérifier
la validité constitutionnelle douteuse de ce nouveau délit.
Ensuite, il mit en avant les contradictions de l'argumentaire de la
SNCF se proclamant dans une problématique marchande qu'elle essaye
de résoudre avec une problématique pénale : on
ne peut pas résoudre des déficits que l'on proclame financiers
et économiques en envoyant les gens en prison. Cette contradiction
est plus générale que l'affaire de Marlène : elle
est symptomatique de la pénalisation de la société
où l'on tente de régler l'ensemble des problèmes
sociaux devant un tribunal correctionnel, notamment la question de la
précarité, reconnu par tous comme inquiétante :
c'est ça précisément la criminalisation de la pauvreté
dont le procès de Marlène est un exemple, c'est ça
la réalité de ce procès. On demande aux gens d'assumer
pénalement des problèmes sociaux généraux
dont ils ne sont pas responsables. Et quel problème social on
essaye de régler pénalement ici ? C'est bien la liberté
de se déplacer qui n'existe que si elle est effective. Ce droit
n'est pas anodin et la question de la mobilité est un problème
central de notre société dont on voit l'importance dans
les luttes des politiques pour voir s'implanter ici une ligne TGV, là,
une autoroute, là un programme de déplacement par transport
public. Or, pour les plus pauvres, on règle ce problème
de liberté de déplacement par de la prison ferme et des
amendes… Or c'est quoi la situation des précaires et notamment
pour Marlène : c'est des droits sociaux réduits à
quasi rien avec l'interdiction du RMI au moins de 25 ans, avec un régime
ASSEDIC aux accès de plus en plus restreints… Bref, une
situation de galère qui a fait que Marlène a voyagé
sans billet dans un état de nécessité qui nie la
caractérisation du délit. Aussi, l'avocat de Marlène
a demandé une dispense de peine…
La décision du tribunal sera rendue le 1er octobre prochain.