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Relations perverses du marketing, du management au sein du travail, de la vie privé, de l'état...
mercredi, 19 novembre 2008

Origine : http://inquietanteetrangete.20minutes-blogs.fr/archive/2008/11/19/relations-perverses -du-marketing-du-management-au-sein-du-tr.html

La crise actuelle qui a émané de la bulle spéculative immobilière et de la crise des subprimes semble difficilement interprétable. Un peu comme l‘événement du "11 septembre", les journaux et experts émettent à profusion des analyses pour comprendre ce qui est arrive après le crash, mais aussi avant. Il semble que, à l'instar du "11 septembre", le clash de la crise financière est surtout l'occasion de reprendre en main le contrôle de la réalité. Car à partir de ce qu’a révélé Luc Boltanski, dans son travail de sociologie des cadres par exemple, ou de la division des classes sociales entretenue de façon subtile : la principale domination idéologique néolibérale consiste à « dire » la réalité, à la faire advenir comme inéluctable. Ne serait-ce que pour la renforcer encore plus dans un fatalisme entretenu et circulaire, et que les médias, associés aux pouvoirs se chargent de prolonger dans une perception du monde commune et complètement construite. Ce fatalisme prend comme point névralgique la peur. La crise voudrait plonger chacun de nous dans la peur. C’est à partir de cette fable que nous devons nous positionner en tant que citoyen éclairé, des méthodes constructions et de réduction de la réalité par le monde économique et politique, voire l’état, dans sa fonction « naturelle ».

Wendy Brown montre très bien par exemple que la critique de gauche américaine (et française, pour peu que l’on prolonge son analyse à notre pays) dans son ensemble amalgame dans son analyse du néolibéralisme le néo-conservatisme (cf. Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale, néolibéralisme et néo-conservatisme, ed. Les prairies ordinaires, 2007). Cet amalgame réduit la description et les choix stratégiques pour combattre efficacement le néolibéralisme car c’est un mouvement complexe.

Les effets psychologiques du management et du marketing.

La peur est d’abord une construction idéologique, véhiculée par les techniques de management.

Qui se souvient de son enfance et de la peur du noir. C’est seul, au fond de son lit, que l’angoisse du noir émerge. Les veilleuses n’empêchent pas les visions guerrières et les envahisseurs d’apparaître. Ils continuent en boucle les mêmes gestes, ont les mêmes attitudes. Les monstres et les relations étranges peuplent notre fantasmagorie dont la frayeur surgit du pont entre l’imaginaire et le possible que le réel peut générer. L’insomnie fait place à l’obsession.
On peut faire une lecture politico-économique de la peur avec la prise en compte des méthodes de management qui ont suivi l’âge du taylorisme au début du vingtième siècle. Cette influence a eu beaucoup plus d’intensité et de force « latente », si je puis dire. Cette prise de pouvoir n’a pas seulement sévît dans le registre de la productivité ou dans la branche des services et du « tertiaire », mais aussi dans celui de la vie quotidienne, de la vie privé et donc de la réception, de l’univers de la consommation.

Deux procédés d’apparence scientifique ont eu pour objet de déterminer les comportements dans le cadre de notre environnement économique et dans le cadre de notre environnement politique. Le marketing et le management. Devant cet assortiment inquiétant, aussi bien les attitudes du consommateur que du citoyen ont été considérées en même temps, dans un même traitement. Le mélange des genres et leur amalgame permanent nous ont fait prendre les vessies pour des lanternes, des propositions politiques pour des « consommables ». Il va de soit aujourd’hui que pour tout homme politique bien engagé dans sa trajectoire et dans son ambition, aussi brillant qu’il est, il se doit avant tout de servir une stratégie de communication qui lui fasse par exemple répéter inlassablement et strictement les mêmes mots selon qu’il passe à la télévision, la radio ou sur un site en ligne. Ce jeu est la garantie de la clarté. Nous savons que le sens politique de l’arrivée de Benoît Amont à la candidature de tête du PS au congrès de Reims consiste en trois mots : « jeter un pont » entre les lignes divergentes du PS, incarner le « candidat de la jeunesse et de la diversité ». Le calque de Barack Obama est de rassembler sans abandonner son décentrement à gauche. Nous sentons derrière lui l’ombre du dircom’ qui pourrait le tancer. Avec quelques mots savamment placés, toujours les mêmes, le discours s’appauvrit et l’expérience à chaque apparition médiatique se réduit, pour devenir austère, langue de bois et degré 0 du discours politique. L’ambitieux passe au simple projet de communication. L’ambitieux le cède à l’ambition.

De ce point de vue, les cabinets de conseils et notamment Jacques Séguéla n’ont-ils pas faits dire à Lionel Jospin durant sa campagne présidentielle de 2002 qu’il n’était pas socialiste ? Pour le 1er représentant du PS, c’était faire à la droite l’aveu de son inutilité politique et symbolique que de prétendre le contraire de ce qu’il était censé représenter, sans développer de façon plus explicite des propos très problématiques. Et pour les arpenteurs de la com’, la marque d’un revirement bien avant l’heure. Qu’on se rassure, Jacques Séguela s’est largement déterminé depuis, il a officialisé son revirement à droite pour Sarkozy en même temps qu’Eric Besson « lâchait » Ségolène Royal, si je puis dire.

De quelle peur les motifs d’abandon et les motifs de trahison font qu’il est possible pour un leader politique de bâcler son message pour s’autodétruire en deux secondes, en deux mots mal placés? De quelle peur l’animal politique s’est soumis aux lois du message ? Au-delà du fait qu’un leader en ligne ne veut pas forcément le pouvoir, et que son désir profond est parfois de perdre la tête haute, quelle angoisse existentielle se cache derrière le reniement programmé? Le message c’est le média concluait Mac Luhan. Le sens du politique consiste-il à prolonger la courroie de transmission de la com‘ et de la vie ordinaire. Faut-il en deux mots, socialiser son message ?

1/Le marketing nous détermine comme consommateur d’objets.

D’une part, nous serions passés du management dans le travail à son pendant dans la consommation : le marketing. Le marketing a cherché à déterminer les goûts et les comportements par un calcul. Ce qui fait que la dimension comptable était le mode opératoire des comportements dits rationnels. Le consommateur est passé du simple passant à l’objectif calculé, à la « cible », dans la mesure où celui qui ne trouve pas de lui-même les raisons de s’approprier un objet devra de toute manière en trouver de bonnes, avec la rationalité du marketing. L'investissement du passant le verra contraint d'y trouver les raisons indispensables d'acheter. On peut trouver dans cette stratégie une atteinte de l’intégrité du consommateur, dans la mesure où le désir joue un rôle prépondérant dans l’action traditionnelle d’acheter, mais auquel se substitue la pulsion de consommer. Le consommateur entre alors dans un besoin irrépressible d’acheter, de posséder le monde qui l’environne, par une instance pulsionnelle qui le rend dépendant. Il devient un psycho-consommateur addict d'images, de produits dérivés, qui lui sont absolument inutiles. D'une certaine manière, la dépense touche ainsi la sphère de l'économie restreinte chère à Georges Bataille. La dépense et la fête deviennent absorbées par la consommation, augmentée par la science du marketing.

2/Le management nous détermine comme consommateur politique.

D’autre part, c’est parce que le management nous a séparé les uns des autres, au sein de notre appartenance sociale, notre classe, au sein de notre vie privé, affective et psychologique, parce que ses méthodes efficaces nous ont enfermé dans nos individualités, que la peur peut nous toucher en tant que consommateur politique. Isolés par écrans interposés, nous sommes cet enfant qui souffre d’un sentiment de déréliction. Cette angoisse créée par le management et par la séparation des taches dans la productivité classique, doit déterminer un choix politique qui ne peut répondre que de cette peur. Et Sarkozy était l’outil idéal pour personnaliser et contrer cette angoisse, car la droite ne sait dans son message politique, que parler à l’individu. C'est son job comme le disent les militaires. On peut résumer cette peur à l’âge de l’essor de la mondialisation et de ses effets. Cette peur a bien été évaluée par Ségolène Royal durant la campagne présidentielle de 2007, mais elle a agit de la même manière que le bon vieux un procédé marketing : elle s’est adressée dans son message politique aux personnes, et non aux collectifs. Elle a parlé comme à des enfants, croyant faire valoir son rôle de mère protectrice par identification et régression. Mais cette tactique de captation des attentions, c’était déjà ce qu’avait produit dans les consciences le management. Si bien que le message a été perçu comme un message déjà occupé par la droite, qui n’a pas rendue crédible S. Royal. Ce message parlait déjà au sujet libéral, à l’individu qui ne peut s’identifier qu’à une personne. Ségolène a maladroitement fait se détourner l’électeur de gauche de l’ambition de s’approprier une conscience de gauche basée à partir d’une force collective, pour chacun des électeurs qui cherchaient une personnification et une réponse à leurs peurs.

Un an et demi après cet échec de la gauche pour capter les attentes des consommateurs de politique, nous arrive inopinément la catastrophe financière des subprimes. L’incertitude est à son paroxysme. Cette angoisse est alimentée par le statut pseudo scientifique de la catastrophe économique. A partir de cette angoisse peut embrayer les mécanismes et les outils qui pourront repousser, comme dans une guerre de tranchée, cette menace invisible, mais très présente.
Cette crise est donc l'occasion idéologique de redéfinir en France la réponse à l’angoisse produite par le clash post-11septembre de la crise financière. La réponse à cette angoisse se déclame comme l’injonction pour l’administration française en place de redéfinir la formule déjà pratiquée par Bush de "l'axe du bien contre l'axe du mal". Et ceci par les biais d’une définition frauduleuse de la notion de terroriste par exemple. Le terme est suffisamment flou pour sévir les intérêts du moment, alors qu’il pourrait en tant de guerre être considéré comme une résistance à l’ennemi. Cette redéfinition de la notion de terreur ne peut pas s’appuyer contre les atours angoissants du « barbus » déchaîné. Elle doit se redessiner dans la figure du gauchiste actif, et revenir de façon latente, avec les termes ou l’évocation orchestrée du « réseau dormant », terme au demeurant très déclencheur d’angoisse et d’incertitude. L’enquête gouvernementale est la parodie orchestrée de la même enquête policière que les films narrent jours après jours… La formule doit se faire plus irréelle que la fiction, pour être entendue comme réalité.

Le management et le marketing, pseudo sciences renouvelées du positivisme et de la prospective, sont issues d'une forme policée du comportement et des conduites. Elles ne peuvent se détacher de la police réelle et légitime de l'Etat, qui maintient les gens séparés les uns des autres. La police d'aujourd'hui n'est plus répressive comme un CRS (qui doit rester mineur ou nul dans son action violente : le fait que Sarkozy se pâme de n'avoir fait aucun mort lors des émeutes de 2005 est une caractéristique de cette dissuasion par la police) car elle considère que le combat n'est pas à conduire dans la rue. La "police" ne doit pas être force et impact, mais intimidante et dissuasive. Elle ne doit pas se montrer bornée mais intelligente, soucieuse de nous écouter, pour assurer notre sécurité. Elle s'incarne dans tous les dispositifs de contrôle qui nous encadrent, nous écoutent, nous traquent dans la moindre missive conviviale.

De l’imprécateur à l’agent de police conseil.

Profil idéal-type incarné par Eric Besson, "Eric BESSON : secrétaire d’Etat chargé de la Prospective, de l’Evaluation des politiques publiques et du Développement de l’économie numérique, auprès du Premier ministre" (depuis il est devenu ministre de l’identité nationale en remplacement de Hortefeux)

Car la croyance est l’outil idéologique qui peut capter l’attention des gens perdus. Scander comme l’imprécateur des formules religieuses est la marque de fabrique invoquée par les néo-conservateurs outre-Atlantique. Mais aujourd’hui, cette propagande arrive en VF. Dans notre société laïcisée, elle ne peut prendre la forme de l’imprécateur religieux, mais de la police, de la figure de l’agent de police conseiller à la prospective. Et parer de plus de sacre l’agent de police, c’est lui donner beaucoup plus de pouvoir. Il n’est que voir comment le storytelling de la menace est construite par des institutions parallèles, les services de renseignements, la police, et leurs incivilités quotidiennes. L’impunité est la marque de ce pouvoir nouveau de la police à l’égard de tous les citoyens, et d'une police intelligente.

Seulement, si la version néo-libérale nationale est branchée sur l'axe sécuritaire de réduction de l'état de droit, avec par exemple, comme pour les USA, la mise en place du storytelling sécuritaire, on peut laisser couler la fable médiatique des "autonomistes de gauche", en attribuant à ces pseudo-organisations une volonté criminelle. Cette fiction cherche à raccrocher l'idéal-type du "terrorisme pauvre", ou "terrorisme social", à la contestation, pourquoi pas... Mais qui pourra camoufler longtemps la véritable action "terroriste nantie" de la prise d'otage que font les banques envers les états nations? C'est ce changement, qui s'alimente des peurs de l'avenir, du danger et de l'incertitude des lendemains, qui instaure une modification de la perception nuancée de l'histoire.

Et l’arrivé de Barack Obama n’est pas une nouvelle donne pour lui. Sarkozy n'admettra de l'événement "Obama" que le fait qu'il est noir, pour ne pas reconnaître que la période Bush est révolue. Si pour Sarkozy, le projet Bush doit continuer en France, il faut continuer le projet de Bush en le travestissant de liberté et de démocratie, dans les formes. Car c’est seulement dans la peur et le climat d’incertitude qui s’annonce, qu’il peut sauvegarder son pouvoir. Devant une gauche déconfite, devant un parterre médiatique à sa botte, il peut rêver chaque jour de se coller aux prochaines Présidentielles Ségolène Royal. Si la gauche est aujourd’hui aphone et schizophrène, et pour toutes ces raisons, c’est parce qu’il a précautionneusement annihilé l’esprit contestataire du PS en positionnant à certains postes de type néolibéral (le FMI) des grands représentants du PS. Il a verrouillé l’esprit neuf de la gauche, en prenant en otage, en quelque sorte, ses personnages importants.

Sarkozy est un homme culotté. Son côté « performer » et « décomplexé » l’ont différencié de la figure de l’homme politique français austère et froid. Seul J.M. Le Pen, ou Georges Marchais pouvaient prétendre à faire figure de phénomène en la matière. Dans une certaine mesure, Sarkozy a l’étoffe d’un Georges Marchais de notre époque, connecté non pas à l'URSS mais à un néolibéralisme hard qu'il appelle de ses vœux un "pragmatisme", alors que le pragmatisme philosophique américain n'a rien d'une croyance à une origine ou une destination finale, (la culture du résultat, qui est ainsi le culte du transcendantal absolu : la vérité par le chiffre, la comptabilité de l'espace et des échanges) remettant en question tout transcendantalisme et l'ombre d'une vérité originelle, réduisant la grandeur tout simplement aux proportions humaines de l'action. Le "pragmatisme" de Sarkozy est tout bonnement de remettre en avant le crédo de la croyance religieuse au sein de l'espace public et laïc. Contre sens magistral du pragmatisme. Mais à la différence de Georges Marchais qui nous amusait, celui-là est au pouvoir. Fort de cette image, il a réussi à séduire une masse de gogos et surtout à prendre le pouvoir démocratiquement, en douceur. Mais nous assistons depuis, comme l’affirme Wendy Brown, à la dé-démocratisation de la France. Car même sous des formes démocratiques, la politique de Sarkozy est le calque intégral de la politique de l’administration Bush :

- un néo-conservatisme qui réaffirme la place de la religion dans l’Etat. On se souvient de la comparaison entre le professeur et le curé. Professeur qui, pour Sarkozy, est moins prépondérant qu’un curé. « L’âge d’or » de Buñuel devrait ressurgir en vidéo cassettes.

- venue d’outre-Atlantique, il entrevoit une « laïcité positive », ce qui n’a aucun sens du point de vue philosophique. Justement c’est l’indétermination qui justifie les bienfaits de la laïcité, et non l’appui sur son caractère déterminé).

- une menace des droits civiques avec la mise en place d’une société policée de l’intérieur (le fichier Edwige)

- l’instauration d’une précarisation du travail pour enrichir les plus riches.

- la poursuite de la guerre en Afghanistan.

- De même qu’il faut voir dans cette crise le processus de précarisation des petits actionnaires qui permet aux gros actionnaires de récupérer des valeurs pourries, qu’ils feront fructifier plus tard, dans la mesure où la nécessité concrète de la survie ne les touche pas.

Par son langage disproportionné, mais réel dans les faits, son culot sera de ne vouloir jamais admettre avoir perdu la face idéologique devant cette crise, du moins de la minimiser idéologiquement. Si son Premier Ministre, François Fillon, s'est contenté « d'avoir gagné la bataille idéologique » au même moment où le néolibéralisme entrait en crise, ce n'était pas qu’une parole contradictoire, car il semble que le G20 nouveau (à l’instar du Beaujolais nouveau), n’est qu’un acte de merchandising de plus, une action de plus pour faire avaler la pilule aux citoyens qui regardent comme des badauds la situation se redéfinir. Le G20 nouveau n’aurait pour but que de rénover en surface un néolibéralisme toujours plus dangereux, toujours plus pervers et bien sûr amoral.
Cette satisfaction des élites politiques à l’égard du système est la marque de la confiance qu’elles lui font, car la crise et le comportement des états complices des banques ne pourront que le renforcer.

Une crise de l'analyse et des experts, pour analyser la crise.

Mais les hommes politiques eux aussi ont bien du mal à analyser la situation. Eric Besson, expert de gauche passé à l'expertise de droite, quoi qu'il se définisse toujours de gauche, mélange allègrement chez Ruquier le néo-libéralisme et les néo-conservateurs quand il doit justifier sa position par rapport au libéralisme du vingt-et-unième siècle. Même la caste des économistes continue confortablement de nous faire la leçon, du haut de son expertise alors que tout se casse la gueule. Le chaos actuel désarçonne pour le futur beaucoup de nos politiques dans l'analyse, mais sûrs de leur arrogance, ils tournent casaque pour lancer comme le fait la droite une volonté de "moralisation du capitalisme" :

Le but est aujourd'hui de rassurer en créant l'abondance d'une seule information sur le marché des analyses et des experts, sous toutes ses formes (fun sur Canal, scientifique au 20h), qui est la valeur confiance. Mais la confiance générale dans le système semble arriver au bout de l'illusion.