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Origine : http://www.amadoo.com/article.php?ama_prefix=&aid=2605
Publié le (14/07/2003 )
Le marketing ethnique est arrivé ! ( 14/07/2003 )
De l'apparition du marketing ethnique en France
Par Pascal Blanchard
Tout le monde en parle. Depuis la victoire en 1998 de l’équipe
de France de football lors de la coupe du monde, les couleurs seraient
à la mode dans l’univers de la communication.
Et voilà que la publicité SFR, dans la droite ligne
des publicités US pour IBM et Siemens, arrive dans nos journaux.
C’est clair, le marketing ethnique est arrivé. J’entends
déjà les hauts cris et je vois le scandale poindre.
Pourtant cette publicité est des plus « politiquement
correct ».
Bien habillé, actif, beau, dans un aéroport (voyage),
sans doute cadre supérieur d’une grande entreprise,
le modèle parfait d’intégration à la
société de consommation, au business et à la
République. Alors, la publicité serait-elle en train
de changer parce qu’il y a maintenant des consommateurs blacks
identifiés et rentables ? Sans aucun doute. Mais attention,
le marketing ethnique ne peut être importé des États-Unis
sans remuer un peu notre société française.
Voyons pourquoi.
La sortie au mois d’avril, chez Autrement, du livre d’Anne
Sengès Ethnik ! Le marketing de la différence semble
donner corps à cette émergence et au débat
qui va commencer en France. On le constate depuis dix-huit mois
: marketing de nombreuses marques ciblé « ethnique
», présence de plus en plus importante de minorités
« visibles » dans les publicités (dans nos journaux,
sur nos murs et nos écrans), communication multiculturelle
comme symbole d’une France mélangée… sont
des réalités que nous pouvons tous constater. En même
temps, et de façon paradoxale, la plus grande partie des
spécialistes constate un particularisme français dans
le domaine de la communication ethnique et un « blocage »
devant toute démarche ethnique en communication.
Cibler l’autre, c’est le différencier, le marquer,
le singulariser, récuser le principe d’uniformisation
de la communauté nationale dans un pays où les statistiques
sur l’origine ethnique des populations sont interdites. Cette
forme de publicité serait anti-républicaine.
Revenons quelques décennies plus tôt. Les toutes premières
formes de « communication différenciée »
que nous identifions (dans un même pays pour des populations
distinctes) sont issues d’espaces en lutte : mondes coloniaux
anglais ou français, États-Unis au temps de la ségrégation,
Afrique du Sud dans les années 1940...
Puis va émerger, dans les années 1960 aux États-Unis,
le ciblage plus spécifique des populations noires, via des
médias communautaires, des agences spécialisées
(la toute première est créée en 1956 pour les
Afro-américains : Vince Cullers Advertising… puis ce
sera SAMS en 1962 pour les Latinos). Depuis, toutes les grandes
marques se sont spécialisées dans cette démarche
ethnique de ciblage, en créant des départements spécialisés,
en recrutant des profils ethniques, en mandatant des agences, en
orchestrant des campagnes…
On peut citer Nike, Coca, L’Oréal, M&M’s,
Mars, Ford, Pepsi, MacDo, Procter&Gamble… Attention, ne
nous y trompons pas, la communication ethnique n’a aucune
vocation humaniste, l’objectif est clairement de vendre plus…
et mieux. C’est bien ce que rappelle Alfred Schreiber dans
son livre référence sur le marketing ethnique, Multicultural
Marketing, édité en 2000 chez Business Books.
Les différentes formes de communication ethnique
Il existe plusieurs formes de communication ethnique. La plus ancienne,
la plus ancrée et la plus stéréotypée
aussi, est la présence de l’autre dans l’univers
publicitaire : l’icône ethnique. Cela fait près
de cent cinquante ans que des personnages noirs, orientaux, asiatiques,
juifs, mais aussi régionalistes (basques, corses, bretons…),
sont utilisés dans l’univers de la réclame.
Sans généraliser, et pour faire simple, ce personnage
ethnique est un objet du discours publicitaire, généralement
lié à quatre fonctions : souligner l’origine
du produit (Banania, même si l’origine est antillaise
et non africaine), la couleur du produit (Uncle Ben’s : l’antinomie
de la blancheur du riz), la praticité ou la qualité
du produit (Behanzin : même un nègre peut utiliser
ce vélo), mettre en exergue une situation humoristique (Vahiné
: un Noir au fort accent pour une farine blanche). La plupart de
ces schémas n’ont pas disparu (voir nos Black Logos
précédents).
Dans le registre actuel, c’est à des héros
faiseurs de tendance que l’on fait appel, ceux-ci étant
pour la plupart noirs, issus du sport de haut niveau (basket, football,
golf, boxe…) ou de la musique. De Ronaldo à Jordan,
de Desailly à Tyson, de Ray Charles à Michael Jackson…
ils deviennent les icônes des grandes marques.
En France, Zidane est la référence. Entre plusieurs
mondes ethniques, il semble être la parfaite synthèse,
comme l’est, pour le monde du golf, Tiger Woods. Des êtres
hybrides, parfaitement adaptés à la communication
soft-ethnique. Car multi-identificateurs. Ils ne sont pas simplement
des faire-valoir chromiques ou des éléments du décor,
mais bien des promoteurs à part entière du message,
car ils sont des références avant d’être
les représentants d’une communauté.
Seconde forme de communication ethnique, très présente
dans la communication américaine, brésilienne, anglaise
— à la fois institutionnelle et pour la promotion de
produits spécifiques — et aussi française :
la communication multiculturelle. Pour être précis,
c’est la tendance « politiquement correct » du
moment à donner vie dans les images (affiche, publicité,
spot…) à un reflet de la société dans
laquelle on s’exprime. D’une certaine manière,
cette publicité SFR s’inscrit dans le double univers
du multiculturel (elle fait partie d’une campagne plus vaste)
et du marketing ciblé ethnique.
Aujourd’hui, pas une campagne ministérielle, de la
RATP, de la SNCF, de SFR, de France Telecom, mais aussi de Nike
et d’IBM, sans que toutes les communautés soient présentes.
Quelques marques françaises communiquent aussi à la
mode « Benetton », comme Tati en 2002, avec sa campagne
multicolore et son slogan fédérateur : « Tati
est à nous ». Dernièrement, pour des raisons
plus complexes, notamment liées aux rachats de sociétés
spécialisées sur des produits ethniques aux États-Unis,
L’Oréal et Lancôme s’inscrivent dans un
mouvement similaire. La mode est lancée.
La campagne Le Rouge de Clarins le montre bien, avec trois mannequins
noire, asiatique et blanche.
Enfin, dernière forme, le marketing ethnique pur et dur.
C’est celui qui fait le plus débat aujourd’hui
en France. C’est pourtant moins dévalorisant que l’icône
ethnique, qui dans la plus grande majorité des cas infériorise
l’autre dans la pure tradition coloniale et raciste. C’est
aussi moins ambigu que la communication multiculturelle qui, le
plus souvent, utilise l’autre comme un élément
du décor et non comme un acteur réel de premier plan
ou un personnage central du message publicitaire, et prétend
être intégrationniste. Dans un pays où désigner
l’autre par ses origines, produire des statistiques sur ces
origines, et prétendre que les modes de consommation de chacun
perdurent malgré l’intégration, c’est
s’opposer au politiquement correct, on imagine les difficultés
pour le marketing ethnique à émerger.
Alors que ce pays est le premier foyer d’immigration en Europe,
que l’histoire coloniale a marqué la France plus que
tout autre pays, que la présence des trois communautés
asiatique, afro et orientale est une exception française,
le marketing ethnique reste tabou. La cause : les principes républicains
d’intégration qui constituent le ciment de notre société.
Pourtant, c’est oublier qu’ont émergé
des produits à cibles ethniques comme le Mecca-Cola ou les
laits Laban lancés par Bridel, et qu’au cours du dernier
ramadan, France Télécom a proposé une carte
téléphonique spécifique à destination
des trois pays du Maghreb, avec une campagne d’affichage dans
les grandes villes et dans la presse, ciblée sur les Maghrébins.
À ce niveau, SFR ne fait qu’imiter son concurrent direct.
Aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, le politiquement
correct est tellement puissant sur ces questions, que l’on
est aujourd’hui quasi certain de rencontrer dans une agence
ethnique un Afro-américain pour cibler les Noirs, un Mexicain
ou un Cubain pour les Latinos, et un Chinois pour les Asiatiques.
On trouve même un Spike Lee pour vendre et cautionner avec
son agence la cible afro-américaine auprès des marques
américaines ou européennes. La quête de la cible
ethnique se double d’une assurance tout risque de bonne conscience
de l’annonceur : « Si c’est un Noir connu et professionnel
qui le dit, mon discours est non seulement légitime, sans
doute juste, mais aussi politiquement correct. »
Il faut le reconnaître, devant cette situation nouvelle (et
ce n’est qu’un début), sous prétexte de
protéger notre particularisme national, nous avons perpétué
une dialectique coloniale à la française dans notre
vocabulaire publicitaire. Derrière le mythe d’une France
unique, sans frontière communautaire, toute représentation
des minorités est de fait exclue.
D’un côté la France est l’un des derniers
pays à pouvoir produire des campagnes à la limite
du racisme (Egg, Uncle Ben’s, Vinci, Opel, Banania, Apéricubes
et sa publicité sur le cannibalisme…), et de l’autre
côté, on stigmatise l’approche ethnique au nom
des principes d’égalité. Ce paradoxe est la
réalité française. Ne sommes-nous pas très
hypocrites ? Car, quand l’État engage une campagne
nationale (par exemple sur le sida), on constate un ciblage spécifique
de ces populations.
Elles sont bien alors perçues comme des populations à
problèmes, populations à risque ou en situation de
dépendance, donc ciblées en tant que telles, mais
jamais comme composées de consommateurs lambda… et,
en fin de compte, c’est là que se niche une exclusion
de la cité. Peu égales en droit, mal intégrées,
en marge de la société, ces populations n’ont
même pas au niveau individuel le statut de consommateurs à
part entière.
C’est à ce niveau que l’on peut affirmer que
nous restons dans une « pratique coloniale » à
l’égard des populations issues d’Afrique ou d’Asie
du Sud-Est. Car en fait, nous restons encore dépendants des
clichés des générations précédentes
non décolonisés. Nous pensons à la place de
l’autre. Et nous pensons savoir ce qui est bien pour lui.
En même temps nous reproduisons les clichés les plus
paternalistes, aujourd’hui totalement inimaginables dans les
pays anglo-saxons.
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