Origine : http://clesnes.blog.lemonde.fr/2014/12/19/marijuana-an-1-bilan-globalement-positif-dans-le-colorado/
19 décembre 2014
La Plantation Medicine Man à Denver
DENVER.- Les scénarios catastrophe ne se sont pas réalisés. Un an après la légalisation des ventes de marijuana à usage récréatif dans le Colorado, le bilan de la mise en place est jugé largement positif. « On nous disait : les ados vont se ruer sur le cannabis, les adultes vont se défoncer et ne plus aller travailler…Rien de tout cela ne s’est concrétisé », se félicite l’avocat Brian Vicente, l’un des rédacteurs de l’amendement 64 par lequel 55% des électeurs du Colorado ont autorisé, en novembre 2012, la production et la vente de marijuana aux adultes de plus de 21 ans.
Au magasin Denver Relief
Le processus a été très encadré. Le Colorado se sait aux avant-postes du combat pour la fin de la prohibition, et à ce titre, très surveillé. Pari, pour l’instant, réussi. Aucun nuage de cannabis ne flotte sur la ville. Le crime a baissé de 10 % selon le FBI. Le nombre d’accidents de la route aussi. Il est interdit de fumer dans les lieux publics, y compris les parcs et cafés. Les achats sont limités : une once (28,34 g) par personne pour les résidents du Colorado. 7g pour les visiteurs. Chaque plant est recensé dans un fichier central informatisé. Chaque mouvement consigné. Chaque employé enregistré et badgé. « On avait dix ans d’expérience avec la marijuana médicale », explique l’avocat.
CONTRÔLE DE LA QUANTITÉ MISE SUR LE MARCHÉ
Le « modèle du Colorado », selon l’expression de la Brookings Institution, ne vise pas à interdire ou décourager la consommation mais à la réguler et la taxer (40 millions de dollars du produit des taxes collectés est destiné aux écoles). « Nous sommes guidés par trois principes : éviter que la marijuana ne tombe entre les mains des enfants, des criminels et des autres Etats », explique Barbara Brohl, la directrice de l’administration fiscale de l’Etat. Le nombre de consommateurs n’est pas le souci principal des pouvoirs publics. Le seul mandat qui leur a été donné par les électeurs est de « réglementer la marijuana comme l’alcool ».
Lewis Koski le directeur de la Marijuana Enforcement Division
L’Etat ne produit lui-même mais il délivre les autorisations de vente et d’exploitation et fixe le nombre de pieds cultivables, ce qui lui permet d’exercer un contrôle sur la quantité mise sur le marché. Il ne se mêle pas non plus des prix, mais le taux de taxation permet de contrecarrer les fluctuations qui pourraient ranimer le marché noir. L’idée d’un marché d’Etat de la marijuana paraît difficilement viable aux « historiques » du mouvement anti-prohibition. « Est-ce que l’Etat en France fixe le prix du vin ?», s’interroge Ean Seeb, de Denver relief, l’un des plus anciens dispensaires de Denver.
"Hoppy holidays" : pour des Fêtes pétillantes
La consommation de cannabis a-t-elle augmenté ? Les partisans de la légalisation affirment que le nombre d’utilisateurs n’a pas varié de façon significative (ils étaient déjà 9 % des adultes) et que les « nouveaux » consommateurs sont des anciens fumeurs qui ne craignent plus de s’afficher. Quoi qu’il en soit, les recettes ont doublé en un an. Jusque fin 2013, le chiffre d’affaires de la marijuana était cantonné aux quelque 110 000 patients de la marijuana médicale. Fin 2014, avec les ventes récréatives, il s’élèvera à 700 millions de dollars, selon une estimation provisoire. « Il est clair que le nombre de consommateurs a augmenté, tranche Andy Williams, le fondateur de Medicine Man, un dispensaire qui a réalisé 9 millions de chiffre d’affaires cette année (contre 4,5 millions en 2013).
L'Etat a créé deux fonds pour gérer la manne des taxes associées à la vente de marijuana. L'un (marijuana cash fund) permet de financer la division qui supervise l'application de la loi (55 employés dont 29 policiers). L'autre (marijuana tax fund) est réparti selon les souhaits des parlementaires locaux, sachant que les 40 premiers millions sont réservés aux écoles. En 2014, le montant des taxes collectées par l'Etat devrait être d'environ 60 millions de dollars. C'est peu sur un budget de 24 milliards de dollars, mais appréciable du point de vue de l'enseignement public. Les premiers versements aux écoles ont permis de recruter des infirmiers et conseillers d'éducation (pour expliquer notamment aux jeunes les dangers du cannabis).
LES TOURISTES PLUS NOMBREUX
Autre bénéfice économique : l’emploi. Plus de 15 000 personnes travaillent dans les serres et les magasins, selon les chiffres officiels. A quoi s’ajoutent les emplois induits. Le Colorado connait un boom dans la profession d’électricien (les plantes requièrent des éclairages tropicaux). Contrairement aux prédictions catastrophistes, le tourisme a augmenté. Dans les stations de montagne, 90 % des clients des « pot shops » sont des visiteurs. « Apportez votre forfait de ski et vous bénéficierez d’un prix spécial : une once pour 25 dollars », promettent les publicités dans la presse.
"Go slow, start low" : la campagne contre la boulimie de cookies au cannabis
Un point noir : les « comestibles ». Les autorités ont été prises de court par l’engouement pour ces cookies, brownies, bonbons et boissons aux dosages de cannabis mal compris par les consommateurs. Plusieurs incidents –et l’arrivée d’enfants aux urgences après avoir ingéré des friandises à la marijuana- ont obligé l’Etat à durcir la réglementation sur l’étiquetage et les dosages.
Les autorités ont pompé dans les revenus de la marijuana pour financer une campagne d’éducation. L'industrie a elle aussi produit une publicité : "Start low. Go slow" invitant les consommateurs à "commencer bas et aller lentement". Pas plus de 5 mg de THC par cookie ou bonbons, svp.
Comme l’a dit le coordonnateur de la légalisation pour l’Etat, Andrew Freeman, « toute l’industrie a été mise en place pour des gens qui fumaient souvent. Elle doit apprendre à éduquer les nouveaux venus sur le marché ».
À propos de Corine
Corine Lesnes est correspondante du "Monde" à San Francisco.
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