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Mariage homosexuel ????
De San Francisco à Bègles, on s'unit pour le meilleur et malgré le pire
Jeter le patriarcat aux oubliettes? La culture gay y participe aussi

Origine : http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=37996


Date: Tue, 06 Jul 2004 09:23:56 +0200

Subject: [atsx] Mariage homosexuel

De San Francisco à Bègles, on s'unit pour le meilleur et malgré le pire

LUC MEIER SAN FRANCISCO, Date: Samedi, 03 juillet 2004 SOCIÉTÉ

- Alors que la Pride de Suisse romande s'apprête à fêter sa 8e édition – avec une grande parade samedi 10 juillet dans les rues de Genève –, celle de San Francisco a effectué la semaine dernière son 34e tour de piste. En vedette cette année, le mariage gay. Le point de vue de deux «dykes» de la Bay Area.
Quant à Clémentine Autain, adjointe à la Mairie de Paris, elle revient sur l'union homosexuelle célébrée à Bègles par Noël Mamère.

Ancrée à l'orée du Pacifique et bordée d'une baie qui paraît la mettre à distance respectable du reste du pays, San Francisco soigne dans un faux isolement sa réputation de pionnière en matière de libertarisme sexuel et social. En face, une Amérique qui, globalement, aura ces dernières années surtout donné l'impression d'être engagée dans une grotesque marche arrière. Grand-mère du queer assumé, la ville a ainsi fêté le week-end dernier la 34e édition de sa Pride. De quoi faire se sentir toute gamine sa soeur romande, et surtout de quoi se faire une idée des principaux problèmes qui agitent les communautés gays, lesbiennes, bi et transgenre des Etats-Unis en 2004.

Ces deux grosses journées de fêtes et de parades (à la Pride «régulière» est venue s'ajouter il y a douze ans la parade alternative et lesbienne, la Dyke March) se posaient en point d'orgue d'une semaine qui avait notamment vu se tenir la 28e édition de Frameline, le festival du film lesbien et gay de San Francisco, le plus ambitieux de son genre à travers le monde.
Au-delà des copieuses festivités et de l'exubérance de mise sous un ciel exceptionnellement clément, c'est la brûlante question du mariage homosexuel qui aura occupé presque à elle seule le versant politique du grand raoût annuel, conférant à ce dernier son profil le plus tranchant depuis plusieurs années.

ÉMOTION ET DROITS

Lorsque le maire fraîchement élu de San Francisco, le démocrate Gavin Newsom, à peine 36 ans, décide le 12 février dernier d'autoriser le mariage gay dans sa ville, Paige se rend comme beaucoup d'autres à la mairie pour assister à l'arrivée de ces nuées de couples, déboulant de toute la Californie et de bien au-delà, et qui seront un peu plus de 4000 à en profiter avant que l'Etat de Californie ne siffle la fin de la récréation. Paige, la jeune quarantaine, vit à Oakland, de l'autre côté de la Baie. Originaire de Floride, cette lobbyiste écologiste partage son temps entre San Francisco et les coulisses de Washington. Elle partage sa vie avec Jeanette, son amie depuis douze ans. Les deux femmes se sont engagées l'an dernier dans un partenariat domestique et ne ressentent pas un besoin urgent de se marier.
«Mais l'impact émotionnel était tout de même extrêmement fort, raconte Paige. Ce policier à nos côtés, dont nous n'avions pas compris tout de suite qu'il était aussi homosexuel, était extrêmement touché, nous expliquant que c'était à deux pas d'où se célébraient les mariages qu'avait été abattu Harvey Milk 1.» A l'instar de Paige, Kimiko, arrivée de Los Angeles il y a quatre ans, ancienne rédactrice photo du journal de la jésuite University of San Francisco, chérit l'avancée en matière de droit civiques que représente cet accès homosexuel au mariage, dont le futur est actuellement entre les mains de quelques tribunaux.

DIEU, ARMÉE ET FAMILLE ?

Néanmoins, au-delà des aspects liés à une protection institutionnelle égalitaire, la photographe se méfie quelque peu du modèle intégratif que l'on propose aux gays à travers l'institution du mariage: «Les garanties et la reconnaissance légales sont positives, par contre je ne crois pas que notre incorporation au conte de fées du modèle matrimonial puisse nous garantir l'intégration réelle, les esprits sont encore trop fermés pour cela. De plus, il est effectivement un peu décevant que cette volonté d'intégration au modèle existant semble totalement primer – à ce qu'en dit la presse conventionnelle – sur toute possibilité d'envisager encore des modes de vie alternatifs.» Paige, dont l'homosexualité a pu s'affirmer au sein de la scène punk et no-wave de sa Floride natale abonde dans le même sens: «En fait, il est quand même étrange que les trois derniers sujets à avoir réellement mis en ébullition la communauté gay aux Etats-Unis soient les prêtres homosexuels au sein de l'Eglise catholique, l'acception des gays dans l'armée, et le mariage!» Reste que, quels que soient leurs doutes par rapport à la finalité de cette étape intégrative, les deux femmes apprécient les impulsions données par Newsom et d'autres politiciens locaux et y voient une implication sincère. «Aux Etats-Unis, le mariage homosexuel ne bénéficiera pas d'un soutien vraiment large avant longtemps. Je ne crois pas que Newsom joue la carte gay simplement pour s'assurer des parts du marché électoral. Son action l'a certes rendu populaire à San Francisco, mais au niveau national, elle l'a plutôt desservi. Il est parmi les hôtes d'honneur de la Pride, mais ne pourra apparemment pas prendre la parole durant la prochaine Convention du Parti démocrate», analyse Paige.

VIOLENCE ENCORE PRÉSENTE

Mais avant tout, les deux «dykes» affirment leur satisfaction, voire leur soulagement, de pouvoir débattre de l'agenda politique queer depuis San Francisco, où elles confirment que l'atmosphère est bien moins lourde que dans le reste des USA. Pour Paige – qui a été l'une des seules participantes à ne pas se masquer le visage lors d'une Pride à Buenos Aires –, «les grandes villes sont vivables et on retrouve quelques similitudes entres les scènes gay. Par contre, dès qu'on s'éloigne de ces pôles, ça devient dur...» Et la militante d'évoquer les pique-niques lesbiens en Floride gérés dans la crainte des restes du Ku Klux Klan, ou le meurtre brutal du jeune travesti Gwen Araujo a Newark, Californie, en novembre 2002. Des bouffées de violence que personne au sein des communautés queer de San Francisco n'aimerait voir s'exercer au niveau légal, si le projet d'amendement à la Constitution qu'envisage George W. Bush pour «sauvegarder l'institution sacrée» du mariage hétéro venait à se concrétiser.


1 Harvey Milk : Ce militant, qui accéda au Conseil des Superviseurs de la ville de San Francisco en 1977, fut le premier Etasunien ouvertement gay à être élu à une fonction publique d' importance. Il fut abattu en 1979, en même que le maire de l'époque, George Moscone, par un ancien membre de ce même Conseil, homophobe notoire.


Jeter le patriarcat aux oubliettes? La culture gay y participe aussi

PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËLE BOUCHET

Bien loin des 4000 mariages gays célébrés à San Francisco, la France a vécu ces derniers mois un débat des plus virulents, voire haineux, à propos de l'union entre couples de même sexe. Un mois après la cérémonie de Bègles par Noël Mamère, Clémentine Autain, militante féministe et adjointe à la Mairie de Paris, livre son analyse. Entretien.

Le Courrier: En tant qu'élue, vous vous dites prête àcélébrer des mariages homosexuels. Pour quelles raisons?

Clémentine Autain: Le principe d'égalité des droits inscrit dans le préambule de la Constitution française doit s'appliquer dans tous les domaines. Refuser des droits à des citoyens en raison de leur orientation sexuelle, c'est maintenir des discriminations légales et encourager, voire légitimer, des actes lesbo-homophobes.

Les politiques sont d'ailleurs bien frileux, comparés à l'opinion publique, majoritairement favorable à l'ouverture du mariage. Pour mémoire, le Manifeste pour l'égalité des droits fait suite à l'agression de Sébastien Nouchet, brûlé vif par des homophobes en janvier dernier, dans le nord de la France.

Pourtant, le mariage est l'institution patriarcale par excellence. Pour une féministe, est-il bien raisonnable de soutenir sonouverture aux homosexuel-le-s? – Sortir le mariage de l'enfermement hétérosexuel est une manière de remettre en cause les fondements de cette institution. Le code civil napoléonien visait à consacrer le mariage comme cellule de base de la société dans un cadre hétéro-patriarcal. La domination masculine a largement été remise en cause dans les textes législatifs au cours du XXe siècle. Aujourd'hui, le grand verrou, c'est la pérennité du modèle hétérosexuel.

En France, nous avons créé le PACS, un contrat ouvert aux couples homosexuels comme hétérosexuels, avec des droits moindres à ceux ouverts par le mariage: ce système à deux vitesses montre qu'il y a des couples plus légitimes que d'autres. Le mariage ainsi repensé n'aurait plus rien à voir avec l'objectif procréateur et le rôle de régulation sociale normatif.

Les féministes savent combien les questions de rapports sociaux entre les sexes et entre les sexualités sont liées. La polémique suscitée par notre revendication montre bien qu'il s'agit d'une subversion et non d'un désir de conformité. Ceci étant, l'abolition du mariage reste une perspective à plus long terme. A quoi doit servir le mariage du XXIe siècle? La réflexion continue et notre revendication permet de se poser cette question, en nous émancipant des traditions.

A votre avis, pourquoi le débat sur le mariage suscite-t-il tant de passions? L'homosexualité remettrait-elle à ce point en question l'identité des genres?

– Oui, l'ouverture du mariage aux couples de même sexe remet en cause l'ordre des sexes et des sexualités. Le mariage scelle historiquement l'infériorité des femmes et les a enfermées dans un statut de procréatrices. La prise en compte de l'homosexualité brouille définitivement cette norme, notamment en dissociant clairement union légale et procréation.

Est-ce à dire que leshomosexuel-le-s peuvent nous aider à nous débarrasser du modèle hétéro-patriarcal?

– La culture gay a imprégné l'ensemble de l'univers social de ces dernières années. Ce mouvement a touché les hétérosexuels. Par exemple, l'utilisation dans la mode masculine de couleurs traditionnellement utilisées par la mode féminine symbolise le brouillage des identités. Nous avançons tout doucement, mais les mouvements gays et lesbiens participent pleinement à remettre en cause le modèle hétéro-patriarcal.

Or les lesbiennes sont aussi discriminées au sein desmouvements homosexuels...

– Le féminisme sert justement à dénoncer les mécanismes de domination qui existent entre les gays et les lesbiennes. En fait, les lesbiennes sont avant tout victimes d'invisibilité. Historiquement, la sodomie a été pénalement punie alors que les rapports entre les femmes ne faisaient pas l'objet de répression. La sexualité a toujours été pensée – par les hommes ! – comme un acte de pénétration. Sans pénétration, pas de sexualité. Un exemple, la loi de 1980, qui punit en France le viol, définit l'acte par la pénétration. De même, les lettres d'insultes envoyées dans le cadre du débat sur l'ouverture du mariage ont essentiellement été rédigées par des hommes et adressées à des hommes.

En somme, que prônez vousen priorité pour sortir des modèles imposés?

– En premier lieu, l'engagement militant, à tous les niveaux – partis politiques, syndicats, mouvements associatifs, entreprises... – et une vigilance individuelle quotidienne. L'égalité formelle entre les hommes et les femmes et entre les hétérosexuels et les homosexuels a largement été conquise au XXe siècle. Nous devons lever les dernières résistances légales.

Mais l'enjeu majeur reste la conquête de l'égalité réelle. Agir sur l'éducation et les mentalités paraît plus difficile car l'enjeu est plus diffus. La capacité collective de mobilisation sur ces sujets permettra d'éviter les retours en arrière et d'accélérer le processus d'égalité.


article provenant du jpournal "Le Courrier" http://www.lecourrier.ch/

Origine : http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=37996