L'oeuvre du Dr Wilhelm Reich suscite de nouveaux engouements. Il avait
inventé de petites machines permettant de calculer, et même d'accumuler,
l'énergie sexuelle.
Les rédacteurs de Largeur.com me disaient hier qu'après une expérience
d'une dizaine de jours, l'article le plus lu du magazine dont ils sont
les heureux initiateurs est celui consacré à l'orgasme. Etonnant? Pas
du tout. Cet engouement nous rappelle que le sexe reste l'un des moteurs
de l'histoire. Avec la lutte des classes. Avec l'angoisse existentielle.
Voilà qui nous renvoie aux grands maîtres de la pensée du XXe siècle,
Karl Marx, bien sûr, qui poursuit son séjour en un purgatoire que nous
lui souhaitons peuplé d'avenantes bonniches, Sigmund Freud, dont les séides
colloquent à longueur de journées avec des théories sans cesse renouvelées
de patients en mal de vivre et Wilhelm Reich dont les oeuvres font un
retour remarquable à la devanture des librairies.
C'est dire que le psychiatre autrichien, né en 1897, en est, pour ce siècle,
à sa troisième vie. Disciple de Freud, admis dans les année 1920 dans
le cercle rapproché des élèves du fondateur de la psychanalyse, il développe
la pensée du maître en un sens révolutionnaire en pointant le doigt sur
une des grandes misères de son temps, la misère sexuelle.
Communiste antistalinien, il fonde Sexpol, organisation prolétarienne
prônant une morale sexuelle en rupture avec la morale bourgeoise, organisation
qui connaîtra de beaux succès dans l'espace germanique au cours des années
1930. Le nazisme le contraint à l'exil, en Scandinavie d'abord, puis aux
Etats-Unis, où, devenu quelque peu parano, il se met en tête de construire
de petites machines permettant de calculer et même d'accumuler l'énergie
sexuelle.
Comme il commercialise son invention, l'administration s'en mêle et il
est condamné à une peine de prison. C'est détenu pour délit d'opinion
dans un pénitencier américain qu'il meurt en 1957.
A la même époque, en France, un livre hante les librairies d'avant-garde.
Présenté sous une couverture d'un noir si funèbre que par comparaison
la bannière anarchiste en deviendrait guillerette, il porte, en fines
lettres blanches, un titre étrange: «La fonction de l'orgasme». Le nom
de l'auteur, Wilhelm Reich, figure, lui, en petits caractères rouge sang.
Ce graphisme avait alors valeur de programme politique. Le contenu du
livre n'en avait pas moins. Dès la première page, Reich annonce la couleur:
«Le problème de la sexualité, par sa nature même, s'insinue dans chaque
branche de l'investigation scientifique. Son phénomène central, «l'orgasme»,
est situé au carrefour des problèmes nés dans les domaines de la psychologie,
de la physiologie, de la biologie et de la sociologie».
Epousant les préoccupations d'une société fascinée par le «Rapport Kinsey»
et le «Deuxième Sexe» de Simone de Beauvoir, l'oeuvre de Reich chemina
de manière souterraine avant d'éclater dans toute sa force au milieu des
années 60. Avec Herbert Marcuse, le bon docteur Reich connut l'honneur
(posthume, hélas pour lui) d'être l'un des idéologues de Mai 68 à travers
le monde.
En l'espace de quelques années, ses oeuvres et les nombreux essais qui
leur furent consacrés connurent un succès extraordinaire. La deuxième
vie de Wilhelm Reich fut des plus fécondes: la révolution sexuelle est
l'un des acquis soixante-huitards encore reconnus, même si Cohn-Bendit
vient de se marier très légalement...
Mais le cheminement des idées ne saurait buter sur des dates. Alors qu'on
le croyait enterré depuis de longues années, alors que depuis dix ans
les idéologies sont rangées sur les rayons des bibliothèques, voici que
Wilhelm Reich réapparaît en un come-back spectaculaire. Ses livres sont
réédités, des essais sur sa pensée aussi. Début mars, le quotidien «Libération»
lui consacrait même l'ouverture de son cahier Livres du jeudi.
Est-ce à dire que le néolibéralisme, maître indiscuté de la planète depuis
dix ans, suscite par son triomphalisme, son arrogance et sa violence un
appel d'air tel que les idéologies (tré)passées vont à nouveau retrouver
la faveur des désespérés?
Reich nous revient malgré les (ou à cause des) sinistres et gothiques
jeux de collégiens désespérés. Freud et ses prêtres se portent bien, merci
pour eux. Et, qui sait, si l'OTAN persiste dans son savoir-faire balkanique,
peut-être que Marx...
Gérard Delaloye
De Wilhelm Reich, quatre ouvrages viennent d'être réédités chez Payot
Paris:
«Psychologie de masse du fascisme»,
«Reich parle de Freud», «L'Ether, Dieu et le diable»
et «L'irruption de la morale sexuelle».
Deux essais lui sont consacrés: «Cent fleurs pour Wilhelm Reich» (Payot
Paris) de Roger Dadoun
et «Wilhelm Reich, énergie vitale et psychothérapie» de Gérard Guasch
(Retz)
Gérard Delaloye, historien et journaliste, n'a jamais eu l'occasion d'essayer
les machines de Wilhelm Reich. Par contre, il a écrit un court essai sur
Julien-Offray de La Mettrie, auteur notamment de «La Volupté» (1746) et
de «L'Art de jouir» (1753).
Cet article a été trouvé sur le site "Largeur.com"
le mardi 27 Avril 1999 sur le thème : "Sexpol"
Le lien d'origine
http://www.largeur.com/expArt.asp?artID=42
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