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Les malentendus de la révolution sexuelle
Thomas Férenczi


Le Monde
Daniel Cohn-Bendit rattrapé par ses écrits !

Les malentendus de la révolution sexuelle ?

La surprise indignée qui a accueilli la redécouverte d'écrits apparemment pédophiles de Daniel Cohn-Bendit montre que beaucoup n'ont pas gardé le souvenir des années 1970 et de quelques-uns de leurs délires. Peut-être est-il temps de passer au crible de la mémoire les lendemains de 1968, comme on a commencé de le faire pour les années 1940 (l'Occupation) et 1950 (la guerre d'Algérie). Le mérite de Daniel Cohn-Bendit est d'affronter sans détours, face aux questions qui lui sont posées, ses erreurs passées, qu'il reconnaît et tente d'expliquer. Cette explication n'est pas inutile : si on se souvient aujourd'hui qu'une partie de la mouvance gauchiste préparait la révolution politique, au prix de dérives qui aurait pu être meurtrières et qui appelleraient aussi quelques mea-culpa, on a un peu oublié qu'une autre partie ne voyait le salut que dans la révolution sexuelle.

Car l'héritage militant de mai 1968, au début des années 1970, est double. D'un côté, les groupuscules d'extrême gauche continuent le combat en tentant de construire des organisations disciplinées et hiérarchisées, où l'individu s'efface devant le groupe et le plaisir devant le devoir. De l'autre, les réseaux libertaires forment des communautés non-violentes qui s'opposent à toute forme d'autorité, préfèrent l'amour à la guerre et font de la libération du désir la clé de la révolution à venir.
Daniel Cohn-Bendit a appartenu, avant et après 1968, à cette seconde catégorie, celle des libertaires qui prônaient la transgression des interdits sexuels, et non à celle des militants dévoués corps et âme à la cause d'un parti. Au printemps 1968, tout a commencé à Nanterre, ne l'oublions pas, par le rejet de l'interdiction faite aux garçons d'accéder aux dortoirs des filles. Le mouvement s'est ensuite développé autour de mots d'ordre qui plaidaient, entre autres, pour la fin des tabous, le refus de la morale dominante, la contestation de toute répression, y compris sexuelle. Dans les années 1970, " l'anarchiste allemand " dénoncé par Georges Marchais a choisi de vivre la vie alternative des adeptes de la " contre-culture ". La libération à laquelle appelaient les héritiers de mai demandait que cessent les interdits faisant obstacle à la jouissance, à la maîtrise des femmes sur leur corps, à l'homosexualité assumée. Elle entendait aussi donner droit de cité à la sexualité des enfants, allant quelquefois jusqu'à justifier, sans la nommer, la pédophilie. Au nom de la lutte contre un ordre moral perçu, ainsi que l'a rappelé Jack Lang, dimanche 25 février, au " Grand Jury RTL-Le Monde ", comme " une chape de plomb " les distinctions nécessaires entre enfants, adolescents et adultes ont été oubliées par certains.
En 1969, le suicide d'une enseignante de trente-deux ans, Gabrielle Russier, condamnée pour détournement de mineur à la suite d'une aventure avec l'un de ses élèves, provoqua une vive controverse. Une partie de l'opinion prit fait et cause pour la jeune femme, soulignant que le lycéen était déjà presque un homme. Dans d'autres cas, en revanche, par naïveté, provocation ou, le cas échéant, perversité, la barrière entre amour libre et pédophilie a été clairement franchie. Le " dérèglement de tous les sens " auquel invitait alors, selon les mots de Rimbaud, le mouvement anti-autoritaire charriait le pire et le meilleur. La contestation des structures traditionnelles de la famille, en particulier, a conduit à des confusions dangereuses, dans les esprits sinon toujours dans les comportements.
Ce mouvement avait ses auteurs de référence, qui dénonçaient le caractère répressif de la psychanalyse freudienne (lire l'article de Roger-Pol Droit dans Le Monde du 1er mars). Ainsi Wilhelm Reich, dont plusieurs textes sont alors publiés ou republiés en français, comme La Révolution sexuelle en 1968 et La lutte sexuelle des jeunes en 1972, considère-t-il que l'élan libérateur de la psychanalyse s'est interrompu lorsque Freud a introduit dans sa théorie la " sublimation ".

LE COUP D'ARRÊT Dans Eros et civilisation, qui paraît en français en 1963, Herbert Marcuse tente de penser, face à la " sublimation répressive " de Freud, la notion de " sublimation non répressive " afin de surmonter le " noyau irréductible de conformisme " que contient, selon lui, le freudisme. Pour celui-ci, en effet, estime-t-il, " la santé mentale n'est que la résignation réussie et efficace ". Dans L'Anti-Œdipe, paru en 1972, le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari se réfèrent explicitement à Reich et Marcuse, dont ils défendent le " rousseauisme " contre ceux qui leur reprochent " une certaine conception trop idyllique de l'inconscient ". " L'inconscient est rousseauiste, étant l'homme-nature ", affirment-ils. Comme Reich et Marcuse avant eux, ils considèrent que le freudisme conduit à la " résignation " face à la société répressive. " Tout le monde sait, écrivent-ils, ce que la psychanalyse appelle résoudre Œoedipe : l'intérioriser pour mieux le retrouver au dehors dans l'autorité sociale, et par là l'essaimer ". Il faut donc relancer la " machine désirante " pour qu'elle libère l'énergie libidinale. Voilà quelle était pour la mouvance anti-autoritaire la vraie révolution. Cette conception n'était dépourvue ni d'illusions ni de malentendus. Le coup d'arrêt n'allait pas tarder à venir. Dès 1976, dans La Volonté de savoir, premier tome de son Histoire de la sexualité, Michel Foucault critiquait la place centrale donnée à la répression et l'idée que, pour s'en affranchir, il ne faudrait pas moins qu'une " levée des interdits " et " une restitution du plaisir dans le réel ". " Je ne dis pas que l'interdit du sexe est un leurre, écrivait-il, mais que c'est un leurre d'en faire l'élément fondamental et constituant ". La libération des moeurs a pris ensuite d'autres voies, moins radicales. Mais en fin de compte, la " révolution sexuelle ", même assagie, a mieux réussi que la révolution politique.
Thomas Ferenczi


Le lien d'origine : Marcuse évoqué dans Le Monde du 1° mars 2001
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226-5285-154833,00.html

Surle thème de l'Ecole de Francfort, un site Internet offre beaucoup de documents L'Ecole de Francfort",
On y trouve aussi une bibliographie Eléments biographiques.
L'Ecole de Francfort ? La théorie critique ?
Nom donné au groupe formé par Max Horkheimer, Theodor W. Adorno et leurs disciples.
La création, en 1923, d'un Institut für Sozialforschung, à l'université de Francfort, est issue d'un rejet des valeurs du
capitalisme et d'une volonté de fonder l'ensemble des sciences sociales sur la dialectique marxiste. Très vite, les membres de l'école de Francfort furent frappés par la dégradation de l'individu libéral et par l'incapacité parallèle du prolétariat à mettre en pratique l'humanisme que la bourgeoisie avait trahi. Leur Théorie critique s'efforça d'opérer une psychanalyse de la sociologie en même temps que de constituer une sociologie de la psychanalyse. Certains d'entre eux en vinrent à découvrir dans la lutte des classes la reproduction de la domination de l'homme sur la nature, rendant impossible l'avènement d'une liberté autonome. La victoire du nazisme, en 1933, les obligea à se transporter à Genève, puis à Paris et à Londres. En 1940, la plupart des membres de l'école émigrèrent aux États-Unis, où ils soumirent leurs thèses aux méthodes empiristes de la sociologie américaine. Au retour d'exil, ils abandonnèrent l'espoir révolutionnaire, rendu illusoire par la consolidation du capitalisme et l'échec du marxisme en Union soviétique, pour jeter les bases d'une dialectique affinée entre le particulier et l'universel. Les principaux disciples et continuateurs de l'école de Francfort sont Herbert Marcuse, Erich Fromm, Leo Löwenthal, Friedrich Pollock, Walter Benjamin, Jürgen Habermas.