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Origine : http://www.millebabords.org/article.php3?id_article=4552
Les associations de l’immigration, longtemps considérées
comme "étrangères" et soumises au contrôle
préalable de l’État, revendiquent l’égalité
des droits politiques depuis les années vingt. Privées
d’une véritable représentation dans les partis
existants, voire interdites d’activité politique, elles
ont investi le champ culturel avant de s’intéresser
aux espaces concrets de citoyenneté. Mais face aux limites
de la démocratie locale, et alors que les Européens
viennent d’obtenir le droit de vote aux élections municipales,
les associations se jettent à nouveau dans la bataille pour
une nouvelle "citoyenneté de résidence".
Dans l’histoire de la République française,
le droit d’expression et la liberté d’association
sont des notions étroitement imbriquées. Or, qui dit
droit d’expression et liberté d’association éveille
immanquablement l’idée d’action politique collective
échappant peu ou prou à l’emprise directe de
l’État. Certes, la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, en son article 2, admet que
"le but de toute association politique est la conservation
des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits
sont la liberté, la propriété, la sûreté
et la résistance à l’oppression." Mais
les révolutionnaires français de 1789 récusaient
l’idée de la constitution, entre les individus et l’État,
de corps intermédiaires qui risqueraient de diviser la Nation.
C’est le sens de la loi Le Chapelier, adoptée par l’Assemblée
constituante le 14 juin 1791, qui interdit aux ouvriers - mais aussi
aux maîtres - toute association ou toute forme d’action
collective par "délibérations", "affiches",
"lettres circulaires" ou par "tout attroupement"
pour faire pression, par exemple, sur "ceux qui se contenteraient
d’un salaire inférieur".
À l’époque, il semble que seul Marat contesta
la dimension politique de cette mesure tendant à réduire
les droits d’expression, dans un article publié dans
L’Ami du peuple, intitulé "Usurpation des droits
de la souveraineté du peuple par ses représentants"
[1]. Il faudra attendre la fin du XIXe siècle, tout agité
par la question sociale, pour obtenir le droit de réunion,
la liberté de la presse et la reconnaissance des syndicats.
En 1884, Pierre Waldeck-Rousseau, alors ministre de l’Intérieur,
fait voter la loi sur les associations professionnelles. Devenu
président du Conseil, il est ensuite l’inspirateur
de la loi de 1901 sur la liberté d’association que
nous connaissons aujourd’hui. Cette loi d’inspiration
libérale entérine enfin le droit d’association
pour les individus et les buts les plus divers, à l’exception
notable de celui qui porterait "atteinte à l’intégrité
du territoire national et à la forme républicaine
du gouvernement" (article 3).
L’Étoile nord-africaine réclame l’éligibilité
à toutes les assemblées
Dès lors, des groupes d’étrangers et de travailleurs
immigrés vont eux aussi constituer leurs associations "loi
de 1901". Parmi celles-ci, l’Étoile nord-africaine,
qui se déclare en 1925 comme une "association de bienfaisance
au profit des travailleurs immigrés", sera l’une
des plus connues. Certains diront qu’elle s’est montée
sur les décombres de l’Association de la fraternité
islamique. Il a été plus clairement établi
par son dirigeant, Messali Hadj, que l’Étoile nord-africaine
est apparue dans le prolongement de la campagne à Paris du
candidat communiste Hadj Ali Abdelkader, d’origine algérienne,
lors des législatives de 1924. Le déclic aurait donc
été d’ordre politique, et non religieux [2].
Selon un rapport de police de l’époque, Messali Hadj
demanda dès 1926 "l’abrogation de l’indigénat
et la suppression pure et simple de toutes les mesures illégales
prises pour limiter le droit des Algériens et Marocains à
voyager librement entre leur pays et la France. Il réclama
la représentation des Nord-Africains à la Chambre,
ainsi que la liberté de la presse et la liberté de
réunion."
De fait, l’Étoile nord-africaine revendiquait d’ores
et déjà "le droit à l’électorat
et à l’éligibilité à toutes les
assemblées, y compris au Parlement, au même titre que
les autres citoyens français", ainsi que "l’amnistie
pour tous ceux qui sont emprisonnés, en surveillance spéciale
ou exilés pour infraction au code de l’indigénat
ou pour délit politique". Ces revendications d’ordre
civique et politique, qui seront minorées, voire omises dans
la presse communiste - pourtant censée être gagnée
à la cause de l’Étoile - , précèdent
puis accompagnent son engagement pour l’indépendance
de l’Algérie. Mais c’est suite à son appel
pour l’indépendance que l’ENA sera dissoute en
1929, en vertu de l’article 3 précité de la
loi de 1901 (reconstituée, l’ENA sera à nouveau
dissoute en 1937 par le Front populaire). Le PCF reprendra alors
à son compte un certain nombre de ces revendications au début
des années trente [3]. Sans suite : elles seront sacrifiées
sur l’autel de l’unité du Front populaire au
gouvernement.
"L’association s’interdit toute activité
politique"
Par la suite, le PCF sera décrié comme le "parti
de l’étranger". Ironie de l’histoire, c’est
la loi de 1901, revue par le régime de Vichy, qui "a
permis d’interdire le PCF comme association dirigée
de fait par des étrangers" [4]. En effet, sous prétexte
de lutter plus efficacement contre les regroupements nazis et apparentés
en France, le gouvernement Daladier signe le fameux décret-loi
du 12 avril 1939 sur les associations étrangères.
Ce décret-loi soumettait les "associations étrangères"
à l’autorisation préalable et au contrôle
discrétionnaire du ministre de l’Intérieur.
Par "associations étrangères", il était
entendu toute association ayant son siège à l’étranger
ou "dirigée de fait par des étrangers",
mais aussi toute association comprenant plus d’un administrateur
étranger ou "un quart au moins de ses membres étrangers".
Si ces dernières menaçaient "la sûreté
intérieure ou extérieure de l’État",
elles pouvaient être dissoutes par voie administrative et
non plus judiciaire.
L’autorisation administrative, pouvant être refusée
sans motif, n’était par ailleurs pas définitive.
Subordonnée à "l’observation de certaines
conditions" (les textes ne précisent pas lesquelles),
elle était aussi soumise à renouvellement périodique,
et pouvait être retirée à tout moment. La pratique
administrative rajoutera au décret-loi de 1939 l’obligation
de mentionner dans les statuts la phrase : "L’association
s’interdit toute activité politique.". Ainsi,
les étrangers se voient concéder le droit d’association
- une liberté sous contrôle de police -, mais ils se
voient aussi refuser le droit d’_expression politique [5].
Le PCF demandera en 1948 l’abrogation de ce décret-loi
discriminatoire à l’encontre des non-nationaux, qui
touche aussi par ricochet les associations françaises, sommées
de déclarer leurs adhérents étrangers. Sa proposition
de loi sera enterrée en commission, les uns et les autres
pensant que le texte tomberait de lui-même en désuétude.
En fait, il sera bien mis à contribution, notamment dans
les années soixante-dix, pour tour à tour menacer,
refuser ou interdire a posteriori nombre d’associations, parmi
lesquelles l’AMF (Association des Marocains en France, créée
en 1961), l’Organisation des communistes africains, les regroupements
d’étudiants d’Afrique noire francophone (Gabon,
Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali) ou encore l’association
des travailleurs pakistanais. À noter également que
des unions antillaises ou réunionnaises ont été
visées, ainsi que des associations françaises, comme
des Asti (Associations de soutien aux travailleurs immigrés)
ou encore le Conseil consultatif des immigrés de Chambéry,
constitué en 1977 et dissous l’année suivante
par le ministre de l’Intérieur.
L’expression culturelle comme moyen d’action
politique
Pour autant, beaucoup d’associations étrangères
se développent durant la même période. Dans
les années qui précèdent l’arrivée
de la gauche au pouvoir en 1981, 300 associations auraient ainsi
été déclarées chaque année, après
autorisation [6]. Ces associations dites "autonomes",
constituées pour la plupart sur une base nationale, se donnent
pour objectif de répondre aux besoins sociaux et culturels
des travailleurs immigrés, en leur apportant une aide juridique,
matérielle ou morale. Leur attention est également
concentrée sur la situation dans le pays d’origine.
Leurs dirigeants sont souvent des opposants aux régimes en
place. Mais les associations s’astreignent officiellement
au "devoir de réserve" et à la "neutralité
politique". La peur de l’interdiction - ou pis encore
de l’expulsion - plane. Aussi se cantonnent-elles pour l’essentiel
dans les activités culturelles. Dans le foisonnement culturel
des années soixante-dix marqué par la révolte
de Mai 1968, cela apparaît comme une stratégie de contournement
de l’interdit politique. Le droit à l’expression
culturelle, fortement revendiqué par exemple à l’occasion
des festivals de théâtre populaire des travailleurs
immigrés organisés par la MTI (Maison des travailleurs
immigrés, qui regroupe depuis 1973 plusieurs associations
de Marocains, d’Algériens, de Portugais et de ressortissants
d’Afrique noire), est bien compris comme un euphémisme
pour désigner le droit d’expression politique [7].
Cependant, il serait erroné de n’y voir qu’une
forme déguisée d’intervention politique. En
effet, les militants immigrés sont alors fort divisés
sur le sens même qu’ils donnent à un engagement
politique plus ou moins avoué. La majorité des associations
immigrées regroupées par nationalité se battent
pour la liberté d’expression politique dans le pays
d’origine, et n’entendent pas se substituer aux syndicats
ou aux partis politiques français de gauche. D’une
certaine manière, elles intériorisent même le
discours dominant qui érige pour principe que pour faire
de la politique, il faut être français. Ce "tropisme
blédard" les amène pour la plupart à se
prononcer contre le droit de vote et les naturalisations [8].
"arracher les droits de citoyens"
En revanche, d’autres militants immigrés prétendent
s’engager "ici et maintenant", et s’invitent
directement dans l’arène politique française.
Lors de l’élection présidentielle de 1974, le
jeune Arabe Djillali Kamel présente de façon spectaculaire
sa candidature pour faire valoir les droits des immigrés
tels qu’ils se les représentent eux-mêmes. "Parler
de nos problèmes, il n’y a que nous qui puissions le
faire" [9], dira-t-il ; et il ajoutera : "Nous n’irons
pas aux bureaux de vote, mais nous voterons à notre manière."
[10] Aussi volontariste soit-elle, cette initiative soutenue par
le MTA (Mouvement des travailleurs arabes) provoquera un réel
débat sur le droit d’expression politique autonome
des travailleurs immigrés, et sur les différentes
formes captives de délégation de pouvoir qui ont relégué
les immigrés en situation de spectateurs passifs des joutes
politiciennes franco-françaises. Il s’agira d’ailleurs
moins, pour ces militants immigrés, d’une discussion
théorique abstraite que d’une auto-affirmation empreinte
de défiance.
Ce courant lie les luttes concrètes pour l’égalité
des droits culturels et sociaux avec le droit d’expression
politique, tout comme le Comité de coordination des foyers
Sonacotra. Le journal Sans Frontière - ainsi que les premières
radios immigrées - s’en inspirera. Sans Frontière
établit lui aussi des liens avec la gauche française,
y compris les socialistes, dont Jean Le Garrec et un certain François
Mitterrand, avec lesquels sera notamment discuté le droit
de vote. C’est de cette filiation que naîtra en 1982
le Collectif pour les droits civiques. Constitué à
la veille de la campagne électorale pour les municipales
de mars 1983, ce collectif, qui prend en compte l’émergence
du phénomène "beur" dans sa tentative de
redéfinir la place des populations issues de l’immigration
dans la société française, résume son
projet par l’affirmation suivante : "Nous voulons être
citoyens là où nous vivons." Sans Frontière
se propose de devenir une tribune, régulière et contradictoire,
pour "l’affirmation que nos droits d’expression
politique sont inaliénables" et pour témoigner
de la "volonté d’arracher nos droits de ’citoyens’
sans devoir changer de nationalité. [...] Nous n’avons
toujours pas le droit de vote. Mais nous pouvons prendre le droit
d’organiser nous-mêmes nos propres bureaux de vote,
nos propres cartes d’électeurs." [11]
Le journal participe à l’organisation de "la
fête des futurs votants" dans la grande salle de la Mutualité
à Paris, le 4 mars 1983, où se déroulera un
référendum symbolique pour le droit de vote des immigrés.
Si le résultat semble mitigé, le débat est
relancé, sur la base d’une déconnexion entre
nationalité et citoyenneté. Sans Frontière
rappelle en outre que "le problème n’est plus
seulement entre le pouvoir et les immigrés. Il est aussi
entre les immigrés eux-mêmes et entre immigrés
et associations de soutien" [12]. Le Conseil des associations
issues de l’immigration en France (CAIF), créé
pour prendre la relève de la MTI, adoptera finalement la
revendication du droit de vote en 1984, et le PCF y adhérera
en 1985.
Le "droit de cité" dans la vie locale
: avancées et limites
Cette dynamique se développe au moment où la gauche,
au pouvoir depuis 1981, semble résignée à abandonner
son projet initial d’accorder le droit de vote aux immigrés
pour les élections locales. La gauche a certes abrogé
le décret-loi de 1939, permettant de rétablir le droit
d’association pour les étrangers (loi du 9 octobre
1981), et a instauré l’égalité des droits
de représentation syndicale (lois Auroux de 1982). Mais quid
des droits civiques ou politiques ? Saïd Bouziri, ex-animateur
du MTA, puis de Sans Frontière et de l’association
Génériques, s’interroge : "Il faut se demander
si le droit d’association n’a pas permis d’esquiver,
de fait, le débat sur l’ensemble des droits civiques
des étrangers en France. La réforme de 1981 a été
évoquée pour empêcher, justement, toute réflexion
sur le découplage entre ces deux notions (citoyenneté
et nationalité). Elle a servi d’argument lorsqu’il
a fallu renoncer publiquement à accorder le droit de vote."
[13]
Le droit d’association n’impliquerait donc pas nécessairement
une avancée vers la reconnaissance des droits politiques
des immigrés. L’État ne renoue-t-il pas ainsi
avec son penchant à dénier aux associations un réel
pouvoir d’intervention dans le champ politique ? Une situation
en apparence d’autant plus paradoxale que ce recul intervient
dans une période où les associations sont de plus
en plus présentées comme des acteurs importants de
la vie locale, et où la notion de citoyenneté communale
se généralise.
La décentralisation et le processus de "démocratie
participative" amorcé au milieu des années soixante-dix
sont censés associer davantage les citoyens dans leur diversité
à la gestion des affaires de la cité. Il est même
question de dévolution de certains pouvoirs de décision,
aux nouveaux comités de quartier par exemple. En réalité,
l’État n’a de cesse de limiter toute velléité
d’autonomie décisionnelle des nouvelles instances de
délibération locale, et ne leur confère le
plus souvent qu’un caractère consultatif. De ce point
de vue, ni les commissions communales consultatives des immigrés,
ni même les élus associés aux conseils municipaux
de Mons-en-Barœul (Nord), d’Amiens ou de Cerizay (Deux-Sèvres)
ne dérogeront à la règle commune. Ils émettent
un simple avis sans valeur coercitive pour l’exécutif.
La sphère du politique renforce ainsi sa prééminence,
tout en concédant sur le mode paternaliste que les associations,
véritables "écoles de la citoyenneté"
et vivier de futurs militants, forment un possible sas d’entrée
pour le passage au politique.
La société civile, contre-pouvoir ou nouvel
espace politique ?
Ce rapport instrumental aux associations va ensuite s’aggraver
par une sorte d’injonction de participer à la vie publique
pour répondre à la crise du système politique
lui-même. Mais les associations issues de l’immigration,
en plein essor depuis le succès de la Marche pour l’égalité
de 1983 et qui cherchent à se structurer en mouvement national,
n’ont pas du tout l’intention de se plier sous les fourches
caudines de cette conception de la participation politique qui infantilise
les citoyens, français ou de nationalité étrangère.
Convergence 84, la deuxième marche des "rouleurs pour
l’égalité", "ne s’adressera
plus seulement à l’État, mais aussi à
la société civile", rappelle Saïd Bouamama
[14].
La troisième marche de 1985 se déroulera sur le thème
des droits civiques. Pour les associations initiatrices, il s’agit
de provoquer un débat sur les limites de la démarche
qui incite les jeunes à faire preuve de civisme en allant
s’inscrire sur les listes électorales, et à
les faire voter pour les partis politiques en place. Récusant
le clivage entre les "Beurs" qui votent et les parents
ou les grands frères de nationalité étrangère,
cette troisième marche met la priorité sur le droit
de vote, alors qu’une nouvelle association, France Plus, qui
prétend capter le potentiel électoral "beur",
s’y oppose avec virulence. L’association Mémoire
fertile, organisatrice en 1988 des États généraux
de l’immigration, approfondira quant à elle le concept
de "nouvelle citoyenneté". Pour tenter d’enrayer
la dérive gestionnaire et apolitique de la vie associative,
elle préconise l’investissement des espaces de citoyenneté
concrète (associations de locataires, parents d’élèves,
etc.) mais butera sur la question de savoir s’il faut se constituer
en contre-pouvoir capable de créer un rapport de forces favorable
vis-à-vis des pouvoirs publics, ou s’il ne vaut pas
mieux s’investir dans le jeu politique existant.
L’intégration dans le jeu institutionnel
La fin des années quatre-vingt a vu la conjonction de deux
facteurs qui poussent à la deuxième option. D’abord,
pour se protéger d’un possible retour aux pratiques
d’expulsion pour agitation politique, brandi par le ministre
de l’Intérieur Charles Pasqua entre 1986 et 1988, nombre
de militants issus de l’immigration ont franchi le pas et
demandé la nationalité française. Cette démarche
a été avant tout individuelle, et n’a guère
fait l’objet de discussions publiques. Si elle semble un aveu
d’impuissance face à une logique "nationalitaire"
amplifiée par le retour en force des mythes fondateurs de
la République à l’occasion du bicentenaire en
1989, elle est assumée par les uns et les autres avec un
certain pragmatisme. Dans le même temps, le parti socialiste
enjoint les militants associatifs et toute la "génération
Mitterrand" de le rejoindre pour préparer la reconquête
du pouvoir.
Si les dirigeants de SOS Racisme et du mouvement étudiant
de 1986, préparés à la manœuvre, ont aussitôt
occupé des postes politiques importants, pour l’essentiel
au PS, les militants associatifs issus de l’immigration tentés
par l’aventure politique ont investi les partis en ordre dispersé,
à titre individuel (les effets d’affichage médiatique
de France Plus, qui annonce en 1989 plus de 150 conseillers municipaux
élus, dont plusieurs maires adjoints, ont un temps pu faire
illusion). En conséquence, ils occuperont des postes de moindre
importance et seront souvent brocardés comme "immigrés
de service". Ils ne disposeront plus de la force collective
de leurs associations d’origine.
Ces dernières voient en effet d’un mauvais œil
la distance se creuser entre la fonction d’élu, évoluant
dans un monde politique avec ses codes propres, et la vie associative
locale. De fait, les associations se trouvent dépossédées
de leur ambition d’être le lieu même d’une
activité politique concrète. Et leurs membres, soupçonneux
vis-à-vis de stratégies de promotion personnelle,
renâcleront de plus en plus à servir de simples relais
sur le terrain pour légitimer l’action de leurs élus
dans l’arène politique. Ce qui explique en partie que
les associations concernées périclitent, voire disparaissent.
Quelques figures de l’immigration parviennent cependant à
se hisser dans les appareils de grandes associations françaises
comme la Ligue des droits de l’homme ou la Fondation pour
le développement de la vie associative (Fonda), ou encore
à siéger dans des instances officielles en tant que
personnalités qualifiées. Et certaines de ces associations
se regroupent elles-mêmes : pour le droit de vote (collectif
J’y suis, j’y vote en 1989), pour la réforme
des lois sur les étrangers, ou contre celle du code de la
nationalité.
Une discrimination politique aux relents de survivance
coloniale
Les interrogations sur le "passage au politique" des
élus issus de l’immigration ou de la vie associative
ont presque occulté la question du droit de vote des immigrés
tout au long des années quatre-vingt-dix. Et pourtant, les
résidents étrangers ont à plusieurs reprises
manifesté leur intérêt pour leur participation
à la chose publique [15]. En outre, les élections
présidentielles de 1995 en Algérie ont montré
une surprenante mobilisation des électeurs algériens
en France. N’est-ce pas un comble ? Alors que certains mettent
en doute la motivation civique des immigrés, les résidents
algériens de France et d’Europe votent en masse, et
de surcroît sont éligibles pour une représentation
politique dans le pays d’origine (quatre députés
issus de l’immigration siègent au parlement national
à Alger). "Maintenant on peut voter", disaient-ils
fièrement en 1995, tout en incitant leurs enfants de nationalité
française à aller voter lors de toutes les élections
françaises et européennes dont ils restaient et restent
exclus. Une évolution similaire se fait jour chez les Marocains,
voire chez les immigrés maliens impliqués dans les
projets associatifs de développement local qui briguent avec
succès des mandats électoraux au pays.
Rares ont été les militants associatifs qui ont perçu
cette évolution citoyenne des immigrés, à cheval
sur les frontières du national et du politique. Il aura fallu,
en 1998, la nouvelle donne du droit de vote et d’éligibilité
aux élections municipales et européennes des résidents
de l’Union européenne, adopté sans débat
public en application des traités de Maastricht, pour que
les associations issues de l’immigration se ressaisissent
publiquement de la question des droits politiques. Et encore est-ce
à travers le prisme d’une nouvelle discrimination vécue
comme insoutenable : en effet, comment peut-on accepter de voir
octroyer aux seuls Européens, sans condition de résidence
précise, des droits politiques que les résidents extra-communautaires,
présents depuis parfois plusieurs générations,
s’évertuent à réclamer depuis si longtemps
?
Vers une nouvelle convergence entre associations ?
Dès 1997, le Conseil consultatif des étrangers de
Strasbourg adopte une Charte des résidents étrangers
signée par la maire de la ville, Catherine Trautmann, qui
s’engage à promouvoir une "citoyenneté
de résidence" pour tous. Et à l’occasion
des élections européennes de juin 1999, il organise
un vote symbolique sur le thème "j’y suis, j’y
vote". Au niveau national, le nouveau collectif "Un(e)
résident(e), une voix", regroupant des associations
issues de l’immigration quelque peu érodées
par les désillusions passées, participe à la
relance du débat. La gauche plurielle au gouvernement finit
par concéder que cette discrimination supplémentaire
n’est pas tenable et qu’il faudra bien, un jour ou l’autre,
inscrire le droit de vote de tous les résidents étrangers
dans les textes de loi de ce pays [16]. Mais les militants associatifs
s’insurgent contre l’idée qu’il faut endurer
encore une fois l’épreuve d’une période
transitoire, voire probatoire, avant d’accéder à
cette égalité de traitement tant vantée comme
valeur fondamentale de la République. N’en déplaise
à Pierre Rosanvallon et aux nationaux-républicains,
ils récusent désormais la "catégorie de
l’étranger" en affirmant leur appartenance à
la "communauté politique des citoyens" censée
fonder la nation française. À cet égard, ils
ne sauraient plus se satisfaire de droits politiques partiels, solution
assimilée à une survivance coloniale qui rappelle
par trop le principe des "citoyens de seconde zone" ou
le "deuxième collège" en Algérie
[17].
Autre phénomène nouveau par son ampleur, les associations
d’action citoyenne apparues dans les années quatre-vingt-dix,
qui ont su forger un alliage subtil entre identité sociale
locale et références communautaires, réclament
elles aussi le droit de vote pour tous les "parents de Zidane".
"Responsabiliser les parents", cela devrait commencer
par leur reconnaître une responsabilité politique.
Une convergence inédite entre types d’associations
fort divers pourrait dès lors se matérialiser autour
du droit de vote et d’éligibilité pour les municipales
de mars 2001. Au-delà, la question de l’égalité
pour tous les droits politiques est posée. Continuer à
ne pas prendre au sérieux l’exigence des droits politiques
pour les immigrés en misant sur l’épuisement
des associations, renchérir sur leur manque de représentativité
ou sur leur prétendue incapacité chronique à
se constituer en mouvement national puissant, serait un pari risqué.
Car la désillusion vis-à-vis de l’action politique,
partout en forte progression, n’est une perspective de bon
augure pour personne.
Mogniss H. Abdallah, agence IM’média,
Notes
[1] Cité par Jean-Louis Robert in "1791 : liberté
du marché et Nation", Le Monde, 14 novembre 2000.
[2] Cf. Benjamin Stora, Messali Hadj, éditions Le Sycomore,
Paris, 1982.
[3] Cf. Rahma Harouni, "Le débat autour du statut des
étrangers dans les années trente", Le Mouvement
social, n° 188, Les éditions de l’Atelier/Éditions
ouvrières, juillet-septembre 1999.
[4] Cf. René Dumont, "Liberté d’association
pour les étrangers",Le Monde, 5 février 1977.
[5] Cf. Les étrangers et le droit d’association, Comité
pour l’abrogation du décret-loi de 1939, Ciemm (Centre
d’information et d’étude sur les migrations méditerranéennes),
1979.
[6] D’après une enquête de la Fonda. Cf. "Dix
ans de liberté associative pour les étrangers en France",
La tribune Fonda, n° 92, décembre 1992.
[7] Cf. "Culture immigrée", revue Autrement, n°
11, novembre 1977.
[8] Cf. l’autocritique de Mohieddine Cherbib et Nabil Azzouz,
in "Une vieille idée neuve en France : le droit de vote
des étrangers", L’Observateur/Gözlem, n°
3-4-5, CFAIT (Conseil français des associations des immigrés
de Turquie), septembre 2000.
[9] Cité par Gilles Verbunt, in L’intégration
par l’autonomie, Ciemi, 1980.
[10] Cf. le film Des immigrés racontent, vidéo de
35 min, groupe Vidéo 00, 1974.
[11] Méjid Amar Deboussi "Le 6 mars 1983 : et si on
votait ?", in Sans Frontière, février 1983.
[12] Op. cité.
[13] La tribune Fonda, numéro cité.
[14] Douce France, la saga du mouvement beur, Quo Vadis/IM’média,
1993.
[15] D’après un sondage publié dans l’hebdomadaire
L’Express du 20 mars 1990, 66 % des immigrés sondés
(et même 73 % des Maghrébins) se déclarent favorables
au droit de vote pour les municipales. Ils souhaiteraient également
participer aux présidentielles à 57 %, voire aux législatives
ou aux européennes.
[16] En mai 2000, l’Assemblée nationale a voté
en première lecture un texte en ce sens, bloqué depuis
au Sénat.
[17] Cf. Abdelmalek Sayad, "Exister, c’est exister politiquement",
in Presse et immigrés en France,n° 135-136, décembre
1985 ; Jacques Berque, "Différence, que de crimes on
commet en ton nom", un entretien avec H&M, n°1142-1143,
avril-mai 1991 ; Tarek Kawtari, du Mouvement de l’immigration
et des banlieues (Mib), in Témoignage chrétien, 11
mai 2000.
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